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CJUE (2e ch.), 13 septembre 2018

Nature : Décision
Titre : CJUE (2e ch.), 13 septembre 2018
Pays : France
Juridiction : Cour de Justice de l'UE (2e ch.)
Demande : 176/17
Date : 13/09/2018
Numéro ECLI : ECLI:EU:C:2018:711
Nature de la décision : Question préjudicielle (CJUE)
Mode de publication : Site Curia (CJUE)
Date de la demande : 6/04/2017
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8145

CJUE (2e ch.), 13 septembre 2018 : Affaire C‑176/17 

Publication : Site Curia

 

Extrait : « L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer, fondée sur un billet à ordre régulier, qui garantit une créance née d’un contrat de crédit à la consommation, lorsque le juge saisi d’une requête en injonction de payer ne dispose pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat, dès lors que les modalités d’exercice du droit de former opposition à une telle ordonnance ne permettent pas d’assurer le respect des droits que le consommateur tire de cette directive. ».

 

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2018

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Dans l’affaire C‑176/17, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy w Siemianowicach Śląskich I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement de Siemianowice Śląskie, 1re division civile, Pologne), par décision du 17 février 2017, parvenue à la Cour le 6 avril 2017, dans la procédure

 

Profi Credit Polska S.A. w Bielsku Białej

contre

Mariusz Wawrzosek,

 

LA COUR (deuxième chambre), composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

- avocat général : Mme J. Kokott,

- greffier : Mme R. Şereş, administrateur,

Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er mars 2018,

Considérant les observations présentées :

- pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes B. Czech et S. Żyrek, en qualité d’agents,

- pour la Commission européenne, par Mmes A. Cleenewerck de Crayencour, K. Herbout-Borczak et G. Goddin ainsi que par M. N. Ruiz García, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 avril 2018,

rend le présent

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Arrêt

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29) ainsi que de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2008, concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil (JO 2008, L 133, p. 66, et rectificatifs JO 2009, L 207, p. 14, JO 2010, L 199, p. 40, JO 2011, L 234, p. 46 et JO 2015, L 36, p. 15).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure opposant Profi Credit Polska à M. Mariusz Wawrzosek au sujet d’une requête en injonction de payer fondée sur un billet à ordre souscrit par celui-ci pour le paiement de sommes prétendument dues en exécution d’un contrat de prêt à la consommation accordé par cette société.

 

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 93/13

3. Le vingt-quatrième considérant de la directive 93/13 précise « que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ».

4. En vertu de son article 1er, paragraphe 1, la directive 93/13 a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

5. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».

6. L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive est ainsi libellé :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

7. Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, de la même directive :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

 

La directive 87/102/CEE

8. L’article 10 de la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48 et rectificatif JO 1988, L 278, p. 33), prévoyait :

« Les États membres qui, en ce qui concerne les contrats de crédit, autorisent le consommateur :

a) à effectuer le paiement au moyen de lettres de change, y compris les billets à ordre ;

b) à donner une garantie au moyen de lettres de change, y compris les billets à ordre et les chèques,

veillent à ce que le consommateur soit convenablement protégé lorsqu’il est fait usage de ces instruments dans les cas indiqués. »

 

La directive 2008/48

9. Comme le précise son article 1er, la directive 2008/48 a pour objet d’harmoniser certains aspects des règles des États membres en matière de contrats de crédit aux consommateurs.

10. L’article 3, sous c), de cette directive définit le « contrat de crédit » comme étant « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à un consommateur un crédit sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la prestation continue de services ou de la livraison de biens de même nature, aux termes desquels le consommateur règle le coût desdits services ou biens, aussi longtemps qu’ils sont fournis, par des paiements échelonnés ».

11. L’article 17 de ladite directive, intitulé « Cession des droits », dispose, à son paragraphe 1 :

« Lorsque les droits du prêteur au titre d’un contrat de crédit ou le contrat lui-même sont cédés à un tiers, le consommateur peut faire valoir à l’égard du cessionnaire tout moyen de défense qu’il pouvait invoquer à l’égard du prêteur initial, y compris le droit à une compensation, si celle-ci est autorisée dans l’État membre concerné. »

12. L’article 22 de la même directive, intitulé « Harmonisation et caractère impératif de la présente directive », énonce, à son paragraphe 1 :

« Dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent maintenir ou introduire dans leur droit national d’autres dispositions que celles établies par la présente directive. »

13. L’article 29 de la directive 2008/48 prévoit que la directive 87/102 est abrogée avec effet au 11 juin 2010.

 

Le droit polonais

14. L’article 4841 de l’ustawa – Kodeks postępowaniacywilnego (loi portant code de procédure civile), du 17 novembre 1964 (Dz. U. de 1964, no 4), texte consolidé, tel que modifié (ci-après le « kpc »), prévoit :

« [...]

2. Le juge statue selon la procédure d’injonction de payer sur demande écrite du demandeur formulée dans l’acte introductif d’instance.

3. L’affaire est examinée en chambre du conseil [...] »

15. Aux termes de l’article 485, paragraphe 2, de ce code :

« Le juge rend également une ordonnance d’injonction de payer à l’égard du débiteur d’un billet à ordre [...] dûment rempli, dont la véracité et le contenu ne suscitent aucun doute. »

16. L’article 486, paragraphe 1, dudit code dispose :

« En l’absence d’éléments suffisants pour fonder une ordonnance portant injonction de payer, le président fixe la date de l’audience, à moins que la cause ne puisse être examinée en chambre du conseil. »

17. L’article 491, paragraphe 1, du kpc prévoit :

« Par l’ordonnance portant injonction de payer, le juge enjoint au défendeur, dans un délai de deux semaines à compter de la signification de l’ordonnance, d’honorer l’intégralité de la créance, majorée des coûts, ou de faire opposition à l’ordonnance dans ce même délai. »

18. L’article 492 de ce code dispose :

« 1. L’ordonnance portant injonction de payer constitue, dès sa délivrance, un titre de garantie exécutoire qui ne requiert pas l’apposition de la formule exécutoire. [...]

[...]

3. L’ordonnance d’injonction de payer délivrée sur le fondement d’un billet à ordre [...] est immédiatement exécutoire à l’expiration du délai fixé pour le règlement de la créance. En cas d’opposition du défendeur, le juge peut, sur demande de celui-ci, suspendre l’exécution de l’ordonnance [...] »

19. Aux termes de l’article 493, paragraphe 1, dudit code :

« L’opposition est portée devant le juge ayant délivré l’ordonnance d’injonction de payer. Le défendeur précise, dans son acte d’opposition, s’il conteste l’ordonnance d’injonction en tout ou partie et fait état des moyens et exceptions soulevés, qui doivent être invoqués, à peine d’irrecevabilité, avant la comparution sur le fond, ainsi que des faits et éléments de preuve. [...] »

20. L’article 3851 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 1964, no 16), texte consolidé, tel que modifié, prévoit :

« 1. Les clauses d’un contrat conclu avec un consommateur qui n’ont pas fait l’objet d’une négociation individuelle ne lient pas le consommateur lorsqu’elles définissent les droits et obligations de celui-ci d’une façon contraire aux bonnes mœurs, en portant gravement atteinte à ses intérêts (clause illicite). La présente disposition n’affecte pas les clauses qui déterminent les prestations principales des parties, dont le prix ou la rémunération, si elles sont formulées de manière non équivoque.

2. Lorsqu’une clause du contrat ne lie pas le consommateur en application du paragraphe 1, les parties restent liées par les autres dispositions du contrat.

[...] »

21. Aux termes de l’article 101 de l’ustawa prawo wekslowe (loi sur le droit cambiaire), du 28 avril 1936 (Dz. U. de 1936, no 37), telle que modifiée :

« Le billet à ordre contient :

1) la dénomination “billet à ordre” insérée dans le texte même du document, dans la langue employée pour sa rédaction ;

2) l’engagement inconditionnel de payer une somme déterminée ;

3) l’indication de l’échéance ;

4) l’indication du lieu de paiement ;

5) le nom de celui auquel ou à l’ordre duquel le paiement doit s’effectuer ;

6) l’indication de la date et du lieu où le billet est souscrit ;

7) la signature du souscripteur du billet à ordre. »

22. Aux termes de l’article 19, paragraphe 4, de l’ustawa o kosztach sądowych w sprawach cywilnych (loi relative aux frais de justice en matière civile), du 28 juillet 2005 (Dz. U. de 2005, no 167) :

« En cas d’opposition à l’ordonnance portant injonction de payer rendue selon la procédure d’injonction, le défendeur devra s’acquitter des trois quarts des frais de justice. »

23. Les dispositions de la directive 2008/48 ont été transposées en droit polonais par l’ustawa o kredycie konsumencki (loi sur le crédit à la consommation), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2014, no 1497, version consolidée), telle que modifiée. L’article 41 de celle-ci dispose :

« l. [L]e billet à ordre [...] du consommateur remis au prêteur aux fins de l’exécution ou de la garantie d’une prestation découlant d’un contrat de crédit à la consommation comporte la formule “non à ordre” ou toute autre formule équivalente.

2. Si le prêteur accepte un billet à ordre [...] ne comportant pas la formule “non à ordre” et qu’il transmet ce billet [...] à une autre personne, il est tenu de réparer le préjudice du consommateur résultant du paiement du billet à ordre [...]

3. Les dispositions du paragraphe 2 s’appliquent également lorsque le billet à ordre ou le chèque s’est trouvé en possession d’une autre personne contre la volonté du prêteur. »

 

La procédure au principal et la question préjudicielle

24. Par contrat-type du 3 décembre 2015, Profi Credit Polska, société établie à Bielsko-Biała (Pologne) (ci-après l’« établissement financier » ou le « prêteur »), a accordé un prêt à la consommation à M. Wawrzosek (ci-après l’« emprunteur »). Ce contrat-type comportait une clause imposant à l’emprunteur d’émettre un billet à ordre aux fins de garantir les créances du prêteur au titre de ce contrat. Le remboursement de ce prêt était ainsi garanti par un billet à ordre signé par l’emprunteur, dont le montant n’était pas précisé.

25. À la suite d’un défaut de paiement de l’emprunteur, l’établissement financier l’a informé que le billet à ordre avait été complété à concurrence du montant restant dû. Cet établissement a saisi la juridiction de renvoi d’une requête en injonction de payer à l’encontre de l’emprunteur, portant sur la somme de 3.268,38 zlotys polonais (PLN) (environ 753 euros), figurant sur le billet à ordre. Ledit établissement financier a joint à sa requête ledit billet à ordre dûment rempli et signé, ainsi que l’acte de résiliation du contrat de prêt.

26. Cette juridiction précise que, bien qu’elle ne dispose pas, dans le dossier, du contrat-type en cause, elle a connaissance des termes de la clause contractuelle imposant l’émission par l’emprunteur d’un billet à ordre à titre de garantie de paiement. Elle indique que celle-ci est rédigée de manière identique dans l’ensemble des contrats de prêt conclus par Profi Credit Polska ayant donné lieu, devant elle, à de nombreuses requêtes en injonction de payer.

27. Ladite juridiction indique que cette procédure d’injonction de payer fondée sur un billet à ordre est fréquemment utilisée par les professionnels en Pologne pour obtenir le recouvrement de leurs créances. La pratique consiste à joindre à cette requête le seul billet à ordre dûment rempli, à l’exception de tout autre document attestant de l’existence du rapport d’obligation préexistant à sa souscription (le « rapport fondamental »), en ce compris le contrat de crédit à la consommation.

28. La juridiction de renvoi souligne que la procédure d’injonction de payer repose sur la présomption selon laquelle la situation de fait justifiant la créance du demandeur a été intégralement prouvée par des documents, énoncés à l’article 485 du kpc, et joints à la requête, parmi lesquels figure le billet à ordre. Par conséquent, aux fins de la délivrance d’une ordonnance portant injonction de payer, il suffirait de vérifier que le billet à ordre a été correctement établi, dans le respect des conditions énoncées aux articles 1er et suivants ainsi que 101 de la loi sur le droit cambiaire, telle que modifiée.

29. Cette juridiction fait observer que, en vertu de la législation nationale applicable, la procédure d’injonction de payer se déroule en deux phases. Dans une première phase, l’appréciation de la validité du billet à ordre, si elle peut être effectuée d’office par le juge, se limite à l’examen de la régularité formelle de celui-ci, dès lors qu’il ressort de l’article 485, paragraphe 2, du kpc que le juge saisi rend une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre du débiteur d’» un billet à ordre [...] dûment rempli, dont la véracité et le contenu ne suscitent aucun doute ». Dans une seconde phase, si le débiteur désigné par le titre cambiaire a formé opposition à l’ordonnance d’injonction de payer, celui-ci peut non seulement contester l’obligation cambiaire, mais également le rapport fondamental existant, y compris par exemple le contrat de crédit à la consommation.

30. La juridiction de renvoi se demande si la procédure d’injonction de payer mise en œuvre sur le fondement d’un billet à ordre est conforme à la directive 93/13.

31. Selon cette juridiction, la présente affaire se distingue des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349), et du 18 février 2016, Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2016:98), dans lesquelles les juridictions nationales disposaient des documents contractuels établissant les droits et obligations des cocontractants, de telle sorte qu’elles avaient la possibilité d’écarter l’application des clauses abusives contenues dans ces documents.

32. En revanche, elle estime que, dans l’affaire pendante devant elle, s’il lui appartient d’examiner la relation juridique qui lie les parties, cet examen est limité au domaine défini par le rapport cambiaire. Elle expose que, en vertu de la législation nationale applicable, son contrôle ne peut porter que sur le contenu du billet à ordre. Ainsi, quand bien même elle aurait connaissance du rapport fondamental, elle ne pourrait pas, en raison de la réglementation nationale, exercer un contrôle sur les documents le constatant. Il appartiendrait dès lors au seul consommateur de former opposition à l’ordonnance d’injonction de payer afin que le caractère éventuellement abusif de certaines clauses ou le non-respect des obligations en matière d’information puisse être constaté.

33. C’est dans ces conditions que le Sąd Rejonowy w Siemianowicach Śląskich I Wydział Cywilny (tribunal d’arrondissement de Siemianowice Śląskie, 1re division civile, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de la directive 93/13 [...], en particulier l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, ainsi que les dispositions de la directive 2008/48 [...], en particulier l’article 17, paragraphe 1, et l’article 22, paragraphe 1, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un professionnel (le prêteur) fasse valoir une créance constatée par un billet à ordre dûment rempli, à l’égard d’un consommateur (l’emprunteur), dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer telle que définie par les dispositions combinées des articles 485, paragraphe 2, et suivants du [code de procédure civile] et de l’article 41 de [la loi du 12 mai 2011 sur le crédit à la consommation], qui prévoient que l’examen du juge national est limité à la seule vérification de la validité de l’obligation cambiaire en cause au regard du respect des conditions de forme qui lui sont applicables, sans considération du rapport fondamental ? »

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur la question préjudicielle :

34. À titre liminaire, il y a lieu de relever que, si l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2008/48 se réfère à la cession des droits du prêteur à un tiers, il est constant, dans les circonstances en cause au principal, que le bénéficiaire du billet à ordre et le prêteur sont la même personne juridique.

35. Par ailleurs, si l’article 10 de la directive 87/102, qui a été abrogée par la directive 2008/48, visait les billets à ordre, ainsi que l’a fait observer Mme l’avocat général aux points 34 et suivants de ses conclusions, les dispositions de la directive 2008/48 ne font plus référence à ces instruments.

36. La directive 2008/48 n’ayant pas procédé à une harmonisation dans le domaine du billet à ordre en tant que garantie d’un crédit au consommateur, son article 22, paragraphe 1, n’est pas non plus applicable dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

37. Partant, il sera répondu à la question posée par la juridiction de renvoi au regard des seules dispositions de la directive 93/13.

38. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer, fondée sur un billet à ordre régulier quant à sa forme, qui garantit une créance née d’un contrat de crédit au consommateur, lorsque le juge saisi d’une requête en injonction de payer ne dispose pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat.

39. À titre liminaire, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux.

40. Étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs, qui se trouvent dans une situation d’infériorité à l’égard des professionnels, la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces « afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel » (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

41. Dans ce but, il appartient au juge national d’écarter purement et simplement l’application d’une clause contractuelle abusive afin qu’elle ne produise pas d’effet contraignant à l’égard du consommateur, sans qu’il soit habilité à réviser le contenu de celle-ci (arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

42. Dans ce contexte, il convient, en premier lieu, de souligner que si, selon une jurisprudence constante, le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, c’est à la condition que celui-ci dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 52 ainsi que jurisprudence citée, et du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a., C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 58).

43. La Cour a eu l’occasion de préciser, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349), et du 18 février 2016, Finanmadrid EFC (C‑49/14, EU:C:2016:98), ainsi qu’à l’ordonnance du 21 juin 2016, Aktiv Kapital Portfolio (C‑122/14, non publiée, EU:C:2016:486), que ces motifs valent également, comme dans les circonstances en cause au principal, à l’égard d’une procédure d’injonction de payer.

44. En effet, une protection effective des droits conférés au consommateur par cette directive ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national permette, dans le cadre de la procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction de payer, un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 46, et ordonnance du 21 juin 2016, Aktiv Kapital Portfolio, C‑122/14, non publiée, EU:C:2016:486, point 30).

45. En l’occurrence, la juridiction de renvoi précise que son contrôle, lors de la première phase de la procédure d’injonction de payer, est limité au rapport cambiaire proprement dit, à savoir le billet à ordre, et ne peut porter sur le rapport fondamental.

46. De surcroît, cette juridiction indique qu’elle ne dispose pas de tous les éléments de fait et de droit résultant du contrat de prêt en cause.

47. Il s’ensuit que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une juridiction nationale n’est pas en mesure de procéder à l’examen du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle tant que celle-ci ne dispose pas de l’ensemble des éléments de fait et de droit à cet effet.

48. En deuxième lieu, et s’agissant toujours de la première phase de la procédure, le gouvernement polonais fait valoir que, selon l’article 486, paragraphe 1, du kpc, en l’absence d’éléments suffisants pour fonder une ordonnance portant injonction de payer, le président de la formation saisie pourrait fixer une date d’audience, sauf si l’affaire peut tout de même être examinée en chambre du conseil. Lorsqu’une date d’audience est fixée, la phase orale de la procédure serait organisée selon la procédure ordinaire ou la procédure spéciale qui lui est applicable, ce qui permettrait d’examiner à la fois le rapport cambiaire et le rapport fondamental, en ce compris le contrat de crédit à la consommation.

49. Cela étant, d’une part, ainsi que cela ressort du libellé de cette disposition, le pouvoir dont dispose le président de la formation saisie de fixer une date d’audience, par dérogation à la règle selon laquelle, conformément à l’article 4841 du kpc, l’affaire est examinée en chambre du conseil, est subordonné à la condition qu’il n’existe pas « d’éléments suffisants pour fonder une ordonnance portant injonction de payer ».

50. Or, selon les indications de la juridiction de renvoi, une telle condition ne serait pas remplie dans l’affaire au principal.

51. D’autre part, cette juridiction souligne que, lors de la première phase de la procédure, il résulte de l’article 485, paragraphe 2, du kpc que sa compétence est limitée à un examen de la régularité formelle du billet à ordre. Ladite juridiction précise que, dans la procédure pendante devant elle, le billet à ordre en cause est valide.

52. En tout état de cause, si, en vertu de l’article 267 TFUE, la Cour est compétente pour dégager de l’article 7 de la directive 93/13 les critères qui définissent le cadre permettant d’apprécier d’office le respect des obligations découlant de cette directive, c’est à la juridiction de renvoi qu’il importe de vérifier si une disposition, telle que l’article 486, paragraphe 1, du kpc est susceptible de lui offrir, le cas échéant, un tel cadre.

53. En troisième lieu, la juridiction de renvoi fait observer que l’examen de la relation juridique résultant du contrat de crédit à la consommation n’a lieu que si le consommateur forme opposition à l’injonction de payer.

54. Il convient de considérer que, si la procédure devant la juridiction de renvoi ne porte que sur la première phase de celle-ci, cette procédure doit néanmoins, ainsi que l’a fait observer Mme l’avocat général au point 28 de ses conclusions, être examinée dans son ensemble, en incluant tant la première phase précédant la formation de l’opposition, que la seconde phase qui lui fait suite.

55. En effet, chaque situation, dans laquelle se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale affecte le droit à un recours effectif, doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

56. Il convient d’observer que, avec le déclenchement de la seconde phase de la procédure, c’est-à-dire lorsque le consommateur forme opposition à l’injonction de payer, le juge national est en mesure de disposer des éléments de fait et de droit nécessaires à l’examen d’office du caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13.

57. Si la Cour a déjà encadré, à plusieurs égards et en tenant compte des exigences de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, la manière selon laquelle le juge national doit assurer la protection des droits que les consommateurs tirent de cette directive, il n’en reste pas moins que, en principe, le droit de l’Union n’harmonise pas les procédures applicables à l’examen du caractère prétendument abusif d’une clause contractuelle, et que celles-ci relèvent, dès lors, de l’ordre juridique interne des États membres, à condition, toutefois, qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles prévoient un droit à un recours effectif, tel que prévu à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2017, The Trustees of the BT Pension Scheme, C‑628/15, EU:C:2017:687, points 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée, et du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 35 et jurisprudence citée).

58. S’agissant du principe d’équivalence, et ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 55 de ses conclusions, il y a lieu de constater que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité à ce principe de la réglementation en cause au principal.

59. En ce qui concerne le droit à un recours effectif, il convient de relever que l’obligation, résultant de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, de prévoir des modalités procédurales permettant d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent de la directive 93/13 contre l’utilisation de clauses abusives implique une exigence de droit à un recours effectif, consacrée également à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. Le droit à un recours effectif doit valoir tant sur le plan de la désignation des juridictions compétentes pour connaître des actions fondées sur le droit de l’Union qu’en ce qui concerne les modalités procédurales relatives à de telles actions (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Sziber, C‑483/16, EU:C:2018:367, point 49 et jurisprudence citée).

60. Il ressort de l’article 492 et de l’article 493, paragraphe 1, du kpc que l’opposition à l’injonction de payer formée par le débiteur, devant la juridiction ayant délivré cette ordonnance, permet à cette juridiction de suspendre l’exécution de celle-ci.

61. Comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 77 de ses conclusions, afin de déterminer si une procédure, telle que celle en cause au principal, contrevient à un droit à un recours effectif, la juridiction de renvoi doit déterminer, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, si les modalités de la procédure d’opposition que prévoit le droit national n’engendrent pas un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 54 ; du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 58, et du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 52).

62. En effet, en l’absence de contrôle efficace du caractère potentiellement abusif des clauses du contrat concerné, le respect des droits conférés par la directive 93/13 ne saurait être garanti (arrêt du 7 décembre 2017, Banco Santander, C‑598/15, EU:C:2017:945, point 46 et jurisprudence citée).

63. Au nombre des moyens adéquats et efficaces devant garantir aux consommateurs un droit à un recours effectif doit figurer la possibilité d’introduire un recours ou de former opposition dans des conditions procédurales raisonnables, de sorte que l’exercice de leurs droits ne soit pas soumis à des conditions, notamment de délais ou de frais, qui amenuisent l’exercice des droits garantis par la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

64. Il ressort de l’ensemble des informations dont dispose la Cour que, si, conformément aux articles 491 et suivants du kpc, le défendeur à la première phase de la procédure dispose du droit de contester l’injonction de payer, l’exercice de ce droit d’opposition est soumis à des conditions particulièrement restrictives.

65. En effet, d’une part, il résulte de l’article 491, paragraphe 1, du kpc que le délai pour former opposition est de deux semaines. En outre, selon l’article 493, paragraphe 1, de ce code, le défendeur doit, dans son acte d’opposition, préciser s’il conteste l’ordonnance d’injonction en tout ou en partie et faire état, à peine d’irrecevabilité de celui-ci, des moyens et des exceptions soulevés, ainsi que des faits et des éléments de preuve.

66. Comme l’a fait observer Mme l’avocat général au point 79 de ses conclusions, de telles modalités procédurales dans un délai si bref entraînent le risque non négligeable que le consommateur ne forme pas opposition ou que celle-ci soit irrecevable.

67. D’autre part, il résulte de l’article 19, paragraphe 4, de la loi du 28 juillet 2005 relative aux frais de justice en matière civile, que le défendeur doit s’acquitter des trois quarts des frais de justice lorsqu’il forme opposition à l’ordonnance portant injonction de payer, de sorte que le professionnel ne doit s’acquitter que d’un quart de ces frais.

68. Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 80 de ses conclusions, de tels frais sont en eux-mêmes de nature à dissuader un consommateur de former opposition. Ce dernier est d’autant plus pénalisé s’il doit, en tout état de cause, s’acquitter de frais trois fois plus élevés que la partie adverse.

69. À cet égard, il importe de relever qu’il existe un risque non négligeable que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits, ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 21 juin 2016, Aktiv Kapital Portfolio, C‑122/14, non publiée, EU:C:2016:486, point 37).

70. Il s’ensuit que des modalités procédurales, telles que celles en cause au principal, en ce qu’elles exigent du consommateur qu’il produise, dans un délai de deux semaines à compter de la signification de l’ordonnance d’injonction de payer, les éléments de fait et de preuve qui permettent au juge de procéder à cette appréciation et le pénalisent dans la manière dont les frais de justice sont calculés, engendrent un tel risque.

71. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer, fondée sur un billet à ordre régulier, qui garantit une créance née d’un contrat de crédit à la consommation, lorsque le juge saisi d’une requête en injonction de payer ne dispose pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat, dès lors que les modalités d’exercice du droit de former opposition à une telle ordonnance ne permettent pas d’assurer le respect des droits que le consommateur tire de cette directive.

 

Sur les dépens :

72. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, permettant de délivrer une ordonnance d’injonction de payer, fondée sur un billet à ordre régulier, qui garantit une créance née d’un contrat de crédit à la consommation, lorsque le juge saisi d’une requête en injonction de payer ne dispose pas du pouvoir de procéder à un examen du caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat, dès lors que les modalités d’exercice du droit de former opposition à une telle ordonnance ne permettent pas d’assurer le respect des droits que le consommateur tire de cette directive.

Signatures