CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 19 octobre 2018
CERCLAB - DOCUMENT N° 8162
CA PARIS (pôle 5 ch. 6), 19 octobre 2018 : RG n° 16/00089
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Considérant que les époux X. n'ont pas répliqué aux fins de non-recevoir soulevées par la banque ;
Considérant qu'aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité soulevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;
Considérant que les demandes des époux X. tendant à voir déclarer non écrites certaines clauses des contrats Helvet Immo qualifiées d'abusives, ne peuvent être considérées comme des demandes nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile précité, compte tenu des décisions intervenues le 29 mars 2017 (première chambre civile pourvois 16-13.050 et 15-27.231) dans lesquelles la cour de cassation examinant des pourvois relatifs à des affaires où était en cause la même formule de prêt consenti par le même établissement de crédit, a :
- rappelé que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE arrêt du 4 juin 2009Pannon C-243/08) ;
- retenu qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant la cour, que selon le contrat litigieux,
* les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années (pourvoi 16-13050)
* toute dépréciation de l'euro par rapport au franc suisse avait pour conséquence d'augmenter le montant du capital restant dû et, ainsi, la durée d'amortissement du prêt (pourvoi 15-27231)
de sorte qu'il lui incombait de rechercher d'office, notamment si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur l'emprunteur et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat au détriment du consommateur ;
- cassé les arrêts pour violation de la législation sur les clauses abusives ;
Considérant que la cour a révoqué l'ordonnance de clôture et renvoyé l'affaire à la mise en état en invitant les parties à conclure sur le caractère abusif ou non de la clause de monnaie de compte au regard des dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenu L. 212-1 du même code, en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;
Considérant que, conformément à la jurisprudence Pannon, appliquée par la cour de cassation et aux dispositions de l'article L 141-4 du code de la consommation, devenu l'article R632-1 du dit code, transposant la jurisprudence européenne en droit national, le juge doit écarter d'office, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat, après avoir recueilli les observations des parties ; que ces demandes doivent donc être examinées en appel ;
Considérant que la demande de la banque doit donc être rejetée ;
Considérant que la banque soulève la fin de non-recevoir tirée de la prescription, ce qu'elle est autorisée à faire, en tout état de cause, en application de l'article 123 du code de procédure civile ;
Considérant que BNP Paribas Personal Finance soutient, en versant aux débats plusieurs articles de doctrine et deux décisions de cette cour, que l'action tendant à voir réputer non écrite une clause abusive doit être soumise à la prescription de droit commun ; qu'elle fait valoir que les prêts ont été conclus le 18 juillet 2009 et le 28 juillet 2009, de sorte que le délai de prescription court à partir de cette date et que la demande a été formée pour la première fois dans des conclusions régularisées le 2 octobre 2017, alors que le délai était expiré ;
Considérant qu'admettre que par une fiction juridique la clause abusive de l'article 132-1 du code de la consommation, devenu l'article L. 212-1 du dit code, réputée non écrite, est censée n'avoir jamais existé, que la situation des parties doit être revue à la date de la conclusion du contrat et que tous les effets que la dite clause a produits doivent être anéantis dans le passé, que l'emprunteur peut agir à tout moment pour soumettre à l'appréciation du juge le caractère abusif d'une clause d'un contrat et la voir déclarer non écrite, imposer au juge, d'agir d'office, et d'écarter une telle clause, sans limite de temps, ni sans aucune autre condition, constitueraient des atteintes réelles à l'ordre social qui ne peut admettre que des situations acquises soient remises en cause sans prévisibilié aucune, et dépendent d’aléas judiciaires ;
Considérant que consacrer l'imprescriptibilité de cette action et la possibilité d'anéantir rétrospectivement les effets du contrat, de façon perpétuelle, créerait une insécurité juridique majeure ;
Considérant que l'action engagée par les époux X. pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d'abusives, comme les demandes, relèvent du droit commun des contrats ;
Considérant que le contrat est soumis, par sa date, aux dispositions de la loi n° 208-561 du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile qui porte la prescription à cinq ans ;
Considérant que le point de départ du délai est la date de conclusion du contrat, soit le 18 juillet 2009 et le 28 juillet 2009, date d'acceptation des prêts par les emprunteurs ; que le délai a expiré le 19 et 29 juillet 2014, de sorte que la demande formulée pour la première fois dans des conclusions régularisées le 2 octobre 2017 est prescrite ;
Considérant ainsi que la fin de non-recevoir tirée de la prescription doit être accueillie et que les demandes formées par les époux X. doivent être déclarées irrecevables ».
2/ « Considérant que dans les contrats de droit interne, la monnaie étrangère est prohibée en tant qu'instrument de paiement, mais que les parties peuvent y avoir recours en tant qu'unité de compte ; que le paiement des dettes de sommes d'argent doit être effectué dans la monnaie reconnue par la loi nationale ; que seules sont prohibées et sanctionnées par une nullité d'ordre public, les clauses de paiement en espèces étrangères, ou clause monnaie étrangère ;
Considérant que les crédits souscrits par les époux X., auprès de BNP Paribas Personal Finance, sont des prêts en francs suisses dont le remboursement des échéances s'effectue en euros ; que ce principe est constamment rappelé dans les offres dont le libellé vient d'être reproduit ; qu'il y est précisé que le franc suisse constitue la monnaie de compte, que l'euro constitue la monnaie de paiement, que l'opération de financement constitue une opération purement interne et que les parties ont expressément convenu que le règlement des échéances par l'emprunteur devait être effectué nécessairement en euros pour ensuite être converti en francs suisses et permettre le remboursement du capital emprunté en francs suisses ;
Considérant que la fixation de la créance en monnaie étrangère constitue une indexation déguisée ; que sa validité est subordonnée au respect des conditions de la réglementation des indexations telles qu'elles résultent de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier ;
Considérant selon ce texte que « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties » ;
Considérant que la validité de la clause d'indexation est soumise à l'existence d'une relation directe avec l'objet de la convention, ou avec l'activité de l'une des parties, ces deux conditions n'étant pas cumulatives, mais alternatives ; que la relation directe est suffisamment caractérisée par la seule qualité de banquier de l'une des parties au contrat ; que lorsqu'une des parties est un banquier, son activité « est de faire commerce d'argent » et, dans ces conditions, une banque française peut valablement indexer une obligation résultant d'un prêt sur une monnaie étrangère, même dans une opération purement interne ;
Considérant qu'il ne peut être pertinemment contesté que BNP Paribas Personal Finance est un établissement de crédit dont l'activité porte entre autres sur des opérations passées sur les marchés internationaux de devises notamment pour assurer son approvisionnement en ressources financières ; qu'il est expressément mentionné à la clause « Financement de votre crédit » que « le crédit est financé par un emprunt souscrit en francs suisses par le prêteur sur les marchés monétaires internationaux de devises » ; que la clause monnaie de compte a ainsi nécessairement un lien avec l'activité de BNP Paribas Personal Finance qui est un établissement autorisé à effectuer des opérations de banque conformément aux dispositions de l'article L. 518-1 du Code monétaire et financier et qui exerce de façon objective l'activité de banquier ;
Considérant qu'il s'ensuit que la clause de monnaie de compte stipulée dans les contrats est licite et que les époux X. doivent être déboutés de leur demande de nullité de cette clause ; que le jugement sera sur ce point confirmé. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 6
ARRÊT DU 19 OCTOBRE 2018
- 5705 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Délai pour agir - Prescription
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