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CA PARIS (pôle 5 ch. 8), 17 décembre 2019

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 8), 17 décembre 2019
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 8
Demande : 18/01039
Date : 17/12/2019
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 2/01/2018
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8273

CA PARIS (pôle 5 ch. 8), 17 décembre 2019 : RG n° 18/01039 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Sur la recevabilité de l'action : La société Experts entreprendre audit soulève l'irrecevabilité de l'action de chacun des trois intimés tirée de la forclusion aux motifs que les lettres de mission prévoient un délai de trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre pour introduire une demande de dommages-intérêts et que les sociétés Into the wild et Productions tophe X. et M. X. ont introduit leur action après l'expiration du délai de trois mois ayant commencé à courir pour les sociétés au jour où la proposition de rectification fiscale est devenue définitive et pour M. X. au jour de la réception du relevé de dettes de l'Urssaf. Elle soutient que cette clause, dont la validité est certaine, prévoit un délai de forclusion et non de prescription de sorte que l'article 2254 du code civil invoqué par les intimés et les règles relatives à la prescription ne sont pas applicables.

Les intimés soutiennent qu'ils ne peuvent se voir opposer ni prescription ni forclusion, leurs assignations ayant été délivrées dans le délai de cinq ans prévue par l'article 2224 du code civil. Ils font valoir que le point de départ de la prescription est le jour de la réalisation du dommage, que le dommage est définitivement réalisé à la date d'expiration du délai de recours ou de rejet du recours contentieux, qu'en l'espèce l'action en responsabilité a été introduite par assignations avant l'expiration du délai de recours contre les avis de mise en recouvrement et dans le délai de cinq ans à compter de l'expiration du délai de recours contre un avis de l'Urssaf du 15 juillet 2014 communiquant à M. X. le montant des sommes dues.

Les intimés contestent la validité de la clause invoquée par la société Experts entreprendre audit. Ils soutiennent qu'elle est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article 2224 [lire 2254] du code civil, la réduction du délai de prescription ne pouvant être inférieur à un an, qu'elle doit, en application de l'article 1171 du code civil et du paragraphe I de l'article L. 442-6 ancien du code de commerce, être réputée non écrite comme créant un déséquilibre significatif entre l'expert-comptable et son client, qu'elle est inapplicable car dépourvue de cause, un tel délai de forclusion revenant à priver de cause tous les engagements pris par l'expert-comptable dans la lettre de mission et à priver le cocontractant de toute indemnisation en cas de faute, qu'elle est également inapplicable sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation et sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.

Ils estiment enfin que cette clause étant ambiguë sur la durée du délai doit s'interpréter dans un sens favorable au cocontractant du professionnel, que les conditions générales de la lettre de mission ne sont pas applicables aux interventions de la société Experts entreprendre audit hors du champ de la lettre de mission et que l'inexécution par la société Experts entreprendre audit de sa mission la prive de la possibilité de se prévaloir des conditions générales de la lettre de mission.

La société Experts entreprendre audit ne peut opposer à M. X., qui n'a pas signé en son nom personnel de lettre de mission, les clauses insérées dans les conditions générales de sorte qu'aucun délai de forclusion n'est applicable à l'action que M. X. a introduite à titre personnel par assignation du 13 octobre 2015. Les demandes formées par M. X. sont donc recevables.

[*]

Aux termes des conditions générales des deux lettres de mission, « toute demande de dommages-intérêts ne pourra être produite que pendant la période de prescription légale. Elle devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client aura eu connaissance du sinistre. »

Cette clause est dépourvue d'ambiguïté en ce qu'elle fixe, d'une part, un délai de prescription, sans réduction de ce délai par rapport au délai légal, et, d'autre part, un terme au droit d'agir du client de l'expert-comptable.

L'article 2254 du code civil ne lui est pas applicable en ce qu'elle institue un délai de forclusion en fixant un terme au droit d'agir du créancier.

Dès lors qu'elle prévoit un délai raisonnable pour saisir les juges après que le client a eu connaissance du sinistre dont il se prévaut, elle ne prive pas le cocontractant de toute indemnisation en cas de faute ni n'a pour effet de priver de cause les engagements pris par l'expert-comptable dans la lettre de mission de sorte qu'elle n'est pas dépourvue de cause.

Pour les mêmes raisons, elle n'a pas pour effet de méconnaître le droit au procès équitable visé par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.

Les lettres de mission étant du 9 janvier 2008 et du 10 octobre 2009, l'article 1171 du code civil, introduit par l'ordonnance du 10 février 2016 et applicable aux contrats conclus après son entrée en vigueur, n'est pas applicable en la cause. Quant au paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, il prévoit la seule mise en jeu de la responsabilité du cocontractant qui soumet un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. L'article L. 132-1 ancien du code de la consommation n'est pas davantage applicable en l'espèce dès lors qu'il ne s'applique pas aux professionnels ayant conclu un contrat de prestations de service en rapport direct avec leur activité tel qu'une prestation d'expertise-comptable fournie à des sociétés commerciales.

Enfin, l'inexécution supposée de sa mission par la société Experts entreprendre audit n'a pas pour effet de la priver d'opposer à l'action des sociétés Into the wild et Productions tophe X. les conditions générales des lettres de mission.

Le délai de forclusion inséré dans les conditions générales des lettres de mission ne s'applique toutefois qu'aux demandes de dommages-intérêts fondées sur un supposé manquement de l'expert-comptable commis dans l'exécution des missions qui lui ont été expressément dévolues dans les lettres de mission.

Aux termes des lettres de mission du 9 janvier 2008 et du 10 octobre 2009, les sociétés Productions tophe X. et Into the wild ont ainsi confié à la société Experts entreprendre audit une mission de présentation des comptes annuels. Il résulte des tableaux de la répartition des tâches entre le cabinet et les clientes que la société Experts entreprendre audit n'avait pas en charge les acomptes trimestriels de TVA de sorte qu'elle ne peut opposer la forclusion aux demandes de dommages-intérêts formées à ce titre par les sociétés Productions tophe X. et Into the wild.

S'agissant des autres demandes de dommages-intérêts, qui portent sur des travaux entrant dans le champ de la mission dévolue à la société Experts entreprendre audit, la connaissance du sinistre par les sociétés Into the wild et Productions tophe X. constituant le point de départ du délai de forclusion est acquise au jour où les impositions supplémentaires mises à leur charge à raison des manquements supposés de la société Experts entreprendre audit ont été définitivement arrêtées.

La société Into the wild a reçu une proposition de rectification le 6 décembre 2013 devenue définitive le 6 février suivant et une autre proposition de rectification le 17 janvier 2014 sur laquelle la société a formulé des observations auxquelles l'administration fiscale a répondu le 18 avril 2014. L'assignation a été délivrée par la société le 5 août 2014 après l'expiration du délai de trois mois ayant commencé à courir le 6 février 2014 pour la première proposition de rectification et le 18 avril 2014 pour la seconde de sorte que sont forcloses les demandes de dommages-intérêts autres que celle fondée sur des manquements supposés aux tâches concernant les acomptes trimestriels de TVA.

La société Productions tophe X. a reçu une proposition de rectification le 9 juillet 2014 sur laquelle elle n'a pas formulé d'observation. L'assignation a été délivrée par la société le 7 octobre 2015 après l'expiration du délai de trois mois ayant commencé à courir le 9 juillet 2014. La forclusion est dès lors acquise s'agissant des demandes de dommages-intérêts formées au titre des manquements supposés de la société Experts entreprendre audit à ses missions fiscales en matière d'impôt sur les sociétés et de suivi de la TVA annuelle.

En définitive, sont recevables les demandes formées par M. X. et les demandes formées par les sociétés Productions tophe X. et Into the wild au titre de manquements supposés aux tâches concernant les acomptes trimestriels de TVA.

La recevabilité de la demande en remboursement d'honoraires de la société Into the wild, qui ne peut être appréciée sans une analyse préalable des manquements concernés et de la pertinence du fondement invoqué, à savoir l'exception d'inexécution, sera abordée ci-après parallèlement à l'examen de son bien-fondé. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 8

ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2019