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CA ORLÉANS (ch. com. écon. fin.), 30 avril 2020

Nature : Décision
Titre : CA ORLÉANS (ch. com. écon. fin.), 30 avril 2020
Pays : France
Juridiction : Orléans (CA), ch. fin. et com.
Demande : 17/02096
Décision : 66-20
Date : 30/04/2020
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 6/07/2015
Numéro de la décision : 66
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8411

CA ORLÉANS (ch. com. écon. fin.), 30 avril 2020 : RG n° 17/02096 ; arrêt n° 66-20

Publication : Jurica

 

Extrait : « Pour cette raison, et dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit, le contrat ne stipule pas expressément que l'agent commercial est privé de son droit à indemnité en cas de rupture du contrat pendant la période d'essai, la clause litigieuse, qui peut être invoquée par les deux parties, n'apparaît pas créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce invoqué par l'intimée, étant rappelé au surplus que ces dispositions permettent d'engager la responsabilité du cocontractant et qu'en l'espèce, l'intimée ne demande pas de dommages et intérêts de ce chef. »

 

COUR D’APPEL D’ORLÉANS

CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE

ARRÊT DU 30 AVRIL 2020

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 17/02096. Arrêt n° 66-20. N° Portalis DBVN-V-B7B-FP3C.

DÉCISION ENTREPRISE : Jugement du Tribunal de Commerce d'ORLÉANS en date du 30 mai 2013.

 

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS : - Timbre fiscal dématérialisé N°: -/-

Monsieur Jean-Paul J. Es qualité de mandataire liquidateur SAS CTVL

[...], Ayant pour avocat Maître Eric G., membre de la SELARL AVOCAT LOIRE CONSEIL, avocat au barreau d'ORLEANS

La Société SELARL V. PRIS EN LA PERSONNE DE Maître V.

[...], Ayant pour avocat Maître Eric G., membre de la SELARL AVOCAT LOIRE CONSEIL, avocat au barreau d'ORLEANS

La SAS CONSTRUCTIONS TRADITIONNELLES DU VAL DE LOIRE

[...], Ayant pour avocat Maître Eric G., membre de la SELARL AVOCAT LOIRE CONSEIL, avocat au barreau d'ORLEANS

D'UNE PART

 

INTIMÉE : - Timbre fiscal dématérialisé N°: -/-

SARL F. HABITAT

[...], Ayant pour avocat postulant Maître Alexis D., avocat au barreau d'ORLEANS et pour avocat plaidant Maître Sophie V., membre de la SELARL TREMBLAY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'ORLEANS, D'AUTRE PART

 

DÉCLARATION D'APPEL en date du : 11 juillet 2017

ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 14 novembre 2019

COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l'audience publique du 27 FEVRIER 2020, à 9 heures 30, devant Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Conseiller Rapporteur, par application de l'article 786 du code de procédure civile.

Lors du délibéré : Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, Madame Fanny CHENOT, Conseiller, Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,

Greffier : Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé.

ARRÊT : Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 30 AVRIL 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

La Société Constructions Traditionnelles du Val de Loire (société CTVL) a pour objet la commercialisation et la construction de maisons individuelles.

L'EURL F. Habitat (société F.) ayant pour gérant M. X. exerce l'activité d'agent commercial spécialisé dans la vente de constructions de maisons individuelles.

Par contrat du 17 décembre 2007, ces deux sociétés ont conclu un contrat d'agent commercial, pour une durée indéterminée, en exclusivité sur le secteur de l'Indre, aux fins de commercialiser les maisons individuelles de la société CTVL. Ce contrat précisait qu'il pouvait être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant le respect d'un préavis d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année et de trois mois pour la troisième année et les années suivantes.

Par modification du contrat en date du 31 mars 2009, le secteur de Châteauroux a été confié à la société F. sans exclusivité.

La société F. a informé la société CTVL par courrier du 1er mars 2010 de la cessation de son activité d'agent commercial à son unique initiative, en demandant à être dispensé de préavis et du paiement d'une indemnité, ce qu'a accepté cette dernière.

Par contrat de travail du 15 mars 2010, M. X. a été embauché par la société Accès commercialisation IV en qualité de responsable d'agence, pour une durée indéterminée. Une rupture conventionnelle de ce contrat est intervenue le 31 décembre 2010.

Le 21 décembre 2010, la société CTVL et l'EURL F. ont régularisé un nouveau « contrat d'agence commerciale de la marque Maisons CTVL » prenant effet au 15 janvier 2011 sur le secteur d'Orléans, à durée indéterminée, avec une période d'essai de 8 mois et les mêmes durées de préavis que celles prévues dans le contrat du 17 décembre 2017, outre un objectif de réalisation de 48 ventes nettes du 15 janvier 2011 au 31 décembre 2011.

Faisant valoir que la période d'essai n'était pas concluante, la société CTVL a notifié à la société F. par courrier recommandé du 26 juillet 2011 qu'elle y mettait fin, au terme du délai de préavis d'un mois. Par un second courrier du même jour, la société CTVL a accepté de reporter la fin du préavis au 10 septembre 2011.

Expliquant que pour répondre aux objectifs fixés par la société CTVL par contrat du 21 décembre 2010, elle avait embauché deux salariés les 2 février et 19 avril 2011, que la société CTVL avait mis fin brutalement au contrat le 26 juillet 2011 sans aucun courrier préalable d'insatisfaction ni mise en demeure et que la période d'essai de 8 mois ne lui était pas opposable, la société F. a fait assigner la société CTVL devant le tribunal de commerce d'Orléans par acte d'huissier du 9 mai 2012, afin d'obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 246.614,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de rupture, 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat en application de l'article 1147 du code civil et 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 30 mai 2013, le tribunal de commerce d'Orléans a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamné la société CTVL à payer à la société F. Habitat les sommes de :

- 123.307,48 euros TTC au titre de l'indemnité compensatrice de rupture avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- 4.302,20 euros TTC au titre des rappels de commissions avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- 3.500,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.

La société CTVL a relevé appel de cette décision.

Par arrêt du 17 avril 2014, la cour de céans a :

- confirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société CTVL à payer à la société F. Habitat la somme de 4.302,20 euros TTC au titre de commissions impayées ;

Statuant à nouveau sur ce point ;

- débouté la société F. Habitat de sa demande de paiement de cette somme ;

- condamné la société CTVL aux dépens d'appel et à payer la somme de 5.000 euros à la société F. Habitat au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société CTVL a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt.

Par décision du 23 juin 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 17 avril 2014, seulement en ce qu'il a condamné la société CTVL à payer à la société F. Habitat la somme de 123.307, 48 euros à titre d'indemnité de rupture et a renvoyé les parties devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée.

Elle a considéré que pour condamner la société CTVL à payer une indemnité de cessation de contrat à la société F., l'arrêt a retenu que les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, d'ordre public, prévoient le versement d'une indemnité lors de la rupture du contrat d'agent commercial et les cas dans lesquels cette réparation n'est pas due, de sorte qu'à supposer que la stipulation d'une période d'essai dans un tel contrat ne soit pas en elle-même illicite, celle-ci ne peut avoir pour effet de priver l'agent commercial de son droit à indemnité, et qu'en statuant ainsi, alors que le statut des agents commerciaux, qui suppose pour son application que la convention soit définitivement conclue, n'interdit pas une période d'essai, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil.

La société CTVL a saisi la cour d'appel d'Orléans par déclaration du 6 juillet 2015.

Par jugement du 19 mai 2016 une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'égard de la société CTVL et Maître J. et Maître V. ont été désignés en qualité de co-liquidateurs.

Par arrêt du 19 septembre 2016, la cour de céans a prononcé la radiation de l'instance en l'absence de reprise d'instance par les organes de la procédure collective de la SAS CTVL.

L'affaire a été réinscrite au rôle de la cour le 11 juillet 2017.

[*]

Par dernières conclusions du 14 juin 2017, Maître J. et Maître V., ès qualités de liquidateurs à la liquidation judiciaire de CTVL, la société CTVL en la personne de son président, demandent à la cour de :

Vu l'article 1134 du Code civil,

Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées aux débats,

- S'entendre dire et juger recevables et bien fondés Maître Jean-Paul J. et Maître Julien V. en leurs demandes et prétentions,

En conséquence,

- Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la Société CTVL,

Y faisant droit,

- Infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau :

A titre principal,

- Dire et juger que la période d'essai contractuelle est parfaitement valide et régulière,

- Dire et juger la rupture des relations contractuelles avant l'expiration de la période d'essai, Débouter la Société F. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

A titre subsidiaire,

- Débouter la Société F. Habitat de sa demande d'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial conclu le 21 décembre 2010, ou à tout le moins, la ramener à de plus justes proportions.

En tout état de cause,

- Condamner la Société F. Habitat à payer la somme de 5.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Avocat Loire conseil conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Ils font valoir que :

- la Société F. Habitat fait état sans pertinence du contrat de travail du 15 mars 2010 qui lui est inopposable même si la société CTVL et la société Access Commercialisation 4 ont le même dirigeant,

- que la durée de la période d'essai s'explique par les résultats précédents qui n'ont pas été concluants, la société F. pouvant refuser les conditions ainsi fixées, ce qu'elle n'a pas fait,

- que dès la signature de ce nouveau contrat, la société CTVL a donné à la société F. les moyens de promouvoir son action commerciale par le soutien d'actions publicitaires sur une période du 15 janvier au 14 mai 2011 à hauteur de 4.000 euros H.T. mensuels et par une franchise totale de la convention d'assistance pendant la même période,

- que la société F. devait réaliser 27 ventes nettes au cours des sept premiers mois de l'année 2011 mais n'en a réalisé que 14, ce qui explique que la société CTVL ait mis un terme à la période d'essai le 26 juillet 2011, ce sans indemnité, le contrat ne prévoyant pas d'indemnité en cas de rupture du contrat pendant la période d'essai.

Ils exposent que les termes de l'article 6 du contrat d'agent en date du 21 décembre 2010 sont clairs et précis et contiennent une disposition relative à la période d'essai qui est régulière, oblige les parties et qui s'explique par les relations antérieures qui n'ont pas été probantes ; que la société F. qui, professionnelle avertie du secteur d'activité en cause s'est engagée en connaissance de cause, notamment sur le quota à atteindre ; que la société CTVL a régulièrement mis fin à la période d'essai en respectant et même en prorogeant le délai de préavis, la rupture n'étant donc pas brutale, et qu'il n'y a lieu ni à indemnité au titre de la rupture, ni à indemnité du fait de son prétendu caractère fautif.

Ils ajoutent que l'invocation par l'intimée d'un déséquilibre des droits et obligations entre les parties sur le fondement de l'article L. 442-6- I du code de commerce a été vivement critiquée en doctrine car cette théorie ouvre la voie à un contrôle sans limite des contrats entre professionnels ; que l'arrêt de la cour d'appel de Paris citée par l'intimée est sans rapport avec le présent litige et que la société F. se prévaut sans fondement de relations antérieures alors que celles-ci n'ont pas été continues mais rompues, à l'initiative de l'intimée, le 1er mars 2010, et reprises le 21 décembre 2010 seulement. Ils soulignent que celui-ci portait en outre sur un secteur, Orléans et son agglomération, différent des deux premiers contrats qui concernaient et plus favorable que les précédents, ce qui justifiait les résultats demandés.

A titre subsidiaire, les appelants reprochent aux premiers juges d'avoir alloué la somme de 123.307,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial en prenant pour référence les trois années 2008 à 2010 alors que le contrat rompu n'avait duré que 7 mois et qu'il est impossible de calculer une indemnité au-delà de ce laps de temps.

Ils observent que l'intimée ne produit que ses bilans au 31 décembre 2011 et au 31 décembre 2012 mais non ceux arrêtés au 31 décembre 2013 et 2014, soit postérieurement à la rupture du contrat ; que M. X. a retrouvé une activité salariée ; qu'il a été mis fin au contrat de Mme Simic le 10 septembre 2011, bien après la rupture du contrat intervenue le 26 juillet 2011.

[*]

La société F. Habitat demande à la cour par dernières conclusions du 8 janvier 2016 de :

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2015,

Vu les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, et notamment les

articles L. 134-4, L 134-12 et L. 134-16 du Code du commerce,

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Vu les dispositions de l'article 1131 du Code civil,

Vu le contrat d'agent commercial du 21 décembre 2010 et les contrats antérieurs,

- Dire et Juger que la clause de période d'essai du contrat d'agent commercial du 21 décembre 2010 est réputée non écrite ;

Par voie de conséquence,

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Orléans du 30 mai 2013 en ce qu'il a octroyé une indemnité compensatrice à la société F. Habitat ;

- Infirmer le jugement déféré sur le quantum octroyé,

Par voie de conséquence,

- Condamner la société CTVL à régler à la société F. Habitat la somme de 246.614,96 € à titre d'indemnité compensatrice du fait de la rupture du contrat d'Agent commercial du 21 décembre 2010 ;

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement sur le quantum et condamner la société CTVL au paiement d'une somme de 123.307,48€ à titre d'indemnités compensatrice de rupture du contrat d'Agent commercial du 21 décembre 2010 au profit de la société F. Habitat.

- Condamner la société CTVL à régler à la société F. Habitat la somme de 7.500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société CTVL aux entiers dépens qui seront recouvrés directement par Maître D. dont distraction aux offres de droit conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle prétend qu'elle ne pouvait s'opposer aux exigences de la société CTVL par peur de perdre sa seule cliente, que celle-ci à imposé à son dirigeant, M. X., qu'il rédige un courrier antidaté au 1er mars 2010 faisant état de la cessation, par la société F. de son activité d'agent commercial, puis qu'il accepte de conclure avec la société Access Commercialisation IV filiale du même groupe que la société CTVL, un contrat de travail en tant que responsable d'agence à Orléans où il a effectué les mêmes prestations que précédemment, et enfin, faisant à nouveau volte-face, qu'il signe le 21 décembre 2010 un nouveau contrat d'agent commercial pour le secteur d'Orléans sans exclusivité, la société Access Commercialisation IV exigeant parallèlement la rupture conventionnelle du contrat de travail de M. X..

Elle précise qu'afin de répondre aux objectifs fixés par CTVL elle a embauché deux salariés en février et avril 2011 mais que, bien que les objectifs aient été atteints dès le mois de janvier 2011 CTVL lui a notifié le 26 juillet 2011 la rupture du contrat d'agent commercial sans aucune mise en demeure préalable.

Elle affirme que la clause relative à la période d'essai doit être réputée non écrite comme instaurant un déséquilibre significatif entre les parties ; que l'obligation sans cause ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ; que l'introduction par la société CTVL d'une clause de période d'essai dans le contrat du 21 décembre 2010, alors que les parties travaillaient déjà ensemble depuis le 17 décembre 2007, soit depuis 3 ans sans interruption, s'analyse nécessairement en un montage permettant au mandant de rompre ses relations avec elle en échappant à tout règlement d'indemnité compensatrice, d'autant que les trois premiers contrats d'agent commercial ne comportaient aucune période d'essai et que la société CTVL la connaissait suffisamment pour ne pas lui imposer un essai.

Elle indique que si la société CTVL lui reprochait de n'avoir pas atteint ses objectifs, elle aurait dû respecter les dispositions de l'article 10 du contrat du 21 décembre 2010 qui prévoyait que faute pour le mandataire d'avoir réalisé, sur deux mois, son objectif annuel ramené au mois, le contrat pourrait cesser après délivrance préalable d'une mise en demeure infructueuse. Elle en déduit que la période d'essai n'est qu'un artifice permettant à la société CTVL d'échapper à ses obligations d'ordre public.

Elle fait valoir que l'indemnité de rupture allouée à l'agent commercial s'analyse en une compensation du préjudice subi, souverainement apprécié par les juges du fond et que la jurisprudence retient qu'elle est égale à deux ou trois années de commissions ; qu'elle a dû se séparer de ses deux salariées ; que la rupture est intervenue sans qu'aucun reproche ne lui soit adressé et alors même que la reconduction précédente des contrats démontrait la satisfaction de CTVL, de sorte qu'elle est fondée à réclamer la somme de 246.614,96 euros représentant deux années de chiffre d'affaires basé sur la moyenne de ses trois derniers bilans.

[*]

A l'audience du 6 juin 2019, l'affaire a été renvoyée à la mise en état.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 novembre 2019.

Lors de l'audience de plaidoirie du 16 janvier 2020, l'affaire a été renvoyée à l'audience du 27 février 2020, à la demande des conseils des parties, en raison d'un mouvement national de grève des avocats.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La cour rappelle à titre liminaire qu'elle intervient dans les limites de la cassation décidée par arrêt du 23 juin 2015, c'est à dire seulement en ce que la société CTVL a été condamnée à payer à la société F. Habitat la somme de 123.307,48 euros à titre d'indemnité de rupture.

 

Sur la période d'essai :

La profession d'agent commercial est une profession réglementée, régie par les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, qui sont issues de la transposition en droit français, par la loi n° 91-593 du 25 juin 1991, des dispositions de la directive n° 83/653/CEE du conseil européen du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.

Dans ses dernières conclusions, la société CTVL ne conteste plus la qualification de contrat d'agent commercial du contrat qu'elle a conclu le 21 décembre 2010 avec la société F., qualification qui ressort au surplus, ainsi que l'a retenu à bon droit le tribunal, de l'intitulé du contrat et surtout de son contenu, l'article 1 stipulant que « le présent contrat est expressément soumis aux dispositions de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 régissant les rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants », et la société F. étant qualifiée de « mandataire exerçant une activité commerciale au sein de laquelle est exécuté un mandat de représentation de la marque du mandant en totale indépendance et en toute liberté » (article 2-1 du contrat), ayant le pouvoir de négocier (articles 2-6 et 3 du contrat) et agissant au nom et pour le compte de la société CTVL (pages 4, 6 du contrat), ainsi que des conditions d'indépendance de son exécution résultant de divers témoignages (pièces 41 à 44 produites par l'intimée)

Les parties demeurent en revanche en litige sur la licéité de la clause stipulée à ce contrat, instituant une période d'essai de huit mois et sur son incidence concernant l'indemnisation de la rupture du contrat d'agent commercial.

Cette clause stipulée à l'article 6 – « durée du contrat » de cette convention est ainsi rédigée :

« Le présent contrat prendra effet à compter du 15 janvier 2011.

Les parties conviennent de respecter une période d'essai de 8 mois à l'expiration de laquelle le présent contrat réputé à durée indéterminée.

La durée de la période d'essai est d'un commun accord jugée suffisante pour apprécier les résultats escomptés par les deux parties.

Pendant la période d'essai, les parties peuvent rompre leur contrat par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un délai de préavis de 15 jours le premier mois puis de un mois au delà.

Après la période d'essai expirée, le contrat peut être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception.

Un préavis doit toutefois être respecté par l'une ou l'autre des parties.

La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année et de trois mois pour la troisième année et les années suivantes.

Les présentes dispositions en ce qui concerne la durée du préavis ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure ».

La société CTVL a mis fin au contrat d'agence commerciale du 21 décembre 2010 par lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 26 juillet 2011.

La société F. ne conteste pas que le délai de préavis d'un mois prévu au contrat et par la loi a été respecté, ce délai ayant au surplus été prorogé jusqu'au 10 septembre 2011.

La société CTVL s'oppose en revanche au versement d'une indemnité compensatrice au motif que la rupture est intervenue pendant la période d'essai prévue au contrat. L'intimée prétend que cette clause doit être réputée non écrite et que son préjudice doit néanmoins être indemnisé.

Au terme des dispositions des articles L. 134-12, L. 134-13 et L. 134-16 du Code de commerce :

- article L. 134-12 : « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent. »

- article L. 134-13 : « La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3° Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence. »

- article L. 134-16 : « Est réputée non écrite toute clause ou convention contraire aux dispositions des articles L. 134-2 et L. 134-4, des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 134-11, et de l'article L. 134-15, ou dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 134-9, du premier alinéa de l'article L. 134-10, des articles L. 134-12 et L. 134-13 et du troisième alinéa de l'article L. 134-14 ».

Aucune des dispositions réglementant la profession d'agent commercial n'interdit aux parties à un contrat d'agence commerciale de convenir d'une période d'essai, d'un commun accord.

La société CTVL se prévaut dans ses écritures de la seule stipulation d'une période d'essai, pour en déduire que la société F. n'aurait pas droit à l'indemnité compensatrice prévue par le statut des agents commerciaux, le contrat ayant été rompu au cours de cette période.

Néanmoins, le contrat du 21 décembre 2010, notamment son article 6, ne stipule pas expressément que l'agent commercial serait privé de son droit à indemnité compensatrice prévu par la loi, en cas de cessation de la relation contractuelle pendant la période d'essai.

En outre, les dispositions susvisées des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce sont d'ordre public et prévoient expressément, pour l'agent, en cas de rupture du contrat d'agent commercial, un droit à une indemnité compensatrice réparant le préjudice subi, hormis dans les hypothèses qu'elles énumèrent, parmi lesquelles ne figure pas celle dans laquelle la rupture du contrat intervient pendant la période d'essai stipulée au contrat et il n'est pas possible d'ajouter une cause de déchéance ou de privation de la réparation non expressément prévue par les dispositions susvisées.

De surcroît, le contrat liant les parties a pris effet à compter du 15 janvier 2011 conformément à son article 6 et la relation contractuelle entre l'agent commercial et son mandant existe donc dès cette date, indépendamment de l'existence d'une période d'essai.

Il s'en déduit que le régime d'indemnisation mis en place par l'article L. 134-12 du Code de commerce (par transposition de l'article 17 de la directive précitée du 18 décembre 1986), est applicable dès que la relation contractuelle agent commercial-mandant existe, même lorsque la cessation de cette relation intervient au cours de la période d'essai que ce contrat stipule et que le droit à indemnité de l'agent ne peut lui être refusé au seul motif que la cessation du contrat a eu lieu au cours de la période d'essai. (Cf. pour ex. CJUE 19 avril 2019, n° C-645/16 et Cour de cassation Com 23 janvier 2019, pourvoi n° 15-14212)

Pour cette raison, et dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit, le contrat ne stipule pas expressément que l'agent commercial est privé de son droit à indemnité en cas de rupture du contrat pendant la période d'essai, la clause litigieuse, qui peut être invoquée par les deux parties, n'apparaît pas créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce invoqué par l'intimée, étant rappelé au surplus que ces dispositions permettent d'engager la responsabilité du cocontractant et qu'en l'espèce, l'intimée ne demande pas de dommages et intérêts de ce chef.

L'intimée invoque aussi l'absence de cause de cette clause mais ne sollicite pas sa nullité dans le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour. Au surplus, même s'il est exact, ainsi que l'indique l'intimée, que les parties ont été liées par un contrat d'agence commerciale du 17 décembre 2017 au 1er mars 2010 et se connaissaient donc déjà lors de la conclusion du contrat du 21 décembre 2010, elles pouvaient néanmoins souhaiter de part et d'autre se ménager une période d'essai de quelques mois, avant de pérenniser leurs relations et la clause litigieuse n'apparaît pas dépourvue de cause.

En conséquence, la demande tendant à réputer non écrite la clause stipulant entre les parties une période d'essai sera rejetée.

Pour autant, la société F. a droit à l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce si elle en remplit les conditions.

Sur ce point, elle justifie avoir fait valoir ses droits dans l'année de la cessation du contrat puisqu'après avoir adressé à la société CTVL un courrier recommandé en ce sens le 15 février 2012, elle l'a faite assigner devant le tribunal de commerce d'Orléans pour obtenir une indemnité compensatrice par acte du 9 mai 2012, dans le délai d'un an prescrit.

En outre, si la société CTVL relève à titre subsidiaire au sujet du quantum de l'indemnité compensatrice que la société F. n'a pas atteint les objectifs imposés sur le premier semestre de l'année 2011 (page 20 de ses écritures), elle n'indique pas expressément qu'il s'agirait d'une faute grave de nature à priver purement et simplement la société F. de son doit à indemnisation en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce.

La cour constate en outre qu'elle n'a pas mis en demeure la société F. d'atteindre ses objectifs, conformément à l'article 10 du contrat et que le nombre de ventes imputées à la société F. de janvier à juillet 2011 soit 14 ventes nettes au lieu des 27 ventes prévues à titre d'objectif, résulte uniquement d'un document interne à la société CTVL (sa pièce 21). En outre même en supposant que la société F. n'ait que réalisé que 14 ventes sur 27 attendues, il s'agit d'un non-respect des objectifs fixés par le contrat, et donc d'un manquement à ses obligations contractuels, qui n'est pas pour autant à lui seul constitutif d'une faute grave de nature à la priver de son droit à réparation du préjudice subi.

Il s'en déduit qu'aucune faute grave n'est clairement reprochée ni établie à l'encontre de la société F. Les autres hypothèses d'exclusion du droit à réparation prévues par les articles L. 134-12 ou L. 134-13 du Code de commerce ne sont pas non plus réunies.

La société F. a donc droit à une indemnité compensatrice.

 

Sur le montant de l'indemnité compensatrice :

L'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce a pour objet de réparer le préjudice subi du fait de la cessation de ses relations avec le mandat. Ce préjudice comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties. Laissée à l'appréciation des juges du fond, il est d'usage de prendre pour base 24 mois de commissions, cette somme pouvant varier en fonction de l'ancienneté du contrat et du comportement des parties.

En l'espèce, la société CTVL reproche au tribunal d'avoir tenu compte d'une durée des relations commerciales de 3 ans et 7 mois, du 17 décembre 2007 au 26 juillet 2011.

Il est exact que les parties n'ont été unies par un contrat d'agent commercial que du 17 décembre 2007 au 15 mars 2010, l'EURL F. ayant adressé le 1er mars 2010 un courrier recommandé à son mandant indiquant cesser à compter du 15 juin suivant son activité d'agent commercial (pièce 11 produite par l'appelante).

C'est toutefois à tort que la société CTVL en déduit que la relation commerciale entre elle et la société F. rompue le 26 juillet 2011 n'aurait duré que 7 mois.

La société F. justifie en effet que son gérant M. X. a été embauché dès le 15 mars 2010 jusqu'au 31 décembre 2010 en qualité de responsable d'agence chargé de commercialiser les produits de son employeur, par la société Access Commercialisation IV, qui appartient au même groupe que la société CTVL, qui a pour gérant M. J. F., directeur commercial de la société CTVL et qui a le même siège social que cette dernière.

Il ressort du témoignage de Mme Z., assistante commerciale puis gestionnaire au sein de la société CTVL de 2005 à janvier 2011, qu'elle a assuré la gestion administrative des dossiers clients de M. X. dont elle énumère les tâches, sans exclure la période du 15 mars 2010 au 31 décembre 2010 pendant laquelle M. X. était salarié de la société Access Commercialisation IV, et en précisant in fine : « M. X. a décentralisé son activité de Châteauroux à Orléans, sur la demande du siège en tant que salarié, responsable d'agence ». (Pièce 43 produite par l'intimée).

Ce témoignage corrobore la thèse de l'intimée selon laquelle, même dans le cadre de son contrat de travail avec la société Access Commercialisation IV, il continuait de commercialiser les produits de la société CTVL.

Ainsi, si les relations contractuelles entre les parties ont bien été interrompues entre le 15 mars 2010 et le 21 décembre 2010, la durée des relations contractuelles reprises à cette date ayant ensuite été limitée à 7 mois, les relations commerciales entre les parties ont quant à elles duré du 17 décembre 2017 au 26 juillet 2011, soit une durée d'un peu plus de trois ans et demi, ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal. La société CTVL déplore le fait que la société F. n'aurait pas réalisé ses objectifs, ce qui est d'ailleurs inexact pour l'année 2009 puisqu'elle a les a nettement dépassés, et ce qui en outre, ne l'a pas empêchée de maintenir avec elle ou son gérant leurs relations d'affaires.

Il convient en outre de retenir que le contrat a été rompu par la société CTVL de manière soudaine, sans avertir au préalable sa cocontractante avant l'envoi du courrier du 26 juillet 2011 et que la société F. avait embauché deux salariées le 2 février 2011 et le 19 avril 2011 qu'elle a dû licencier.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal a retenu un nombre de 12 mois de commissions, calculées sur la base des années 2008 à 2010, soit un montant total de commissions de 2008 à 2010 de 123.307,48 € par an en moyenne, qui n'est contesté par aucune des parties.

Le jugement sera donc confirmé dans le quantum de la somme allouée à la société F.

La société CTVL étant désormais en liquidation judiciaire, il convient de fixer au passif de la liquidation la somme de 123.307,48 €, outre les intérêts au taux légal qui courent toutefois du prononcé du jugement et non de sa signification en application de l'article 1153-1 ancien du Code civil. Le jugement sera infirmé pour tenir compte de la liquidation judiciaire de la société et quant au point de départ des intérêts au taux légal.

 

Sur les autres demandes :

La société CTVL succombant dans son appel, ses liquidateurs seront condamnés ès qualités aux dépens exposés devant la cour, outre le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître D. qui en fait la demande expresse, ainsi qu'au versement à la société F. d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Vu l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 17 avril 2014 ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 23 juin 2015 ;

Statuant dans les limites de la cassation prononcée ;

- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Constructions traditionnelles du Val de Loire (CTVL) à payer à la société F. Habitat la somme de 123.307,48 €, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

- Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Constructions traditionnelles du Val de Loire (CTVL), la créance de la société F. Habitat à hauteur de la somme de 123.307,48 €, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement déféré, au titre de l'indemnité compensatrice du fait de la rupture du contrat d'agent commercial du 21 décembre 2010 ;

- Condamne la société CTVL représentée par ses liquidateurs à verser à la société F. Habitat une indemnité de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rejette le surplus des demandes ;

- Condamne la société Constructions traditionnelles du Val de Loire (CTVL) représentée par ses liquidateurs (la SELARL V. pris en la personne de Maître Julien V. et Maître J.) aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT