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CA RENNES (2e ch.), 30 avril 2020

Nature : Décision
Titre : CA RENNES (2e ch.), 30 avril 2020
Pays : France
Juridiction : Rennes (CA), 2e ch.
Demande : 16/09448
Décision : 20/222
Date : 30/04/2020
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 13/12/2016
Numéro de la décision : 222
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8413

CA RENNES (2e ch.), 30 avril 2020 : RG n° 16/09448 ; arrêt n° 222 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Le prêt litigieux, destiné à financer l'achat d'un véhicule déterminé auprès d'un vendeur identifié dans l'offre, est un crédit affecté au sens de l'article L. 311-20 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause. Or, il résulte de ce texte que les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison du bien, ce qu'il incombe au prêteur de vérifier avant de se dessaisir des fonds. C'est donc avec raison que le premier juge a estimé que le prêteur exerçant une action en paiement des sommes dues au titre d'un crédit affecté devait justifier du respect de ces dispositions, dont le juge peut relever d'office la méconnaissance en application de l'article L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation. »

2/ « Il est cependant de principe que la clause prévoyant la subrogation consentie par le vendeur au prêteur dans la réserve de propriété du véhicule laisse faussement croire à l'emprunteur, devenu propriétaire du bien dès le paiement du prix au vendeur, que la sûreté réelle a été valablement transmise, ce qui entrave l'exercice de son droit de propriété et a pour effet de créer un déséquilibre significatif à son détriment au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause, de même que le fait d'autoriser le prêteur à réaliser le bien repris sans permettre à l'emprunteur de présenter lui-même un acheteur faisant une offre.

Pressentant que la clause dont elle se prévaut était critiquable et qu'elle était susceptible d'être écartée par la cour comme abusive, la BNP a contesté cette jurisprudence établie en soutenant que la Cour de cassation avait, en estimant que la subrogation ne pouvait s'opérer si le tiers subrogé n'était pas propriétaire des fonds remis au créancier subrogeant, ajouté aux dispositions de l'article 1250 § 1° du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, une condition qu'elles ne comportaient pas et, partant, violé la loi.

Pourtant, le prêteur qui se borne à verser au vendeur les fonds empruntés par son client afin de financer l'acquisition d'un véhicule n'est pas l'auteur du paiement, ce client étant en effet devenu, dès la conclusion du contrat de crédit, propriétaire des fonds ainsi libérés entre les mains du vendeur. Or, l'article 1250 § 1° du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, prévoit que le créancier subrogeant doit recevoir son paiement d'une tierce personne. De surcroît, alors que la valeur d'un bien repris en vertu d'une clause de réserve de propriété doit être, en application de l'article 2371 du code civil, imputée à titre de paiement sur le solde de la créance garantie, le fait d'autoriser le bénéficiaire de cette clause à réaliser le bien repris sans permettre à l'acquéreur consommateur de présenter lui-même un acheteur faisant une offre, a aussi pour effet d'aggraver la situation financière de celui-ci et de créer un déséquilibre significatif à son détriment et au profit du professionnel.

Il convient donc d'écarter d'office cette clause abusive en application de l'article L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation et, partant, de rejeter la demande de restitution sous astreinte du véhicule. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE RENNES

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 30 AVRIL 2020

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 16/09448. Arrêt n° 222. N° Portalis DBVL-V-B7A-NRON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre, Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller, Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère.

GREFFIER : Madame Marlène ANGER, lors des débats et lors du prononcé.

DÉBATS : A l'audience publique du 20 février 2020, devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial.

ARRÊT : Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 30 avril 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré.

 

APPELANTE :

SA BNP PARIBAS PERSONAL FINANCE venant aux droits de CETELEM

[...], Représentée par Me Erwan L. de la SCP L., C., avocat au barreau de RENNES

 

INTIMÉ :

Monsieur X.

[...], Assigné par acte d'huissier en date du 8 février 2017 délivré à personne, n'ayant pas constitué avocat

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Selon offre préalable acceptée le 4 juin 2010, la société BNP Paribas Personal Finance (la BNP) a consenti à M. X. un prêt de 16.700 euros au taux de 8,65 % l'an affecté à l'achat d'un véhicule Volkswagen Passat d'occasion auprès de la société EDC Automobiles, remboursable en 60 mensualités de 350,66 euros hors assurance emprunteur.

Prétendant que les échéances de remboursement n'étaient plus honorées, le prêteur s'est, par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 juillet 2014, prévalu de la déchéance du terme et, par acte du 4 février 2015, a fait assigner l'emprunteur en paiement et en restitution du véhicule en vertu de la clause de réserve de propriété stipulée en faveur du vendeur avec subrogation au profit du prêteur.

Par mention au dossier du 17 décembre 2015, le premier juge a ordonné la réouverture des débats pour demander à la BNP de justifier de la livraison du bien financé, et M. X. a, par acte du 4 février 2016, été réassigné à l'audience de renvoi.

Relevant d'office que le prêteur ne produisait ni l'acte de vente du véhicule, ni le bon de livraison, le premier juge a, par jugement réputé contradictoire du 23 juin 2016 :

- débouté la BNP de ses demandes,

- rejeté sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la BNP aux dépens.

[*]

Faisant valoir que le premier juge ne pouvait soulever d'office cette « exception d'inexécution », et critiquant à l'avance l'avis de la Cour de cassation du 28 novembre 2016 considérant inopérante la subrogation consentie par le vendeur au prêteur dans la réserve de propriété du véhicule, la BNP a relevé appel de cette décision le 13 décembre 2016, pour demander à la cour de :

- condamner M. X. au paiement de la somme de la somme de 10.218,69 euros, avec intérêts au taux de 8,65 % à compter du 4 juillet 2014,

- ordonner la restitution du véhicule, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé 8 jours à compter de la signification de la décision pendant 60 jours,

- condamner M. X. au paiement d'une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

[*]

M. X. n'a pas constitué avocat devant la cour.

[*]

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la BNP le 4 février 2019, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 12 décembre 2019.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Le prêt litigieux, destiné à financer l'achat d'un véhicule déterminé auprès d'un vendeur identifié dans l'offre, est un crédit affecté au sens de l'article L. 311-20 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.

Or, il résulte de ce texte que les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison du bien, ce qu'il incombe au prêteur de vérifier avant de se dessaisir des fonds.

C'est donc avec raison que le premier juge a estimé que le prêteur exerçant une action en paiement des sommes dues au titre d'un crédit affecté devait justifier du respect de ces dispositions, dont le juge peut relever d'office la méconnaissance en application de l'article L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation.

Toutefois, la BNP produit l'acte de constitution d'une réserve de propriété signé du vendeur et de l'emprunteur, faisant ressortit que le véhicule a bien été livré et que le déblocage des fonds entre les mains du vendeur était demandé, la facture de vente du véhicule du 5 juin 2010 qui, à défaut d'éléments contraire, doit être datée du jour de la livraison, et l'historique des mouvements du prêt révélant que les fonds ont été débloqués le 10 juin 2010.

Dès lors, rien ne démontre que le prêteur se soit dessaisi des fonds avant la livraison du bien financé.

Il ressort par ailleurs du décompte de créance et de l'historique des mouvements du prêt qu'au jour de la déchéance du terme du 4 juillet 2014, il restait dû au prêteur 1.751,25 euros au titre des échéances échues impayées et 4.133,93 euros au titre des échéances reportées, soit, au total, 5 885,18 euros représentant 16 mensualités totalement impayées et une 17ème laissée partiellement impayée.

Il s'en déduit que le premier incident de paiement non entièrement régularisé est en date du 5 février 2013, de sorte que l'action de la BNP, engagée par assignation du 4 février 2015, n'encourt pas la forclusion de l'article L. 311-37 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.

Il résulte de l'offre, du tableau d'amortissement et du décompte de créance qu'il restait dû à la BNP au jour de la déchéance du terme :

- 5.885,18 euros au titre des échéances échues impayées de février 2013 à juin 2014,

- 4.012,51 euros au titre du capital restant dû,

- 321 euros au titre de l'indemnité de défaillance égale à 8 % du capital restant dû,

soit, au total, 10.218,69 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 8,65 % à compter du 4 juillet 2014 sur le principal de 9.897,69 euros (5.885,18 + 4.012,51).

M. X. sera donc, après réformation du jugement attaqué, condamné au paiement de cette somme.

Se prévalant d'un acte de « constitution de réserve de propriété avec subrogation au profit du prêteur, la BNP réclame en outre la condamnation de M. X. à restituer sous astreinte le véhicule financé.

Il est cependant de principe que la clause prévoyant la subrogation consentie par le vendeur au prêteur dans la réserve de propriété du véhicule laisse faussement croire à l'emprunteur, devenu propriétaire du bien dès le paiement du prix au vendeur, que la sûreté réelle a été valablement transmise, ce qui entrave l'exercice de son droit de propriété et a pour effet de créer un déséquilibre significatif à son détriment au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause, de même que le fait d'autoriser le prêteur à réaliser le bien repris sans permettre à l'emprunteur de présenter lui-même un acheteur faisant une offre.

Pressentant que la clause dont elle se prévaut était critiquable et qu'elle était susceptible d'être écartée par la cour comme abusive, la BNP a contesté cette jurisprudence établie en soutenant que la Cour de cassation avait, en estimant que la subrogation ne pouvait s'opérer si le tiers subrogé n'était pas propriétaire des fonds remis au créancier subrogeant, ajouté aux dispositions de l'article 1250 § 1° du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, une condition qu'elles ne comportaient pas et, partant, violé la loi.

Pourtant, le prêteur qui se borne à verser au vendeur les fonds empruntés par son client afin de financer l'acquisition d'un véhicule n'est pas l'auteur du paiement, ce client étant en effet devenu, dès la conclusion du contrat de crédit, propriétaire des fonds ainsi libérés entre les mains du vendeur.

Or, l'article 1250 § 1° du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, prévoit que le créancier subrogeant doit recevoir son paiement d'une tierce personne.

De surcroît, alors que la valeur d'un bien repris en vertu d'une clause de réserve de propriété doit être, en application de l'article 2371 du code civil, imputée à titre de paiement sur le solde de la créance garantie, le fait d'autoriser le bénéficiaire de cette clause à réaliser le bien repris sans permettre à l'acquéreur consommateur de présenter lui-même un acheteur faisant une offre, a aussi pour effet d'aggraver la situation financière de celui-ci et de créer un déséquilibre significatif à son détriment et au profit du professionnel.

Il convient donc d'écarter d'office cette clause abusive en application de l'article L. 141-4 devenu R. 632-1 du code de la consommation et, partant, de rejeter la demande de restitution sous astreinte du véhicule.

Il n'y a enfin pas matière à application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 23 juin 2016 par le tribunal d'instance de Redon en toutes ses dispositions ;

Condamne M. X. à payer à la société BNP Paribas Personal Finance la somme de 10.218,69 euros, avec intérêts au taux de 8,65 % à compter du 4 juillet 2014 sur le principal de 9.897,69 euros ;

Écarte comme abusive la clause de réserve de propriété avec subrogation au profit du prêteur ;

Déboute en conséquence la société BNP Paribas Personal Finance de sa demande de restitution du véhicule ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. X. aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT