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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 17 juin 2020

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 17 juin 2020
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 18/19175
Date : 17/06/2020
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8458

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 17 juin 2020 : RG n° 18/19175

Publication ; Jurica

 

Extrait : « Les conclusions de première instance montrent que la société TSO logistique avait déjà présenté des demandes de dommages-intérêts au titre de la location de l'entrepôt, sur le fondement de l'article L. 442-6-1, 2° et 4° du code de commerce ; sa demande en paiement de la somme de 135.840,22 euros est recevable en cause d'appel comme étant le complément de celles soumises au premier juge, conformément à l'article 566 du code de procédure civile.

L'article L. 110-4 du code de commerce, issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par 5 ans ; il en résulte que la demande de dommages-intérêts pour la location de l'entrepôt à compter de 2006, formée le 22 mars 2018, est en partie atteinte par la prescription.

Par application de l'article L. 442-6-1 2° et 4° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur le fait par tout commerçant ; - 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, - 4° d'obtenir ou tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente.

La société TSO logistique, qui a bénéficié d'un préavis suffisant, qui disposait de toute autonomie dans sa gestion et qui ne se trouvait pas en état de dépendance économique, ne démontre pas que la société Henkel France l'aurait soumise à des obligations créant un déséquilibre manifeste, ni qu'elle aurait obtenu, par une menace de rupture des relations, des conditions manifestement abusives concernant les prix ou les modalités de service.

En conséquence, toutes les demandes au titre d'un abus de 'puissance' économique seront rejetées. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 17 JUIN 2020

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. ; mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 18/19175 (10 pages). N° Portalis 35L7-V-B7C-B6GWK. Décision déférée à la Cour ; Jugement du 28 juin 2018 - Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE - RG n° 2017008120.

 

APPELANTE ;

SAS TSO LOGISTIQUE

Ayant son siège social ; [adresse], [...], N° SIRET ; XXX (REIMS), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Guillaume D. de la SELARL Cabinet S., avocat au barreau de PARIS, toque ; W09, Ayant pour avocat plaidant ; Maître Christophe G. de la SELARL GS AVOCATS, avocat au barreau de REIMS, toque, 27

 

INTIMÉE ;

SAS HENKEL FRANCE

Ayant son siège social ; [adresse], [...], N° SIRET ; YYY (NANTERRE), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentée par Maître Jean-Claude C., avocat au barreau de PARIS, toque ; D0945, Ayant pour avocat plaidant ; Maître Bruno S. de l'ASSOCIATION P. S., avocat au barreau de PARIS, toque ; R228

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 5 février 2020, en audience publique, devant la Cour composée de ; Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère, Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, qui en ont délibéré. Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Agnès BODARD-HERMANT dans les conditions prévues par l'article 804 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG

ARRÊT : - contradictoire, - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. ; mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS ET PROCÉDURE :

Vu le jugement rendu le 28 juin 2018 par le tribunal de commerce de Lille qui a :

- condamné la société Henkel France à payer à la société TSO logistique la somme de 120.166,20 euros au titre du non maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures pendant la durée du préavis de 22 mois,

- débouté la société TSO logistique de toutes ses autres demandes,

- débouté la société Henkel France de sa demande en paiement de la somme de 100.000 euros pour procédure abusive,

- déclaré irrecevable la demande de la société Henkel France de condamnation de la société TSO logistique au paiement d'une amende civile de 10.000 euros,

- condamné la société Henkel France aux dépens et à payer la somme de 2.000 euros à la société TSO logistique au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

[*]

Vu l'appel relevé par la société TSO logistique et ses dernières conclusions notifiées le 29 novembre 2019 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-1 du code de commerce, de :

1) constater que la durée du préavis accordé par la société Henkel France était insuffisante au regard des relations commerciales entretenues entre elles et que la société Henkel France n'a pas assuré le maintien de relations normales pendant la durée du préavis,

- fixer à 31 mois la durée normale du préavis qui aurait dû être respecté au lieu de 22 mois (9 mois supplémentaires) ou, à titre subsidiaire, le fixer à 26 mois (4 mois supplémentaires)

- constater qu'elle a subi des préjudices liés à l'abus de puissance économique de la société Henkel France,

2) en conséquence, juger que la société Henkel France a rompu brutalement ses relations commerciales pour l'activité logistique avec elle et la condamner à lui payer :

- au titre du non maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ;

* à titre principal, la somme de 387.616,11 euros sur la base d'un taux de marge de 96,77 %,

* à titre subsidiaire, la somme de 322.045,42 euros sur la base d'un taux de marge de 80,40 %,

- au titre du préavis insuffisant ;

* à titre principal, la somme de 434.837,93 euros, sur la base de 9 mois de préavis insuffisant et un taux de marge de 96,77 % ou, subsidiairement, la somme de 193.261,30 euros sur la base de 4 mois de préavis non accordé et un taux de marge de 96,77 %,

* à titre subsidiaire, la somme de 361.279,01 euros, sur la base de 9 mois de préavis non accordé avec un taux de marge de 80,40 % ou, subsidiairement, la somme de 160.568,45 euros sur la base de 4 mois de préavis non accordé et un taux de marge de 80,40 %,

- au titre du préjudice subi du fait des licenciements effectués la somme de 65.944 euros,

- au tire du préjudice subi du fait de la remise en état des locaux la somme de 26.370 euros,

- au titre du préjudice subi du fait de la constatation de la perte de valeur du fonds de commerce la somme de 800.000 euros,

3) juger que la société Henkel France a commis des abus de puissance économique à son détriment et la condamner à lui payer ;

- la somme de 135.840,20 euros du fait de la perte de 4 mois de rémunération variable imposée par Henkel France pendant la procédure d'appel d'offre sur l'activité transport,

- la somme de 1.723.735 euros au titre de la location de l'entrepôt sur la période 2006 à février 2015,

- la somme de 191.700 euros au titre de la location de l'entrepôt sur la période de mars 2015 à novembre 2015 (9 mois de préavis supplémentaires) ou, subsidiairement, la somme de 85.200 euros au titre de la location de l'entrepôt sur la période de mars 2015 à juin 2015 (4 mois de préavis supplémentaires),

4) condamner la société Henkel France aux dépens et à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

[*]

Vu les dernières conclusions notifiées le 31 décembre 2019 par la société Henkel France qui demande à la cour, au visa de l'article L 442-6-1 2°, 4° et 5° du code de commerce dans sa version applicable à l'époque, des articles 1103, 1104 (anciennement 1134) et 2224 du code civil ainsi que des articles 564 et 32-1 du code de procédure civile ;

1) d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a :

- condamnée à indemniser la société TSO logistique au titre du non maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures pendant la durée du préavis de 22 mois, au paiement des dépens et d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboutée de ses demandes reconventionnelles,

2) confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société TSO logistiques de toutes ses autres demandes,

3) statuant à nouveau et en tout état de cause :

- déclarer la société TSO logistique irrecevable et à défaut mal fondée en son appel et la débouter de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société TSO logistique à lui payer la somme de 100.000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile et celle de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner au paiement d'une amende civile de 10.000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. ; mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR :

La société Henkel France, qui fabrique et distribue des produits du quotidien, dont des produits ménagers et de beauté, fait appel à différents prestataires pour leur transport et leur entreposage ; c'est ainsi qu'elle a noué des relations avec la société TSO logistique qui exerce l'activité de transport et de logistique, avec stockage dans un entrepôt situé à [ville M.] près de [ville R.].

Le 25 avril 2013, la société Henkel France a notifié à la société TSO logistique la résiliation du contrat de gestion des stocks du 8 janvier 1997, par une lettre recommandée avec avis de réception dans les termes suivants ;

« Comme vous le savez, la mutualisation de l'activité de stockage et de préparation de commande baptisée Pooling HeCoreRe qui liait Henkel France à deux autres industriels a pris fin en mars dernier.

Ces deux industriels n'utilisant plus les deux dépôts Kuehne & Nagel de [ville S.] (77) et [ville S.] (38), nous avons ainsi été amenés à reconsidérer le plan de distribution de nos produits détergents.

Nous nous voyons aujourd'hui contraints de concentrer l'ensemble de nos stocks sur ces deux dépôts.

Dans ces conditions, le partenariat qui existe entre nos deux sociétés ne peut être prolongé.

En conséquence, nous vous confirmons notre décision de résilier le contrat signé le 8 janvier 1997 par notre société avec la société Champagne transports distribution [la société CTD], dont votre société a repris la branche d'activité de stockage, et ayant comme objet la réalisation de prestations d'entreposage et de gestion des stocks sur votre site de [ville M.].

Allant au-delà du préavis de 9 mois stipulé dans le 2ème avenant au contrat en date du 19 janvier 2001, nous prévoyons une résiliation du contrat avec effet début 2015.

Nous évoquerons ensemble la fixation d'une date précise de fin de contrat ainsi que les modalités de fin de notre collaboration lors de notre rendez-vous du jeudi 16 mai prochain à 14h30. »

Des discussions ont ensuite eu lieu entre les parties avec échange de propositions et de contre-propositions ; le 4 septembre 2013, la société TSO logistique a donné son accord sur la date effective de résiliation du contrat, à savoir le 30 juin 2015, et le maintien de la fonction de site de stockage « conjoncturel » jusqu'à cette date mais en formulant une contre-proposition sur le montant de la rémunération fixe liée à l'activité de stockage ; par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 septembre 2013, la société Henkel France a demandé à la société TSO logistique de confirmer son accord sur sa proposition consistant à lui garantir des revenus fixes et plus importants jusqu'au 31 décembre 2014, soit 23.000 euros par mois pour l'activité de stockage, avec un paiement trois mois à l'avance afin de rassurer ses banquiers ; le président de la société TSO logistique, M. M., a apposé sa signature précédé de la mention « bon pour accord » au bas de cette lettre ; par la suite, le 13 novembre 2014, la société TSO logistique a adressé à la société Henkel France un courriel précisant ;

« En référence à votre courrier du 19/09/2013 concernant la résiliation de notre contrat de gestion de stock au 31/12/2014, nous vous confirmons, suite à notre conversation téléphonique du 12/11/2014, que nous sommes d'accord pour prolonger notre activité logistique début 2015, en fonction de vos besoins, au tarif habituel de 23.000 euros/mois. »

En définitive, les relations entre les parties concernant l'activité de stockage ont cessé fin février 2015.

Par lettre de son conseil du 9 mai 2016, la société TSO logistique s'est plainte auprès de la société Henkel France d'une insuffisance du préavis et d'une réduction sensible du volume d'affaires habituel pendant la durée de celui-ci ; la société Henkel France a contesté l'ensemble de ces griefs.

C'est dans ces circonstances que le 22 mai 2017, la société TSO logistique a fait assigner la société Henkel France devant le tribunal de commerce de Lille afin de l'entendre condamner au paiement de dommages-intérêts pour avoir rompu brutalement la relation commerciale établie et avoir obtenu du fait de sa puissance économique des conditions manifestement abusives dans la location de son entrepôt.

Le tribunal, par le jugement déféré, a condamné la société Henkel France à payer à la société TSO logistique la somme de 120.166,20 euros au titre du non maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures pendant la durée du préavis de 22 mois, a débouté la société TSO logistique de toutes ses autres demandes et a débouté la société Henkel France de sa demande reconventionnelle.

Il convient d'examiner successivement les demandes des parties.

 

1) Sur les demandes de dommages-intérêts de la société TSO logistique pour rupture brutale des relations commerciales établies :

a) La société STO logistique soutient en premier lieu, qu'un préavis de 31 mois ou, subsidiairement, de 26 mois aurait dû lui être accordé, au lieu de celui de 22 mois qui lui a été concédé ; elle fait valoir en ce sens :

- qu'elle entretient une relation commerciale suivie avec la société Henkel France depuis 1976 pour l'activité transport et depuis 1982 - soit 31 ans - pour l'activité logistique,

- qu'elle réalisait 97,48 % de son chiffre d'affaires logistique avec cette société,

- que son entrepôt était réservé pour la société Henkel France, sans qu'elle puisse développer son chiffre d'affaires avec d'autres clients dans cet entrepôt, ce qui la maintenait en état de totale dépendance économique,

- que des pressions ont été exercées sur elle, à la fois lors de l'appel d'offre lancé par la société Henkel France pour l'activité transport et pour bloquer les tarifs d'entreposage,

- que la société Henkel France, qui avait d'abord fixé le préavis à 26 mois, comme devant se terminer le 30 juin 2015, s'est rétractée et lui a imposé une réduction de 6 mois dans le but de réaliser des économies à son détriment sur la rémunération variable.

La société Henkel France réplique qu'elle a accordé un préavis de 22 mois qui était suffisant compte tenu de la durée des relations commerciales, lesquelles ne sont établies que depuis 2002, soit une durée de 10 ans au plus, et de l'absence de tout état de dépendance économique.

La Cour retient que c'est en vain que la société TSO logistique invoque une relation commerciale établie depuis 1982. En effet si des relations ont existé à cette date entre la société Henkel France et une société ITF, dirigée par M. M., rien ne justifie d'une reprise du fonds de commerce de cette société et d'une continuation des relations ainsi nouées ; par ailleurs la seule lettre datée du 11 octobre 1990 adressée par la société CTD, à la société Henkel France, relative au conditionnement de colis, ne suffit pas à établir l'existence d'une relation stable et suivie à cette période.

Mais il apparaît des autres pièces versées aux débats :

- que dans un acte sous seing privé daté du 7 juillet 1994, valant reconnaissance de dette, il est rappelé que la société Henkel France et la société CTD - dont il n'est pas contesté que la société TSO logistique a repris la branche d'activité de stockage - sont liées par un contrat de stockage du 22 décembre 1992 expirant le 31 décembre 1994 à raison de sa dénonciation par la société Henkel France, mais que cette dernière envisage cependant de négocier avec la société CTD un nouveau contrat pour le 1er janvier 1995,

- que les sociétés CTD et Henkel France ont signé un contrat de gestion des stocks le 23 décembre 1994 d'une durée d'un an à compter du 1er janvier 1995, puis un contrat de gestion des stocks le 26 octobre 1995 d'une durée d'un an à compter du 1er janvier 1996,

- que par sa lettre précitée du 25 avril 2013 la société Henkel a résilié le contrat de gestion des stocks conclu le 8 janvier 1997 avec la société CTD.

Il existait ainsi une relation commerciale établie entre les parties concernant l'activité de stockage depuis le 22 décembre1992 jusqu'à la notification de la rupture litigieuse, leur durée était donc alors de 20 ans et 4 mois.

D'autre part, pour démontrer que son entrepôt était réservé en totalité à la société Henkel France, la société TSO logistique se réfère au 5ème avenant au contrat du 8 janvier 1997, signé le 20 février 2004 ; il ressort de cet avenant que pour l'année 2003 la société Henkel France avait demandé une réduction de la capacité d'entreposage et que, pour l'année 2004, elle a demandé la réservation de la capacité totale du dépôt, soit un total de 11.500 palettes, étant précisé qu'elle déterminerait librement et à tout moment les quantités à entreposer.

Cependant, la société TSO logistique ne démontre pas que cette disposition serait restée en vigueur tout au long des relations alors que la société Henkel France précise qu'elle n'a eu un besoin de stockage accru qu'entre 2004 et 2007 et que la représentation graphique de son chiffre d'affaires sur l'activité logistique qu'elle produit elle-même en pièce 4 montre qu'elle avait d'autres clients que la société Henkel France, lesquels représentaient ;

- 14,29 % de ce chiffre d'affaires en 2010,

- 16,27 % en 2011,

- 17,01% en 2012,

- 2,52 % en 2013,

- 8,10 % en 2014.

Ainsi, même si la société Henkel France représentait une part importante du chiffre d'affaires de la société TSO logistique pour son activité stockage, cette dernière qui n'était tenue par aucune clause d'exclusivité, était en mesure de diversifier sa clientèle et ne se trouvait pas en situation de dépendance économique par rapport à la société Henkel France.

C'est enfin en vain que la société TSO logistique allègue que la société Henkel France lui aurait imposé, sous la contrainte, la réduction du préavis, initialement fixé au 30 juin 2015, pendant l'appel d'offres concernant l'activité transport, dans le but de réaliser des économies à son détriment sur la rémunération variable ; en effet, l'accord intervenu entre les parties pour fixer la fin du préavis au 31 décembre 2014, prolongé ensuite au 28 février 2015, est intervenu à la suite de négociations à la fois sur la durée du préavis et les conditions tarifaires et la réalité de ces allégations ne résulte pas des éléments en débat.

En conséquence, le préavis de 22 mois accordé par la société Henkel France et accepté par la société TSO logistique était suffisant pour permettre à celle-ci de réorganiser son activité de stockage et de trouver d'autres clients ; les demandes de la société TSO logistique pour insuffisance du préavis sont donc mal fondées.

 

b) La société TSO logistique soutient, en second lieu, que la société Henkel France n'a pas maintenu la relation commerciale aux conditions antérieures pendant la durée du préavis, son chiffre d'affaires logistique avec cette société ayant baissé de 36,46 % pendant la période du préavis.

La société Henkel France conteste cette prétention en faisant valoir :

- que l'accord intervenu suite aux négociations entre les parties était clair ; la relation prendrait fin en décembre 2014, le montant de la part fixe du chiffre d'affaires lié au stockage serait augmenté de façon significative dès octobre 2013 et jusqu'à l'échéance du contrat, passant de 16.000 euros à 23.000 euros, la cessation à compter du 14 juin 2014 de l'activité LIDL, qui générait un grand nombre d'entrées et de sorties compte tenu du copaking pratiqué pour ce client, cessation qui intervenait à l'initiative de ce client,

- qu'elle a exécuté cet accord, à caractère transactionnel, en tous points et que la société TSO logistique tente de s'en exonérer en voulant lui faire supporter ses difficultés financières au prétexte qu'elle fait partie d'un groupe international,

- qu'elle n'était tenue par aucun engagement d'exclusivité et que ses relations réelles ou supposées avec la société Sogetti, qui relèvent du secret des affaires, ne peuvent engager sa responsabilité.

Mais il apparaît que l'accord auquel les parties sont parvenues ne contient aucun élément lui conférant valeur transactionnelle ; la société Henkel France, bien que non tenue par un engagement d'exclusivité, devait maintenir la relation commerciale aux conditions antérieures pendant toute la durée du préavis ; elle ne démontre ni même n'invoque une réduction de son propre chiffre d'affaires pendant cette période.

L'appelante établit, par tableaux vérifiés par son expert-comptable et attestation de celui-ci, que son chiffre d'affaires moyen mensuel réalisé avec la société Henkel France pendant les trois années qui ont précédé le préavis, soit en 2010, 2011 et 2012, était de 49.928 euros, alors qu'il n'a plus été que de 37.721 euros en moyenne pendant les 22 mois de préavis ; le tribunal a justement retenu que l'augmentation tarifaire du stockage ne permettait pas de compenser la baisse des volumes.

La société Henkel France doit donc indemniser la société TSO logistique du préjudice résultant du non maintien des conditions antérieures de la relation commerciale pendant le préavis de 22 mois ; ce préjudice ne peut être égal à la perte de marge brute puisqu'il faut tenir compte des coûts variables économisés pendant cette période ; la société TSO logistique qui se borne à produire un tableau intitulé « calcul de la marge brute par activité » ne justifie pas de ces coûts; dès lors, en l'absence d'autres éléments probants, la cour confirmera le jugement qui a fixé l'indemnisation sur la base d'un taux de 30 % du chiffre d'affaires manquant.

Seule la brutalité de la rupture, et non la rupture elle-même, ouvre droit à indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce ; en conséquence toutes les autres demandes de l'appelante pour frais de licenciements, remise en état des locaux et perte de valeur du fonds doivent être rejetées.

 

2) Sur les demandes de la société TSO logistique pour abus de puissance économique :

Invoquant les dispositions de l'article L. 442-6-1 2° et 4° du code de commerce, la société TSO logistique reproche encore à la société Henkel France un abus de « puissance » économique l'ayant contrainte, d'une part à accepter une réduction de préavis et une perte financière sur la part variable de sa rémunération, d'autre part à ne facturer qu'une partie de son entrepôt alors que Henkel France l'avait réservé en totalité.

L'appelante expose d'abord :

- que sa rémunération au titre de ses prestations était composée d'une partie mensuelle fixe forfaitaire et d'une partie mensuelle variable dépendant du nombre d'entrées et de sorties de palettes dans l'entrepôt,

- que le 19 septembre 2013, la société Henkel France a accepté d'augmenter la rémunération fixe mensuelle de 16.000 euros à 23.000 euros en réduisant dans le même temps le préavis au 31 décembre 2014, économisant ainsi la rémunération variable,

- qu'elle-même a accepté en raison de l'enjeu sur l'appel d'offres concernant l'activité transport qui se déroulait en parallèle et qui a abouti au renouvellement de son contrat de transport à compter du 1er avril 2014,

- que son préjudice est constitué par la perte de rémunération variable pendant 4 mois, durée de réduction du préavis imposée en définitive par la société Henkel France, soit 135.840,22 euros.

L'appelante fait ensuite valoir :

- que le 5ème avenant du contrat de gestion des stocks signé le 20 février 2004, qui réservait la capacité totale de l'entrepôt à la société Henkel France, laquelle déterminait toutefois librement et à tout moment les quantités à entreposer, n'a jamais été modifié par la suite,

- que la société Henkel France lui payait alors la location de 11.500 palettes à raison de 0,71 euros par palette et par semaine,

- qu'à compter du 1er octobre 2006, la société Henkel France a modifié les conditions de paiement qui sont passées à 0,92 euros par palette et par semaine pour 6.000 palettes et 0,71 euros par palette supplémentaire, ce qui a réduit sensiblement ses revenus,

- qu'elle -même ne pouvait refuser ses nouvelles conditions tarifaires compte tenu de son état de dépendance économique,

- qu'en 2007, la société Henkel France n'a utilisé que 6.189 emplacements palettes sur les 11.500 réservés (différence de 5.311), ce qui lui a causé un préjudice de 196.082 euros soit 5311 x 0,71 euros x 52 semaines,

- que de 2006 à février 2015, son préjudice s'élève à 1.723.735 euros et à 191.700 euros au titre du préavis non accordé de 9 mois ou, subsidiairement, à 85.200 euros au titre du préavis non accordé de 4 mois.

Elle précise que son entrepôt était divisé en deux parties, l'une réservée à la société Henkel France, l'autre dit entrepôt annexe qu'elle a pu louer à certaines époques à des tiers.

Selon elle, la société Henkel France s'est comportée comme si elle était sa filiale d'entreposage, réservant la totalité de l'entrepôt et ne payant que ce qu'elle utilisait réellement, et non comme si elle était une société tierce indépendante.

La société Henkel France soulève l'irrecevabilité de la demande en paiement de la somme de 135.840,22 euros comme nouvelle en cause d'appel par application de l'article 564 du code de procédure civile ainsi que la prescription des demandes relatives à la location de l'entrepôt comme formées pour la première fois par conclusions du 22 mars 2018 ; elle conclut subsidiairement au mal fondé des demandes.

[*]

Les conclusions de première instance montrent que la société TSO logistique avait déjà présenté des demandes de dommages-intérêts au titre de la location de l'entrepôt, sur le fondement de l'article L. 442-6-1, 2° et 4° du code de commerce ; sa demande en paiement de la somme de 135.840,22 euros est recevable en cause d'appel comme étant le complément de celles soumises au premier juge, conformément à l'article 566 du code de procédure civile.

L'article L. 110-4 du code de commerce, issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par 5 ans ; il en résulte que la demande de dommages-intérêts pour la location de l'entrepôt à compter de 2006, formée le 22 mars 2018, est en partie atteinte par la prescription.

Par application de l'article L. 442-6-1 2° et 4° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur le fait par tout commerçant ;

- 2° de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties,

- 4° d'obtenir ou tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente.

La société TSO logistique, qui a bénéficié d'un préavis suffisant, qui disposait de toute autonomie dans sa gestion et qui ne se trouvait pas en état de dépendance économique, ne démontre pas que la société Henkel France l'aurait soumise à des obligations créant un déséquilibre manifeste, ni qu'elle aurait obtenu, par une menace de rupture des relations, des conditions manifestement abusives concernant les prix ou les modalités de service.

En conséquence, toutes les demandes au titre d'un abus de 'puissance' économique seront rejetées.

 

3) Sur les demandes de la société Henkel France :

A l'appui de sa demande de dommages-intérêts d'un montant de 100.000 euros, la société Henkel France reproche à la société TSO logistique d'avoir abusé de son droit d'agir, en soulignant l'outrance et la mauvaise foi de ses prétentions.

Mais la société TSO logistique n'ayant pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice ni de relever appel, la société Henkel France sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Il n'y a pas lieu au prononcé de l'amende civile prévue à l'article 32-1 du code de procédure civile.

 

4) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société TSO logistique, qui succombe sur l'essentiel de ses prétentions, doit supporter les dépens d'appel.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient d'allouer la somme de 10.000 euros à la société Henkel France et de rejeter la demande de la société TSO logistique de ce chef.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. ; mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS ;

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société TSO logistique à payer à la société Henkel France la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes,

CONDAMNE la société TSO logistique aux dépens d'appel.

Le Greffier                Le Président

Cécile PENG             Marie-Laure DALLERY