CA VERSAILLES (16e ch.), 8 octobre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8599
CA VERSAILLES (16e ch.), 8 octobre 2020 : RG n° 18/08314
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « L'article L. 312-3 (devenu L. 313-2) du code de la consommation applicable au présent litige, dispose en son 2° que « sont exclus du champ d'application du chapitre sur le crédit immobilier à la consommation les prêts destinés sous quelque forme que ce soit à financer une activité professionnelle, notamment celles des personnes physiques ou morales qui à titre habituel, même accessoire à une autre activité ou en vertu de leur objet social, procurent, sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d'immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance ».
La SA Crédit du Nord critique le jugement dont appel en ce qu'il a admis la qualité de non-professionnelle de la SCI Maison X. et argue du fait ce n'est qu'au mois de juillet 2017 que la SCI Maison X. a modifié son objet social en pouvant ainsi revendiquer, mais seulement à compter de cette date, un caractère familial.
La société Maison X. soutient qu'elle mène une activité se limitant à la souscription de crédits qui n'est pas récurrente et non une activité commerciale et que les prêts litigieux ont été souscrits afin d'acquérir et de rénover leur résidence principale.
Il convient de considérer que la destination professionnelle d'un crédit ne peut résulter que d'une stipulation expresse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Il résulte, en effet, de l'extrait Kbis à jour au 20 juillet 2017 que la société civile immobilière Maison X. a été immatriculée au 15 avril 2011 et que son objet social est ainsi défini : « gestion en location du patrimoine familial, activité non commerciale de gestion patrimoniale d'un bien immobilier familial et des statuts de la SCI modifiés au 1er septembre 2013, que l'objet social de l'appelante est la gestion du patrimoine familial (...) dans un but non commercial » et notamment de la maison servant à l'habitation principale des deux associés de la SCI, M. et Mme G., titulaires par moitié des parts sociales, qui ne peuvent être cédées qu'entre membres de la même famille, parents et enfants. La SCI est, en outre, statutairement immatriculée ne tant que société « translucide » et n'est pas assujettie à l'impôt sur les sociétés.
En l'absence d'activité commerciale démontrée de la SCI Maison X., celle-ci doit, par conséquent, être considérée comme un non-professionnel susceptible de se prévaloir des dispositions protectrices du code de la consommation et le jugement sera confirmé en ce qu'il a admis que les dispositions du code de la consommation, en son livre troisième, chapitre II et par extension chapitre III sont applicables aux deux prêts de 450.000 € et 100.000 € consentis à la SCI Maison X. »
2/ « Aux termes de l'article L. 312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur à la date du prêt, le prêteur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues à l'article L. 312-8, lequel renvoie, concernant le TEG, aux prescriptions de l'article L. 313-1 du même code en définissant le contenu, pourra être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
Ce texte prévoit donc, pour les prêts immobiliers aux particuliers soumis aux articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, une sanction spéciale qui déroge à la sanction générale de la nullité prévue par l'article 1907 du code civil, conformément à l'adage « specialia generalibus derogant ».
Ainsi, l'emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d'ordre public des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, disposer d'une option entre nullité ou déchéance. Au vu de l'énumération, au demeurant non exhaustive, des fins de non-recevoir ressortant de l'article 122 du code de procédure civile, il y a lieu de considérer que son droit d'agir est légalement limité à la demande de la déchéance totale ou partielle des intérêts conventionnels.
L'action en nullité de la stipulation d'intérêts est par conséquent irrecevable, qu'elle soit fondée sur l'irrégularité du taux effectif global ou sur le prétendu recours à une autre référence que l'année civile pour le calcul de l'intérêt conventionnel, et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en nullité de la stipulation d'intérêts. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
SEIZIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 18/08314. N° Portalis DBV3-V-B7C-S2KG. Code nac : 53B. CONTRADICTOIRE. Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 octobre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE : RG n° 16/07248.
LE HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT, La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant, après prorogation, dans l'affaire entre :
APPELANTE :
SCI MAISON X.
N° Siret : XXX (RCS Pontoise), [...], [...], Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentant : Maître Stéphanie F. B., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 754, Représentant : Maître Jean-Simon M., Plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
SA CREDIT DU NORD
N° Siret : YYY (RCS Lille), [...], [...], Prise en la personne se ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, Représentant : Maître Emmanuelle O. de la SCP L., Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0077, Représentant : Maître Véronique F. de la SCP P. M. H. ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 100 - N° du dossier 1600763, substituée par Maître P. de la SCP P. M. H. ET ASSOCIES, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 100
Composition de la cour : En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 janvier 2020 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Patricia GRASSO, Président, Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller, Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO,
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société civile immobilière Maison X. a été constituée entre les époux, M. X. et Mme Y.-X., associés. L'objet social de cette SCI est ainsi énoncé « Gestion en location du patrimoine familial - activité non commerciale de gestion patrimoniale d'un bien immobilier familial ».
Selon offre de prêt du 22 juin acceptée le 22 juillet 2012, la société anonyme (SA) Crédit du Nord a consenti à la SCI Maison X. un prêt immobilier d'un montant de 450.000 euros, présentant les caractéristiques suivantes :
- durée initiale : 180 mois,
- taux d'intérêt annuel : 3,75 % pendant 84 mois, à partir du 85ème mois, le taux devenant révisable, sera calculé sur la base de l'Euribor 3 majoré de 3,629 points dans la limite de 5,30 %,
- taux effectif global (TEG) annuel : 4,940 %,
- taux de période : 0,403 %.
Selon offre de prêt du 15 octobre acceptée le 16 octobre 2013, la SA Crédit du Nord a consenti à la SCI Maison X. un prêt immobilier d'un montant de 100.000 euros, présentant les caractéristiques suivantes :
- durée initiale : 180 mois,
- taux d'intérêt annuel : 2,40 % pendant 36 mois, à partir du 37ème mois, le taux devenant révisable, sera calculé sur la base de l'Euribor 3 majoré de 2,825 points dans la limite de 4,05 %,
- TEG annuel : 4,594 %,
- taux de période : 0,375 %.
Par acte d’huissier délivré le 27 juin 2016, la SCI Maison X. a fait assigner la SA Crédit du Nord devant le tribunal de grande instance de Pontoise afin de voir constater l'ensemble des irrégularités des deux prêts et d'en tirer toutes les conséquences.
Par jugement rendu le 15 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Pontoise a :
- dit que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux deux prêts contractés par la SCI Maison X. en date des 5 juillet 2012 et 16 octobre 2013 ;
- déclaré irrecevable l'action en nullité intentée par la SCI Maison X. ;
- débouté la SCI Maison X. de ses demandes en déchéance du droit aux intérêts concernant le prêt accepté le 5 juillet 2012 ;
- prononcé la déchéance partielle des intérêts du prêt accepté le 16 octobre 2013 ;
- condamné ainsi la SA Crédit du Nord à verser à la SCI Maison X. la somme de 4.000 euros au titre de la déchéance des intérêts ci-dessus prononcée, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
- débouté les parties de toutes autres plus amples demandes ;
- condamné la SA Crédit du Nord à verser à la SCI Maison X. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;
- condamné la SA Crédit du Nord aux entiers dépens.
Le 11 décembre 2018, la SCI Maison X. a interjeté appel de la décision.
[*]
Dans ses conclusions récapitulatives transmises le 11 décembre 2019, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCI Maison X., appelante, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
* déclaré irrecevable son action en nullité,
* prononcé la déchéance partielle des intérêts de la SA Crédit du Nord pour le prêt accepté le 16 octobre 2013, à hauteur de 4.000 euros,
* condamné la SA Crédit du Nord à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a débouté de ses autres demandes,
Et statuant à nouveau,
À titre principal,
- constater que la SA Crédit du Nord a perçu, sans même l'en informer, des excédents indus d'intérêts sur les deux prêts immobiliers qu'elle lui a consentis, ces surcoûts intervenant dès la première échéance de chaque prêt, à hauteur de 42,26 € pour 55 jours d'intérêts du prêt de 450.000 € et de 0,13 € pour deux jours d'intérêts du prêt de 100.000 €,
- constater que les intérêts conventionnels des deux prêts ont été calculés sur la base d'une année de 360 jours, chaque mois étant compté pour 30 jours,
- constater que le taux de période n'est pas mentionné dans l'avenant du 6 juillet 2012, s'agissant de l'offre de prêt acceptée le 5 juillet 2012 relative au crédit immobilier de 450.000 euros,
En conséquence,
- déclarer recevable son action en nullité de la clause d'intérêts conventionnels,
- dire que le taux d'intérêt de chacun des contrats de prêt est vicié par un mode de calcul d'intérêts basé sur un nombre de jours exacts et un diviseur 360 provoquant la dissimulation d'un surcroît d'intérêts au détriment de l'emprunteur,
- dire et juger que la SA Crédit du Nord a méconnu les exigences légales relativement à la mention du taux de période afférent au prêt de 450.000 euros du 5 juillet 2012 en l'empêchant de vérifier la proportionnalité du taux prévu au moment de la formation du contrat de prêt,
- prononcer la nullité de la clause d'intérêts contenue dans les deux actes de prêt liant les parties, et ordonner la substitution au taux d'intérêt conventionnel du taux d'intérêt légal en vigueur au jour de la conclusion des contrats et pendant toute la durée des prêts,
À titre subsidiaire,
- constater que la SA Crédit du Nord n'a pas respecté la règle du délai légal de réflexion de dix jours, s'agissant de l'offre de prêt du 15 octobre 2013 relative au crédit immobilier de 100.000 euros,
En conséquence,
- juger que la violation du délai légal de réflexion porte atteinte à son consentement en entravant l'exercice de son droit à rétractation concernant le prêt de 100.000 euros, souscrit le 16 octobre 2013,
- faisant droit à la demande de déchéance du droit aux intérêts du prêteur, dire que la SA Crédit du Nord ne pourra percevoir les intérêts qu'à hauteur de l'intérêt au taux légal à compter de la conclusion de prêt de 100.000 euros et jusqu'au terme de ce dernier,
En conséquence des sanctions prononcées,
- ordonner pour l'un et pour l'autre des deux prêts, la restitution de l'excédent des intérêts prélevés indûment et le calcul d'une nouvelle échéance dans les conditions suivantes :
* la SA Crédit du Nord devra faire application du taux d'intérêt légal en lieu et place du taux d'intérêt conventionnel, depuis la date de conclusion des contrats et pour toute la durée des prêts, soit le taux légal de 0,71 % l'an pour le prêt souscrit le 5 juillet 2012 et le taux légal de 0,04 % l'an pour le prêt souscrit le 16 octobre 2013,
* s'agissant des intérêts échus d'ores et déjà réglés pour chacun des deux prêts susvisés, la SA Crédit du Nord devra lui restituer les sommes réglées au titre de la clause d'intérêts et correspondant à l'écart entre les sommes dues du fait des taux pratiqués et des sommes dues au titre de l'intérêt au taux légal, selon les décomptes versés aux débats et restant à parfaire, soit :
+ pour le prêt de 450.000 euros, la somme de 48.974,36 euros correspondant à l'excédent d'intérêts perçus, selon décompte arrêté à la date du 5 juin 2016 et toute somme indûment perçue au-delà de l'intérêt légal à partir du 7 juin 2018 jusqu'à l'arrêt à intervenir,
+ pour le prêt de 100.000 euros, la somme de 6.195,06 euros correspondant à l'excédent d'intérêts perçus, selon décompte arrêté à la date du 5 juin 2016 et toute somme indûment perçue au-delà de l'intérêt légal à partir du 7 juin 2018 jusqu'à l'arrêt à intervenir,
* s'agissant des intérêts à échoir, enjoindre à la SA Crédit du Nord d'émettre, pour chacun des deux prêts, un nouveau tableau d'amortissement appliquant le taux d'intérêt légal pour les échéances restant à courir à compter de l'arrêt à intervenir et jusqu'au terme des contrats,
* dire que la production des tableaux d'amortissement rectifiés interviendra sous astreinte de la somme de 100 euros par jour de retard à l'issue du délai d'un mois commençant à courir un mois après la signification du présent arrêt,
- dire que l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la SA Crédit du Nord seront assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance du 27 juin 2016,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- débouter la SA Crédit du Nord de l'ensemble de ses demandes plus amples ou contraires,
- condamner la SA Crédit du Nord à lui payer la somme de 6.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SA Crédit du Nord aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me F.-B., avocat au barreau de Versailles, sur son affirmation de droit.
Au soutien de ses demandes, la SCI Maison X. fait valoir :
- qu'à titre liminaire, elle est une société civile immobilière familiale, constituée d'un couple de deux associés, dont l'objet social est limité à « la propriété, la gestion et plus généralement l'exploitation par bail, location ou tout autre forme d'un seul immeuble » ; que la commune intention des parties aux contrats de prêt était, d'une part, de financer le logement familial des époux associés et non une activité professionnelle et, d'autre part, de soumettre les prêts aux règles protectrices du code de la consommation puisque dans l'offre de prêt du 22 juin 2012 figurent les dispositions issues de l'article L. 312-10 du code de la consommation relatives à la validité de l'offre pour une durée de trente jours à compter de sa réception et que les deux contrats de prêt reproduisent les dispositions de l'article R. 313-1 du code précité,
- que la régulation européenne relative à la distribution de crédit aux consommateurs n'affecte pas le droit des contrats ; que le principe « specialia generalibus derogant » ne peut faire primer la déchéance sur la nullité à titre de sanction dès lors qu' une déchéance ne déroge pas au droit commun, que la loi dite Scrivener est un régime complémentaire au droit commun dont l'application est déclenchée par un rapport de consommation, que le principe précité fait à tort primer la peine de la déchéance sur la sanction de l'obligation générale d'information du consommateur sur les prix et conditions de vente,
- que la SA Crédit du Nord a calculé les intérêts conventionnels des contrats de prêt sur la base d'une année bancaire de 360 jours et non celle d'une année civile de 365 ou 366 jours, de sorte que la banque lui a soumis un taux sciemment erroné qui n'est pas celui de l'offre sur lequel s'est formé l'accord des volontés ; que la majoration dissimulée du montant des intérêts réclamés au titre de la première échéance a nécessairement une incidence sur le montant des intérêts calculés pour les échéances postérieures en ce qu'elle se répercute sur le calcul de la part d'amortissement du crédit à chaque échéance, de sorte que le tableau d'amortissement est erroné ; que dès lors, le contrat ne s'est pas valablement formé en l'absence de son consentement au calcul sur 360 jours par la banque et aux intérêts du prêt,
- qu'elle ne prétend pas que l'application de l'année de 360 jours pour le calcul des intérêts conventionnels aurait eu pour effet de vicier l'exactitude du taux effectif global,
- qu'elle a été privée de la possibilité de vérifier le caractère proportionnel du taux effectif global puisque le taux de période n'a pas été indiqué dans l'avenant au contrat du 5 juillet 2012 ; que dès lors, l'inexactitude de la mention du TEG, résultant du défaut d'indication du taux de période, équivaut à une absence de mention sanctionnée par la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel prévu ; qu'ainsi, elle n'a pu valablement consentir au coût global du crédit de 450.000 euros,
- qu’à titre subsidiaire, le délai de réflexion légal de dix jours avant l'acceptation de l'offre de prêt en date du 16 octobre 2013 d'un montant de 100.000 euros n'a pas été respecté ; qu' en l'espèce, l'offre de prêt qui est datée du 15 octobre 2013, lui a été remise en mains propres le 16 octobre 2013 et a été acceptée le même jour ; qu' il y a lieu de prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque et de la condamner à la seule perception des intérêts au taux légal depuis le début du contrat.
[*]
Dans ses conclusions comportant un appel incident, transmises le 12 décembre 2019, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA Crédit du Nord, intimée, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* dit que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux deux prêts contractés par la SCI Maison X. en date des 5 juillet 2012 et 16 octobre 2013,
* prononcé la déchéance partielle des intérêts du prêt accepté le 16 octobre 2013,
* condamné la banque à verser à la SCI Maison X. la somme de 4.000 euros à ce titre,
* condamné la banque à verser à la SCI Maison X. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions,
- débouter la SCI Maison X. de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SCI Maison X. à lui payer une indemnité de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCI Maison X. aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la SA Crédit du Nord fait valoir :
- que les contrats de prêt ont été conclus pour les besoins de l'activité professionnelle de la SCI Maison X., qui n'a modifié son objet social qu'en juillet 2017, et ne peut donc prétendre à l'application des dispositions du code de la consommation,
- que les deux rapports techniques versés aux débats par la SCI Maison X. sont dénués de force probante en ce qu'ils n'ont pas été établis contradictoirement ; que de plus, la méthode de calcul est erronée pour le rapport de M. H. en ce qu'il utilise le mois normalisé pour les années bissextiles ; que le caractère erroné du TEG ne peut se déduire du seul fait que le taux de période n'a pas été mentionné dans la lettre du 6 juillet 2012 ; qu' en effet, cette lettre ne saurait être qualifiée d'offre de crédit ; que l'acte notarié fait mention du taux de période ; qu' à supposer que les TEG mentionnés dans les contrats de prêt litigieux ne soient pas proportionnels aux taux de période, les TEG allégués par la SCI Maison X. sont, en tout état de cause, inférieurs aux TEG affichés, de sorte que l'erreur alléguée n'a pu venir au détriment de l'emprunteur ; qu' elle a calculé les intérêts mensuels sur la base d'une année civile et d'un mois normalisé,
- que les contrats de prêt contenant une clause expresse les excluant du bénéfice des dispositions du code de la consommation relatives aux prêts immobiliers, elle n'avait pas à faire application du délai de réflexion prescrit par l'ancien article L. 312-10 du code de la consommation ; qu’en tout état de cause, la sanction du non-respect dudit délai est la nullité du contrat de prêt dans son intégralité en ce qu'il s'agit d'une condition de fond, et non la déchéance de son droit aux intérêts,
- que l'emprunteur ne démontre pas que le caractère prétendument erroné des TEG mentionnés dans les contrats de prêt lui a causé un préjudice justifiant la perte, totale ou partielle, par le prêteur de son droit aux intérêts au taux contractuel ; que si l'emprunteur peut prétendre au remboursement de la somme correspondant à la différence entre le montant des intérêts calculés sur la base d'une année de 360 jours et celle d'une année de 365 jours, il n'en établit pour autant pas le montant exact ; que la substitution du taux d'intérêt conventionnel par le taux d'intérêt légal en vigueur au cours des années 2012 et 2013 constitue une sanction contraire au principe de proportionnalité.
[*]
La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 décembre 2019 et l'audience de plaidoiries fixée au 30 janvier 2020.
Pendant le cours du délibéré prorogé, et plus exactement le 26 août 2020, la SCI Maison X. a adressé à la cour une note en délibéré par laquelle :
- entendant faire constater que des faits juridiques nouveaux de nature à influer sur le dispositif de l'arrêt à intervenir sont nés après la mise en délibéré,
- pris en ce que d'une part « depuis le 10 juin 2020 la Cour de cassation applique aux affaires en cours et antérieures à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 une sanction de déchéance des intérêts identique à celle prévue par cette dernière », et d'autre part « en ce que le Gouvernement et la Commission européenne proposent d'interpréter le droit communautaire en faveur d'un TAEG inexact, quelle que soit la décimale sur laquelle siège l'erreur »,
- elle demande principalement, que soit reconnu à la présente note valeur de dispositif additionnel régulièrement déposé opérant pour les deux prêts litigieux, demandes infiniment subsidiaires de déchéance totale des intérêts à titre de sanction efficace, proportionnée et dissuasive, recevables pour n'être pas nouvelles en ce qu'elles prétendent à la privation des intérêts du prêteur,
- elle sollicite subsidiairement que soit ordonnée la réouverture des débats afin de permettre aux parties de conclure contradictoirement sur ces éléments nouveaux.
En réponse à cette note en délibéré la SA Crédit du Nord, par lettre du 31 août 2020 reçue à la cour le 1er septembre, oppose en premier lieu son irrecevabilité manifeste au regard des dispositions légales, en deuxième lieu son caractère nouveau comme ne tendant pas aux mêmes fins que la demande de nullité de la stipulation d'intérêts formulée par la SCI Maison X. devant la cour, et souligne enfin que la question de la sanction applicable était dans le débat, le jugement ayant d'ailleurs retenu celle de la déchéance du droit aux intérêts, comme elle le soutient devant la cour, déchéance du droit aux intérêts non pas totale mais dans la proportion fixée par le juge.
Si, par extraordinaire, la cour estimait devoir admettre la note en délibéré, elle fait réserve d'une nécessaire réouverture des débats pour permettre aux parties de faire valoir leurs arguments dans le strict respect du contradictoire.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la note en délibéré :
Il convient de rappeler que les dispositions de l'article 445 du code de procédure civile ne permettent aux parties de déposer une note en délibéré que dans deux cas limitativement énumérés, à savoir : en vue de répondre aux arguments développés par le Ministère public ou à la demande du président d'audience.
La note en délibéré déposée par la société Maison X. le 26 août 2020 ne répond à aucun de ces deux préalables.
Partant, elle est manifestement irrecevable et sera écartée des débats, ce d'autant qu'elle est nouvelle, la SCI Maison X. n'ayant pas estimé utile, pendant l'instruction de l'instance d'appel, de formuler une demande subsidiaire de déchéance totale du droit aux intérêts afférents au prêt principal avant la clôture des débats.
Sur l'application des dispositions du code de la consommation aux deux prêts conclus entre la SCI Maison X. et la SA Crédit du Nord :
L'article L. 312-3 (devenu L. 313-2) du code de la consommation applicable au présent litige, dispose en son 2° que « sont exclus du champ d'application du chapitre sur le crédit immobilier à la consommation les prêts destinés sous quelque forme que ce soit à financer une activité professionnelle, notamment celles des personnes physiques ou morales qui à titre habituel, même accessoire à une autre activité ou en vertu de leur objet social, procurent, sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d'immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance ».
La SA Crédit du Nord critique le jugement dont appel en ce qu'il a admis la qualité de non-professionnelle de la SCI Maison X. et argue du fait ce n'est qu'au mois de juillet 2017 que la SCI Maison X. a modifié son objet social en pouvant ainsi revendiquer, mais seulement à compter de cette date, un caractère familial.
La société Maison X. soutient qu'elle mène une activité se limitant à la souscription de crédits qui n'est pas récurrente et non une activité commerciale et que les prêts litigieux ont été souscrits afin d'acquérir et de rénover leur résidence principale.
Il convient de considérer que la destination professionnelle d'un crédit ne peut résulter que d'une stipulation expresse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Il résulte, en effet, de l'extrait Kbis à jour au 20 juillet 2017 que la société civile immobilière Maison X. a été immatriculée au 15 avril 2011 et que son objet social est ainsi défini : « gestion en location du patrimoine familial, activité non commerciale de gestion patrimoniale d'un bien immobilier familial et des statuts de la SCI modifiés au 1er septembre 2013, que l'objet social de l'appelante est la gestion du patrimoine familial (...) dans un but non commercial » et notamment de la maison servant à l'habitation principale des deux associés de la SCI, M. et Mme G., titulaires par moitié des parts sociales, qui ne peuvent être cédées qu'entre membres de la même famille, parents et enfants. La SCI est, en outre, statutairement immatriculée ne tant que société « translucide » et n'est pas assujettie à l'impôt sur les sociétés.
En l'absence d'activité commerciale démontrée de la SCI Maison X., celle-ci doit, par conséquent, être considérée comme un non-professionnel susceptible de se prévaloir des dispositions protectrices du code de la consommation et le jugement sera confirmé en ce qu'il a admis que les dispositions du code de la consommation, en son livre troisième, chapitre II et par extension chapitre III sont applicables aux deux prêts de 450.000 € et 100.000 € consentis à la SCI Maison X.
Sur la recevabilité de l'action en nullité de la stipulation d'intérêts :
Aux termes de l'article L. 312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur à la date du prêt, le prêteur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues à l'article L. 312-8, lequel renvoie, concernant le TEG, aux prescriptions de l'article L. 313-1 du même code en définissant le contenu, pourra être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
Ce texte prévoit donc, pour les prêts immobiliers aux particuliers soumis aux articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, une sanction spéciale qui déroge à la sanction générale de la nullité prévue par l'article 1907 du code civil, conformément à l'adage « specialia generalibus derogant ».
Ainsi, l'emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d'ordre public des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, disposer d'une option entre nullité ou déchéance. Au vu de l'énumération, au demeurant non exhaustive, des fins de non-recevoir ressortant de l'article 122 du code de procédure civile, il y a lieu de considérer que son droit d'agir est légalement limité à la demande de la déchéance totale ou partielle des intérêts conventionnels.
L'action en nullité de la stipulation d'intérêts est par conséquent irrecevable, qu'elle soit fondée sur l'irrégularité du taux effectif global ou sur le prétendu recours à une autre référence que l'année civile pour le calcul de l'intérêt conventionnel, et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en nullité de la stipulation d'intérêts.
Sur l'action en déchéance du droit aux intérêts circonscrite à la sanction de la violation du délai de réflexion :
La SCI Maison X. ne forme au titre de cette action en appel, et dans ses dernières conclusions qui seules saisissent la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, qu'une demande subsidiaire en déchéance du prêteur de son droit aux intérêts résultant du non-respect du délai légal de réflexion en raison de la présentation de l'offre, le 15 octobre 2013, et de son acceptation, le 16 octobre 2013, par la société Maison X.
Or la seule sanction du défaut de respect du délai de réflexion prévu par l'article L. 312-10 du code de la consommation applicable est la nullité relative du contrat, ainsi que cela résulte, d'ailleurs, de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 7 novembre 2018, pourvoi n° 16-21226).
Le jugement est infirmé en ce qu'il a prononcé la déchéance partielle du droit aux intérêts de la banque en raison du non-respect du délai légal de réflexion.
Force est, incidemment, de relever que l'appelante n'agit pas, à titre subsidiaire, devant la cour en déchéance du droit aux intérêts mais en nullité de la stipulation d'intérêts, seule sanction qu'elle poursuit en se prévalant du défaut de mention du taux de période dans la lettre du 6 juillet 2012 valant avenant à l'offre de prêt signée le 5 juillet 2012, du recours à l'année dite lombarde comme base de calcul des intérêts conventionnels ou encore de l'erreur affectant le taux effectif global du prêt.
Par ailleurs, il convient de relever que le nouveau moyen invoqué en appel visant à la reconnaissance d'une clause abusive relative au calcul des intérêts, ne fait pas l'objet d'une demande de déchéance du droit aux intérêts et il n'y a, dès lors, pas lieu de statuer.
Sur les demandes accessoires :
Il résulte de ce qui précède que le jugement doit être infirmé en ses dispositions relatives aux frais de procédure et aux dépens.
En cause d'appel, l'équité commande de condamner la SCI Maison X. à verser à la société intimée la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCI Maison X. qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
REJETTE la note en délibéré non autorisée adressée par la SCI Maison X. à la cour le 26 août 2020 ;
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a prononcé la déchéance partielle des intérêts du prêt accepté le 16 octobre 2013 et condamné ainsi la SA Crédit du Nord à verser à la SCI Maison X. la somme de 4.000 euros au titre de la déchéance des intérêts avec intérêts au taux légal et sauf en ses dispositions relatives aux frais de procédure et aux dépens, et, statuant à nouveau ;
REJETTE la demande de déchéance partielle des intérêts du prêt accepté le 16 octobre 2013 fondée sur le défaut de respect du délai de réflexion ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la SCI Maison X. à verser à la société Crédit du Nord la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCI Maison X. aux entiers dépens de première instance et d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Christine MASSUET, Conseiller, pour le Président empêché et par Monsieur Antoine DEL BOCCIO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
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