CA RENNES (3e ch. com.), 8 décembre 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 8703
CA RENNES (3e ch. com.), 8 décembre 2020 : RG n° 17/08013 ; arrêt n° 514
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Cependant et ainsi que le tribunal l'a justement observé, l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation ne s'applique qu'aux « contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs », alors qu'en l'espèce, la SARL, en sa qualité d'expert-comptable, ne saurait être considérée comme « non-professionnel » au sens de la loi, alors par ailleurs qu'il n'est pas contesté qu'elle a contracté les contrats litigieux, afférents à la garantie et à la maintenance de trois photocopieurs professionnels, pour les seuls besoins de cette activité.
A cet égard, il est sans importance, pour déterminer si la SARL peut ou non se prévaloir de la protection prévue à l'article L. 132-1, que la société n'ait pas eu de compétence particulière en matière d'utilisation ou de maintenance de photocopieurs, dès lors seulement qu'il est établi qu'elle a bien souscrit les contrats litigieux à l'occasion de son activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci.
Ainsi et dans la mesure où la SARL ne peut pas bénéficier des dispositions précitées, il n'y a pas lieu de rechercher si la clause litigieuse présente ou non un caractère abusif au sens de l'article L. 132-1. »
2/ « Sur la demande de dommages-intérêts formée sur le fondement de l'article L. 442-6.2° ancien du code de commerce : Il résulte des dispositions de l'article D 442-3 du même code, et la SARL le reconnaît elle-même, que la cour d'appel de Rennes n'a pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur cette demande qui, par ailleurs, est divisible des autres demandes dont la cour est saisie. Il convient en conséquence de renvoyer la SARL à se pourvoir devant la juridiction compétente. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
TROISIÈME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 8 DÉCEMBRE 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 17/08013. Arrêt n° 514. N° Portalis DBVL-V-B7B-OMSH.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, rapporteur,
GREFFIER : Mme Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 26 octobre 2020 devant Monsieur Dominique GARET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 8 décembre 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTE :
COPY CONCEPT
immatriculée au RCS de RENNES sous le n° XXX prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité au siège, [...], [...], [...], Représentée par Maître Karima B., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
CABINET D'EXPERTISE COMPTABLE X.
immatriculée au RCS de SAINT MALO sous le n° YYY, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège, [...], [...], Représentée par Maître Xavier-Pierre N. de la SELARL K.-LE G.-N., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 15 janvier 2010, la SARL Cabinet d'Expertise Comptable X. (ci-après la SARL) faisait l'acquisition de trois photocopieurs auprès de la société Copy Concept.
Le même jour, la SARL souscrivait, toujours auprès de la société Copy Concept, six contrats de maintenance et de garantie des photocopieurs pour une durée de 72 mois, soit jusqu'au 14 janvier 2016.
Le 30 octobre 2014, la SARL notifiait à la société Copy Concept la résiliation des six contrats à effet du 1er janvier 2015.
Le 3 mars 2015, la société Copy Concept réclamait à sa cliente le paiement d'une somme totale de 9.491,67 € à titre d'indemnité de résiliation anticipée des six contrats, et ce conformément aux stipulations de l'article 16.2 des conditions générales convenues entre les parties.
La SARL refusant de régler cette indemnité, la société Copy Concept déposait à son encontre une requête en injonction de payer à laquelle il était fait droit par ordonnance du président du tribunal de commerce de Saint-Malo en date du 29 août 2016.
La SARL ayant formé opposition à cette ordonnance, l'affaire était renvoyée devant le tribunal.
A l'appui de son opposition, la SARL soulevait alors plusieurs moyens, notamment :
- à titre principal, le caractère abusif, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure au 14 mars 2016, de la clause prévoyant l'indemnité de résiliation réclamée ;
- à titre subsidiaire, son caractère abusif et contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, en ce qu'elle avait pour objet de soumettre la SARL à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la SARL engageant en conséquence la responsabilité de la société Copy Concept pour que soit prononcée, après compensation avec les dommages-intérêts à revenir à la SARL, la décharge intégrale de celle-ci, à tout le moins que l'indemnité laissée à sa charge ne puisse excéder 15 % de la somme réclamée par la société Copy Concept ;
- en tout état de cause, la nécessité de requalifier la clause litigieuse en clause pénale afin de la réduire, eu égard à son caractère manifestement excessif, à une indemnité qui ne puisse excéder 15 % de la somme réclamée.
Par jugement du 24 octobre 2017, le tribunal :
- recevait la SARL en son opposition à l'ordonnance d'injonction de payer ;
- statuant à nouveau, condamnait la SARL à payer à la société Copy Concept une somme de 1.621,55 € TTC avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2016 ;
- déboutait les parties du surplus de leurs demandes, y compris sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- partageait les dépens par moitié.
Pour ce faire, le tribunal, après avoir écarté la notion de clause abusive au sens de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation, devait retenir en revanche que l'indemnité réclamée avait la nature d'une clause pénale qui était manifestement excessive eu égard à l'absence d'investissement de la société Copy Concept, les premiers juges l'ayant en conséquence réduit la somme réclamée pour tenir compte du préjudice réellement subi par la société Copy Concept du fait de la résiliation anticipée des contrats.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 20 novembre 2017, la société Copy Concept interjetait appel de cette décision.
L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 17 février 2018, l'intimée les siennes le 15 mai 2018.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 1er octobre 2020.
Par avis en date du 20 novembre 2020, la cour invitait les parties à faire valoir leurs observations, en cours de délibéré, sur son éventuel défaut de pouvoir, au regard des dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce, pour statuer sur les demandes de dommages-intérêts et de compensation formées à titre subsidiaire par la SARL sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° ancien du même code.
Par note en délibéré du 26 novembre 2020, la SARL rappelait que le tribunal n'avait pas statué sur cette demande subsidiaire, et sollicitait finalement de la cour qu'elle statue elle-même dans les seules limites de son pouvoir juridictionnel.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Copy Concept demande à la cour de :
Vu les articles 1104 et 1231-1 du code civil,
- réformer le jugement en ce qu'il a réduit la somme à laquelle la SARL devait être condamnée à 1.621,65 € TTC au lieu de 9.491,67 € TTC ;
- débouter la SARL de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions ;
- confirmer l'ordonnance d'injonction de payer du 29 août 2016 ;
En conséquence,
- condamner la SARL à payer à la société Copy Concept la somme de 9.491,67 € TTC, à titre d'indemnité de résiliation, avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2016 ;
- condamner la SARL à payer à la société Copy Concept une somme de 2.000 € du fait du caractère abusif de la procédure ;
- la condamner encore au paiement d'une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner enfin aux entiers dépens de l'instance.
[*]
Au contraire, la SARL demande à la cour de :
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure au 14 mars 2016,
Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,
- rejeter comme non fondé l'appel de la société Copy Concept ;
- recevoir l'appel incident de la SARL et le déclarant fondé,
A titre principal,
- constater la qualité de non professionnel de la SARL ;
- dire que la clause prévoyant l'indemnité de résiliation anticipée est abusive et la déclarer non écrite ;
- reformer le jugement entrepris ;
- débouter la société Copy Concept de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la société Copy Concept a engagé sa responsabilité pour avoir soumis la SARL à un déséquilibre significatif ;
- réformer le jugement entrepris ;
- condamner la société Copy Concept à payer à la SARL des dommages et intérêts d'un montant équivalent à toutes sommes mises à sa charge ;
- ordonner la compensation ;
En tout état de cause,
- confirmer le jugement en ce qu'il analyse l'indemnité de résiliation comme une clause pénale et use de son pouvoir de révision, sauf à réduire ladite indemnité dans de plus justes proportions qui ne sauraient excéder 15 % de la facturation restant à courir ;
- débouter la société Copy Concept de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
- condamner la société Copy Concept à payer à la SARL la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le moyen tiré du caractère abusif, au sens des dispositions de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation, de la clause litigieuse :
Considérant que la clause insérée à l'article 16.2 des conditions générales convenues entre les parties est abusive au sens de l'article L. 132-1 en ce qu'elle « créée, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », la SARL demande à la cour de la réputer non écrite, et par suite, de débouter la société Copy Concept de toute demande à ce titre.
Cependant et ainsi que le tribunal l'a justement observé, l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation ne s'applique qu'aux « contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs », alors qu'en l'espèce, la SARL, en sa qualité d'expert-comptable, ne saurait être considérée comme « non-professionnel » au sens de la loi, alors par ailleurs qu'il n'est pas contesté qu'elle a contracté les contrats litigieux, afférents à la garantie et à la maintenance de trois photocopieurs professionnels, pour les seuls besoins de cette activité.
A cet égard, il est sans importance, pour déterminer si la SARL peut ou non se prévaloir de la protection prévue à l'article L. 132-1, que la société n'ait pas eu de compétence particulière en matière d'utilisation ou de maintenance de photocopieurs, dès lors seulement qu'il est établi qu'elle a bien souscrit les contrats litigieux à l'occasion de son activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci.
Ainsi et dans la mesure où la SARL ne peut pas bénéficier des dispositions précitées, il n'y a pas lieu de rechercher si la clause litigieuse présente ou non un caractère abusif au sens de l'article L. 132-1.
Sur la demande de dommages-intérêts formée sur le fondement de l'article L. 442-6.2° ancien du code de commerce :
Il résulte des dispositions de l'article D 442-3 du même code, et la SARL le reconnaît elle-même, que la cour d'appel de Rennes n'a pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur cette demande qui, par ailleurs, est divisible des autres demandes dont la cour est saisie.
Il convient en conséquence de renvoyer la SARL à se pourvoir devant la juridiction compétente.
Sur les demandes tendant à la requalification de la clause litigieuse en clause pénale et à la modération de celle-ci :
La clause litigieuse prévoit qu'en cas de résiliation anticipée du contrat, le client sera redevable envers la société Copy Concept d'une indemnité égale à 95 % du volume de copies le séparant de l'échéance normale d'expiration du contrat, ce volume étant calculé sur la base du nombre de copies réalisées au cours des douze mois précédant la résiliation.
A cet égard, l'article 16.2 justifie cette indemnité par le fait que « le présent contrat, tant par sa durée que par les matériels et les logiciels entretenus, ont été à l'origine de l'engagement par Copy Concept de personnels hautement qualifiés et du maintien en stock de pièces détachées et de consommables afin de faire face à ses obligations contractuelles ».
Si cette indemnité n'est pas contestable dans son principe, en revanche elle ne saurait être qualifiée de « clause de dédit » au sens de celle qui permettrait à la SARL de se libérer unilatéralement de ses engagements, alors au contraire que son mode de calcul est tellement défavorable au client qu'il aboutit à la fixation d'une indemnité d'un montant quasiment équivalent à la somme que le client aurait payé s'il avait mené le contrat jusqu'à son terme, le privant de facto de tout intérêt à résilier le contrat par anticipation.
Ainsi, la clause litigieuse constitue en réalité une clause pénale, au sens des articles 1152 et 1226 du code civil qui la définissent comme celle par laquelle l'une des parties, pour assurer l'exécution de ses obligations, s'engage à payer à l'autre partie une certaine somme à titre de dommages-intérêts.
Cette clause est donc susceptible d'être modérée par le juge dès lors qu'elle s'avère manifestement excessive, notamment au regard des préjudices réellement subis par la partie qui s'en prévaut.
Or, en l'espèce, la cour observe, à l'instar des premiers juges, qu'alors que la SARL s'était contractuellement engagée pour une durée de 72 mois, elle a résilié ses contrats à l'issue de 59 mois de prestation, ayant ainsi exécuté ses obligations contractuelles à hauteur de quelques 82 %.
Par ailleurs et quand bien même la SARL n'aurait pas résilié ces contrats par anticipation, la société Copy Concept n'avait aucune garantie que sa cliente aurait continué à utiliser les photocopieurs dans les mêmes proportions que précédemment, alors qu'il faut encore rappeler que l'indemnité réclamée a été calculée sur la base de 95 % du nombre de copies réalisées au cours des douze mois précédant la résiliation.
De même, la cour observe que la société Copy Concept ne justifie pas de la réalité des investissements qu'elle dit avoir réalisés pour assurer la garantie et la maintenance des photocopieurs jusqu'au terme initialement prévu des contrats, alors qu'il convient encore de rappeler que la SARL a exécuté ses propres obligations à près de 82 % de la durée initialement prévue.
Il résulte de ce qui précède que le montant de l'indemnité réclamée, qui s'analyse en une clause pénale, est manifestement excessif au regard des préjudices réellement subis par la société Copy Concept.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a limitée à la somme de 1.621,65 € TTC qui correspond à la réalité du préjudice subi par la société Copy Concept.
Sur les autres demandes :
Le refus par la SARL de régler la somme réclamée ne présentant pas un caractère abusif, alors au surplus qu'elle a exécuté la décision de première instance en ce qu'elle était assortie de l'exécution provisoire, la société Copy Concept sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts complémentaires.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté les deux parties de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, la cour en décidant de même s'agissant des demandes formées au titre de ceux exposés en cause d'appel.
Le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a partagé par moitié les dépens de première instance.
En revanche, partie perdante en appel, la société Copy Concept supportera seule les dépens en résultant.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
- y ajoutant,
* renvoie la SARL Cabinet d'Expertise Comptable X. à se pourvoir devant la juridiction compétente pour statuer sur sa demande de dommages-intérêts fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6.2° du code de commerce ;
* déboute la société Copy Concept du surplus de ses demandes, ainsi que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
* déboute la SARL Cabinet d'Expertise Comptable X. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
* condamne la société Copy Concept aux dépens de la procédure d'appel.
Le greffier Le président
- 5860 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de non professionnel - Personnes morales (avant la loi du 17 mars 2014) - Clauses abusives - Protection implicite
- 5880 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Critères - Clauses abusives - Critères alternatifs : compétence
- 5947 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Activité administrative - Reprographie : présentation globale
- 6242 - Code de commerce (L. 442-1-I-2° C. com. - L. 442-6-I-2° ancien) - Régime de l’action - Compétence territoriale