CA DOUAI (3e ch.), 16 septembre 2021
CERCLAB - DOCUMENT N° 9121
CA DOUAI (3e ch.), 16 septembre 2021 : RG n° 20/03301 ; arrêt n° 21/377
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Alors que la cour n'est pas tenue par la qualification formellement retenue par le contrat, il lui incombe au contraire de procéder à la requalification d'une condition de garantie en exclusion de garantie, si la forme et la portée de la clause litigieuse permettent de l'analyser comme une clause d'exclusion indirecte de la garantie. À cet égard, alors que la condition de garantie affecte l'obligation de couverture et suppose une extériorité par rapport au risque couverte, l'exclusion de garantie affecte l'obligation de règlement et est inhérente au sinistre.
La clause qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque s'analyse en une clause d'exclusion de garantie.
La clause d'exclusion a pour objet d'exclure un risque particulier de la garantie dans le champ de laquelle il se trouve normalement inclus. Ainsi, pour qu'il y ait risque exclu d'une garantie, il est nécessaire d'une part que l'élément visé soit soumis à l'événement aléatoire dont le souscripteur entend se prémunir, d'autre part que cet élément ait vocation à être garanti à défaut de toute précision contraire.
En l'espèce, la clause litigieuse stipule que la garantie « incapacité totale de travail » est due en cas d'impossibilité de l'assuré d'exercer une activité professionnelle, même partielle. Dans un premier temps, ce sinistre a donné lieu à indemnisation de Mme Y., qui remplissait les conditions requises. Cette obligation de couverture a cessé, dans un second temps, après que l'assureur a estimé que Mme Y. était en capacité d'exercer une activité professionnelle, même partielle, à l'issue d'un contrôle médical contractuellement prévu.
La clause litigieuse, qui détermine l'objet du contrat, ne s'analyse pas en une exclusion indirecte de risque. »
2/ « En application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. […] L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat […] pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En l'espèce, la clause litigieuse ne peut être qualifiée d'abusive puisque :- d'une part, elle fixe les conditions de la garantie et constitue par conséquent l'objet principal du contrat ;
- d'autre part, si la clause litigieuse limite la garantie à l'hypothèse d'une absence totale de capacité à travailler, y compris dans des domaines étrangers à celui dans lequel s'exerçait l'activité professionnelle de l'assuré avant le sinistre, elle est toutefois claire et compréhensible, même pour un consommateur n'ayant pas une expérience en matière d'assurance, alors que les différentes garanties répondent à des situations distinctes et sont exposées sans ambiguïté dans le contrat. Seule l'analyse fallacieuse par son conseil de cette clause, qui déforme plus généralement les termes contractuels, est en réalité incompréhensible. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2021
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 20/03301. Arrêt n° 21/377. N° Portalis DBVT-V-B7E-TFAV. Jugement (R.G. n° 17/04352) rendu le 16 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune.
APPELANTE :
Madame X épouse Y.
née le [date] à [ville], de nationalité française, [adresse], [...], Représentée par Maître Catherine C.-D., avocat au barreau de Douai et Me Patricia C. D., avocat au barreau de Lille
INTIMÉE :
SA CNP Assurances
[...], [...], Représentée par Maître Brigitte C.-D., avocat au barreau de Béthune
DÉBATS à l'audience publique du 17 juin 2021 tenue par Guillaume Salomon magistrat chargé d'instruire le dossier qui, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Guillaume Salomon, président de chambre, Sara Lamotte, conseiller, Claire Bertin, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 septembre 2021 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 10 mai 2021
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
Le 13 décembre 2007, Mme X. épouse Y. a adhéré à un contrat d'assurance groupe souscrit par la Caisse d'épargne Nord France Europe auprès de la CNP Assurances pour permettre la prise en charge par l'assureur des échéances d'un prêt immobilier en cas de décès, perte totale et irréversible d'autonomie et incapacité totale de travail.
En arrêt de travail depuis le 16 mars 2013, elle a sollicité la mise en œuvre de la garantie incapacité totale de travail.
La CNP Assurances l'a indemnisée à ce titre du 14 juin 2013, correspondant à l'expiration du délai de franchise de 90 jours, jusqu'au 27 février 2017.
A l'issue d'un contrôle médical, la CNP Assurances a interrompu cette prise en charge à compter du 28 février 2017, estimant que son assurée ne remplissait plus les conditions de la garantie.
Par jugement du 31 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Béthune a ordonné avant-dire droit une expertise médicale de Mme Y.
L'expert S. a déposé son rapport le 20 août 2019.
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 16 juin 2020, le tribunal judiciaire de Béthune a :
- débouté Mme Y. de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné Mme Y. aux dépens et à payer la CNP Assurance la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
3. La déclaration d'appel :
Par déclaration du 25 août 2020, Mme Y. a formé appel de l'intégralité du dispositif de ce jugement.
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 novembre 2020, Mme X. demande à la cour d'infirmer totalement le jugement critiqué, et, statuant à nouveau de :
- constater son incapacité totale de travail ;
- dire et juger que la CNP assurances doit garantir son préjudice et en conséquence prendre en charge les échéances mensuelles du prêt immobilier ;
- condamner en conséquence la CNP Assurances à lui payer les sommes échues depuis le 27 février 2017, soit la somme de 33.505,18 euros ;
- condamner la CNP Assurances à lui payer les sommes à échoir au titre des échéances du prêt, soit la somme de 4.201,86 euros (montant à parfaire)
- la condamner à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Maître C.
A l'appui de ses prétentions, Mme Y. fait valoir que :
- en dépit des éléments produits par les parties, un doute subsiste sur son état de santé, en l'absence de preuve rapportée par l'assureur d'une aptitude professionnelle ayant vocation à mettre un terme à la mise en œuvre de la garantie : ce doute doit lui profiter, au regard des «'zones d'ombre'» soulevées par le rapport de l'expert judiciaire et par ses contradictions, alors qu'elle produit un certificat médical émanant du docteur W. attestant son incapacité à reprendre une activité professionnelle quelconque, même partielle. Elle invoque en outre son statut d'invalide catégorie 2, excluant toute activité professionnelle, ainsi que l'avis du médecin du travail que les premiers juges n'ont pas valablement appréciés « contre toute attente ».
- la clause prévoyant que la garantie « incapacité totale de travail » n'a vocation à intervenir que dans l'hypothèse d'une « impossibilité médicalement constatée d'exercer une activité professionnelle à temps plein ou partiel » « doit être considérée comme une exclusion substantielle de garantie dont le caractère abusif est indiscutable ». Sur ce point, elle indique avoir souscrit le contrat pour garantir les conséquences qui découleraient de son impossibilité complète ou partielle d'exercer son activité de préparatrice en pharmacie, et non une autre activité.
- les clauses visant l'ITT et l'IPA excluent toutes les deux la possibilité d'exercer une activité professionnelle et se confondent.
- la clause relative à l'ITT est floue et équivoque.
4.2. Aux termes de ses conclusions notifiées le 19 février 2021, la CNP Assurances demande à la cour de confirmer le jugement critiqué et subsidiairement, préciser que toute condamnation à une prise en charge des échéances du prêt ne pourra être prononcée que dans les termes et limites contractuels et au profit de l'organisme prêteur, bénéficiaire du contrat d'assurance.
Elle demande de condamner Mme Y. à lui payer 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles, outre sa condamnation aux dépens et aux sommes visées par l'article 10 du décret du 8 mars 2001.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir que :
- Mme Y. ne remplit pas les conditions de la garantie incapacité totale de travail, dès lors qu'elle a la capacité d'exercer une activité professionnelle, même partielle ;
- Mme Y. doit supporter la charge de la preuve qu'elle remplit les conditions d'état de santé répondant à la définition contractuelle de cette garantie. À cet égard, elle n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les conclusions du rapport établi par le docteur S.
- La clause litigieuse est valable, dès lors que les garanties ne sont pas confondues, mais complémentaires.
[*]
Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants :
Sur la requalification en clause d'exclusion de garantie :
Alors que la cour n'est pas tenue par la qualification formellement retenue par le contrat, il lui incombe au contraire de procéder à la requalification d'une condition de garantie en exclusion de garantie, si la forme et la portée de la clause litigieuse permettent de l'analyser comme une clause d'exclusion indirecte de la garantie. À cet égard, alors que la condition de garantie affecte l'obligation de couverture et suppose une extériorité par rapport au risque couverte, l'exclusion de garantie affecte l'obligation de règlement et est inhérente au sinistre.
La clause qui prive l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque s'analyse en une clause d'exclusion de garantie.
La clause d'exclusion a pour objet d'exclure un risque particulier de la garantie dans le champ de laquelle il se trouve normalement inclus. Ainsi, pour qu'il y ait risque exclu d'une garantie, il est nécessaire d'une part que l'élément visé soit soumis à l'événement aléatoire dont le souscripteur entend se prémunir, d'autre part que cet élément ait vocation à être garanti à défaut de toute précision contraire.
En l'espèce, la clause litigieuse stipule que la garantie « incapacité totale de travail » est due en cas d'impossibilité de l'assuré d'exercer une activité professionnelle, même partielle. Dans un premier temps, ce sinistre a donné lieu à indemnisation de Mme Y., qui remplissait les conditions requises. Cette obligation de couverture a cessé, dans un second temps, après que l'assureur a estimé que Mme Y. était en capacité d'exercer une activité professionnelle, même partielle, à l'issue d'un contrôle médical contractuellement prévu.
La clause litigieuse, qui détermine l'objet du contrat, ne s'analyse pas en une exclusion indirecte de risque.
Sur le caractère abusif de la clause :
En application de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. […] L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat […] pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
En l'espèce, la clause litigieuse ne peut être qualifiée d'abusive puisque :
- d'une part, elle fixe les conditions de la garantie et constitue par conséquent l'objet principal du contrat ;
- d'autre part, si la clause litigieuse limite la garantie à l'hypothèse d'une absence totale de capacité à travailler, y compris dans des domaines étrangers à celui dans lequel s'exerçait l'activité professionnelle de l'assuré avant le sinistre, elle est toutefois claire et compréhensible, même pour un consommateur n'ayant pas une expérience en matière d'assurance, alors que les différentes garanties répondent à des situations distinctes et sont exposées sans ambiguïté dans le contrat. Seule l'analyse fallacieuse par son conseil de cette clause, qui déforme plus généralement les termes contractuels, est en réalité incompréhensible.
Sur les conditions de la garantie :
* Au regard des conclusions divergentes des experts respectivement mandatés en 2017 par la CNP Assurances (le docteur C.) et par l'assureur de protection juridique de Mme Y. (le docteur W.), une expertise judiciaire a d'une part été ordonnée, pour permettre à la juridiction de disposer d'une mesure d'instruction présentant des garanties d'indépendance réelle dans l'élaboration d'un avis technique destiné à éclairer la juridiction.
Les conclusions fournies en juillet 2019 par l'expert judiciaire sont parfaitement claires : elles indiquent que l'état de santé de Mme Y. est compatible avec la poursuite d'une activité professionnelle ainsi que la conduite automobile. La cour relève que Mme Y. a pu discuter les conclusions de cet expert judiciaire, en lui adressant des observations visant précisément la prise d'antalgiques et de Lyrica qu'avait mentionné le docteur W. pour exclure la capacité à exercer une activité professionnelle, sans qu'un tel argumentaire ne soit pour autant validé par cet expert. Ainsi que l'a valablement indiqué le premier juge, l'expert judiciaire a en définitive rendu un rapport exempt d'omission ou de carence, dès lors qu'il s'est expliqué sur l'argumentaire ainsi présenté par Mme Y. en matière de gestion de la douleur ou d'établissement d'un état dépressif chez cette dernière.
* D'autre part, le médecin du travail a également retenu lors de sa reprise de travail en 2013 une telle aptitude de Mme Y. à exercer une activité professionnelle.
La rédaction de la clause litigieuse n'implique pas que l'indemnisation cesse dans la seule hypothèse où existe une capacité de l'assuré à reprendre son activité professionnelle antérieure, en l'espèce de préparatrice en pharmacie, mais vise l'hypothèse d'une possibilité de reprendre une activité quelconque comme terme à l'indemnisation.
Il en résulte qu'à défaut d'établir une impossibilité totale à toute activité professionnelle, même partielle, Mme Y. ne remplit pas les conditions fixées par l'article 8 des conditions générales du contrat litigieux et ne peut à ce titre solliciter la prise en charge des échéances de son prêt au titre de la garantie incapacité totale de travail.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
- d'une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
- et d'autre part, à condamner Mme Y., outre aux entiers dépens d'appel, à payer à la CNP Assurances la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel.
En application de l'article 699 du code de procédure civile, la cour autorisera la SCP à recouvrer directement contre la personne condamnée les dépens les dépens de première instance et d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le 16 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Béthune dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant':
Condamne Mme X. épouse Y. aux dépens d'appel ;
Condamne Mme X. épouse Y. à payer à la CNP Assurances la somme de 500 euros au titre de frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président
F. Dufossé G. Salomon
- 6017 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Clauses sur l’objet principal ou le prix - Loi du 1er février 1995 - Notion d’objet principal
- 6344 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Présentation générale
- 6359 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de groupe - Assurance-crédit - Présentation générale
- 6362 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de groupe - Assurance-crédit - Obligations de l’assureur - Présentation générale
- 6363 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de groupe - Assurance-crédit - Obligations de l’assureur - Incapacité temporaire de travail