CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-9), 7 avril 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9537
CA AIX-EN-PROVENCE (ch. 1-9), 7 avril 2022 : RG n° 19/18475 ; arrêt n° 2022/306
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « M. X. et la SCI HOLDING, associés de la SCI MERLAN 135, ont formé tierce-opposition à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 décembre 2017 qui a ordonné la vente forcée des biens dont est propriétaire ladite société.
L'associé est toutefois irrecevable à former tierce opposition contre un jugement auquel la société a été partie dans la mesure où il est représenté par le représentant légal de la société dans les litiges opposant la société à des tiers, sauf s'il invoque un moyen propre. Or, ne sont pas distincts de ceux invoqués par la société débitrice principale, le moyen tiré de l'utilisation du franc suisse comme monnaie de paiement, sans autre choix pour l'emprunteur, de même que le moyen tiré du caractère abusif de la clause d'indexation sur le franc suisse.
Mais le droit effectif au juge au sens de l'article 6 § 1 de la CEDH, implique que l'associé d'une SCI, qui répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, est recevable à former tierce opposition à l'encontre de la décision rendue contre la débitrice principale dans le cadre de l'exécution de l'obligation ; or, il n'est pas contestable qu'en leur qualité d'associés, les intimés seront, in fine, tenus indéfiniment responsables des dettes de la SCI MERLAN 135 en cas de défaillance de celle-ci, de sorte que la tierce-opposition doit être déclarée recevable. »
2/ « M. X. et la SCI HOLDING soutiennent que prévoyant une indexation du taux sur le franc suisse, les dispositions relatives au taux d'intérêt sont abusives et que la demande formée à ce titre est imprescriptible.
La demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s'analyse pas en une demande d'annulation, n'est effectivement pas soumise à la prescription, de sorte que la demande formée en ce sens est recevable.
Mais il résulte de l'acte en date du 7 mai 2007 que celui-ci contient prêt d'une somme correspondant à la contre-valeur en francs suisses de la somme de 700.000 €, que le taux d'intérêt sera révisable et sera celui du taux du franc suisse à 3 mois en vigueur au jour de la mise en disposition des fonds et qu'il sera remboursé en capital et intérêt en 71 échéances de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 12.738,07 €, de sorte que la clause relative au taux d'intérêt et au taux effectif global intégrant les frais de dossier et les frais de prise de garantie calculés sur la contre-valeur en francs suisses définit l'objet principal du contrat.
La clause est par ailleurs rédigée en termes suffisamment clairs et compréhensibles pour permettre à l'emprunteur, à plus forte raison non profane comme en l'espèce, d'en évaluer les conséquences économiques sur ses obligations financières et de prendre en conséquence sa décision en toute connaissance de cause et dès lors que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, la clause relative aux taux d'intérêt contenue dans l'acte du 7 mai 2007 n'a aucun caractère abusif. M. X. et la SCI HOLDING ne peuvent ainsi voir prospérer leur demande. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 1-9
ARRÊT DU 7 AVRIL 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 19/18475. Arrêt n° 2022/306. N° Portalis DBVB-V-B7D-BFH47. Décision déférée à la Cour : Tierce opposition à l'arrêt de défaut n° 2017/729 rendu par la 15ème Chambre A de la Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 14 décembre 2017 enregistré au répertoire général sous le R.G. n° 17/9097, suite à l'appel du jugement du Juge de l'exécution du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 6 décembre 2016 enregistré au répertoire général sous le R.G. n° 16/117.
DEMANDEURS SUR TIERCE OPPOSITION :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], demeurant [adresse]
SCI HOLDING
agissant par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social [...], Tous deux représentés par Maître Alexandra B. de la SELARL AV AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Maître Cécile P., avocat au barreau de MARSEILLE
DÉFENDEURS SUR TIERCE OPPOSITION :
Société D. A. pris en sa qualité d'administrateur dans le cadre de la procédure de sauvegarde de la SCI MERLAN 135
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [...], assignée en tierce opposition le 08.10.19 à personne habilitée, défaillante
Société LOUIS L. pris en qualité de mandataire judiciaire dans le cadre de la procédure de sauvegarde de la SCI MERLAN 135
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social 30 cours Lieutaud - [...], assignée en tierce opposition le 08.10.19 à personne habilitée, défaillante
Société SCI MERLAN 135
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [...], assignée à étude d'huissier le 08.10.19, défaillante
Société CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE DE LORRAINE
immatriculée au RCS de METZ sous le n° XXX, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège [...], représentée par Maître Lise T., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Maître Antoine L. de la SCP C. N. ET L., avocat au barreau de METZ
Monsieur LE RESPONSABLE DU SIP 3/14EME
demeurant [...], assigné en tierce opposition le 08.10.19 à domicile, défaillant
Madame LA RESPONSABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ Venant aux droits du SIP 3/14ème
demeurant [...], assignée en tierce opposition le 08.10.19 à domicile, défaillante
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 février 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Agnès DENJOY, Président, et Madame Sophie TARIN-TESTOT, Conseiller. Madame Agnès DENJOY, Président, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Agnès DENJOY, Président, Madame Sophie TARIN-TESTOT, Conseiller, Monsieur Dominique TATOUEIX, Magistrat honoraire.
Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 7 avril 2022.
ARRÊT : Défaut, Prononcé par mise à disposition au greffe le 7 avril 2022. Signé par Madame Agnès DENJOY, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Par acte reçu le 7 mai 2007 par Maître Y., notaire associé à [ville M.], la SCI MERLAN 135 a souscrit auprès de la CAISSE RÉGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE (CRCAM) un prêt en francs suisses d'une contre-valeur de 700.000 € pour l'acquisition de biens immobiliers.
Le 7 avril 2014, la CRCAM LORRAINE a fait signifier un commandement de payer valant saisie immobilière à la SCI MERLAN 135 pour une somme en euros de 811.393,76 € en vertu de la copie exécutoire de l'acte contenant prêt en date du 7 mai 2007.
Par jugement du 2 juin 2015, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Marseille a prononcé la nullité du commandement et a ordonné sa radiation.
Le 11 février 2016, la CRCAM LORRAINE a fait délivrer un nouveau commandement de payer valant saisie immobilière à la SCI MERLAN 135.
Par jugement du 6 décembre 2016, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Marseille a prononcé la nullité dudit commandement et a ordonné sa radiation.
Sur appel de la CRCAM LORRAINE, la cour d'appel d'Aix en Provence a, par arrêt en date du 14 décembre 2017, infirmé en toutes ses dispositions le jugement du 6 décembre 2016 et a ordonné la vente forcée des biens saisis, au motif que le choix d'indexer le remboursement de l'emprunt sur le franc suisse à une époque où cette devise était sous-évaluée par rapport à l'euro résulte manifestement de la commune intention des parties et de l'activité de banquier de l'une d'elles et au motif que le moyen tiré de la nullité de la clause d'indexation et celui tiré du caractère erroné du TEG se heurtent à l'acquisition de la prescription quinquennale. Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation en date du 21 février 2019.
Par jugement en date du 10 avril 2018, le tribunal de grande instance de Marseille a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la SCI MERLAN 135 puis a adopté le plan de sauvegarde par jugement du 12 novembre 2019.
La créance de la CRCAM LORRAINE, déclarée pour un montant de 879.476,10 € outre intérêts, contestée par la SCI MERLAN 135, a été retenue par ordonnance du juge commissaire en date du 23 janvier 2020.
Par assignation en date des 8 et 11 octobre 2019 M. X. et la SCI IMMOBILIERE HOLDING ont formé tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 14 décembre 2017 en application de l'article 582 du code de procédure civile.
Par arrêt avant dire droit en date du 1er juillet 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a ordonné réouverture des débats en invitant M. X. et la SCI IMMOBILIERE HOLDING à préciser à quelle clause du contrat de prêt se rapporte leur demande tendant à la voir déclarer non écrite.
Vu les dernières conclusions déposées le 11 janvier 2022 par M. X. et la SCI HOLDING, appelants, aux fins de voir :
- Déclarer recevable la tierce opposition formée par les requérants à l'encontre de l'arrêt au fond du 14 décembre 2017 rendu par la 1ère chambre A de la Cour d'Aix-en-Provence
- Déclarer bien fondée la tierce opposition formée par les requérants à l'encontre de l'arrêt au fond du 14 décembre 2017 rendu par la 1ère chambre A de la Cour d'Aix-en-Provence
A titre principal,
- Juger que la clause de stipulation de remboursement en monnaie étrangère est illicite et doit être annulée.
- Juger qu'elle a pour effet d'entraîner la nullité de l'ensemble du contrat de prêt car il s'agit d'une clause déterminante du contrat sans laquelle celui-ci n'aurait pas été conclu.
En conséquence,
- Juger que la CRCAM aurait dû être condamné à payer à la SCI MERLAN 135 la somme totale de 467.500 € qu'elle a perçue au titre du prêt litigieux, à laquelle s'ajoute l'intégralité des commissions de change.
- Juger que la SCI MERLAN 135 aurait été tenue de restituer la somme de 700.000 € à savoir la contre-valeur en franc du montant principal du prêt.
- Juger qu'il y avait lieu à compensation entre les créances réciproques de la CRCAM et de la SCI MERLAN 135.
A titre subsidiaire,
- Juger que les clauses de stipulation de remboursement en monnaie étrangère et d'indexation du taux d'intérêt sur le franc suisse sont abusives et réputées non écrite,
En conséquence, JUGER que la clause de stipulation d'intérêt réputée non écrite sera privé d'effet,
- Juger que le prêt consenti par la CRCAM doit s'entendre pour la seule somme principale de 700.000 €, sans aucun intérêt, les intérêts d'ores et déjà versés devront s'imputer sur le capital.
A titre infiniment subsidiaire,
- Juger que le taux d'intérêt indexé pratiqué par la CRCAM est usuraire
- Juger que les perceptions excessives reçues par la CRCAM s'imputent de plein droit sur les intérêts normaux alors échus et subsidiairement sur le capital de la créance.
En tout état de cause,
En conséquence,
- Rétracter l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 14 décembre 2017 dont le dispositif est le suivant :
- Infirme le jugement en toutes ses dispositions
- Déclare valide le commandement de payer valant saisie signifié le 11 février 2016
- Déclare irrecevables comme prescrites les demandes portant sur la nullité de la clause d'indexation, le caractère erroné du taux effectif global et les demandes s'y rattachant sur la nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, et la déchéance des intérêts.
- Déclare régulière la procédure de saisie immobilière diligentée par la CRCAM de Lorraine pour une créance déclarée de 811.393,76 €, outre intérêts de retard du 23 janvier 2016 jusqu'à parfait paiement
- Ordonne la vente forcée des biens immobiliers saisis,
- Renvoie la cause et les parties devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Marseille afin qu'il fixe la date d'audience d'adjudication, et conformément à l'article R. 322-26 du Code des procédures civiles d'exécution, détermine les modalités de visite par l'huissier instrumentaire et taxe les frais préalables de saisie.
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
- Dit que les dépens seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.
- Juger que l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 14 décembre 2017 sont inopposables à Monsieur X. et à la SCI IMMOBILIERE HOLDING
- Juger que l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 14 décembre 2017 et la décision à intervenir sont indivisibles.
En conséquence,
- Juger que l'arrêt à intervenir aura autorité de chose jugée à l'égard de toutes les parties à la tierce opposition et, notamment, la SCI MERLAN 135 et les organes de la procédure collective.
- Condamner la CAISSE REGIONALE DE CRCAM à payer aux opposants la somme de 5.000€ en application de l'article 700 du CPC., ainsi qu'aux entiers dépens.
M. X. et la SCI HOLDING font valoir :
- que par exception à la règle selon laquelle les associés d'une société sont représentés dans l'instance par le mandataire social, l'associé d'une SCI qui répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social est recevable à former une tierce-opposition ; or, les intimés seront, in fine, tenus indéfiniment des dettes de la SCI MERLAN 135 en cas de défaillance de celle-ci, en leur qualité d'associés,
- qu'étant des tiers à l'arrêt du 14 février 2017, leur tierce-opposition est recevable et n'ayant pas eu connaissance de la convention de prêt litigieux au moment de sa signature, le point de départ du délai de prescription de l'action, nécessairement différent de celui qui a couru à l'égard de la SCI MERLAN 135, correspond à la décision attaquée et le délai est de 30 ans,
- que le franc suisse a été utilisé comme monnaie de paiement, sans autre choix pour l'emprunteur, or dans les contrats internes, ce que constitue le contrat litigieux, la clause obligeant le débiteur à payer en monnaie étrangère est nulle car portant atteinte au cours légal de la monnaie,
- que subsidiairement, cette clause est abusive et il résulte d'un arrêt de la Cour de Cassation du 13 mars 2019 qu'une demande visant à voir déclarer non écrite une telle clause est imprescriptible,
- que cette clause d'indexation sur le franc suisse aboutit en tout état de cause à un gonflement de la créance permettant d'invoquer les règles de l'usure et de contraindre la CRCAM à restituer l'indu qui viendra en compensation de la créance alléguée,
- que dès lors que l'exécution simultanée des deux décisions sera impossible et qu'il y a donc indivisibilité des intérêts des tiers opposants et des parties à l'arrêt du 14 décembre 2017, l'autorité de chose jugée doit être opposable à ces dernières.
[*]
Vu les dernières conclusions déposées le 14 janvier 2012 par la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE, intimée, aux fins de voir :
A titre principal,
Vu l'article 583 du Code Procédure Civile,
Vu les articles 1857 et 1857 du Code Civil,
- Dire et juger que la SCI HOLDING n'est pas un tiers à l'instance ayant abouti à l'arrêt de la Cour d'Aix en Provence du 14 décembre 2017 frappé de tierce opposition,
- Dire et juger irrecevable la tierce opposition formée par la SCI HOLDING à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 décembre 2017,
- Dire et juger que Monsieur X. n'est pas un tiers à l'instance ayant abouti à l'arrêt de la Cour d'Aix en Provence du 14 décembre 2017 frappé de tierce opposition,
- Dire et juger irrecevable la tierce opposition formée par Monsieur X. à l'encontre de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 décembre 2017 frappé de tierce opposition,
Vu l'article L. 110-4 du Code de commerce,
Vu la loi du 17 juin 2008 sur la prescription,
- Dire et juger irrecevable comme étant prescrite la tierce opposition en ce qu'elle est formée sur les griefs d'usure et d'illicéité du prêt depuis le 19 juin 2013,
- Dire et juger que la demande de stipulation de remboursement en monnaie étrangère et d'indexation ne relève pas du régime des clauses abusives.
A titre subsidiaire,
Vu les articles L. 314-6 et suivants du Code de la Consommation, repris aux articles L. 315-5 et suivants du Code Monétaire et Financier, et la jurisprudence,
- Dire et juger que le présent prêt souscrit est hors du champ d'application des règles relatives au taux d'usure, et que la SCI HOLDING et Monsieur X. sont défaillants dans la charge de la preuve,
- Les débouter du grief d'usure,
- Dire et juger que le prêt souscrit prévoit une option de remboursement en euros et ne contrevient donc pas à la prohibition des clauses de remboursement en monnaie étrangère,
- Dire et juger valable le prêt souscrit,
En toute hypothèse,
- Débouter la société SCI HOLDING et Monsieur X. de l'intégralité de leurs demandes, fins ou conclusions,
- Condamner solidairement la société SCI HOLDING et Monsieur X. à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile,
- Condamner solidairement la société SCI HOLDING et Monsieur X. à payer les dépens dont distraction au profit de Maître Lise T.
La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE fait valoir :
- que la tierce-opposition est irrecevable, premièrement en ce que, associés de la SCI MERLAN, M. X. et la SCI IMMOBILIERE HOLDING ne peuvent revendiquer la qualité de tiers dès lors que leur représentation devant la cour d'appel était assurée par le représentant légal de la SCI MERLAN 135, deuxièmement, en ce que les moyens qu'ils invoquent ne sont pas des moyens propres dès lors qu'il auraient pu être invoqués par la débitrice principale ou l'ont été, et troisièmement, les moyens sont prescrits dès lors que la prescription a couru à compter de l'acte de prêt, M. X. l'ayant en effet signé en sa qualité de caution et la SCI HOLDING, dont l'activité l'amène à recourir régulièrement à l'emprunt pour les besoins de son activité, étant incontestablement un emprunteur professionnel,
- que subsidiairement, le prêt ne pouvant être qualifié de simple découvert en compte, la réglementation sur l'usure n'est pas applicable,
- que la référence à une monnaie de compte étrangère, assimilable à une indexation, doit être, pour être licite, en relation avec l'objet du contrat ou l'activité d'une des parties, ce qui correspond pour une banque, telle que la CRCAM, à faire commerce d'argent et le débiteur doit avoir le choix de rembourser en monnaie nationale, or au cas d'espèce, le remboursement devait s'effectuer soit dans la devise figurant dans l'offre, donc en francs suisses, soit en euro et ce, au choix de l'emprunteur,
- que la notion de clause abusive ne peut intervenir si elle est de nature à remettre en cause le contrat dans son intégralité, or il s'évince de l'analyse du contrat en cause que les parties sont convenues de conclure un prêt en franc suisse, soumis au risque de change et le prêt ayant été souscrit le 7 mai 2007, la prescription est venue à terme le 19 juin 2013.
[*]
Vu l'ordonnance de clôture du 18 janvier 2022.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de la tierce-opposition :
M. X. et la SCI HOLDING, associés de la SCI MERLAN 135, ont formé tierce-opposition à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 décembre 2017 qui a ordonné la vente forcée des biens dont est propriétaire ladite société.
L'associé est toutefois irrecevable à former tierce opposition contre un jugement auquel la société a été partie dans la mesure où il est représenté par le représentant légal de la société dans les litiges opposant la société à des tiers, sauf s'il invoque un moyen propre. Or, ne sont pas distincts de ceux invoqués par la société débitrice principale, le moyen tiré de l'utilisation du franc suisse comme monnaie de paiement, sans autre choix pour l'emprunteur, de même que le moyen tiré du caractère abusif de la clause d'indexation sur le franc suisse.
Mais le droit effectif au juge au sens de l'article 6 § 1 de la CEDH, implique que l'associé d'une SCI, qui répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, est recevable à former tierce opposition à l'encontre de la décision rendue contre la débitrice principale dans le cadre de l'exécution de l'obligation ; or, il n'est pas contestable qu'en leur qualité d'associés, les intimés seront, in fine, tenus indéfiniment responsables des dettes de la SCI MERLAN 135 en cas de défaillance de celle-ci, de sorte que la tierce-opposition doit être déclarée recevable.
Sur la prescription de l'action :
A la nullité du contrat de prêt que soulèvent M. X. et la SCI HOLDING au motif de l'illicéité de la clause de remboursement en monnaie étrangère, la CRCAM de Lorraine oppose la prescription de l'action en arguant de ce qu'elle a couru à compter de la date du contrat de prêt dès lors que M. X. est gérant de la SCI MERLAN 135 et signataire du contrat et que la SCI HOLDING recourt régulièrement à l'emprunt pour les besoins de son activité.
Mais la prescription de l'action en nullité n'éteint pas le droit d'opposer celle-ci comme exception en défense à une action principale, sous une double condition toutefois, à savoir que la règle ne s'applique qu'à compter de l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité et uniquement si l'acte n'a pas commencé à être exécuté.
Le prêt litigieux a été souscrit pour financer l'acquisition de 16 studios à [ville M.]. M. X., gérant de la SCI MERLAN 135, est le signataire de l'acte de prêt et la SCI HOLDING recourt régulièrement à l'emprunt pour les besoins de son activité, de sorte que ne pouvant être considérés l'un comme l'autre comme profanes, le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité a couru à compter de la date du contrat, soit le 7 mai 2007, et par l'effet du droit transitoire prévue à l'article 26 de la loi du 17 juin 2008, l'action en nullité du contrat est prescrite depuis le 19 juin 2013, ce dont il se déduit que l'exception de nullité a bien été soulevée postérieurement à l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité.
Toutefois, alors que l'exception n'est recevable que si l'acte n'a pas commencé à être exécuté, il n'est pas contestable que le contrat de prêt du 7 mai 2007 a reçu un commencement d'exécution du fait des versements effectués entre le 31 décembre 2012 et le 9 novembre 2015 pour un montant total de 143.604,58 CHF, de sorte que la prescription de l'action en nullité est également acquise lorsqu'elle est exercée par voie d'exception.
Sur la demande subsidiaire fondée sur la clause abusive :
M. X. et la SCI HOLDING soutiennent que prévoyant une indexation du taux sur le franc suisse, les dispositions relatives au taux d'intérêt sont abusives et que la demande formée à ce titre est imprescriptible.
La demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s'analyse pas en une demande d'annulation, n'est effectivement pas soumise à la prescription, de sorte que la demande formée en ce sens est recevable.
Mais il résulte de l'acte en date du 7 mai 2007 que celui-ci contient prêt d'une somme correspondant à la contre-valeur en francs suisses de la somme de 700.000 €, que le taux d'intérêt sera révisable et sera celui du taux du franc suisse à 3 mois en vigueur au jour de la mise en disposition des fonds et qu'il sera remboursé en capital et intérêt en 71 échéances de la contre-valeur en francs suisses de la somme de 12.738,07 €, de sorte que la clause relative au taux d'intérêt et au taux effectif global intégrant les frais de dossier et les frais de prise de garantie calculés sur la contre-valeur en francs suisses définit l'objet principal du contrat.
La clause est par ailleurs rédigée en termes suffisamment clairs et compréhensibles pour permettre à l'emprunteur, à plus forte raison non profane comme en l'espèce, d'en évaluer les conséquences économiques sur ses obligations financières et de prendre en conséquence sa décision en toute connaissance de cause et dès lors que l'appréciation du caractère abusif des clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible, la clause relative aux taux d'intérêt contenue dans l'acte du 7 mai 2007 n'a aucun caractère abusif.
M. X. et la SCI HOLDING ne peuvent ainsi voir prospérer leur demande.
Sur la demande infiniment subsidiaire fondée sur l'usure :
M. X. et la SCI HOLDING soutiennent que la clause d'indexation sur le franc suisse aboutit à un gonflement de la créance et donc à un indu que la CRCAM doit restituer.
Mais le caractère prétendument usuraire du prêt, défini par l'article L. 315-5 du code monétaire et financier comme étant celui qui excède de plus du tiers au moment où il est consenti le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent, ne fait l'objet d'aucune démonstration chiffrée de la part de M. X. et de la SCI HOLDING qui procèdent par simple affirmation, en méconnaissance des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile.
Preuve n'est donc pas rapportée du caractère usuraire du prêt et M. X. et la SCI HOLDING ne peuvent ainsi voir prospérer leur demande.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Déclare recevable la tierce-opposition formée par M. X. et la SCI HOLDING à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 14 décembre 2017 ;
Déclare irrecevable car prescrite la demande de M. X. et de la SCI HOLDING tendant à voir prononcer la nullité du contrat de prêt ;
Déboute M. X. et la SCI HOLDING de leur demande subsidiaire tendant à voir juger que les clauses de stipulation de remboursement en monnaie étrangère et d'indexation du taux d'intérêt sur le franc suisse sont abusives et réputées non écrites ;
Déboute M. X. et la SCI HOLDING de leur demande infiniment subsidiaire tendant à voir juger que le taux d'intérêt indexé pratiqué par la CRCAM est usuraire ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne solidairement M. X. et la SCI HOLDING à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE la somme de 3.000 € (trois mille euros) ;
Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ;
Condamne M. X. et la SCI HOLDING solidairement aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
- 5705 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Recevabilité - Délai pour agir - Prescription
- 5730 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Voies de recours - Appel
- 6017 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Clauses sur l’objet principal ou le prix - Loi du 1er février 1995 - Notion d’objet principal
- 6092 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Contenu initial du contrat - Intelligibilité (rédaction et langue)