CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 18 mai 2022

Nature : Décision
Titre : CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 18 mai 2022
Pays : France
Juridiction : Bordeaux (CA), 4e ch.
Demande : 20/00736
Date : 18/05/2022
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 10/02/2020
Référence bibliographique : 6132 (contrat perpétuel), 6167 (442-1 C. civ., application dans le temps), 6355 (assurance de prévoyance), 6171 (L. 442-6 C. com, dépendance économique)
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 9598

CA BORDEAUX (4e ch. civ.), 18 mai 2022 : RG n° 20/00736 

Publication : Jurica

 

Extrait : « La société Marie Brizard demande à la cour d'annuler la clause relative à l'indemnité d'éviction : - parce qu'elle confère à la convention un caractère perpétuel et porte ainsi atteinte à la liberté du commerce, - parce qu'elle crée un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties.

La clause litigieuse stipule « Si l'une des parties souhaite mettre fin à ladite convention, celle-ci devra prévenir l'autre avant le 1er janvier de l'année suivante, par lettre recommandée avec accusé de réception avec un préavis de trois mois. La dénonciation de cette convention par la société Marie Brizard déclenche le règlement à Europea Conseil de la pénalité d'éviction prévue par la présente convention. »

En l'espèce, le contrat n'interdit pas aux parties de résilier unilatéralement le contrat, puisqu'au contraire la résiliation du contrat est expressément prévue par la clause ci-dessus sans qu'aucun des deux cocontractants n'ait à justifier d'un motif. Il est cependant prévu le paiement d'une « pénalité d'éviction », à la charge d'un seul des deux cocontractants si celui-ci prend l'initiative de la rupture.

Ce type de clause est par principe valable dès lors que la clause n'aboutit pas à priver les parties leur droit de rompre, qui est d'ordre public.

Il convient donc de rechercher si le montant que doit régler la société Marie Brizard pour se libérer de la convention revient à priver celle-ci de son droit de rompre.

En l'espèce, il apparaît, eu égard à l'assise financière de la société Marie Brizard, que la clause litigieuse telle qu'elle est rédigée, n'aboutissait pas à priver celle-ci de son droit de rompre malgré son caractère dissuasif.

Le conseil de la société Marie Brizard demande ensuite à la cour d'annuler la clause litigieuse car celle-ci créerait un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de la consommation. Or, la version de l'article L 442-6-I-2° du code de commerce introduisant la notion de déséquilibre significatif entre les parties résulte de la loi du 4 août 2008 et n'est pas applicable aux contrats conclus comme en l'espèce avant l'entrée en vigueur de celle-ci.

La version de cet article applicable à ce litige fait état d'un « abus de la relation de dépendance » qui n'est pas caractérisée en l'espèce, la société Marie Brizard ne pouvant soutenir qu'elle était dans un état de dépendance vis-à-vis de son courtier. La demande visant à voir annuler la clause litigieuse sera donc rejetée. »

 

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 18 MAI 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/00736. N° Portalis DBVJ-V-B7E-LONG. Nature de la décision : AU FOND. Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 9 janvier 2020 (R.G. n° 2018F00933) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 10 février 2020.

 

APPELANTE :

SAS MARIE BRIZARD WINE & SPIRITS FRANCE

prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [adresse], représentée par Maître Grégory B. de la SELARL GREGORY B., avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Victor L. de l'Association L. E. C., avocat au barreau de PARIS

 

INTIMÉE :

SARL EUROPEA CONSEIL

prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [adresse], représentée par Maître Max B. de la SELARL B. & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 23 mars 2022 en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Nathalie PIGNON, Président, Madame Elisabeth FABRY, Conseiller, Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT : - contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Europea Conseil est une société qui exerce une activité d'intermédiation en assurance, spécialisée dans le secteur de la retraite et de la prévoyance.

Par l'entremise de la société Europea Conseil agissant en qualité de courtier en assurance, la société Marie Brizard and Roger International devenue Marie Brizard Wine et Spirits France a souscrit en 2001, en sa qualité d'employeur, un contrat d'assurance groupe auprès de la société Generali portant sur la retraite complémentaire de ses cadres.

Le 21 novembre 2007, elle a conclu avec la société Europea Conseil, représentée par son gérant, M. X., un contrat intitulé convention de « gestion de dossier de retraite » confiant notamment à cette dernière la « gestion de l'ensemble des adhérents au contrat Generali », le suivi commercial et administratif de leur contrat, le contrôle du recouvrement des cotisations et de leur affectation, et l'assistance des adhérents dans la liquidation de leurs droits à la retraite.

La convention stipulait qu'en cas de changement d'assureur, la société Brizard s'engageait à confier à Europea Conseil la gestion du nouveau contrat de retraite et qu'en cas de changement de gestionnaire du contrat de retraite, elle s'engageait à lui verser une pénalité d'éviction représentant cinq années entières de commissions versées par l'assureur à la société Europea, basée sur la moyenne des deux derniers exercices.

Par courrier du 27 octobre 2017, la société Marie Brizard a mis fin au contrat conclu avec Generali. Elle ne proposait pas à la société Europea Conseil de la reconduire dans ses fonctions de gestionnaire auprès du nouvel assureur. Cette dernière sollicitait alors le paiement de la pénalité d'éviction.

A défaut d'accord entre les parties, la société Europea Conseil, se fondant sur l'acte du 21 novembre 2017, a assigné en référé la société Marie Brizard devant le président du tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de la somme de 132.429,60 euros en paiement de l'indemnité d'éviction. Ce dernier a renvoyé l'affaire au fond.

Par décision en date du 20 juin 2019, le tribunal a ordonné la réouverture des débats et a ordonné à la société Europea Conseil de verser aux débats tous les éléments de nature contractuelle l'ayant lié à la compagnie Generali dans le cadre du contrat dit convention n° 3334 portant sur la retraite complémentaire des cadres de la société Marie Brizard.

Par décision du 9 janvier 2020, le tribunal a :

- condamné la société Marie Brizard à verser la somme de 114.052 euros à la société Europea Conseil assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2008,

- débouté la société Marie Brizard de ses demandes visant à voir prononcer la nullité ou la caducité de la convention du 21 novembre 2017 et visant à voir prononcer le caractère de clause pénale de l'indemnité d'éviction,

- débouté la société Europea Conseil de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamné la société Marie Brizard à verser la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'anatocisme,

- débouté les parties du surplus de ses demandes,

- condamné la société Marie Brizard aux dépens.

La société Marie Brizard a interjeté appel de cette décision le 10 février 2020 dans des conditions de fond et de forme qui ne sont pas discutées, intimant la société Europea Conseil.

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 4 mai 2020, la société Marie Brizard demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 9 janvier 2020 par le Tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'Europea Conseil au titre d'une prétendue « résistance abusive » de la part de Marie Brizard Wine and Spirits France,

statuant à nouveau :

- prononcer la nullité de la convention du 21 novembre 2007 pour défaut de cause ;

- débouter Europea Conseil de l'ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire :

- prononcer la nullité de la clause de « pénalité d'éviction » contenue dans la convention du 21 novembre 2007 ;

- débouter Europea Conseil de l'ensemble de ses demandes ;

à titre plus subsidiaire :

- juger que la résiliation du contrat retraite souscrit auprès de Generali a entraîné la caducité de la convention du 21 novembre 2007, interdisant à Europea Conseil de se prévaloir de ses termes et d'en solliciter l'exécution ;

- débouter Europea Conseil de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre encore plus subsidiaire :

- débouter Europea Conseil de ses prétentions en l'absence de toute justification sérieuse du quantum de la demande ;

- à titre infiniment subsidiaire :

- réduire à un montant symbolique le montant de la clause pénale stipulée dans la convention du 21 novembre 2007 ;

- en tout état de cause :

- condamner la société Europea Conseil à payer à la société Marie Brizard Wine and Spirits France une somme de 25.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, à recouvrer par Maître B., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'appelante soutient que la convention conclue le 21 novembre 2007 est dépourvue de cause car :

- la société Europea Conseil est intervenue exclusivement en qualité de mandataire de Generali,

- elle n'a effectué aucune prestation pour le compte de la société Marie Brizard,

- elle était rémunérée exclusivement par l'assureur,

- le juge de première instance a jugé à tort que l'indemnité d'éviction constituait une rémunération des prestations versées par la société Marie Brizard.

Selon la société Marie Brizard, la convention dépourvue de cause doit donc être annulée.

A titre subsidiaire, la société Marie Brizard demande à la cour d'annuler la clause relative à l'indemnité d'éviction d'une part, parce que celle-ci crée un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, et d'autre part, parce qu'elle confère à la convention un caractère perpétuel et porte ainsi atteinte à la liberté du commerce.

A titre plus subsidiaire, elle soutient que la résiliation du contrat souscrit avec Generali a entraîné la caducité de la convention conclue le 21 novembre 2017 compte tenu de l'indivisibilité des deux contrats.

A titre encore plus subsidiaire, la société Marie Brizard soutient que le quantum de la demande n'est pas justifié et que la clause litigieuse s'analyse en une clause pénale qui doit être révisée à la baisse.

[*]

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 30 juillet 2020, la société Europea Conseil demande à la cour de :

- à titre principal confirmer la décision dans son intégralité,

- à titre subsidiaire,

dans l'hypothèse où la Cour qualifierait la clause de clause pénale,

- dire et juger que cette clause n'est en rien excessive

en conséquence,

- condamner la société Marie Brizard au paiement de la somme de 114.052 euros,

en tout état de cause

- condamner la société Marie Brizard au paiement de la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ces frais en cause d'appel,

- condamner la société Marie Brizard aux entiers dépens.

La société Europea Conseil soutient que le suivi des adhérents qu'elle a effectué ne faisait pas partie des obligations contractuelles de Generali ; qu'elle n'a pas plus agi comme courtier en assurance ; que le contrat avait donc bien une cause; qu'il convient de confirmer la décision de première instance sur ce point.

L'intimé affirme encore que la clause litigieuse ne créée pas de déséquilibre significatif entre les parties et ne porte pas atteinte à la liberté du commerce ; que son montant n'est pas excessif ; qu'il n'y a pas d'interdépendance entre les deux contrats.

La société Europea Conseil fait valoir enfin que l'indemnité d'éviction ne constitue pas une clause pénale mais une clause de dédit.

[*]

L'affaire a été clôturée le 17 janvier 2022 et fixée à l'audience de plaidoirie du 23 mars 2022, date à laquelle elle a été plaidée et mise en délibéré au 18 mai 2022.

Il conviendra de se reporter aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

La convention litigieuse stipule :

« Par la volonté de la société Marie Brizard et Roger International, cette convention vient fixer les termes de l'accord établi entre les deux parties signataires. Ceci pérennise le contrat de retraite mis en place au profit des cadres de la société Marie Brizard, afin d'éviter le changement de gestionnaire, tout en maîtrisant l'historique du dossier. La direction de Marie Brizard souhaite éviter que la gestion de la retraite sur-complémentaire mise en place passe de compagnie en compagnie, laissant en déshérence les avoirs acquis des salariés bénéficiaires du contrat. Cette convention de gestion vient également protéger les acquis des salariés cadres ayant déjà quitté la société avant la liquidation de leur retraite. La volonté du souscripteur est la protection des bénéficiaires du contrat, en nommant Europea Conseil gardien du volet « retraite surcomplémentaire ». A cet effet, M. X. s'engage à s'occuper de la gestion de l'ensemble des adhérents au contrat, ainsi que le suivi commercial et administratif du contrat confié à Generali sous la convention 3334. Il doit contrôler le recouvrement des cotisations et leurs affectations, la régularisation annuelle des cotisations, instruire et suivre le dossier de chaque adhérent. Il assiste sur demande les adhérents liquidant leurs droits à la retraite dans leur démarche concernant la convention 3334. Europea Conseil s'engage également à instruire les dossiers faisant jouer la garantie de prévoyance incluse au contrat. Europea Conseil se rendra disponible pour animer des informations concernant la retraite à la demande de la société souscriptrice dans des conditions fixées par les deux parties.

En cas de cession de la société Europea Conseil, l'engagement de service sera maintenu par le repreneur. De son côté, la société Marie Brizard s'engage à confier à Europea Conseil la gestion de son contrat de retraite dans le temps pour les raisons évoquées ci-dessus. Si un autre contrat de retraite complémentaire devait être mis en place, la gestion en serait confiée à Europea Conseil. En cas de changement de gestionnaire du contrat de retraite complémentaire, Marie Brizard s'engage à verser à Europea Conseil une pénalité d'éviction représentant l'équivalent de 5 années entières de commissions versées par l'assureur à Europea, basé sur la moyenne des deux derniers exercices cotisés selon les conditions particulières initiales de contrat.

FIN DE LA CONVENTION

En cas de liquidation judiciaire, la convention prendra fin. Si l'une des parties souhaite mettre fin à ladite convention, celle-ci devra prévenir l'autre avant le 1er janvier de l'année suivante, par lettre recommandée avec accusé de réception avec un préavis de trois mois. La dénonciation de cette convention par la société Marie Brizard déclenche le règlement à Europea Conseil de la pénalité d'éviction prévue par la présente convention. »

 

1 - Sur la demande d'annulation du contrat pour absence de cause :

En vertu des dispositions de l'article 1131 du code civil dans sa version applicable à ce litige, l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.

L'appelante soutient que la société Europea conseil n'est intervenue dans la gestion des dossiers de retraite de ses cadres qu'en qualité de mandataire de Generali ; qu'elle devait à ce titre assurer le suivi et la gestion des contrats individuels de retraite, vérifier les bordereaux de déclaration et s'assurer de la « mise en œuvre de la retraite des adhérents » ; qu'elle n'a effectué aucune mission pour le compte de la société Marie Brizard et n'a d'ailleurs jamais été rémunérée par elle de sorte que la convention litigieuse est dépourvue de cause; que la société Europea Conseil a déjà été réglée pour ses prestations par Generali; qu'elle ne peut demander à être réglée par la société Marie Brizard une deuxième fois par le biais du paiement d'une indemnité d'éviction pour les mêmes prestations.

Il ressort de la nature des arguments soulevés que l'appelante se réfère à la notion de « cause objective », soutenant que l'obligation de régler une indemnité d'éviction prévue dans la convention litigieuse n'a aucune contrepartie et est ainsi de ce fait dépourvue de cause.

La société Europea conseil est une société de courtage. A ce titre, elle perçoit des commissions des assureurs qu'elle a mis en lien avec ses clients. En matière d'intermédiation en assurance, les commissions sont en général incluses, comme en l'espèce, dans la prime d'assurance payée par le client.

Il existe trois types de commissions : les commissions d'apport qui rémunèrent l'activité d'intermédiation du courtier, les commissions de gestion qui rémunèrent les cabinets de courtage qui ont une délégation de l'assureur pour la souscription des contrats, l'émission des pièces contractuelles, la gestion et la délégation de gestion des sinistres et les commissions de renouvellement, qui complètent la commission d'acquisition de la première année, liée à l'activité d'intermédiation et que sont perçues par le courtier autant que dure le contrat.

En l'espèce, le conseil de la société Europea Conseil a versé aux débats en première instance la dernière version du contrat de courtage le liant à Generali (protocole d'accord du 11 avril 2019), indiquant qu'il s'agissait d'un contrat s'appliquant à tous les clients. La version initiale n'est cependant pas produite de sorte qu'il ne peut être vérifié l'étendue de la mission confiée à Europea Conseil par l'assureur et le type de commissions versées.

La société Europea Conseil a produit également (en pièce 17) un document émanant de Generali intitulé « Commissionnement des primes périodiques sur la convention n°3334 Marie Brizard Retraite entreprise 94 ». Il ne ressort d'aucun de ces deux documents que la société Europea Conseil ait reçu un commissionnement pour une activité de gestion et de suivi des dossiers des adhérents de Marie Brizard à Generali.

Il est cependant versé aux débats en pièce 9 de l'intimée un bulletin d'adhésion rempli par M. Y., cadre de la société Marie Brizard et signé par la société Europea Conseil pour le compte de l'assureur.

Il résulte de cette pièce que cette dernière avait a minima reçu délégation par Generali de faire souscrire les contrats pour son compte puis de transmettre l'attestation d'affiliation à l'assuré.

Contrairement à ce qui a été jugé en première instance l'article L. 511-1 du code des assurances n'interdit pas à un intermédiaire en assurance d'effectuer des missions de gestion, en sus de son activité de courtier ou d'agent d'assurance.

Il sera ainsi jugé qu'il est établi que l'assureur avait donné mission à l'intermédiaire en assurance de faire conclure les contrats pour son compte. Pour le surplus des missions confiées à la société Europea Conseil par la société Marie Brizard dans le cadre de la convention signée en 2007, rien ne permet d'établir que celles-ci entraient dans le cadre d'une délégation de l'assureur.

En tout état de cause, l'assistance des adhérents liquidant leurs droits à la retraite dans leurs démarches et l'animation de réunions d'information concernant la retraite à la demande de la société Marie Brizard, ne peuvent avoir été confiées par Generali à l'intimée car ces prestations ne découlent pas du contrat d'assurance.

L'obligation de verser une indemnité d'éviction à la société Europea Conseil avait donc bien une contrepartie qui était la réalisation de prestations pendant tout le cours du contrat sans percevoir de rémunération.

Si l'on se place sur le terrain de la « cause subjective » et du but recherché par les parties en signant cette convention, il apparaît que :

- l'objectif de cette convention poursuivie par les représentants légaux de la société Marie Brizard de l'époque était d'éviter les changements de gestionnaire dans l'intérêt des cadres,

- la société Europea Conseil ne se faisait pas régler pour son activité de conseil exercée dans le seul intérêt de la société Marie Brizard mais que celle-ci s'engageait à la conserver comme 'gestionnaire du dossier retraite' de sorte qu'elle percevait les commissions de gestion et de renouvellement du contrat de Generali, ou d'un autre assureur, et à défaut une indemnité d'éviction.

La convention avait donc bien une cause.

L'appelante sera ainsi déboutée de sa demande visant à voir annuler la convention conclue avec l'intimée.

 

2 - Sur la demande visant à voir déclarée nulle la clause édictant une indemnité qualifiée d'éviction :

La société Marie Brizard demande à la cour d'annuler la clause relative à l'indemnité d'éviction :

- parce qu'elle confère à la convention un caractère perpétuel et porte ainsi atteinte à la liberté du commerce,

- parce qu'elle crée un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties.

La clause litigieuse stipule « Si l'une des parties souhaite mettre fin à ladite convention, celle-ci devra prévenir l'autre avant le 1er janvier de l'année suivante, par lettre recommandée avec accusé de réception avec un préavis de trois mois. La dénonciation de cette convention par la société Marie Brizard déclenche le règlement à Europea Conseil de la pénalité d'éviction prévue par la présente convention. »

En l'espèce, le contrat n'interdit pas aux parties de résilier unilatéralement le contrat, puisqu'au contraire la résiliation du contrat est expressément prévue par la clause ci-dessus sans qu'aucun des deux cocontractants n'ait à justifier d'un motif. Il est cependant prévu le paiement d'une « pénalité d'éviction », à la charge d'un seul des deux cocontractants si celui-ci prend l'initiative de la rupture.

Ce type de clause est par principe valable dès lors que la clause n'aboutit pas à priver les parties leur droit de rompre, qui est d'ordre public.

Il convient donc de rechercher si le montant que doit régler la société Marie Brizard pour se libérer de la convention revient à priver celle-ci de son droit de rompre.

En l'espèce, il apparaît, eu égard à l'assise financière de la société Marie Brizard, que la clause litigieuse telle qu'elle est rédigée, n'aboutissait pas à priver celle-ci de son droit de rompre malgré son caractère dissuasif.

Le conseil de la société Marie Brizard demande ensuite à la cour d'annuler la clause litigieuse car celle-ci créerait un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-2° du code de la consommation. Or, la version de l'article L 442-6-I-2° du code de commerce introduisant la notion de déséquilibre significatif entre les parties résulte de la loi du 4 août 2008 et n'est pas applicable aux contrats conclus comme en l'espèce avant l'entrée en vigueur de celle-ci.

La version de cet article applicable à ce litige fait état d'un « abus de la relation de dépendance » qui n'est pas caractérisée en l'espèce, la société Marie Brizard ne pouvant soutenir qu'elle était dans un état de dépendance vis-à-vis de son courtier.

La demande visant à voir annuler la clause litigieuse sera donc rejetée.

 

3 - Sur la demande visant à voir prononcer la caducité de la convention du fait de l'indivisibilité du contrat d'assurance souscrit auprès de Generali et du contrat de « gestion de dossier de retraite » :

L'appelant soutient que la résiliation du premier contrat a entraîné la caducité du second contrat du fait de l'indivisibilité entre les contrats.

Or, la convention litigieuse prévoit expressément que la convention conclue se poursuivrait si la société Marie Brizard changeait d'assureur et qu'il n'y aurait lieu à paiement d'une indemnité d'éviction qu'en cas de changement de gestionnaire de retraite.

Il n'y a donc pas d'indivisibilité des deux contrats.

La demande visant à voir constater la caducité de la convention sera rejetée.

 

4 - Sur la justification du montant de l'indemnité sollicitée par l'intimée :

L'appelante soutient que l'intimée ne justifie pas du montant des sommes qu'elle réclame.

Il convient de juger sur ce point que les juges de première instance ont à raison considéré que le montant des cotisations versées en 2016 et 2017 est justifié par les pièces produites à l'exception de la somme de 7.764,77 euros au titre d'une « régul 2016 ».

Le montant des cotisations à retenir pour l'année 2016 est donc de 13.804,96 euros et pour l'année 2017 de 31.402,11 euros, soit un total de 45.207,07 euros et non 45.620,75 euros comme indiqué par erreur dans la décision du tribunal de commerce.

Le montant de l'indemnité d'éviction est donc de 113.017,67 euros (45.207,07/2 x 5).

 

5 - Sur la demande de requalification de la clause d'éviction en clause pénale :

L'article 1152 du code civil dans sa version applicable au litige dispose que lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite.

L'appelant soutient que la clause litigieuse qualifiée de clause d'éviction est une clause pénale qui peut être modérée par le juge.

L'intimée soutient qu'il s'agit d'une clause de dédit qui a ce titre ne peut être modérée.

La clause pénale est une clause qui vise à faire pression sur le cocontractant pour obtenir de lui l'exécution de ses obligations par la fixation à l'avance des dommages et intérêts dus en cas d'inexécution. Elle est à la fois comminatoire et indemnitaire à l'inverse de la clause de résiliation, qui confère au contractant le droit de rompre le contrat à durée déterminée de manière anticipée moyennant le paiement d'un dédommagement à son cocontractant.

Cependant, l'appelant soutient à juste titre qu'une clause de résiliation, qualifiée par certains de dédit, peut être requalifiée en clause pénale si son montant est suffisamment élevé pour qu'il apparaisse que les parties avaient entendu lui donner un caractère comminatoire et non simplement indemnitaire.

En l'espèce, il ne peut être soutenu que le montant élevé de la clause de résiliation vise principalement à réparer le préjudice subi par le cocontractant du fait d'une résiliation anticipée de la convention puisqu'il s'agit d'une convention à durée indéterminée qui, par principe, peut être résiliée à tout moment sous réserve du respect d'un délai de préavis.

Il apparaît au contraire que cette clause a principalement un effet comminatoire, ce qui était clairement l'intention des parties, dans le but de dissuader la société Marie Brizard de résilier la convention.

Il sera enfin noté que les juges de première instance ont relevé à tort que cette clause visait à sanctionner le non-respect des conditions devant présider à la rupture unilatérale du contrat et spécialement du délai de préavis contractuel puisque la clause joue, quelles que soient les conditions de la résiliation par la société Marie Brizard, y compris en cas de respect du délai de préavis.

Il convient en conséquence de requalifier cette clause « d'éviction » en clause pénale.

En l'espèce, le montant de la clause litigieuse a été fixé à l'équivalent de 5 années entières de commissions versées par l'assureur à Europea.

Ce montant apparaît manifestement excessif par rapport au préjudice réellement subi par la société Europea Conseil qui est constitué par le fait d'avoir fourni, sans rémunération, une prestation de conseil auprès des salariés de la société Marie Brizard en échange de l'engagement de celle-ci de la conserver comme 'gestionnaire du volet retraite de ces cadres' auprès de l'assureur, ce que cette dernière a fait pendant dix ans.

Compte tenu de ces éléments, il convient de modérer la clause pénale et de la fixer à un montant de 70.000 euros.

La décision de première instance sera ainsi infirmée.

La société Marie Brizard sera ainsi condamnée à verser la somme de 70.000 euros à la société Europea Conseil en paiement de l'indemnité d'éviction.

Il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Europea Conseil sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision rendue le 9 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Bordeaux,

et statuant à nouveau,

Condamne la société Marie Brizard à verser la somme de 70.000 euros à la société Europea Conseil en paiement de l'indemnité 'd'éviction' contractuelle,

Déboute les parties des demandes qu'elles forment sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne société Europea Conseil aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.