CEntre de Recherche sur les CLauses ABusives
Résultats de la recherche

CA CHAMBÉRY (2e ch.), 15 septembre 2022

Nature : Décision
Titre : CA CHAMBÉRY (2e ch.), 15 septembre 2022
Pays : France
Juridiction : Chambery (CA), 2e ch.
Demande : 20/00945
Date : 15/09/2022
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Judilibre
Date de la demande : 18/08/2020
Référence bibliographique : 6011 (caractère clair et compréhensible, appréciation in concreto), 9244 (prêt, année lombarde), 5705 (imprescriptibilité de l’action), 9742 (crédit immobilier, monnaie étrangère)
Imprimer ce document

 

CERCLAB - DOCUMENT N° 9799

CA CHAMBÉRY (2e ch.), 15 septembre 2022 : RG n° 20/00945 

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Il s'en déduit qu'une demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, n'est pas soumise à la prescription quinquennale. Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la demande de M. X. »

2/ « En ce qu'elles portent sur les modalités de remboursement des fonds prêtés et leurs incidences, et donc sur l'obligation principale de l'emprunteur, les clauses litigieuses portent sur la définition de l'objet principal du contrat.

Leur caractère clair et compréhensible s'apprécie in concreto. Il faut non seulement que les clauses soient rédigées en des termes formellement clairs et compréhensibles, ne permettant aucune équivoque ou ambiguïté. Il faut également que l'emprunteur ait été mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret des clauses et d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives d'une telle clause sur ses obligations financières.

Il suffit de relire les clauses litigieuses pour se convaincre de leur intelligibilité

M. X. soutient que malgré les stipulations contractuelles, aucune notice d'information sur le prêt en devises ne lui a été fournie et force est de constater qu'une telle notice n'est ni annexée au contrat de prêt, ni produite aux débats. Toutefois, ainsi que l'a justement relevé le premier juge, dès lors qu'au jour de la conclusion du contrat, M. X. travaillait en Suisse et vivait en France, il percevait ses revenus du travail en francs suisses et assumait, au moins une partie de ses charges et dépenses, en euros, ce qui lui permettait quotidiennement d'éprouver les variations du taux de change et d'en mesurer les conséquences. Ainsi, quand bien même il n'aurait pas disposé de la notice annoncée, laquelle n'était ni obligatoire, ni même recommandée comme elle le sera en avril 2012 (cf. pièce 85 de la banque), M. X. était parfaitement en situation de comprendre à quel risque de change il s'exposait, étant rappelé qu'en l'espèce, le franc suisse était tout à la fois la monnaie des revenus de M. X., celle des fonds empruntés dite monnaie de compte et celle de paiement.

Dans ces circonstances, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. X. de sa demande tendant à faire juger abusives les clauses litigieuses.»

3/ « En l'espèce, le premier juge a parfaitement relevé que le point de départ de la prescription quinquennale que le Crédit Agricole des Savoie oppose à M. X., devait être fixé au plus tard au 26 février 2010, date à laquelle les parties ont, à la demande de M. X. qui avait des difficultés pour rembourser le crédit - difficultés liées non pas à une variation du taux de change entre l'euro et le franc suisse, mais à la perte de son emploi en Suisse - convenu d'une suspension de son obligation pendant 6 mois.

Plus de 5 ans s'étant écoulés entre cette date et l'assignation délivrée le 30 juin 2015, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action de M. X. irrecevable car prescrite. »

4/ « En l'espèce, aucune des stipulations du contrat du 16 novembre 2007 ne révélant l'usage de l'année lombarde, il n'est pas possible de retenir la date du contrat comme constitutive du point de départ du délai de prescription.

Et il ne ressort d'aucun des éléments du dossier que M. X. a pu se convaincre de l'usage de l'année lombarde plus de 5 ans avant le 30 juin 2015. »

5/ « Pour permettre au juge de prendre en considération dans les contrats souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l'emprunteur, il apparaît justifié d'uniformiser le régime des sanctions. En conséquence, la sanction seule applicable est désormais la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge y compris dans le cadre de contrats souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée (Civ. 1ère 10 juin 2020, pourvoi n°18-24.287). »

6/ « Tout d'abord, il convient de relever que les calculs effectués par M. X. en page 36 de ses conclusions, à les supposer exacts, révèlent que l'usage de l'année lombarde n'a pas eu sur la détermination du TEG, une incidence qui lui soit défavorable, de plus d'une décimale, que ce soit dans le prêt initial (4,8631 % / 4,9306 %), dans l'avenant de février 2010 (4,701 % / 4,766 %), ou dans l'avenant consécutif à l'ordonnance du 25 septembre 2012 (4,697 % / 4,762 %).

Par ailleurs, l'année lombarde se caractérise par 360 jours répartis en 12 mois de 30 jours et l'année civile par 365 jours répartis en 12 mois normalisés de 30,41666 jours.

Or, l'opération [(capital restant dû x 4,35 %) / (360 /90)] donne un résultat égal à l'opération [(capital restant dû x 4,35 %) / (365 / 91,25 soit 3x 30,41666)], si bien que la part des intérêts composant chacune des échéances trimestrielles n'est susceptible d'être affectée par l'usage de l'année lombarde que si, notamment pour la première échéance exigible après le déblocage des fonds, la période est inférieure ou supérieure à un trimestre. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque même la première échéance est devenue exigible trois mois jour pour jour après le déblocage des fonds, soit le 29 février 2008. »

 

COUR D’APPEL DE CHAMBÉRY  

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2022

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 20/00945. N° Portalis DBVY-V-B7E-GQAS. Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'ANNECY en date du 17 juillet 2020 : R.G. 16/01535.

 

Appelante :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE

dont le siège social est sis [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal, Représentée par Maître Hélène ROTHERA, avocat au barreau d'ANNECY

 

Intimé :

M. X.

né le [Date naissance 1] à , demeurant [Adresse 3], Représenté par Maître Christian BROCAS, avocat postulant au barreau d'ANNECY et la SELARL DEBAY, avocat plaidant au barreau de VERSAILLES

 

COMPOSITION DE LA COUR : Lors de l'audience publique des débats, tenue le 7 juin 2022 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par : - Madame Viviane CAULLIREAU-FOREL, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente, - Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller, - Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Selon offre de crédit immobilier émise le 17 octobre 2007 et acceptée le 16 novembre 2007, le Crédit Agricole des Savoie a consenti à M. X., qui travaillait alors en Suisse, un prêt en francs suisses d'un montant égal à la contre-valeur de 226.973 euros, représentant au jour de l'offre la somme de 380.452,15 francs suisses.

Ce prêt d'une durée de 25 ans était remboursable en francs suisses, en 100 trimestrialités d'un montant nominal égal à la contre-valeur en francs suisses de 3.734,48 euros, le taux des intérêts étant de 4,35 % et le TEG de 4,8631 %.

Les fonds ont été débloqués le 29 novembre 2017, à hauteur de 371.622,89 francs suisses.

M. X. a perdu son emploi en Suisse le 31 août 2009.

Selon avenant à effet du 26 février 2010, les parties ont convenu d'une pause de 6 mois dans le remboursement du crédit, sans effet sur sa durée et sans modification du taux des intérêts, ayant pour conséquence une majoration du montant nominal des trimestrialités à compter du 30 août 2010 et une réduction du TEG à 4,701 %.

Par ordonnance du 25 septembre 2012, le juge du tribunal d'instance d'Albertville a, à la requête de M. X., ordonné la suspension de ses obligations durant une année, ayant pour effet de reporter de 12 mois le terme du prêt.

Par acte du 30 juin 2015, M. X. a saisi le tribunal d'instance d'Annecy :

- d'une part, d'une nouvelle demande de délais sur le fondement de l'article L. 313-12 du code de la consommation ; cette demande a été rejetée par un jugement du 19 août 2016 ;

- d'autre part, d'une action en responsabilité à l'encontre du Crédit Agricole des Savoie, demande renvoyée à la compétence du tribunal de grande instance d'Annecy devant lequel M. X. a présenté d'autres demandes relatives à plusieurs clauses contractuelles dont il discute la validité.

Par jugement contradictoire du 17 juillet 2020, le tribunal judiciaire d'Annecy :

« sur le caractère abusif des clauses contenues dans le contrat de prêt du 16 novembre 2007,

- a déclaré recevable l'action de M. X.,

- sur le fond, a rejeté ses demandes,

* sur la responsabilité du Crédit Agricole des Savoie pour manquement à son devoir de mise en garde, a déclaré irrecevable car prescrite l'action de M. X.,

* sur la nullité de la stipulation d'intérêts,

- a déclaré recevable l'action de M. X.,

- a constaté que l'intérêt conventionnel a été calculé en fonction d'une année de 360 jours, ce qui a entraîné 'un surcoût au préjudice de l'emprunteur supérieur à une décimale' à compter du 17 février 2010,

- par conséquent, a prononcé la nullité de la stipulation d'intérêts à compter du 17 février 2010 et lui a substitué le taux légal en vigueur à cette date, sans préjudice de ses variations jusqu'à complet paiement du prêt,

- pour la période allant du 17 février 2010 jusqu'au présent jugement, a condamné le Crédit Agricole des Savoie à rembourser à M. X. la différence entre les intérêts au taux conventionnel versés et les intérêts qu'il aurait dû verser en application du taux légal à la date de chaque échéance suivant décompte à communiquer par la banque,

- pour la période postérieure au présent jugement, a dit qu'il appartiendra à la banque de substituer le taux d'intérêt légal au taux conventionnel en vigueur pour chacune des échéances restantes,

* a rejeté les demandes reconventionnelles du Crédit Agricole des Savoie tendant à la reconnaissance de la déchéance du terme et au paiement du solde du prêt,

* a condamné le Crédit Agricole des Savoie :

- aux dépens,

- à verser à M. X. la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* a ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

* a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 18 août 2020, le Crédit Agricole des Savoie a interjeté appel de ce jugement, dont M. X. est appelant incident.

[*]

Aux termes du dispositif de ses conclusions du 8 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, le Crédit Agricole des Savoie demande à la cour de :

* infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

- au fond rejeté les demandes de M. X. relatives aux clauses abusives,

- déclaré irrecevable car prescrite l'action en responsabilité engagée à son encontre pour manquement à son devoir de mise en garde,

* statuant à nouveau et ajoutant,

* dire et juger prescrites les actions de M. X. depuis le 18 juin 2013,

* sur le fond, si la cour n'entendait pas retenir la prescription,

- écarter le rapport d'expertise non contradictoire produit par M. X.,

- constater que M. X. ne justifie pas que le calcul lombard a généré à son détriment « un surcoût d'un montant supérieur à la décimale » prévue à l'article R. 313-1 du code de la consommation,

- par conséquent, dire et juger non fondées l'intégralité des demandes de M. X.,

* à titre subsidiaire,

- dire et juger qu'au regard du principe de la proportionnalité du préjudice, M. X. ne justifie pas d'un préjudice excédant 2.678.72 euros,

- ordonner le cas échéant la compensation avec la somme que lui doit M. X.,

«  en tout état de cause,

- condamner M. X. au paiement de la somme principale de 336.064.45 euros outre intérêts au taux conventionnel,

- condamner le même au paiement d'une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant l'intégralité des frais liés à l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, dont distraction au profit de Maître Rothera, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- rejeter les demandes formalisées par M. X. au titre de son appel incident.

[*]

Aux termes du dispositif de ses conclusions du 6 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens développés au soutien des prétentions, M. X. demande à la cour de :

* confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a :

- rejeté ses demandes fondées sur le caractère abusif de certaines clauses du contrat,

- déclaré prescrite son action en responsabilité pour manquement du Crédit Agricole des Savoie à son devoir de mise en garde,

* statuant à nouveau,

* à titre principal,

- sur le caractère abusif des clauses afférentes au risque de change (clause remboursement « Il supportera donc intégralement en cas d'achat de devises au comptant ou à terme, le risque de change » et clause « disposition particulière relative au risque de change ») :

* juger qu'elles sont abusives et réputées non écrites,

* juger que le capital emprunté ne pourra pas être supérieur au montant de 222.446 euros,

* juger dès lors que le montant du capital à rembourser s'élève à 222.446 euros,

* condamner le Crédit Agricole des Savoie à établir un nouveau tableau d'amortissement au même taux et sur la même durée avec substitution de l'euro au franc suisse, déduction faite des intérêts déjà versés réactualisés au cours de change à la date du déblocage du prêt, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- sur l'action en responsabilité pour manquement de la banque au devoir de mise en garde,

* le déclarer recevable en son action,

* constater que le Crédit Agricole des Savoie a manqué à son obligation,

* juger qu'il a subi un préjudice résultant de la perte de chance d'avoir conclu un contrat de prêt immobilier à des conditions financières plus avantageuses,

* condamner le Crédit Agricole des Savoie à lui verser la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts

* à titre subsidiaire,

- réduire l'indemnité forfaitaire à 1 euro,

- prononcer la déchéance totale des intérêts contractuels à compter du 17 février 2010 et « lui substituer le taux légal en vigueur à cette date », sans préjudice de ses variations jusqu'à complet paiement du prêt,

* en tout état de cause, condamner le Crédit Agricole des Savoie :

- aux entiers dépens,

- à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

[*]

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 2022.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le caractère abusif des clauses afférentes au risque de change :

Les clauses litigieuses figurent en page 3 du contrat et sont les suivantes :

- REMBOURSEMENT

Les remboursements s'effectueront dans la devise figurant dans l'offre :

- Par utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte en Devises de l'Emprunteur (...)

- Ou, à défaut, par achat de devises au comptant ou à terme par débit du compte en Euros de l'Emprunteur.

Il supportera donc intégralement en cas d'achat de devises au comptant ou à terme le risque de change (...)

Si le compte en Euros n'est pas suffisamment approvisionné pour permettre l'achat des devises, le Prêteur transformera le montant de l'échéance en Euros au cours du jour de l'échéance. (...)

- DISPOSITION PARTICULIÈRE AU RISQUE DE CHANGE

Il est expressément convenu que le risque de change sera supporté en totalité par l'Emprunteur, conformément aux dispositions de la réglementation des changes et qu'en conséquence, le présent prêt ne pourra faire l'objet d'une couverture du risque de change par achat à terme par l'Emprunteur du capital à rembourser et des intérêts à régler, que dans la mesure où la réglementation des changes l'autorise. Il reconnaît à cet égard avoir été informé par le Prêteur l'avisant du risque particulier lié à ce type de prêt notamment par la notice d'information sur le prêt en devises, ci-annexée.

 

Sur la recevabilité des demandes de M. X. :

Par arrêts du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription .

Il s'en déduit qu'une demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la demande de M. X.

 

Sur le fond :

Dans sa version en vigueur au 16 novembre 2007, l'article L. 132-1 du code de la consommation définit les clauses abusives comme étant celles qui, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Ce texte précise que « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »

En ce qu'elles portent sur les modalités de remboursement des fonds prêtés et leurs incidences, et donc sur l'obligation principale de l'emprunteur, les clauses litigieuses portent sur la définition de l'objet principal du contrat.

Leur caractère clair et compréhensible s'apprécie in concreto. Il faut non seulement que les clauses soient rédigées en des termes formellement clairs et compréhensibles, ne permettant aucune équivoque ou ambiguïté. Il faut également que l'emprunteur ait été mis en mesure de comprendre le fonctionnement concret des clauses et d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques, potentiellement significatives d'une telle clause sur ses obligations financières.

Il suffit de relire les clauses litigieuses pour se convaincre de leur intelligibilité.

M. X. soutient que malgré les stipulations contractuelles, aucune notice d'information sur le prêt en devises ne lui a été fournie et force est de constater qu'une telle notice n'est ni annexée au contrat de prêt, ni produite aux débats. Toutefois, ainsi que l'a justement relevé le premier juge, dès lors qu'au jour de la conclusion du contrat, M. X. travaillait en Suisse et vivait en France, il percevait ses revenus du travail en francs suisses et assumait, au moins une partie de ses charges et dépenses, en euros, ce qui lui permettait quotidiennement d'éprouver les variations du taux de change et d'en mesurer les conséquences. Ainsi, quand bien même il n'aurait pas disposé de la notice annoncée, laquelle n'était ni obligatoire, ni même recommandée comme elle le sera en avril 2012 (cf. pièce 85 de la banque), M. X. était parfaitement en situation de comprendre à quel risque de change il s'exposait, étant rappelé qu'en l'espèce, le franc suisse était tout à la fois la monnaie des revenus de M. X., celle des fonds empruntés dite monnaie de compte et celle de paiement.

Dans ces circonstances, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. X. de sa demande tendant à faire juger abusives les clauses litigieuses.

 

Sur l'action en responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde :

Le devoir de mise en garde consiste, pour la banque, à alerter l'emprunteur non averti du risque d'endettement que l'octroi d'un crédit génère au regard de ses capacités financières.

Il résulte de l'article 2224 du code civil que l'action en responsabilité exercée à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement (Civ 1ère 5 janvier 2022, n° 20-17.325 et 20-18.893, publiés).

En l'espèce, le premier juge a parfaitement relevé que le point de départ de la prescription quinquennale que le Crédit Agricole des Savoie oppose à M. X., devait être fixé au plus tard au 26 février 2010, date à laquelle les parties ont, à la demande de M. X. qui avait des difficultés pour rembourser le crédit - difficultés liées non pas à une variation du taux de change entre l'euro et le franc suisse, mais à la perte de son emploi en Suisse - convenu d'une suspension de son obligation pendant 6 mois.

Plus de 5 ans s'étant écoulés entre cette date et l'assignation délivrée le 30 juin 2015, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action de M. X. irrecevable car prescrite.

 

Sur la régularité de la clause de stipulation des intérêts :

Sur la recevabilité des demandes de M. X. :

Le Crédit Agricole des Savoie oppose à M. X. la prescription quinquennale, dont le point de départ se situe à la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître l'irrégularité dont il se prévaut, étant observé que la banque admet avoir calculé les intérêts non pas sur la base d'une année civile de 365 jours mais sur la base d'une année dite lombarde de 360 jours.

En l'espèce, aucune des stipulations du contrat du 16 novembre 2007 ne révélant l'usage de l'année lombarde, il n'est pas possible de retenir la date du contrat comme constitutive du point de départ du délai de prescription.

Et il ne ressort d'aucun des éléments du dossier que M. X. a pu se convaincre de l'usage de l'année lombarde plus de 5 ans avant le 30 juin 2015.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de M. X.

 

Sur le fond :

* Il convient de rappeler le cadre juridique applicable en la matière, les dispositions du code de la consommation citées ci-après l'étant dans leur rédaction applicable au 16 novembre 2007, date du contrat.

L'article L. 312-8, 3° de ce code dispose que l'offre de crédit immobilier indique son coût total et son taux défini conformément à l'article L. 313-1 du même code.

Les conditions d'application de l'article L. 313-1 sont précisées notamment par l'article R. 313-1, selon lequel pour les crédits immobiliers relevant de l'article L. 312-2,

- le taux effectif global est un taux annuel, proportionnel au taux de période, à terme échu et exprimé pour cent unités monétaires,

- lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre que annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l'année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d'au moins une décimale.

Il est indiqué dans l'annexe à l'article R. 313-1 que :

- l'écart entre les dates utilisées pour le calcul est exprimé en années ou en fractions d'années ; une année compte 365 jours, ou, pour les années bissextiles, 366 jours, 52 semaines ou 12 mois normalisés ; un mois normalisé compte 30,41666 jours (c'est-à-dire 365/12), que l'année soit bissextile ou non.

- le résultat du calcul est exprimé avec une exactitude d'au moins une décimale ; lorsque le chiffre est arrondi à une décimale particulière, la règle suivante est d'application : si le chiffre de la décimale suivant cette décimale particulière est supérieur ou égal à 5, le chiffre de cette décimale particulière sera augmenté de 1.

Selon l'article L. 312-33 du code de la consommation, le prêteur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues notamment à l'article L. 312-8 du même code, pourra être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.

Par ailleurs, il ressort de l'évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2019-740 du 17 juillet 2019 qui harmonise les sanctions en cas de taux erroné ou absent et qui a modifié l'article L 341-1 du code de la consommation, que désormais, l'omission du taux effectif global dans l'écrit constatant un contrat de prêt, comme l'erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, justifie que le prêteur puisse être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge au regard notamment de la gravité de la faute du prêteur et du préjudice subi par l'emprunteur. Pour permettre au juge de prendre en considération dans les contrats souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l'emprunteur, il apparaît justifié d'uniformiser le régime des sanctions. En conséquence, la sanction seule applicable est désormais la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge y compris dans le cadre de contrats souscrits antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée (Civ. 1ère 10 juin 2020, pourvoi n°18-24.287).

* En conséquence, la sanction de la nullité n'étant pas encourue, le jugement déféré doit nécessairement être infirmé en ce qu'il a déclaré nulle la stipulation d'intérêts à compter du 17 février 2010 et lui a substitué le taux d'intérêt légal.

* La demande de M. X. tendant à la déchéance de la banque du droit aux intérêts ne peut prospérer que s'il est établi que M. X. a subi un préjudice lié à l'usage de l'année lombarde.

Tout d'abord, il convient de relever que les calculs effectués par M. X. en page 36 de ses conclusions, à les supposer exacts, révèlent que l'usage de l'année lombarde n'a pas eu sur la détermination du TEG, une incidence qui lui soit défavorable, de plus d'une décimale, que ce soit dans le prêt initial (4,8631 % / 4,9306 %), dans l'avenant de février 2010 (4,701 % / 4,766 %), ou dans l'avenant consécutif à l'ordonnance du 25 septembre 2012 (4,697 % / 4,762 %).

Par ailleurs, l'année lombarde se caractérise par 360 jours répartis en 12 mois de 30 jours et l'année civile par 365 jours répartis en 12 mois normalisés de 30,41666 jours.

Or, l'opération [(capital restant dû x 4,35 %) / (360 /90)] donne un résultat égal à l'opération [(capital restant dû x 4,35 %) / (365 / 91,25 soit 3x 30,41666)], si bien que la part des intérêts composant chacune des échéances trimestrielles n'est susceptible d'être affectée par l'usage de l'année lombarde que si, notamment pour la première échéance exigible après le déblocage des fonds, la période est inférieure ou supérieure à un trimestre. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque même la première échéance est devenue exigible trois mois jour pour jour après le déblocage des fonds, soit le 29 février 2008.

En conséquence, la cour dit n'y avoir lieu à prononcer une quelconque déchéance du droit aux intérêts.

 

Sur la déchéance du terme et la créance du Crédit Agricole des Savoie

Il résulte de tout ce qui précède que M. X. devait respecter les obligations souscrites lors de l'acceptation du prêt le 16 novembre 2007, sous réserve de l'avenant du 26 février 2010 et de l'ordonnance du 25 septembre 2012.

Il ressort des pièces produites aux débats que :

- il est devenu défaillant dans le remboursement du prêt à compter de la trimestrialité devenue exigible le 29 mai 2015,

- il a vainement été mis en demeure de régulariser sa situation par une lettre recommandée du 4 janvier 2016 dont il a accusé réception le 16 janvier 2016, sous peine de déchéance du terme,

- la déchéance du terme lui a été notifiée par lettre recommandée du 12 avril 2016 dont il a accusé réception le 15 avril 2016, avec une mise en demeure de payer la somme de 336 064,45 euros.

Aux termes des articles L. 312-22 et R. 312-3 du code de la consommation dans leur rédaction en vigueur au 16 novembre 2007, en cas de défaillance de l'emprunteur, lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus, ces sommes produisant intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt jusqu'à la date de leur règlement effectif. Il peut en outre demander une indemnité qui, sans préjudice de l'application des articles 1152 et 1231 du code civil, ne peut excéder un montant égal à 7 % des sommes dues au titre du capital restant dû et des intérêts échus et non versés.

L'article L. 312-23 du même code dispose qu'aucune indemnité, ni aucun coût autres que ceux mentionnés ci-dessus ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur défaillant, à l'exception toutefois du remboursement, sur justification, des frais taxables exposés par le prêteur en raison de cette défaillance.

En conséquence, en l'espèce, le Crédit Agricole des Savoie est fondé à réclamer le paiement des sommes suivantes exprimées en euros :

- les trimestrialités impayées de mai 2015 à février 2016 : 24.906,90 euros

- le capital restant dû au 12 avril 2016 : 288.528,02 euros,

soit un total de 313.434,92 euros productif d'intérêt moratoires au taux contractuel de 4,35 %, à compter du :

* 16 janvier 2016, sur le principal de 18.108,10 euros

* 15 avril 2016, sur le surplus de 295.326,82 euros.

L'indemnité de 7 % est réclamée à hauteur de 20.660,95 euros.

Eu égard d'une part aux montants comparés en euros du capital emprunté (226.973 euros) et de la dette résiduelle, immédiatement exigible alors que le terme du prêt était fixé au 29 novembre 2032, et d'autre part aux intérêts moratoires qui augmentent la dette de plus de 1.100 euros par mois, elle se révèle manifestement excessive et doit être réduite à 1euro.

 

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais de l'inscription de l'hypothèque judiciaire, doivent être supportés par M. X. avec application de l'article 699 au profit du conseil du Crédit Agricole des Savoie.

Les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont réunies qu'en faveur du Crédit Agricole des Savoie. Mais dans les circonstances particulières de l'espèce, l'équité conduit la cour à laisser à la banque la charge de tous les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et contradictoirement

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- sur le caractère abusif des clauses afférentes au risque de change, déclaré recevables les demandes de M. X. mais l'en a débouté,

- déclaré irrecevable car prescrite l'action en responsabilité de la banque engagée par M. X. pour manquement à son devoir de mise en garde,

- déclaré M. X. recevable en ses demandes fondées sur l'irrégularité de la clause de stipulation des intérêts,

Infirme le jugement déféré en ses autres dispositions critiquées,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute M. X. de toutes ses demandes,

Condamne M. X. à payer au Crédit Agricole des Savoie la somme de 313.435,92 euros, outre intérêt au taux de 4,35 % à compter du 16 janvier 2016 sur le principal de 18.108,10 euros et à compter du 15 avril 2016 sur le principal de 295.327,82 euros au titre du solde du prêt immobilier du 16 novembre 2007,

Déboute le Crédit Agricole des Savoie de ses plus amples demandes,

Condamne M. X. aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'inscription d'hypothèque judiciaire, Maître X. G ? étant autorisée à recouvrer directement à son encontre ceux dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision,

Dit n'y avoir lieu à aucune application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi prononcé publiquement le 15 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller en remplacement de la Présidente légalement empêchée et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière                                                 P/La Présidente