CA MONTPELLIER (ch. com.), 12 décembre 2023
CERCLAB - DOCUMENT N° 10611
CA MONTPELLIER (ch. com.), 12 décembre 2023 : RG n° 21/07342
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « Une clause d'exclusion est formelle, lorsqu'elle est claire et précise. Une clause d'exclusion de garantie n'est pas formelle et limitée lorsqu'elle doit être interprétée. De même, une clause d'exclusion n'est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l'article 1170 du code civil, issues de l'ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016, et si la garantie, contrepartie du paiement des primes, n'est pas illusoire ou dérisoire au sens de l'article 1169 du code de procédure civile, reprenant une jurisprudence ancienne. »
2/ « L'absence de définition du terme « épidémie » dans le contrat n'empêche pas une telle clause d'être claire et précise dans la mesure où en l'espèce, l'analyse du terme « épidémie » permet seulement d'expliciter son sens, sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d'exclusion pour pallier un prétendu caractère inintelligible.
Cette absence de définition du terme « épidémie » et de précision quant à son origine, sa nature et son étendue, est favorable à l'assuré. »
3/ « L'assureur démontre, par ailleurs, en versant une documentation circonstanciée, que la fermeture administrative d'un seul établissement, dans un même département, fondée sur des cas de salmonellose, de listériose, de légionellose (qui ne sont pas des maladies contagieuses), de grippe aviaire, ou de fièvre typhoïde, conduisant à des épidémies, s'agissant de l'augmentation brutale de cas de maladie au sein d'une communauté, d'une collectivité, ou d'un lieu de travail, ou présentant un simple risque épidémique, est déjà advenue.
Il est établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale), alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d'entraîner de la même manière une fermeture administrative isolée du foyer épidémique. L'épidémie de Covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suite aux mesures gouvernementales, ne constitue qu'un cas d'épidémie et qu'un motif de fermeture administrative parmi d'autres, pour lequel ladite fermeture, qui a été collective, n'est pas garantie par la police souscrite.
La proposition faite par la société Axa à l'assuré d'un avenant qui exclut de la garantie toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est inopérante sur l'analyse du contrat litigieux, sauf à témoigner, à l'opposé, que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de la Covid-19, même à la date à laquelle l'avenant a été signé.
Il en résulte que l'exclusion de garantie, résultant d'une fermeture administrative consécutive à une épidémie, lorsque la fermeture n'est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve localisé, ne vide pas de sa substance l'extension de la garantie des pertes d'exploitation souscrite.
La contrepartie au versement des primes n'est pas illusoire ou dérisoire, la fermeture administrative isolée de l'établissement assuré pour l'un des cas énoncés à l'extension de garantie étant un évènement possible, probable, qui correspond à un risque aléatoire assurable et mobilisant la garantie perte d'exploitation. Les situations entraînant la mise en jeu de cette extension étant réelles, la clause est valable ; elle n'encourt pas la nullité. Elle ne prive pas le contrat d'assurance d'objet ou de cause.
En outre, si la police d'assurance souscrite est un contrat d'adhésion, l'appréciation du déséquilibre significatif invoqué par la société intimée ne peut porter conformément à l'article 1171 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ni sur l'objet principal du contrat, et sur l'adéquation du prix à la prestation. En l'espèce, la clause d'exclusion, formelle, tend à délimiter le risque assuré et l'engagement de la société Axa, sans caractériser, eu égard aux considérations ci-dessus développées, une absence de contrepartie, susceptible de générer un tel déséquilibre.
En définitive, il appert que la commune intention des parties, lors de la conclusion du contrat d'assurance, était de couvrir le risque d'une fermeture administrative temporaire, individuelle, consécutive à une épidémie au sein de l'établissement assuré, et non celui de fermetures collectives. En conséquence, la demande de la société Da.So tendant à voir déclarer non-écrite la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnel eu égard à son supposé caractère non limité, sera rejetée ainsi que toutes ses demandes subséquentes. »
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 12 DÉCEMBRE 2023
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/07342. N° Portalis DBVK-V-B7F-PIAH. Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 NOVEMBRE 2021, TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN : RG n° 2020J00260.
APPELANTE :
SA AXA FRANCE IARD
représenté par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1], [Localité 4], Représentée par Maître Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, Représentée par Maître Agathe ROBLES, avocat au barreau de PARIS substituant Maître Pascal ORMEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMÉE :
SAS DA.SO à l'enseigne « Le V. »
prise en la personne de son représentant légal en exercice [Adresse 2], [Localité 5], Représentée par Maître Andy FULACHIER, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Maître Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 24 octobre 2023
COMPOSITION DE LA COUR : En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 NOVEMBRE 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de : Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère, M. Thibault GRAFFIN, conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRÊT : - Contradictoire - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; - signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
La S.A.S. Da.So, sise à [Localité 5], exploite un restaurant sous l'enseigne « Le V. ».
Le 10 janvier 2009, la société Da.So a souscrit, par acte sous seing privé, auprès de la compagnie d'assurance Axa France IARD, un contrat d'assurance multirisque professionnelle n°4221821804.
Aux termes de deux arrêtés pris les 14 et 15 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, publiés au Journal officiel, il a été interdit aux restaurants et débits de boissons, d'accueillir le public, sauf pour les activités de livraison et vente à emporter, afin de lutter contre la propagation dudit virus, entraînant selon les cas, une fermeture totale ou partielle des établissements concernés.
Le 14 avril 2020, un nouveau décret a repoussé la date de fin de l'interdiction d'accueillir le public au 11 mai 2020.
Le 22 septembre 2020, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Da.So a vainement déclaré son sinistre auprès de son assureur, la société Axa France IARD.
Aux termes d'un décret n° 2020-1310 pris le 29 octobre 2020 du Premier ministre prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, il a de nouveau été interdit aux restaurants d'accueillir le public.
Le 19 novembre 2020, par lettre recommandée avec accusé de réception, le conseil de la société Da.So a vainement déclaré ce second sinistre à la société Axa France IARD.
Par exploit du 20 octobre 2020, la société Da.So a assigné la société Axa France IARD pour la voir condamner, au titre de ses dernières conclusions, à lui payer la somme de 69.259,82 euros suite à la fermeture de mars à mai 2020, la somme de 130.043,05 euros suite à la fermeture de novembre 2020 à février 2021, outre la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, et à titre subsidiaire, la somme de 200 000 euros en provision et que soit ordonner une mesure d'expertise comptable avec la désignation d'un expert judiciaire.
Le tribunal de commerce de Perpignan, par jugement du 23 novembre 2021, a :
- dit que la clause d'exclusion est réputée non-écrite, et qu'ainsi la garantie « Protection Financière » est acquise à la SAS Da.So pour les pertes d'exploitation subies du fait des mesures de fermeture administrative de 2020 et 2021,
- condamné la SA Axa France IARD à payer à la SAS Da.So la somme de 80.000 euros à titre de provision sur l'indemnité due,
- ordonné une mesure d'expertise confiée à M. X., demeurant [Adresse 3], [Localité 5], avec pour mission :
- d'entendre les parties, et se faire communiquer tout document nécessaire au litige,
- de fixer un calendrier en vue de remettre un rapport avant le 25 mai 2022,
- de chiffrer l'indemnité due par la SA Axa France IARD, dans le strict respect des règles fixées par le contrat d'assurance qui lie les parties, pour la période de fermeture administrative du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, puis celle du 30 octobre 2020 jusqu'au 9 juin 2021 ;
- dit que l'expert pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix,
- dit que le rapport devra être déposé avant le 25 mai 2022,
- ordonné le versement de la provision sur honoraires, à hauteur de 3.000 euros, aux frais avancés par la SAS Da.So,
- dit que cette consignation devra intervenir avant le 24 décembre 2021,
- dit que faute de consignation dans le délai imparti, la désignation de 1'expert sera caduque, à moins que le juge ne décide d'une prorogation de délai, ou d'un relevé de caducité, et il sera fait application des dispositions de l'article 221 du code de procédure civile, notamment que le tribunal tirera toutes les conséquences de l'abstention ou du refus de consigner,
- dit que M. le greffier informera l'expert de la consignation intervenue,
- dit que l'expert pourra, s'il estime la provision insuffisante, présenter dans un délai de quatre mois à compter de la consignation une estimation de ses frais et rémunération, permettant au tribunal d'ordonner éventuellement la consignation au greffe pour être par elles communiqué à l'expert,
- dit qu'en application de l'article 275 du code de procédure civile, le tribunal tirera toutes les conséquences de droit du défaut de communication des documents à l'expert,
- dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou du refus de sa part, il sera à la requête de la partie la plus diligente, procédé à son remplacement par ordonnance de M. le juge chargé du contrôle des opérations d'expertise,
- dit que l'expert informera le juge de l'avancement des opérations et des diligences par lui accomplies,
- désigné M. G., en qualité de juge chargé du contrôle des opérations d'expertise,
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du lundi 27 juin 2022 à 14 h 30, afin que les parties soient entendues conformément aux dispositions de l'article 153 du code de procédure civile,
- dit que la présente décision tient lieu de convocation,
- réservé en fin de cause les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens sauf frais de greffe liquidés selon tarif en vigueur.
Par déclaration du 22 décembre 2021, la société Axa France IARD a relevé appel de ce jugement.
[*]
Par conclusions du 13 octobre 2023, la société Axa France IARD demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien-fondé l'appel interjeté par la société Axa France IARD et, y faisant droit :
à titre principal,
- infirmer en entier le jugement du 23 novembre 2021 du tribunal de commerce de Perpignan ;
- infirmer le jugement du 23 novembre 2021 du tribunal de commerce de Perpignan en ce qu'il a débouté Axa France IARD de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion ;
statuant à nouveau,
- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;
- juger que cette clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances ;
- juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'Axa France IARD de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil ;
en conséquence :
- juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitations consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ;
- débouter l'assurée de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre d'Axa France IARD et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 23 novembre 2021 ;
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Montpellier ;
à titre subsidiaire,
- ordonner la fixation de la mission de l'expert désigné par le tribunal de commerce de Perpignan comme suit :
- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'assurée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;
- entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;
- examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;
- donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées ;
- donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée ;
- donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars et le 29 octobre 2020 ;
Et en tout état de cause,
- débouter l'assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif ;
- condamner l'assurée à payer à Axa France IARD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, la société Axa France IARD fait en substance valoir les moyens suivants :
- Quatre arrêts de principe de la Cour de cassation du 1er décembre 2022 et un autre arrêt de la Cour de cassation du 19 janvier 2023 ont reconnu que la clause d'exclusion à la garantie « perte d'exploitation suite à fermeture administrative » était formelle et limitée au sens des dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances, ce raisonnement ayant été suivis par les arrêts rendus par les cours d'appel.
- La clause d'exclusion litigieuse figurait de façon visible, sans ambiguïté, dans le contrat qui a été souscrit par la société Da.So et il appartient à l'assurée de lire le contrat avant d'y souscrire.
- En respect des dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances, la clause d'exclusion litigieuse comporte des termes et trois critères d'applications clairs et précis - à savoir un critère de nombre où il faut qu'il y ait plus d'un établissement quelle que soit sa nature ou son activité sujet à une fermeture administrative, un critère territorial où l'échelle est départementale, et un critère causal où les fermetures d'établissements doivent être consécutives à une cause identique - ceci permettant de lui donner le caractère formel requis.
- Lors de la souscription au contrat d'assurance, la société Da.So, en tant que professionnelle de la restauration soumise à de nombreuses règles d'hygiène et informée des périls sanitaires auxquels elle est exposée, n'a pas pu ignorer l'objet de cette garantie ainsi que se méprendre sur la portée de la clause d'exclusion.
- L'absence de définition du terme « épidémie », employé seulement au titre des conditions de garantie, est sans incidence pour apprécier le caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse et cela n'affecte pas sa validité.
- L'extension de garantie souscrite ne constitue pas une garantie contre le risque d'une épidémie mais contre le risque d'une fermeture administrative où le seul critère d'application de la clause d'exclusion réside dans le périmètre de la fermeture administrative.
- La proposition d'avenant pour insérer aux contrats une clause d'exclusion relative à l'épidémie, la pandémie et la maladie contagieuse, ne remet pas en cause la clarté de la clause d'exclusion.
- En respect des dispositions de l'article L. 113-1 du code des assurances et de l'article 1170 du code civil, la clause d'exclusion litigieuse vient seulement limiter la garantie du risque, étant la perte d'exploitation consécutive à une fermeture administrative causée par une épidémie, et cette clause ne prive pas de sa substance l'obligation à laquelle elle s'est engagée en tant que débiteur.
- Selon les données scientifiques, une épidémie peut entraîner la fermeture administrative d'un seul établissement sur le département, le risque assuré est alors probable et même en étant improbable, ceci ne serait pas de nature à priver le caractère limité de la clause.
- La commune intention des parties lors de la souscription du contrat n'était pas de couvrir le risque d'une fermeture généralisée à l'ensemble du territoire, alors imprévisible et constituant un préjudice anormal et spécial dont les conséquences ne peuvent incomber à l'assureur, mais de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé à des risques biologiques.
- La rédaction de l'extension de garantie est conforme aux intérêts de l'assurée et la clause d'exclusion respecte les dispositions de l'article 1171 du code civil ne crée pas de déséquilibre significatif au détriment de l'assurée puisque la fréquence de la réalisation du risque assuré est plus probable que celle du risque exclu par le contrat d'assurance.
- Le tribunal a accordé à tort une provision de 80.000 euros au profit de la société Da.So en s'appuyant uniquement sur l'attestation de l'expert-comptable versée aux débats par la société Da.So, et ce, ne permettant pas d'établir de façon contradictoire le quantum de cette condamnation.
- Concernant la période d'indemnisation du 16 au 29 octobre 2020, sollicitée par la société Da.So, les mesures de couvre-feu ne sont pas assimilables à des mesures de fermeture administrative, et pour l'indemnisation réclamée au titre de la fermeture à compter du 20 octobre 2020, la garantie ne saurait excéder le 30 janvier 2021, la clause limitant l'application de la garantie a trois mois maximum.
- La mission confiée à l'expert judiciaire ne permet pas de calculer les pertes de marge brute conformément à la méthodologie de calcul du contrat d'assurance souscrit par la société Da.So, ce dernier n'a pas tenu compte ni des facteurs externes ayant pu avoir une influence sur le chiffre d'affaires réalisé, ni des résultats des exercices antérieurs au titre de la même période ni des charges variables qui n'ont pas été supportées durant la fermeture et ni des aides ou subventions d'Etat perçues par l'assurée.
[*]
Par conclusions du 3 mai 2022, la société Da.So demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de Perpignan en date du 23 novembre 2021 en ce qu'il :
- « dit que la clause d'exclusion est réputée non-écrite, et qu'ainsi la garantie « Protection Financière » est acquise à la SAS Da.So pour les pertes d'exploitation subies du fait des mesures de fermeture administrative de 2020 et 2021,
- condamne la SA Axa France IARD à payer à la SAS Da.So la somme de 81.500 euros à titre de provision sur l'indemnité due,
ordonne une mesure d'expertise confiée à M. X. »;
en conséquence,
- condamner la société Axa France IARD à indemniser la SAS Da.So des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour la période allant de mars à juin 2020,
- condamner la société Axa France IARD à indemniser la SAS Da.So des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour la période à compter du mois d'octobre 2020 à janvier 2021,
- condamner la société Axa France IARD à indemniser la SAS Da.So des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour la période à compter du mois de janvier 2021 à juin 2021,
- renvoyer les parties devant le tribunal de commerce de Perpignan afin d'évaluer le quantum des préjudices subis au titre de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative en raison de l'épidémie pour les périodes allant du 15 mars 2020 au 1er juin 2020 ; du 30 octobre 2020 au 26 juin 2021,
et, en toutes hypothèses,
- condamner Axa France IARD au versement de la somme de 8.000 euros au profit de la SAS Da.So au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Axa France IARD aux entiers dépens de l'instance.
La société Da.So expose en substance les moyens suivants :
- Pour être valide, une clause d'exclusion se doit d'être parfaitement explicite c'est-à-dire rédigée en des termes clairs et précis et ne souffrant d'aucune interprétation possible ;
- La notion d'épidémie suppose une propagation qui faute de définition contractuelle précise, ne peut s'entendre en étant limitée à un seul établissement ou un seul département ;
- La limitation soutenue par l'assureur se heurte donc au principe de bonne foi en venant priver de sa substance l'obligation essentielle de garantie ;
- La clause d'exclusion ne peut être ainsi qualifiée de formelle et limitée au sens des dispositions de l'article L. 113-1 al. 1 du code des assurances de sorte qu'elle doit être considérée comme étant non écrite ;
- La notion d'épidémie doit être interprétée comme une propagation à un grand nombre d'une maladie contagieuse à transmission interhumaine ;
[*]
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 24 octobre 2023.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Le contrat souscrit par la société auprès de l'assureur AXA prévoit au titre des conditions particulières, en pages 8 et 9, l'extension de garantie intitulée « PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE » aux termes de laquelle :
« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
- La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même ;
- La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ;
Durée et limite de la garantie
La garantie intervient pendant la période d'indemnisation, c'est-à-dire la période commençant le jour du sinistre et qui dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par ledit sinistre, dans la limite de 3 mois maximum.
Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.
L'assuré conservera à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés.
SONT EXCLUES
LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, À LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ÉTABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITÉ, FAIT L'OBJET, SUR LE MÊME TERRITOIRE DÉPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ÉTABLISSEMENT ASSURÉ, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE. ».
Le contrat d'assurance couvre ainsi le risque de pertes d'exploitation de l'activité déclarée et, dans le cadre d'une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture administrative provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré consécutive à cinq cas limitativement énumérés, dont l'épidémie.
Les conditions de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire de l'établissement assuré sont donc réunies.
Concernant l'exclusion d'une garantie, il convient de rappeler que l'article L. 113-1 du code des assurances prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.
Une clause d'exclusion est formelle, lorsqu'elle est claire et précise.
Une clause d'exclusion de garantie n'est pas formelle et limitée lorsqu'elle doit être interprétée.
De même, une clause d'exclusion n'est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l'article 1170 du code civil, issues de l'ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016, et si la garantie, contrepartie du paiement des primes, n'est pas illusoire ou dérisoire au sens de l'article 1169 du code de procédure civile, reprenant une jurisprudence ancienne.
Il convient de relever en premier lieu que la clause d'exclusion litigieuse figure aux conditions particulières de la police souscrite, en caractères très apparents, étant rédigée en lettres majuscules, au sein d'un paragraphe rédigé en lettres minuscules, intitulé « PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE », conformément aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances.
La circonstance que le paragraphe suivant la clause d'exclusion en majuscules soit lui aussi intitulé en majuscules "PERTE D'EXPLOITATION SUITE à ARRETE DE PERIL" n'entraine aucune confusion avec la clause d'exclusion qui la précède, dans la mesure où cette dernière fait corps avec le chapitre «PERTE D'EXPLOITATION SUITE À FERMETURE ADMINISTRATIVE », tandis que le chapitre "PERTE D'EXPLOITATION SUITE à ARRETE DE PERIL" est clairement détaché du chapitre précédent, d'où il suit le rejet du moyen.
L'absence de définition du terme « épidémie » dans le contrat n'empêche pas une telle clause d'être claire et précise dans la mesure où en l'espèce, l'analyse du terme « épidémie » permet seulement d'expliciter son sens, sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d'exclusion pour pallier un prétendu caractère inintelligible.
Cette absence de définition du terme « épidémie » et de précision quant à son origine, sa nature et son étendue, est favorable à l'assuré.
La clause d'exclusion ne comprend aucun terme ou expression relevant d'un vocabulaire spécialisé.
Les termes « cause identique », s'agissant de la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements (susceptibles d'être également fermés), ne sont pas imprécis en ce qu'ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré (soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication).
Il doit être observé à cet égard que la fermeture d'un ou plusieurs autre(s) établissement(s) ne doit pas être nécessairement antérieure à la fermeture administrative en cause, mais que compte tenu de l'usage de l'indicatif présent (« fait l'objet »), elle peut lui être concomitante.
De même, il convient de relever qu'« un autre établissement » ne signifie pas « un autre de vos établissements », de sorte que sont visées tant les fermetures, le cas échéant, d'un autre établissement de l'assuré, s'il en a plusieurs, que l'autre établissement d'un tiers.
L'exclusion est, dès lors dépourvue d'ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives ayant une origine ou un fondement identique.
L'appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à en annuler les effets, doit se faire au regard du risque couvert.
Le caractère limité d'une clause d'exclusion s'apprécie non point en considération de ce qu'elle exclut, mais en considération de ce qu'elle garantit après sa mise en œuvre.
En l'espèce, l'exclusion tenant à une mesure de fermeture administrative collective, conséquence d'une épidémie, ne fait pas obstacle à la garantie de pertes d'exploitation subies par l'activité assurée, lorsque la décision de fermeture administrative découle des autres causes contractuellement prévues.
Le contrat d'assurance ne couvre pas le risque de la survenance d'une épidémie, mais celui d'une fermeture administrative découlant d'une épidémie.
Une telle fermeture relève d'une décision de l'autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut être adaptée et varier et ce, au visa de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en l'espèce, qui prévoit la prescription de «toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population », en ce compris des mesures individuelles.
Il appartient à l'assureur de démontrer qu'un autre établissement, situé dans le même département, fait l'objet d'une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui, à défaut, permet de mobiliser sa garantie.
De même, celle-ci sera due si cette fermeture, y compris pour une cause identique, concerne un autre département.
Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l'identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l'exclusion de garantie ne s'appliquera pas, et la garantie demeure mobilisable.
Concernant les motifs tels que l'intoxication, la maladie contagieuse et l'épidémie, la distinction faite est favorable à l'assuré, puisque ces trois évènements ne recouvrent pas une même réalité.
L'assureur démontre, par ailleurs, en versant une documentation circonstanciée, que la fermeture administrative d'un seul établissement, dans un même département, fondée sur des cas de salmonellose, de listériose, de légionellose (qui ne sont pas des maladies contagieuses), de grippe aviaire, ou de fièvre typhoïde, conduisant à des épidémies, s'agissant de l'augmentation brutale de cas de maladie au sein d'une communauté, d'une collectivité, ou d'un lieu de travail, ou présentant un simple risque épidémique, est déjà advenue.
Il est établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (TIAC), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale), alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d'entraîner de la même manière une fermeture administrative isolée du foyer épidémique.
L'épidémie de Covid-19, qui a entraîné la fermeture des restaurants en France suite aux mesures gouvernementales, ne constitue qu'un cas d'épidémie et qu'un motif de fermeture administrative parmi d'autres, pour lequel ladite fermeture, qui a été collective, n'est pas garantie par la police souscrite.
La proposition faite par la société Axa à l'assuré d'un avenant qui exclut de la garantie toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est inopérante sur l'analyse du contrat litigieux, sauf à témoigner, à l'opposé, que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de la Covid-19, même à la date à laquelle l'avenant a été signé.
Il en résulte que l'exclusion de garantie, résultant d'une fermeture administrative consécutive à une épidémie, lorsque la fermeture n'est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve localisé, ne vide pas de sa substance l'extension de la garantie des pertes d'exploitation souscrite.
La contrepartie au versement des primes n'est pas illusoire ou dérisoire, la fermeture administrative isolée de l'établissement assuré pour l'un des cas énoncés à l'extension de garantie étant un évènement possible, probable, qui correspond à un risque aléatoire assurable et mobilisant la garantie perte d'exploitation.
Les situations entraînant la mise en jeu de cette extension étant réelles, la clause est valable ; elle n'encourt pas la nullité.
Elle ne prive pas le contrat d'assurance d'objet ou de cause.
En outre, si la police d'assurance souscrite est un contrat d'adhésion, l'appréciation du déséquilibre significatif invoqué par la société intimée ne peut porter conformément à l'article 1171 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ni sur l'objet principal du contrat, et sur l'adéquation du prix à la prestation.
En l'espèce, la clause d'exclusion, formelle, tend à délimiter le risque assuré et l'engagement de la société Axa, sans caractériser, eu égard aux considérations ci-dessus développées, une absence de contrepartie, susceptible de générer un tel déséquilibre .
En définitive, il appert que la commune intention des parties, lors de la conclusion du contrat d'assurance, était de couvrir le risque d'une fermeture administrative temporaire, individuelle, consécutive à une épidémie au sein de l'établissement assuré, et non celui de fermetures collectives.
En conséquence, la demande de la société Da.So tendant à voir déclarer non-écrite la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnel eu égard à son supposé caractère non limité, sera rejetée ainsi que toutes ses demandes subséquentes.
Le jugement déféré ayant fait droit aux demandes de l'assuré sera donc entièrement réformé, sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la mesure d'expertise ayant été ordonnée, étant rappelé que le présent arrêt infirmatif constitue le titre exécutoire ouvrant droit à la restitution des sommes versées au titre de l'exécution de cette décision.
La société Da.So qui succombe dans ses demandes sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, et l'équité ne commande pas de condamner la partie perdante sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute la S.A.S. Da.So de toutes ses demandes,
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,
Condamne la S.A.S. Da.So aux dépens de première instance et d'appel,
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
le greffier, le président,
- 6390 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs - Obligation essentielle
- 7289 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs – Absence de cause (droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016)
- 8261 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 -Loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Domaine d'application
- 8395 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Notion de clause abusive – Clauses portant sur l’objet principal et l’adéquation au prix
- 9749 - Code civil - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 – L. ratif. 20 avril 2018). – Présentation par contrat – Assurance