CA LYON (1re ch.), 28 mars 1991
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1154
CA LYON (1re ch.), 28 mars 1991 : RG n° 2679/89 ; arrêt n° 2043
Publication : D. 1991. p. 460
Extrait : « Que la clause stipulée à l'article 15 des conditions générales, en ce qu'elle subordonne le paiement du capital à la constatation médicale de l'invalidité pendant la durée de la garantie, apparaît abusive au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ; Qu'en effet, elle confère un avantage excessif à l'assureur qui, eu égard à la faculté annuelle de résiliation dont il dispose et au caractère évolutif de l'état médical de l'assuré, a la possibilité de résilier le contrat lorsqu'il a connaissance d'une atteinte corporelle de nature à entraîner une invalidité totale et définitive ; Que la clause litigieuse doit être réputée non écrite en ce qu'elle soumet le paiement du capital à la constatation de l'invalidité pendant la durée de la garantie alors que, en cas d'invalidité révélée postérieurement à la résiliation, il faudrait prévoir que ce paiement serait subordonné à la constatation, pendant la durée de la garantie, de l'atteinte corporelle à l'origine de l'invalidité »
COUR D’APPEL DE LYON
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 28 MARS 1991
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 2679/89. Arrêt n° 2043.
PARTIES EN CAUSE :
- Monsieur X.,
né le […], à […], de nationalité française, demeurant [adresse], assisté de son épouse Madame X., présente es-qualité de curatrice de son mari selon jugement du […]. APPELANT. Représenté par Maître GUILHEM, Avoué, Assisté par Maître LAVOCAT, Avocat au Barreau de Lyon
ET :
- La compagnie RHIN ET MOSELLE-VIA, venant aux droits de la Compagnie VIA ASSURANCES VIE,
et dont le siège social [adresse], INTIMÉE, Représentée par Maîtres Y. et M. CABANNES, Avoués associés, Assistée par Maître PETIT, Avocat au Barreau de Paris.
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Monsieur FARGE, Président, Monsieur ROUX, Conseiller, Madame BIOT, Conseiller, assistés pendant les débats de Madame KROLAK, Greffier.
INSTRUCTION : CLÔTURÉE le 14 janvier 1991.
DÉBATS : audience publique du 26 février 1991.
ARRÊT : contradictoire, prononcé à l'audience publique du 28 mars 1991 par Monsieur FARCE, Président, qui a signé la minute avec le Greffier.
[minute page 2]
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 10 février 1981, Monsieur X. a adhéré auprès de la compagnie VIA ASSURANCES VIE à un contrat d'assurance groupe, avec effet au 22 janvier 1981, lui garantissant, en cas de décès ou d'invalidité totale et définitive, un capital de 103.140 Francs, calculé en pourcentage du plafond de la Sécurité Sociale, avec majoration par enfant ou personne à charge et doublement dans l'hypothèse d'un décès ou d'une invalidité par accident.
Le 30 août 1985, Monsieur X. a été victime d'un accident de la voie publique et a adressé à son assureur, le 2 octobre 1985, un certificat médical faisant état d'un écrasement thoraco-abdominal avec éclatement du rein gauche, contusion pancréatique et colique et prévoyant une incapacité de six mois si l'évolution était favorable.
Par lettre du 19 décembre 1985, la compagnie VIA ASSURANCES VIE a informé Monsieur X. de ce que la police était résiliée avec effet au 22 janvier 1986 en application de l'article 4 des conditions générales, et cela en raison de la cessation d'exploitation du portefeuille « T.N.S. » (travailleurs non salariés).
L'état d'invalidité totale définitive du blessé a été constaté par certificat médical du 16 octobre 1986 immédiatement adressé à la compagnie d'assurances.
Celle-ci, par lettres du 25 juin et 23 juillet 1987, faisant suite à divers pourparlers, a informé Monsieur X. qu'elle ne pouvait, compte tenu de la résiliation intervenue le 22 janvier 1986, accorder la garantie contractuellement prévue mais que, dans un dessein à la fois humanitaire et commercial, elle proposait un règlement de 157.140 Francs correspondant à un demi-plafond de Sécurité Sociale.
Par acte du 11 août 1987, Monsieur X., assisté de son épouse […], en qualité de curatrice, a assigné la compagnie VIA ASSURANCES VIE pour obtenir :
- la somme principale de 330.048 Francs ainsi décomposée :
* 103.140 Francs représentant le capital assuré,
* 30.942 Francs x 2 représentant la majoration par enfant ou personne à charge, à savoir un enfant et l'épouse,
* ces deux sommes étant doublées conformément au contrat ;
- les revalorisations et indexations contractuellement prévues ;
- les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 mai 1987 ;
- la somme de 15.000 Francs de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
- la somme de 5.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 7 novembre 1988, le Tribunal de grande instance de Lyon a statué en ces termes :
« Constate que le contrat d'assurances groupe souscrit par X. auprès de la compagnie d'assurances VIA ASSURANCES NORD ET MONDE a cessé de produire ses effets le 22 janvier 1986 ;
Constate que la clause contenue dans l'article 15 dudit contrat est claire et non ambiguë, qu'elle n'est pas susceptible d'être interprétée par le juge et qu'elle n'est pas une clause abusive au sens de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 ;
Dit que c'est l'invalidité médicalement constatée pendant la période de garantie et non le fait générateur de cette invalidité survenue pendant la période de garantie qui ouvre droit aux versements des indemnités dues en vertu du contrat ;
Constate que cette invalidité totale et définitive a été constatée par le médecin traitant de X. le 16 octobre 1986 ;
Dit que Y. épouse X. n'est pas pour son époux une personne à charge au sens du contrat souscrit par ce dernier ;
Dit qu'aucune revalorisation d'indemnités dues n'a couru conformément au contrat après le 22 janvier 1986 ;
Donne acte à la compagnie d'assurances VIA ASSURANCES NORD ET MONDE de son offre de verser à X. la somme de 157.140 Francs (cent cinquante sept mille cent quarante francs) ;
Rejette comme non fondées et injustifiées l'ensemble des demandes formées par X. assisté de son épouse Y., ès-qualités de curatrice ;
Rejette la demande formée par la compagnie d'assurances VIA ASSURANCES IARD NORD ET MONDE fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile comme injustifiée ;
Condamne X. assistée de sa curatrice Y. épouse X. aux dépens ».
Appelant, Monsieur X. conclut à l'infirmation du jugement et réitère ses prétentions de première instance, sauf à ce qu'il lui soit alloué 30.000 Francs de dommages-intérêts pour résistance abusifs et 10.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il soutient que :
- la clause stipulée à l'article 15 des conditions générales est abusive au sens de l'article 35 alinéa 2 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 puisqu'elle permet à la compagnie d'assurances, pour se dégager de ses obligations, de résilier les contrats en cours dès la connaissance des accidents subis par ses adhérents ;
- la garantie doit prendre effet au jour du fait générateur de l'invalidité ;
Madame Y. épouse X. doit, en tant que conjointe, être considérée comme une personne à charge aux termes de l'avenant d'adhésion souscrit le 10 janvier 1981.
La compagnie RHIN et MOSELLE VIA, venue aux droits de la compagnie VIA ASSURANCES VIE, conclut à la confirmation du jugement et réclame 20.000 Francs de dommages-intérêts pour appel abusif ainsi que 20.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle se réfère à la motivation du jugement et précise que la clause stipulant le paiement du capital en cas d'invalidité médicalement constatée pendant la durée de la garantie ne saurait être déclarée abusive au sens de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 alors qu'elle permet l'application effective des dispositions contractuelles. Elle ajoute qu'elle ne peut se voir reprocher l'inaction de X. qui a tardé à signaler son état d'invalidité alors que l'article 15 dernier alinéa lui fait obligation de rapporter la preuve de cette invalidité dans les trois mois où il en a eu connaissance.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que l'article 4 alinéa 3 des conditions générales du contrat stipule :
« La première période d'assurance est de douze mois. Les garanties se renouvellent ensuite, d'année en année, par tacite reconduction, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, moyennant préavis d'un mois au moins (par lettre recommandée), avant la date de leur renouvellement annuel » ;
Que l'article 15 alinéa 2 énonce :
« En cas d'invalidité totale et définitive de l'Assuré, telle que définie ci-dessus, médicalement constatée pendant la durée de la garantie et au plus tard avant son 65ème anniversaire, l'Assureur paie à celui-ci, sur sa demande, le capital assuré en cas de décès » ;
Attendu qu'il résulte de l'article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services que sont interdites et réputées non écrites les clauses, relatives notamment aux conditions d'exécution des conventions, lorsqu'elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ;
Que Monsieur X., souscripteur d'un contrat d'adhésion en matière d'assurance groupe, était soumis à la puissance économique de la compagnie VIA ASSURANCES VIE ;
Que la clause stipulée à l'article 15 des conditions générales, en ce qu'elle subordonne le paiement du capital à la constatation médicale de l'invalidité pendant la durée de la garantie, apparaît abusive au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978 ;
Qu'en effet, elle confère un avantage excessif à l'assureur qui, eu égard à la faculté annuelle de résiliation dont il dispose et au caractère évolutif de l'état médical de l'assuré, a la possibilité de résilier le contrat lorsqu'il a connaissance d'une atteinte corporelle de nature à entraîner une invalidité totale et définitive ;
Que la clause litigieuse doit être réputée non écrite en ce qu'elle soumet le paiement du capital à la constatation de l'invalidité pendant la durée de la garantie alors que, en cas d'invalidité révélée postérieurement à la résiliation, il faudrait prévoir que ce paiement serait subordonné à la constatation, pendant la durée de la garantie, de l'atteinte corporelle à l'origine de l'invalidité ;
Attendu, en l'espèce, que le fait générateur de l'invalidité a été constaté lors de l'établissement du certificat médical du 2 octobre 1985, avant la résiliation du contrat intervenue le 22 janvier 1986 ;
Que, par l'envoi du certificat médical du 16 octobre 1986, Monsieur X. a apporté la preuve de son invalidité totale et définitive dans les trois mois où il en a eu connaissance conformément à l'obligation résultant de l'article 15 dernier alinéa des conditions générales du contrat ; que la compagnie ne démontre en rien qu'il ait eu cette connaissance à une époque antérieure ;
Attendu que les conditions générales du contrat sont parfaitement claires quant à l'énumération des personnes à charge parmi lesquelles ne figure pas le conjoint de l'assuré ; que la majoration contractuelle n'est donc due à Monsieur X. que du seul chef de son fils Philippe, né le 24 décembre 1972 ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la compagnie RHIN ET MOSELLE VIA, venue aux droits et obligations de la compagnie VIA ASSURANCES VIE, sera condamnée à payer à Monsieur X. la somme principale de 268.164 Frs ainsi décomposée :
- 103.140 Francs représentant le capital assuré,
- 30.942 Francs représentant la majoration pour un enfant à charge,
- ces deux sommes étant doublées en raison du caractère accidentel de l'invalidité ;
Qu'elle devra encore s'acquitter de toutes revalorisations et indexations contractuellement prévues ainsi que des intérêts au taux légal à compter du 25 mai 1987, date de réception par la compagnie de la lettre recommandée de mise en demeure adressée le 20 mai 1987 ;
Attendu que Monsieur X. ne démontre pas que la compagnie intimée ait résisté à la demande dans une intention nuisible ;
Attendu que l'équité commande d'allouer à Monsieur X. la somme de 6.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau,
Condamne la compagnie d'assurances RHIN ET MOSELLE VIA, venue aux droits et obligations de la compagnie VIA ASSURANCES VIE, à payer à Monsieur X., assisté de son épouse née Y. en qualité de curatrice, la somme de 268.164 Francs, outre revalorisations et indexations contractuellement prévues, avec intérêts au taux légal à compter du 25 mai 1987 ;
Déboute Monsieur X. de sa demande en dommages-intérêts ;
Condamne la compagnie d'assurances RHIN ET MOSELLE VIA à payer à Monsieur X., assisté de sa curatrice, la somme de 6.000 Francs en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel avec, pour les seconds, droit de recouvrement direct au profit de Maître GUILHEM, avoué.
- 5747 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Sort du contrat - Clause affectant l’existence du contrat
- 5802 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : principe
- 6012 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Articulation avec les protections de droit commun (cause; obligation essentielle)
- 6364 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de groupe - Assurance-crédit - Obligations de l’assureur - Invalidité permanente