CA PARIS (8e ch. sect. B), 23 septembre 1993
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 1299
CA PARIS (8e ch. sect. B), 23 septembre 1993 : RG n° 92/24950
Publication : D. 1994. Somm. 213, obs. Delebecque ; D. 1995. Somm. 199, obs. Bon-Garcin ; RD bancaire et bourse 1994. 79, obs. Crédot et Gérard ; RTD com. 1994. 87, obs. Cabrillac et Teyssié
Extrait : « Considérant cependant que le caractère abusif de cette clause, au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, seul texte permettant de retenir une telle qualification qui entraînerait l'annulation pure et simple ladite clause, n'est pas démontré ; qu'il n'est pas excessif pour les sociétés de gestion de se prémunir contre les aléas des marchés financiers ; que ces clauses doivent être admises dès lors qu'elles sont librement acceptées par les clients ; Mais considérant qu'une telle exonération de responsabilité ne dispense pas la société de gérer normalement le portefeuille et, pour ce faire, de mettre œuvre tous les moyens pour assurer une gestion efficace des fonds qui lui sont remis ; qu'il n'est donc pas nécessaire de démontrer l'existence d'une faute lourde ou dolosive pour retenir sa responsabilité, une simple faute de gestion étant de nature à mettre à sa charge une obligation de réparer le préjudice subi par son mandant »
COUR D’APPEL DE PARIS
HUITIÈME CHAMBRE SECTION B
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 1993
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
N° Répertoire Général : 92-24950. Sur appel d’un jugement du 2 octobre 1992 du Tribunal d’Instance du 8eme arrondissement de PARIS (n°252/92). Date de l’ordonnance de clôture : 24 juin 1993.
PARTIES EN CAUSE :
1°/ SA MATIGNON CONSEIL,
ayant son siège [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
2°/ SA MATIGNON FINANCES,
ayant son siège [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Appelantes, Représentées par la SCP BERNABE RICARD, avoué, Assistées de Maître HIRSCH, avocat,
3°/ Monsieur X.,
de nationalité française, demeurant [adresse], Intimé, Représenté par la SCP VERDUN GASTOU, avoué, Sans avocat.
[minute page 2]
COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats : A l'audience publique du 30 juin 1993, Madame PARENTY, Magistrat chargé du rapport a entendu l'avocat en sa plaidoirie, celui-ci ne s'y étant pas opposé. Il en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
GREFFIER : Madame ARNABOLDI.
Lors du délibéré : Président : Monsieur DURIEUX, Conseiller désigné pour présider cette Chambre par ordonnance de Madame le Premier Président, Conseillers : Monsieur PIQUARD et Madame PARENTY.
ARRÊT : contradictoire. Prononcé publiquement par Monsieur DURIEUX, Président, qui a signé la minute avec Madame ARNABOLDI, Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Selon contrat en date du 18 mars 1987, M. X. a donné mandat à la société MATIGNON FINANCES de gérer un portefeuille de valeurs mobilières reposant, sous le compte n° […] chez M.M. RONDELEUX et OUDART, agents de change.
Aux termes de cet acte, une somme de 151.505,53 Francs a été remise à la société mandataire soit :
- 100.000 Francs le 19 mars 1987
- 50.000 Francs le 1er octobre 1987
- 1.505,33 Francs en novembre 1987.
Estimant que la société MATIGNON FINANCES et la société MATIGNON CONSEIL - qui serait intervenue concurremment avec la première - avaient fait preuve de négligence et d'incompétence dans la gestion du portefeuille qui leur avait été confié, M. X. a rompu le contrat et demandé la restitution des sommes versées. Il lui a été remis, en mai et décembre 1991, 95.887,48 Francs.
Pour avoir paiement du solde - limité à 30.000 Francs - M. X. a assigné les deux sociétés devant le Tribunal d'Instance de PARIS 8ème qui, par jugement rendu le 7 octobre 1992, a condamné solidairement MATIGNON CONSEIL et MATIGNON FINANCES à payer 30.000 Francs outre intérêts.
[minute page 3] Les sociétés MATIGNON CONSEIL et MATIGNON FINANCES ont interjeté appel de cette décision.
La première demande sa mise hors de cause dans la mesure où, selon elle, son objet est limité à la seule diffusion de produits financiers à l'exclusion de tout acte de gestion et où elle n'a eu aucun lien contractuel avec M. X. Elle réclame 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société MATIGNON FINANCES invoque quant à elle les dispositions de l'article 7 du contrat de gestion, aux termes desquelles « le mandant renonce expressément à engager la responsabilité de son mandataire dans l'hypothèse où les investissements qu'il aurait pu réaliser viendraient à présenter un résultat déficitaire », et reproche au premier juge d'avoir retenu le caractère abusif de cette clause.
Considérant qu'elle n'était tenu que d'une obligation de moyens et non de résultat et qu'aucune faute lourde ou dolosive ne peut lui être imputée, elle requiert le rejet des prétentions de M. X. et sa condamnation à lui payer 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
M. X. conclut à la confirmation du jugement, portant toutefois sa demande à 31.542,08 Francs outre 10.000 Francs de dommages-intérêts pour résistance abusive et 10.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur ce, la Cour,
qui se réfère expressément pour la relation des faits au jugement attaqué, pour l'énoncé des moyens et prétentions des parties aux écritures d'appel de celles-ci,
A/ Sur la demande de mise hors de cause de la société MATIGNON CONSEIL :
Considérant qu'il est constant que le contrat initial a été signé avec la société MATIGNON FINANCES uniquement ; qu'il n'est toutefois pas établi que la société MATIGNON CONSEIL n'avait, pour seul objet, que la distribution des produits financiers comme elle le prétend puisque il est inscrit sur son papier à en-tête « groupe MATIGNON, gestion de patrimoine, diffusion de valeurs mobilières » ; qu'au surplus, ainsi que l'a fait apparaître à bon droit le premier juge, cette société a adressé plusieurs courriers à M. X. et a reçu, sans protester, lettres et mêmes chèques de sa part, se comportant ainsi, à tout le moins, comme mandataire apparente ;
[minute page 4] Considérant que la société MATIGNON CONSEIL doit en conséquence être retenue dans les liens contractuels avec M. X. et sa demande de mise hors de cause rejetée ;
B/ Sur la responsabilité des mandataires :
Considérant qu'il n'est pas sérieusement discuté que le résultat de la gestion du portefeuille de M. X. s'est révélé déficitaire ; que le mandant estime que les pertes qu'il a subies sont dues, non aux aléas des pratiques boursières, mais aux fautes de gestion des mandataires ; qu'à cela les sociétés MATIGNON opposent la clause exonératoire de responsabilité contenue dans l'article 7 du contrat qui selon elles imposeraient au mandant de démontrer l'existence d'une faute lourde ou dolosive pour pouvoir mettre en jeu leur responsabilité ;
Considérant que le premier juge a retenu que l’obligation de moyens qui pèse sur la société MATIGNON n’est pas annulée par cet article 7 dans la mesure où cette clause apparaît comme abusive au regard d'un contrat de gestion ; qu'il a estimé que ladite société avait commis une faute entraînant un préjudice pour M. X. ;
Considérant cependant que le caractère abusif de cette clause, au sens de l'article 35 de la loi du 10 janvier 1978, seul texte permettant de retenir une telle qualification qui entraînerait l'annulation pure et simple ladite clause, n'est pas démontré ; qu'il n'est pas excessif pour les sociétés de gestion de se prémunir contre les aléas des marchés financiers ; que ces clauses doivent être admises dès lors qu'elles sont librement acceptées par les clients ;
Mais considérant qu'une telle exonération de responsabilité ne dispense pas la société de gérer normalement le portefeuille et, pour ce faire, de mettre œuvre tous les moyens pour assurer une gestion efficace des fonds qui lui sont remis ; qu'il n'est donc pas nécessaire de démontrer l'existence d'une faute lourde ou dolosive pour retenir sa responsabilité, une simple faute de gestion étant de nature à mettre à sa charge une obligation de réparer le préjudice subi par son mandant ;
Considérant sur ce point qu'au vu des éléments qui lui étaient soumis et qui sont à nouveau soumis à la Cour, le premier juge a, par des motifs pertinents qui méritent d'être adoptés, très justement caractérisé les fautes des sociétés MATIGNON ; que ces sociétés ne sauraient disconvenir notamment que la mission qui leur était confiée leur imposait un suivi permanent des opérations et des prises de contact avec leur client pour le [minute page 5] conseiller utilement ; qu'elles ne peuvent soutenir que M. X. n'avait formulé aucune critique à leur encontre dès lors que dans son courrier du 10 janvier 1990 il imputait les mauvais résultats à « l'incidence du krach d'octobre décembre 1987 » alors que peu après, le 26 janvier suivant, il leur demandait expressément de « prendre toutes mesures de nature à rétablir le portefeuille compte tenu de la conjoncture fragile actuelle » ; qu'enfin les connaissances qu'aurait pu avoir M. X. de la pratique boursière, outre qu'elles ne sont pas formellement établies, ne dispensaient pas les mandataires de leurs obligations contractuelles ;
Considérant qu'en l'absence de tout autre élément d'appréciation, la décision critiquée doit être confirmée dans son principe ;
Considérant, sur le montant de la réclamation, que le premier juge avait, par des motifs méritant également d'être adoptés, évalué le préjudice effectivement subi par M. X. à 31.542,08 Francs ; que cette somme est aujourd'hui réclamée par l'intimé et doit lui être accordée ;
Considérant que la demande de dommages-intérêts doit être rejetée en l'absence de toute justification du caractère abusif de la procédure ; que l'équité commande en revanche de condamner les appelantes à verser à M. X. 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement quant au rejet de la demande de mise hors de cause de la société MATIGNON CONSEIL,
Pour le surplus, réformant :
CONDAMNE solidairement les sociétés MATIGNON CONSEIL et MATIGNON FINANCE à payer à M. X. 31.542,08 Francs avec intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 1992 et 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Rejette toute autre demande,
[minute page 6] CONDAMNE solidairement la société MATIGNON CONSEIL et MATIGNON FINANCE aux dépens de première instance et d'appel.
Admet la SCP VERDUN GASTOU, avoué, au bénéfice dei dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- 5802 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : principe
- 6008 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Rédaction et interprétation - Interprétation en faveur du consommateur (L. 212-1, al. 1, C. consom.) - Articulation avec les clauses abusives
- 6033 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Nature du contrat - Esprit du contrat - Contrat aléatoire
- 6641 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Bourse et services financiers