TI PARIS (8e arrdt), 2 octobre 1992
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 434
TI PARIS (8e arrdt), 2 octobre 1992 : RG n° 252/02
(sur appel CA Paris (8e ch. B), 23 septembre 1993 : RG n° 92/24950)
Extrait : « Que cette société de gestion de portefeuilles a à l'égard de son client une obligation de moyens et non pas une obligation de résultats. Que cette obligation n'est pas annulée par l'article 7 des conditions générales du contrat [« il est prévu en l'article 7 de ce contrat que le mandant titulaire du compte renonce expressément à engager la responsabilité de son mandataire dans l'hypothèse où les investissements qu'il aurait pu réaliser viendraient à présenter un résultat déficitaire »], cette clause apparaissant comme abusive au regard du contrat sus-mentionné qui vise expressément la gestion par la Société MATIGNON FINANCES du portefeuille de Monsieur X. »
TRIBUNAL D’INSTANCE DE PARIS
HUITIÈME ARRONDISSEMENT
JUGEMENT DU 2 OCTOBRE 1992
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 252/92.
DEMANDEUR :
- Monsieur X.
demeurant [adresse], Comparant en personne
DÉFENDEUR :
- SOCIÉTÉ ANONYME MATIGNON CONSEIL
dont le siège social est situé [adresse], Représenté par Maître HIRSCH Jean-Luc, avocat au barreau de HAUTS DE SEINE
- SOCIÉTÉ ANONYME MATIGNON FINANCES
dont le siège social est situé [adresse], Représenté par Maître HIRSCH Jean-Luc, avocat au barreau de HAUTS DE SEINE
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : MME SCHWOERER Brigitte Juge d'Instance
Greffier : Hubert CLENET
DÉBATS : Audience publique du 23 avril 92
[minute page 2] JUGEMENT : contradictoire […]
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 3] LE TRIBUNAL :
Le 6 février 1992, Monsieur X. a assigné devant le tribunal de céans MATIGNON CONSEIL SA et MATIGNON FINANCES SA aux fins de :
- les voir condamner solidairement à lui verser la somme de 30.000 Francs à titre de dommages et intérêts ;
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution et condamner les défenderesses aux entiers dépens.
A l'appui de sa demande, Monsieur X. rappelle :
- qu'à la suite de sa visite en janvier 1987 au salon « Investir » il a conclu avec MATIGNON FINANCES Société de Gestion de Portefeuilles une convention aux termes de laquelle il a versé une somme de 151.505,53 Francs, soit :
- le 19 mars 1987 : 100.000,00 Francs
- le 1er octobre 1987 : 150.000,00 Francs
- en novembre 1987 : 1.505,33 Francs
Dans le cadre de la gestion du portefeuille sont intervenues tant la Société MATIGNON FINANCES que la Société MATIGNON CONSEIL ;
Le 14 janvier 1989, Monsieur X. a souhaité procéder à la vente de 21 parts du produit « M. J. » acquises le 11 octobre 1988 et faisant partie du portefeuille.
Toutefois à la suite du conseil de MATIGNON CONSEIL de différer cette vente, Monsieur X. a adressé un courrier le 25 avril 1989 donnant son accord pour ce différemment de la vente jusqu'au mois de juin 1989.
A cette date, la valeur de ce produit ayant régressé, la vente n'a pu être opérée.
Par la suite, Monsieur X. estime que le portefeuille qu'il avait confié en gestion a été tenu avec la même négligence et la même incompétence que celles qui viennent d'être décrites, ce qui l'a contraint à rompre le contrat souscrit et à solliciter le versement des sommes correspondant au portefeuille confié.
MATIGNON FINANCES a restitué à Monsieur X. la somme globale de 95.887,48 Francs, soit :
- 51.901,62 Francs le 30 mai 1991 (produit « D »)
- 43.967,97 Francs le 24 décembre 1991, soit le produit de « M. J. » fusionné en « F. »
- 17,89 Francs solde en espèces.
[minute page 4] Ainsi, Monsieur X. de 1987 à 1991 a subi une perte importante du fait de la mauvaise gestion du portefeuille confié à MATIGNON CONSEIL et du fait de son manquement à son obligation de conseil.
Le 23 avril 1992, la Société MATIGNON CONSEIL et la Société MATIGNON FINANCES concluent tout d'abord à la mise hors de cause de la Société MATIGNON CONSEIL qui a pour objet la seule diffusion des produits financiers alors que seule la Société MATIGNON FINANCES, filiale de la Société MATIGNON CONSEIL a pour activité la gestion de portefeuilles.
C'est pourquoi, elle sollicite cette mise hors de cause.
En ce qui concerne l'action dirigée à l'encontre de la Société MATIGNON FINANCES, seule, celle-ci rappelle qu'aux termes du contrat de gestion initial du 18 mars 1987, conclu avec Monsieur X., il est prévu en l'article 7 de ce contrat que le mandant titulaire du compte renonce expressément à engager la responsabilité de son mandataire dans l'hypothèse où les investissements qu'il aurait pu réaliser viendraient à présenter un résultat déficitaire.
La défenderesse rappelle que de telles clauses constituent une pratique courante dans la profession préconisée d'ailleurs par la COB.
Elle matérialise le principe selon lequel les sociétés de gestion de portefeuille ne sont tenues à l'égard de leur clientèle que d'une obligation de moyens et non de résultats.
Elle considère donc que seul le dol ou la faute lourde de la partie qui invoque une clause d'irresponsabilité insérée au contrat et acceptée par l'autre partie pourrait faire échec à l'application d'une telle clause qui, en vertu de l'article 1134 du Code Civil, peut valablement être conclu entre les parties signataires d'un contrat.
En l'espèce, elle estime qu'aucune faute ne peut lui être reprochée [a] fortiori une faute lourde voire dolosive.
En effet, elle estime que Monsieur X. qui l'a d'ailleurs reconnu a lui-même décidé de différer la vente de « M. J. » au mois de juin 1989.
Que, d'ailleurs, le premier ordre de vente ne date pas du 14 janvier 1989 comme indiqué par Monsieur X. mais du 14 avril 1989 et que celui-ci était assorti d'une valeur plancher de 3.570 Francs qui, à cette date, était supérieure au cours du fonds commun de placement litigieux ce qui l'avait amené à différer sa vente.
[minute page 5] En outre, la Société MATIGNON FINANCES observe que Monsieur X. n'a donné aucune instruction de vente au mois de juin 1989 ; la Société MATIGNON FINANCES n'a donc pris aucune initiative à ce titre étant rappelé que durant tout le mois de juin 1989, le cours du « M. J. » a toujours été inférieur à la valeur plancher qui avait été initialement indiquée par Monsieur X. le 14 avril 1989.
La défenderesse estime donc n'avoir pas manqué à son devoir de conseil d'autant qu'elle précise que Monsieur X. en tant qu'ex-salarié du […] suivait personnellement de très près la gestion de son portefeuille.
Ainsi, il dictait des instructions à la Société MATIGNON FINANCES après s'être entretenu avec ses gestionnaires.
Il suivait régulièrement le cours des valeurs mobilières composant son portefeuille sur le répondeur téléphonique de la Société MATIGNON FINANCES.
Enfin, la Société MATIGNON FINANCES considère que Monsieur X. avait investi dans des valeurs mobilières à risques dans l'espoir de réaliser des plus-values substantielles et qu'il ne peut imputer de tels choix à la Société MATIGNON FINANCES
Monsieur X. conclut en réplique le 23 avril 1992 soulignant que l'exemplaire du contrat signé le 18 mars 1987 appartenant au client ne lui a jamais été retourné, qu'il n'en a eu connaissance qu'à la suite de son assignation.
Il souligne qu'il est incompétent en matière de gestion de portefeuilles et qu'il a confié celui-ci à un spécialiste des produits financiers.
Par ailleurs, il observe qu'au cours des relations contractuelles, il a reçu des courriers tant de MATIGNON CONSEIL que de MATIGNON FINANCES qui ont donc assumé en commun la responsabilité contractuelle à l'égard du client.
Il considère que les sociétés défenderesses qui ont confié son portefeuille à plusieurs gestionnaires qui se sont succédés ont effectué une mauvaise gestion de son portefeuille et il considère donc qu'il s'agit là d'une faute lourde qui est susceptible d'être retenue par le tribunal.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 6] SUR QUOI :
Attendu qu'il n'est pas contesté que par contrat, en date du 18 mars 1987, Monsieur X. a confié à MATIGNON FINANCES la gestion de son portefeuille.
Que cette société de gestion de portefeuilles a à l'égard de son client une obligation de moyens et non pas une obligation de résultats.
Que cette obligation n'est pas annulée par l'article 7 des conditions générales du contrat, cette clause apparaissant comme abusive au regard du contrat sus-mentionné qui vise expressément la gestion par la Société MATIGNON FINANCES du portefeuille de Monsieur X.
Attendu qu'il y a donc lieu de rechercher si la société gestionnaire a ou non commis une faute dans sa gestion susceptible de créer à Monsieur X. un préjudice qu'il conviendrait de dédommager.
Attendu que tout d'abord, il convient de constater que le contrat de gestion a été conclu avec la Société MATIGNON FINANCES mais que les relations contractuelles qui ont existé entre les parties du 18 mars 1987 jusqu'au 16 décembre 1991, ont concerné non seulement la Société MATIGNON FINANCES, mais la Société MATIGNON CONSEIL qui a écrit à plusieurs reprises à Monsieur X.
En conséquence, il convient de constater que MATIGNON FINANCES et MATIGNON CONSEIL sont toutes les deux contractuellement liées avec Monsieur X.
Que, d'ailleurs, il est précisé dans les conclusions des défenderesses du 23 avril 1992 qu'il s'agit du même groupe financier.
Attendu que, par ailleurs, il convient de constater que Monsieur X. n'est pas le béotien qu'il veut bien laisser croire dans la mesure où au moment de la signature du contrat, soit le 18 mars 1987, il travaillait au [C. C. DE F.] à la Division des Immeubles.
Que si cet emploi ne peut justifier qu'il soit un spécialiste des pratiques bancaires ou des usages de la Bourse, il n'en reste pas moins que son emploi au [C. C. DE F.] justifie de ce que Monsieur X. était capable de comprendre le mécanisme de gestion d'un portefeuille et de suivre personnellement les fluctuations de la Bourse et des valeurs.
[minute page 7] Attendu que c'est dans ces conditions que Monsieur X. a donné des instructions précises à MATIGNON CONSEIL par un courrier du 14 avril 1989, soit la vente de 21 parts de « M. J. » au cours plancher de 3.570 Francs la part.
Que le 25 avril 1989, il différait cet ordre de vente pour courant juin 1989.
Que, néanmoins, il apparaît qu'à cette date, les Sociétés MATIGNON FINANCES et CONSEIL n'ont pas repris contact avec Monsieur X. ni pour exécuter son ordre de vente ni pour lui proposer de différer cet ordre de vente dans la mesure où il ressort du cours des titres M. J. communiqués que le cours du M. J. n'est remonté au-dessus de 3.570 Francs que le 18 août 1989 pour atteindre 3.596,56 Francs.
Que compte tenu des ordres reçus en avril 1989, il apparaît que les Sociétés MATIGNON CONSEIL et FINANCES n’ont pas assuré la gestion du portefeuille de Monsieur X. en tout cas en ce qui concerne les 21 parts de M. J. dans les termes dans lesquels celui-ci l'avait demandé.
Qu'en effet, les sociétés gestionnaires de portefeuilles auraient dû soit reprendre contact courant juin 1989 avec Monsieur X. pour lui demander des instructions nouvelles soit au moment où le titre a atteint en août 1989 la somme de 3.596,56 Francs, revendre les titres comme l'avait demandé Monsieur X. par son courrier du 25 avril 1989 dès que la valeur plancher était atteinte.
Qu'il y a là une faute de gestion de la part de MATIGNON FINANCES et de MATIGNON CONSEIL qu'il convient de voir réparer par le paiement à Monsieur X. de la différence entre le montant de vente des actions en 1991 et le montant qui aurait pu être obtenu le 18 août 1989.
Qu'ainsi, il ressort des pièces du dossier que la Société MATIGNON FINANCES ET CONSEIL a remboursé à Monsieur X. à la suite de la vente des titres « M. J. » devenus « L. B. P. T. » une somme de 43.985,68 Francs en mars 1991 alors que si le service de gestion de portefeuilles avait vendu ces actions comme elle en avait reçu l'ordre soit au 18 août 1989 alors que le titre avait atteint une valeur supérieure à 3.570 Francs la part, cette vente aurait rapporté un produit de 75.527,76 Francs (3.596,56 Francs X 21 parts).
Qu'en conséquence, le préjudice subi par Monsieur X. s'élève à la somme de 31.542,08 Francs.
Que celui-ci a limité sa demande à la somme de 30.000 Francs.
Qu'il sera donc fait droit à sa demande.
Attendu que Monsieur X. ne justifie pas de l'exécution provisoire demandée, qu'il convient de l'en débouter [minute page 8] […]
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS : […]
- 5802 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (2) - Cass. civ. 1re, 14 mai 1991 - Application directe de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 : principe
- 6008 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Rédaction et interprétation - Interprétation en faveur du consommateur (L. 212-1, al. 1, C. consom.) - Articulation avec les clauses abusives
- 6033 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Nature du contrat - Esprit du contrat - Contrat aléatoire
- 6641 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Bourse et services financiers