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CA COLMAR (1re ch. civ. B), 9 octobre 2008

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. B), 9 octobre 2008
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. B
Demande : 06/05647
Date : 9/10/2008
Nature de la décision : Confirmation
Décision antérieure : TGI COLMAR (1re ch. civ.), 16 janvier 2001
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CERCLAB - DOCUMENT N° 1385

CA COLMAR (1re ch. civ. B), 9 octobre 2008 : RG n° 06/05647 

 

Extrait : « Il n'est pas contesté que la convention d'ouverture de compte courant litigieuse présente des éléments d'extranéité rendant applicable au présent litige la Convention de ROME. Certes la banque allemande soutient que la loi allemande a été choisie par les parties par référence à l'article 6 de ses conditions générales, mais elle ne conteste pas vraiment que celles-ci n'ont pas été remises par tradition à un quelconque moment aux appelants.

De plus, s'agissant de la validité de cette clause, il y a lieu, pour apprécier sa nature de clause abusive, de se référer aux dispositions de la Directive 93/13/CE. En effet, et contrairement à ce que soutient la banque allemande, selon la CJCE (arrêt 27/06/00 Aff. OCEANO GRUPO EDITORIAL) la juridiction nationale est tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à la Directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette Directive, l'exigence d'une interprétation conforme requérant en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d'office d'assurer une compétence qui lui est attribuée en vertu d'une clause abusive.

En l'espèce la clause litigieuse informe seulement le cocontractant de la possibilité de lui donner copie des conditions générales ou de les lui envoyer sur sa demande, et en aucun cas la banque allemande n'affirme que le consommateur a au moins été mis en possession de celles-ci sans qu'elles lui soient remises, et qu'il en a pris connaissance. Or, selon l'article 3-3° de la Directive 93/13/CE, une annexe à celle-ci contient une liste indicative et non exhaustive des clauses pouvant être déclarées abusives. Ainsi en est-il de celle constatant de manière irréfragable l'adhésion du consommateur à des clauses dont il n'a pas eu effectivement l'occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat (Annexe i). Cette analyse a été étendue en France par la recommandation n° 94-01 de la Commission des Clauses abusives concernant les clauses dites de consentement implicite dans le cas de modification par le professionnel à son gré des clauses du contrat sans que le consommateur ait à exprimer de façon explicite son acceptation. Enfin la considération de la bonne foi de la banque allemande, professionnel stipulant, est sans importance au regard de la Directive 93/I3/CE. Au demeurant, et alors que la banque prétend que les contrats ont été conclus en son établissement de KARLSRUHE, elle aurait pu remettre un exemplaire de ses conditions générales afin d'éclairer son cocontractant non professionnel, s'agissant au surplus de contrats transfrontaliers dans le cadre desquels les usages de la banque allemande ne sont pas forcément connus de ses clients français.

Dès lors la clause prévue à l'article 6 des Conditions Générales est abusive et inopposable aux époux X., si bien qu'il n'existe en l'espèce aucune loi choisie par les parties. Il convient donc de rechercher la loi applicable au contrat par référence aux dispositions de l'article 4 de la Convention de ROME. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION B

ARRÊT DU 9 OCTOBRE 2008

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Numéro d'inscription au répertoire général : I B 06/05647. Décision déférée à la Cour : 16 janvier 2001 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COLMAR.

 

APPELANTS :

Monsieur X.

[adresse],

Madame Y. épouse X.

[adresse],

représentés par la SCP CAHN & Associés, avocat à la Cour. Avocat plaidant : Maître GABRY, avocat à STRASBOURG

 

INTIMÉE :

Société de droit allemand BAYERISCHE HYPO & VEREINSBANK AG

[adresse], représentée par Maître François-Xavier HEICHELBECH, avocat à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 25 juin 2008, en audience publique, devant la Cour composée de : [minute page 2] M. LITIQUE, Président de Chambre, Mme MAZARIN-GEORGIN, Conseiller, entendu en son rapport M. ALLARD, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile. - signé par M. Jean-Marie LITIQUE, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Selon acte notarié signé le 8 janvier 1992 en l'étude de Maître A., notaire à [ville B.], la banque allemande BAYERISCHE VEREINSBANK aux droits de laquelle vient aujourd'hui la SA BAYERISCHE HYPO UND VEREINSBANK (ci-après dénommée la banque allemande) consentait aux époux X. un contrat de prêt de 970.000 DM remboursable sur 15 ans au taux de 8 % l'an (TEG 10,83 % l'an) et ayant pour objet la conversion de dettes et la rénovation de l'immeuble situé XX-YY grand rue à [ville B.], les intérêts étant payables par semestres échus, et ce moyennant une hypothèque sur la maison et une assurance vie souscrite auprès des Mutuelles du Mans.

Ce prêt notarié avait été précédé d'un acte sous seing privé en date du 13 décembre 1991 portant comme lieu de signature « Karlsruhe » (Allemagne) par lequel un prêt a été convenu entre la banque allemande et les époux X. pour un montant de 970.000 DM d'une durée de 15 ans au taux de 8 % l'an (TEG 9,7 %), destiné à couvrir des dettes et à financer la restauration de leur immeuble d'habitation à [Ville B.], et ce moyennant promesse d'affecter celui-ci et un autre immeuble situé à [Ville B.] d'une hypothèque de premier rang au profit de la banque, le droit au versement des fonds ne prenant naissance qu'après constitution de cette garantie et le contrat étant soumis à la loi allemande, étant précisé que les conditions générales de la banque, pouvant être remises dans chaque succursale ou être envoyées, faisaient partie intégrante de ce contrat.

Il s'ensuivait une offre de prêt immobilier (« en application des prescriptions de la loi n°79-596 du 13/07/1979 ») précisant que le montant du prêt serait mis à disposition le jour de la signature de l'acte notarié par l'intermédiaire du notaire, établie à KARLSRUHE le 17 décembre 1991, reçue par les époux X. le 20 décembre 1991 et acceptée par eux le 2 janvier 1992.

Dans le cadre du déblocage de ce prêt un virement de 899.996,97 DM était opéré par la banque allemande par inscription au débit du compte n°2.XX.YY sur le compte n°65.WW.ZZ tenu par le Crédit Foncier de France le 18 décembre 1991 en attendant le versement de la totalité du prêt sur le numéro de compte prêt 2.TT.UU le 29 janvier 1992.

Par ailleurs, les époux X. signaient une demande d'ouverture d'un compte courant [minute page 3] n°2.PP.RR le 9 décembre 1992 portant la mention « compte courant pour le prêt 2.TT.UU », sur lequel étaient comptabilisés les intérêts de ce prêt immobilier à partir du 9 mars 1993 et duquel était débité en juillet et décembre de chaque année le montant de 39.000 DM, ce compte étant approvisionné par le versement des loyers perçus par les époux X.

Les époux X. ayant connu des difficultés financières en 1995, une convention de remboursement était signée les 2 et 10 avril 1995 par les parties, de laquelle il ressortait que le compte 2.PP.RR présentait un découvert non autorisé de 38.798 DM, outre les intérêts contractuels jusqu'au 20 décembre 1994, lequel devait être remboursé au plus tard le 1er mai 1997 par versements mensuels de 1.500 DM à compter du 1er avril 1995, faute de quoi la convention serait caduque.

Les époux X. n'ayant pas honoré leurs échéances, c'est dans ces conditions que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mars 1997, la banque allemande leur faisait connaître qu'elle résiliait le contrat et dénonçait le compte courant, les mettant en demeure de lui payer la somme de 968.158,20 DM restant due au titre du prêt.

La banque allemande était en outre autorisée à mettre en œuvre une procédure d'exécution forcée immobilière par ordonnance du 3 novembre 1997, confirmée par arrêt de cette Cour du 13 novembre 1998.

C'est dans ces conditions que la banque a saisi le Tribunal de Grande Instance de COLMAR le 12 août 1997 d'une demande tendant, dans le dernier état de la procédure, à la condamnation des époux X. au paiement, outre les dépens et 5.000 frs au titre de l'article 700 du code de procédure civile, du montant de 152.520,16 DM avec les intérêts au taux variable de 10 % l'an à compter du 3 juin 2007 en se fondant sur l'applicabilité de la loi allemande, subsidiairement sur l'inapplicabilité du délai de forclusion de l'article L. 311-37 du Code de la consommation, à l'inverse de ce que soutenaient les époux X.

De leur côté ces derniers en parallèle avaient saisi le 14 mai 1999 le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG d'une demande en nullité du contrat de prêt pour violation des dispositions de la loi française à titre de loi de police, mais la banque ayant soulevé l'incompétence de cette juridiction, par jugement du 17 mars 2003 confirmé sur contredit par arrêt de cette Cour du 25 février 2004 aujourd'hui devenu définitif suite au rejet du pourvoi, le Tribunal se déclarait territorialement incompétent au profit des juridictions allemandes.

Dans la présente instance, par jugement du 16 janvier 2001, le Tribunal de Grande Instance de COLMAR, considérant que :

- au vu de la clause sur les conditions générales et de la signature préalable du prêt soumis par les parties à la loi allemande, celles-ci avaient expressément choisi cette loi pour régir leurs relations contractuelles,

- il n'était nullement démontré que la banque ait fait au préalable des démarches ou de la publicité en France pour vendre ses services auprès des époux X., ni qu'elle se soit déplacée sur le territoire français, la convention ayant été signée par les défendeurs en Allemagne,

- il n'était pas contesté que la loi allemande protège également le consommateur dans des conditions satisfaisantes,

- les conditions de la convention litigieuse ne sont nullement abusives,

- [minute page 4] les montants réclamés par la banque sont justifiés et ne sont pas sérieusement contestés,

- les montants acquittés à la banque concernent le contrat de prêt objet d'une autre instance,

- la banque ne justifie pas du taux variable de 10 % qu'elle réclame,

a statué comme suit :

« - Déclare applicable la loi allemande contractuellement prévue entre les parties ;

- Condamne solidairement Monsieur X. et Madame X. née Y. à payer à la demanderesse la contre valeur en francs français au jour du paiement de la somme de 152.520,16 DM (soit 77.982,32 euros), augmentée des intérêts légaux à compter du 3 juin 1997 ;

- Ordonne l'exécution provisoire ;

- Condamne les défendeurs aux frais et dépens ;

- Condamne les défendeurs à payer à la demanderesse la somme de 4.000 Frs soit 609,80 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. »

A l'encontre de ce jugement, les époux X. ont interjeté appel par déclaration déposée le 24 avril 2001 au greffe de la Cour.

Par arrêt du 10 novembre 2005, cette Cour a déclaré l'appel recevable, ordonné le sursis à statuer jusqu'à intervention définitive d'une décision sur la compétence dans la procédure 1B 03/2201, réservé les droits des parties et ordonné la radiation de l'affaire.

L'instance était reprise par la banque allemande selon conclusions du 14 décembre 2006 suite à intervention de l'arrêt du 28 novembre 2006 de la Cour de Cassation rejetant le pourvoi dans la procédure 1B 03/2201.

Se référant à leurs derniers écrits du 13 décembre 2007, les époux X. demandent à la Cour de :

« DONNER ACTE à Madame et Monsieur X. de ce qu'ils produisent en annexe aux présentes un bordereau de pièces communiquées et de communication de pièces.

DÉCLARER l'appel de Madame et Monsieur X. recevable et bien fondé.

INFIRMER le jugement dont appel.

SURSEOIR à statuer jusqu'à intervention d'un jugement définitif dans le cadre de la plainte pénale déposée par Monsieur X., ceci au vu de l'attestation nouvelle E.

ORDONNER Avant-Dire-Droit l'audition de Messieurs E., H. et K., aux adresses à communiquer par la partie adverse.

En tout état de cause :

DIRE et JUGER que la Loi française est applicable en l'espèce.

[minute page 5] DIRE et JUGER la Loi SCRIVENER applicable en l'espèce.

En conséquence :

DIRE et JUGER la juridiction de première instance saisie incompétente au profit du Tribunal d'Instance de COLMAR.

DIRE et JUGER la demande de la BAYERISCHE VEREINSBANK forclose.

Subsidiairement :

DIRE et JUGER la BAYERISCHE VEREINSBANK déchue de son droit à intérêts. DÉBOUTER la BAYERISCHE VEREINSBANK de ses fins, moyens et conclusions.

CONDAMNER la BAYERISCHE VEREINSBANK à payer aux époux X. une indemnité de procédure d'un montant de 3.048,98 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, avec intérêts en sus au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

CONDAMNER la BAYERISCHE VEREINSBANK à payer aux époux X. une indemnité de procédure d'un montant de 3.048,98 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel, avec intérêts en sus au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir.

CONDAMNER la BAYERISCHE VEREINSBANK à payer aux époux X. un montant de 30.000 euros de dommages et intérêts pour résistance et actions abusives et frustratoires, outre un montant de 1.500 euros en application de l'article 32-1 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal en sus à compter de l'arrêt à intervenir.

ORDONNER très subsidiairement à la BAYERISCHE VEREINSBANK de se prononcer sur le point de savoir ce qu'il est advenu des loyers régulièrement versés entre ses mains depuis 1995, qui n'ont pas été portés au crédit des comptes-courants.

Avant-Dire-Droit :

ENJOINDRE sous astreinte à la BAYERISCHE VEREINSBANK à produire aux débats les historiques des comptes n° 2.TT.UU, 2.PP.RR, 2.XX.YY et 2.TT.MM. »

Ils font valoir pour l'essentiel que :

- les parties n'ont pas choisi la loi applicable au contrat, la clause relative aux conditions générales leur étant inopposable pour être de nature abusive au sens notamment de la Directive 93/13/CE et le droit français étant plus favorable au consommateur que le droit allemand ;

- le droit français concernant la protection du consommateur est seul applicable dès lors qu'il constitue une disposition impérative, et ce en vertu des articles 5.2 et 5.3 de la Convention de ROME compte tenu des actes faits sur le territoire français ;

- aucune autorité de chose jugée ne s'attache aux motifs de l'arrêt du 25 février 2004 relatif au prêt, lequel se fondait sur les dispositions de la Convention de BRUXELLES ;

- la banque est poursuivie pour faux et usage de faux au titre du contrat de prêt si bien qu'il y [minute page 6] a lieu de surseoir à statuer ;

- subsidiairement, au cas où la loi allemande serait reconnue applicable, il y aurait lieu d'appliquer conformément à l'article 7.2 de la Convention de ROME la loi de police dite loi Scrivener si bien que la banque serait forclose et déchue de son droit aux intérêts ;

- l'intimée est également forclose sur le fondement de l'article L. 311-37 du Code de la consommation, le délai courant à compter de la date d'exigibilité du découvert

- en l'absence d'offre de prêt régularisé, la banque est déchue du droit aux intérêts ;

- l'intimée agit de manière abusive.

 

Se référant à ses derniers écrits du 29 octobre 2007, la banque allemande conclut à la confirmation du jugement, au débouté des appelants de l'intégralité de leurs prétentions et à leur condamnation au paiement, outre les dépens, d'un montant de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, en soutenant en substance que

- les conditions générales sont opposables aux appelants qui en ont eu connaissance dans le cadre de leurs relations d'affaires passées, celles-ci leur étant accessibles, et la directive 93/13/CE étant inapplicable pour être postérieure au contrat,

 - le contrat présente le plus de liens avec l'Allemagne,

- les conditions cumulatives de l'article 5 de la Convention de ROME ne sont pas réunies, la preuve contre un écrit ne pouvant être rapportée par de seuls témoignages et la Cour ayant déjà par décision définitive décidé que le contrat de prêt était soumis à la loi allemande,

- il n'y a pas lieu de surseoir à statuer, la plainte pénale s'étant soldée par une ordonnance de non lieu,

- le droit allemand protège aussi efficacement le consommateur que le droit français,

- il n'y a pas forclusion, l'article L. 311-37 étant inapplicable au regard du montant réclamé et le délai ne courant qu'à compter de 1997, date des premiers impayés.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR QUOI, LA COUR :

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments ;

Vu l'arrêt de cette Cour du 10 novembre 2005 ayant déclaré l'appel recevable.

 

I) Sur le sursis à statuer :

La plainte avec constitution de partie civile des époux X. en date du 29 mars 2004 pour faux et usage de faux ne concerne que le prêt du 13 décembre 1991 et a donné lieu à une décision de non-lieu selon les appelants, aucune pièce n'étant versée aux débats sur ce dernier point.

Rien ne permet non plus d'établir dans les pièces que les appelants ont saisi le Procureur de la République d'une demande de réouverture du dossier d'instruction.

[minute page 7] Il n'y a donc aucune raison de prononcer un nouveau sursis à statuer dans cette affaire.

 

II) Sur la loi applicable :

A) Sur la loi choisie par les parties au contrat :

Il n'est pas contesté que la convention d'ouverture de compte courant litigieuse présente des éléments d'extranéité rendant applicable au présent litige la Convention de ROME.

Certes la banque allemande soutient que la loi allemande a été choisie par les parties par référence à l'article 6 de ses conditions générales, mais elle ne conteste pas vraiment que celles-ci n'ont pas été remises par tradition à un quelconque moment aux appelants.

De plus, s'agissant de la validité de cette clause, il y a lieu, pour apprécier sa nature de clause abusive, de se référer aux dispositions de la Directive 93/13/CE. En effet, et contrairement à ce que soutient la banque allemande, selon la CJCE (arrêt 27/06/00 Aff. OCEANO GRUPO EDITORIAL) la juridiction nationale est tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à la Directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette Directive, l'exigence d'une interprétation conforme requérant en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d'office d'assurer une compétence qui lui est attribuée en vertu d'une clause abusive.

En l'espèce la clause litigieuse informe seulement le cocontractant de la possibilité de lui donner copie des conditions générales ou de les lui envoyer sur sa demande, et en aucun cas la banque allemande n'affirme que le consommateur a au moins été mis en possession de celles-ci sans qu'elles lui soient remises, et qu'il en a pris connaissance.

Or, selon l'article 3-3° de la Directive 93/13/CE, une annexe à celle-ci contient une liste indicative et non exhaustive des clauses pouvant être déclarées abusives. Ainsi en est-il de celle constatant de manière irréfragable l'adhésion du consommateur à des clauses dont il n'a pas eu effectivement l'occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat (Annexe i). Cette analyse a été étendue en France par la recommandation n° 94-01 de la Commission des Clauses abusives concernant les clauses dites de consentement implicite dans le cas de modification par le professionnel à son gré des clauses du contrat sans que le consommateur ait à exprimer de façon explicite son acceptation.

Enfin la considération de la bonne foi de la banque allemande, professionnel stipulant, est sans importance au regard de la Directive 93/I3/CE. Au demeurant, et alors que la banque prétend que les contrats ont été conclus en son établissement de KARLSRUHE, elle aurait pu remettre un exemplaire de ses conditions générales afin d'éclairer son cocontractant non professionnel, s'agissant au surplus de contrats transfrontaliers dans le cadre desquels les usages de la banque allemande ne sont pas forcément connus de ses clients français.

Dès lors la clause prévue à l'article 6 des Conditions Générales est abusive et inopposable aux époux X., si bien qu'il n'existe en l'espèce aucune loi choisie par les parties.

Il convient donc de rechercher la loi applicable au contrat par référence aux dispositions de l'article 4 de la Convention de ROME.

 

B) Sur la loi applicable à défaut de choix :

1) sur la loi prévue par l'article 4 de la Convention de ROME :

[minute page 8] Aucune autorité de chose jugée ne s'attache à l'arrêt définitif du 25 février 2004, l'objet du litige dont est saisie la Cour étant le remboursement d'un solde débiteur de compte courant et non du prêt (sauf à admettre qu'il s'agit de contrats concourant à la réalisation d'une même opération, ce qui supposerait leur conclusion simultanée ou dans un court laps de temps et non à une année d'intervalle comme en l'espèce), et la Cour dans cet arrêt tranchant un problème de compétence au profit des juridictions allemandes. En tout état les motifs, fussent-ils le soutien nécessaire du dispositif, n'ont pas autorité de la chose jugée.

En application de l'article 4 de la Convention de ROME est applicable la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.

La demande d'ouverture de compte courant, si elle ne précise pas l'endroit où elle a été signée, l'a été avec une banque allemande, qui tenait le compte, selon un acte sous seing privé rédigé pour partie en langue allemande.

En conséquence, il s'agit d'un contrat transfrontalier présentant les liens les plus étroits avec l'Allemagne.

 

2) sur la dérogation prévue à l'article 5 de ladite convention :

Selon l'article 5 de la Convention de ROME, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle, si la conclusion du contrat a été précédée, dans ce pays, d'une proposition spécialement faite et si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat.

En outre l'article 5 de la Convention de ROME s'applique aux contrats ayant pour objet la fourniture d'objets mobiliers corporels ou de service à une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ainsi qu'aux contrats destinés au financement d'une telle fourniture, y compris les crédits immobiliers (CA COLMAR 12/05/2005 - Epoux BONNET / COMMERZBANK).

Il est constant que le compte courant a été ouvert en relation avec le prêt immobilier consenti un an auparavant aux époux X. par la banque allemande.

Cependant les appelants contestent avoir signé l'acte d'ouverture de compte courant au siège de la banque et soutiennent l'avoir signé en France par l'intermédiaire d'un certain C., mandataire de cette dernière, ce que celle-ci conteste.

Mais il convient, pour apprécier les conditions de l'article 5 de la Convention de ROME de se référer aux critères de l'article 13 de la Convention de BRUXELLES - lesquels sont en tous points identiques à ceux de la Convention de ROME - tels qu'interprétés par la CJCE dans son arrêt du 11 juillet 1992 : « ainsi ce texte, qui ne parle pas d'offre de contracter, mais de « proposition spécialement faite », n'exige pas que celle-ci émane du cocontractant ou de son mandataire et il suffit que le consommateur ait fait l'objet, dans l'État dans lequel il est domicilié, d'une proposition pour l'inciter à conclure le contrat en cause ».

Les attestations versées aux débats, dès lors qu'elles ne portent pas sur le contenu de la convention de compte courant, mais sur l'existence d'une « proposition spécialement faite » visée à l'article 5 de la Convention de ROME sont recevables même en l'absence de commencement de preuve par écrit.

Or, les trois attestations de M. C. (dont il est établi par la lettre non contestée de son conseil en date du 2 avril 1993 qu'il était alors employé par la banque allemande en qualité [minute page 9] de mandataire rémunéré à la commission) parlent de la mise en place du prêt et non de la convention de compte courant un an après. L'attestant D. n'apporte rien de plus dès lors qu'il témoigne de faits n'ayant rien à voir avec le présent litige, s'agissant d'un prêt contracté par la Commune dont il était alors le maire. Enfin l'attestation de M. E. est trop peu circonstanciée pour établir que les époux X. ont fait l'objet de la part de la banque (dont il était le Chef du Service Crédits au sein de l'établissement de KARLSRUHE) en France d'une « proposition spécialement faite » en décembre 1992 en vue de l'ouverture d'un compte courant en relation avec le prêt consenti un an auparavant et qu'ils ne se sont pas rendus au siège de la banque allemande pour signer la demande d'ouverture d'un tel compte.

Il en est de même des attestations de M. F., témoin indirect, qui ne parle que du contrat de prêt et de M. G. qui, comme l'attestant D., témoigne de faits sans rapport avec le présent litige.

Dans ces conditions, l'une des deux conditions cumulatives prévues par l'article 5 de la Convention de ROME n'étant pas remplie, les appelants ne peuvent s'en prévaloir.

 

3) sur la dérogation prévue à l'article 7.2 de la Convention de ROME :

Les appelants invoquent alors l'article 7.2 de la Convention de ROME selon lequel les dispositions de cette Convention ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du Juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat, en soutenant que les articles L. 311-1 à L. 311-37 du Code de la consommation tels que découlant de la loi Scrivener ont un caractère impératif les faisant entrer dans la catégorie des lois de police au sens de cet article 7.2.

Outre que la jurisprudence citée par les appelants ne saurait emporter la conviction de cette Cour, l'arrêt du 19 octobre 1999 de la Cour de Cassation ayant été rendu à propos d'un contrat conclu avant l'entrée en vigueur de la Convention de ROME et l'arrêt du 23 mai 2006 ne qualifiant de loi de police au sens de l'article 7.2 susvisé que l'article L. 311-37 du Code de la consommation, qualifier de loi de police l'ensemble des dispositions françaises sur le crédit à la consommation serait faire obstacle aux dispositions du Traité Européen et de la Directive bancaire relative à la liberté de prestation des services bancaires.

Mais surtout les articles L. 311-1 et suivants dudit Code sur le crédit ne sont pas applicables au fonctionnement du compte courant litigieux, la banque n'ayant consenti aucune autorisation de découvert, et les appelants ne l'ignoraient nullement dès lors que les premiers incidents de paiement sur ce compte n°2.PP.RR remontent à 1995, époque à laquelle était signée entre les parties une convention de remboursement mentionnant clairement un découvert non autorisé de 38.798 DM sur ce compte, lequel était clôturé le 12 mars 1997 faute pour les époux X. d'avoir honoré leurs échéances tant pour le prêt qu'au titre de cette convention des 2 et 21 avril 1995.

Or les dispositions du Code Monétaire et Financier régissant le fonctionnement des comptes courants en France ne revêtent pas le caractère de loi de police au sens de l'article 7.2 de la Convention de ROME.

En conséquence la convention d'ouverture de compte courant est régie par la loi allemande.

 

III) Conséquences :

La demande des appelants tendant à voir déclarer forclose la banque allemande sur le [minute page 10] fondement de l'article L. 311-37 du Code de la consommation français sera rejetée.

Il en est de même de la demande tendant au prononcé de la déchéance de la banque du droit aux intérêts.

Enfin le montant réclamé et alloué par le premier juge est justifié au vu des décomptes produits par la banque, les appelants soutenant avoir continué à payer des loyers sur un compte CARPA jusqu'en mai 2002 pour un montant de 20.382,80 euros venant donc en déduction.

Cependant les appelants se fondent sur un décompte manuscrit auquel sont jointes des pièces en langue allemande à en-tête de la banque ne permettant pas d'établir l'origine et la nature de la créance ainsi en voie d'apurement alors que la charge de la preuve leur incombe.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a alloué le montant de 77.982,32 euros (152.520,16 DM), avec les intérêts légaux à compter du 3 juin 1997 en l'absence d'appel incident sur ce point, sauf à préciser que ce montant est alloué en deniers ou quittances.

 

IV) Pour le surplus :

Les appelants succombant, l'action de la banque intimée n'est nullement abusive et la demande des époux X. en dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

En outre ceux-ci seront condamnés aux dépens d'appel et leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne saurait prospérer.

Enfin l'équité commande de les faire participer à concurrence de 2.500 euros aux frais irrépétibles d'appel qu'a dû exposer l'intimée.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

- Vu l'arrêt du 10 novembre 2005 déclarant l'appel recevable et ordonnant le sursis à statuer,

- REJETTE la nouvelle demande de sursis à statuer,

- DÉCLARE la loi allemande applicable à la convention de compte courant n°2.PP.RR du 9 décembre 1992,

- CONFIRME le jugement attaqué en toutes ses dispositions, sauf à préciser que la condamnation au montant de 77.982,32 euros avec les intérêts légaux à compter du 3 juin 1997 est prononcée en deniers ou quittances,

- DÉBOUTE les appelants de l'intégralité de leurs prétentions,

- Les CONDAMNE aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à la banque intimée d'un montant de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance d'appel.

LE GREFFIER :       LE PRÉSIDENT :