CA NANCY (1re ch. civ.), 28 septembre 2004
CERCLAB - DOCUMENT N° 1557
CA NANCY (1re ch. civ.), 28 septembre 2004 : RG n° 01/02699 ; arrêt n° 1736/04
Extrait : « Il sera observé d'une part que l'assureur ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur X. a eu connaissance des conditions générales du contrat. D'autre part, la clause définissant l'invalidité permanente et absolue en référence à l'article L. 310 3° du code de la Sécurité Sociale apparaît abusive dès lors que sa formulation, imprécise, est de nature à induire en erreur les assurés sur les conditions réelles de prise en charge d'une telle invalidité, que la condition cumulative de recours à l'assistance à une tierce personne est de nature à exclure de la prise en charge la quasi-totalité des invalidités, seulement 2 % des invalidités reconnues par la Sécurité sociale étant assorties de la majoration pour tierce personne et qu'elle induit un déséquilibre dans les obligations réciproques des cocontractants. Par conséquent, le contrat d'assurance groupe s'analysant tant comme un contrat d'adhésion que comme un contrat à exécution successive, il convient de considérer que la condition relative à la nécessité de recourir à une tierce personne est abusive et réputée non écrite, que seule doit s'appliquer la condition selon laquelle l'assuré doit se trouver dans l'incapacité permanente d'exercer une profession quelconque. »
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE NANCY
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2004
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro d'inscription au répertoire général : 01/02699. Arrêt n°1736/04.
Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G. n° 9904051, en date du 20 septembre 2001,
APPELANTE :
CAISSE NATIONALE DE PRÉVOYANCE ASSURANCES
ayant son siège [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux pour ce, domiciliés audit siège, représentée par la SCP BONET-LEINSTER-WISNIEWSKI, avoués à la Cour ; assistée de Maître DIETMANN-LAURENT, substitué par Maître BOUTONNET, avocats au barreau de NANCY ;
INTIMÉ :
Monsieur X.
représenté par la SCP MILLOT-LOGIER-FONTAINE, avoués à la Cour ; assisté de Maître GAUCHER, substitué par Maître NIANGO, avocats au barreau de NANCY ;
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 29 juin 2004, en audience publique devant la Cour composée de : Monsieur Guy DORY, Président de Chambre, Monsieur Gérard SCHAMBER, Conseiller, Madame Pascale TOMASINI, Conseiller, qui en ont délibéré ;
Greffier : lors des débats : Madame Agnès STUTZMANN,
ARRÊT : contradictoire, prononcé publiquement à l'audience du 28 septembre 2004 date indiquée à l'issue des débats, par Monsieur DORY, Président ; signé par Monsieur DORY, Président, et par Madame STUTZMANN, greffier présent lors du prononcé ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page2] EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 6 septembre 1977, Monsieur X. a souscrit auprès de l'Union Départementale Mutualiste un prêt destiné à l'acquisition et à la rénovation d'une maison, d'une durée de 25 ans, venant à expiration le 1er janvier 2003.
Il a parallèlement adhéré au contrat d'assurance groupe proposé par la CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE (CNP) ayant pour objet de garantir le remboursement des échéances du prêt en cas de décès de l'assuré ou d'invalidité permanente et absolue survenue avant l'âge de 65 ans.
Monsieur X., qui exerçait la profession de maçon, a cessé totalement son activité professionnelle à partir du 20 novembre 1995 et a été admis à compter de cette date à percevoir de la Caisse des Assurances Vieillesse des Artisans de Lorraine une pension d'incapacité totale définitive à son métier de maçon de 100 %.
Par jugement du 20 novembre 1997 du Tribunal de l'Incapacité, il a également été admis à bénéficier d'une carte d'invalidité, avec un taux d'invalidité reconnu de 80 %, du 1er juin 1997 au 1er juin 2002.
La CNP ayant refusé de prendre en charge le remboursement des échéances du prêt restant dues, au titre de l'invalidité, Monsieur X. l'a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de NANCY, selon exploit du 6 juillet 1997, pour obtenir sa condamnation, avec exécution provisoire, à prendre en charge la totalité des échéances du prêt à compter du 20 novembre 1995 jusqu'à la date de l'assignation, outre un montant de 4.000 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Il a ensuite actualisé sa demande à hauteur de 52 mensualités de 782,15 Francs pour un montant total de 40.671,80 Francs.
Il a fait valoir qu'il est en invalidité totale depuis le 20 novembre 1995, que la clause du contrat définissant l'invalidité ouvrant droit au bénéfice de l'assurance doit être déclarée abusive dès lors que seul l'adhérent se trouvant dans un état végétatif peut en bénéficier, que cette clause n'est pas conforme au but qu'il poursuivait lors de l'adhésion au contrat. Il a observé que la clause litigieuse ne lui est pas opposable dès lors qu'en adhérant au contrat, il a simplement eu connaissance d'une [minute page 3] notice ne reproduisant pas ladite clause, laquelle ne figure que sur les conditions générales du contrat dont il n'a pas eu connaissance.
La CNP a conclu au débouté des prétentions de Monsieur X. et à sa condamnation au paiement d'une somme de 10.000 Francs pour procédure abusive et de 5.000 Francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle a réclamé une expertise médicale de Monsieur X. afin de rechercher si son état de santé lui interdit d'exercer une quelconque activité procurant gain ou profit d'une part, et le met dans l'obligation d'avoir recours à l'assistance permanente et viagère d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie d'autre part.
La CNP a fait valoir que Monsieur X. ne remplit pas les conditions contractuelles pour une prise en charge des échéances du prêt au titre de la garantie invalidité permanente et absolue dès lors notamment qu'il n'établit pas se trouver dans une situation justifiant le recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.
Elle a estimé que cette clause ne peut être considérée comme abusive dès lors qu'elle est claire et donne une définition de l'invalidité 3ème catégorie de la Sécurité sociale et qu'il n'existe pas de discontinuité entre la garantie incapacité temporaire et la garantie invalidité définitive.
Elle a observé que la notice dont se prévaut le demandeur ne lui était pas destinée, qu'il a nécessairement été destinataire des conditions générales du contrat d'assurance groupe et qu'en tout état de cause, elle ne saurait être tenue pour responsable d'un éventuel défaut d'information en application de l'article L. 312-9 du code de la consommation, qui fait peser l'obligation d'information sur le prêteur.
Par jugement du 20 septembre 2001, le Tribunal de Grande Instance de NANCY a :
- dit et jugé que la condition de la garantie relative à la nécessité pour l'assuré d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie, prévue par l'article ter des conditions générales du contrat d'assurance, n'est pas opposable à Monsieur X. et que seule doit s'appliquer la condition prévue par la notice d'information signée par lui le 27 juillet 1977, selon [minute page 4] laquelle l'assuré doit se trouver dans l'incapacité permanente d'exercer une profession quelconque,
- avant dire droit, ordonné une expertise médicale confiée au Docteur A., aux fins de dire si Monsieur X. se trouve ou non dans l'incapacité définitive d'exercer une profession quelconque et dans l'affirmative, depuis quelle date, ou s'il ne se trouve que dans l'incapacité d'exercer son métier de maçon,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- réservé les dépens.
Le premier juge, reprenant la définition de l'invalidité permanente et absolue prévue à l'article ter des conditions générales du contrat d'assurance groupe proposé par la CNP, auquel Monsieur X. a adhéré, a constaté que cette définition n'est pas reprise dans des termes identiques par la notice d'information signée le 27 juillet 1977 par Monsieur X. dès lors qu'il n'est pas indiqué, dans ce document, que l'assuré doit se trouver dans l'obligation d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie.
Il a relevé qu'en application de la combinaison des articles 1134 et 1315 du Code Civil et R. 140-5 du code des assurances, les clauses d'un contrat d'assurance de groupe plus restrictives que celles de la notice prévue par ce dernier article sont inopposables à l'assuré, à moins que l'assureur n'établisse les avoir portées à sa connaissance lors de son adhésion, qu'en l'espèce, la CNP ne justifie pas avoir porté à la connaissance de Monsieur X. les conditions générales du contrat d'assurances, qu'il convient de vérifier si Monsieur X. se trouve en situation d'invalidité permanente et absolue, que le terme « absolue » doit s'entendre comme l'impossibilité pour l'assuré d'exercer une activité professionnelle quelconque, qu'en l'état des documents médicaux produits, l'expertise médicale du demandeur s'impose.
La CNP a interjeté appel de cette décision par déclaration du 22 octobre 2001 enregistrée au Greffe le 23 octobre 2001.
Dans ses dernières conclusions signifiées et déposées le 30 juillet 2003, la CNP a conclu à l'infirmation de la décision querellée, au débouté des demandes de Monsieur X., à sa condamnation à lui payer la somme de 762,25 € au titre des frais d'instance, outre un montant de 1.000 € au titre des frais d'appel.
[minute page 5] L'appelante maintient que Monsieur X. ne remplit pas les deux conditions cumulatives claires et explicites prévues par l'article 1er des conditions générales du contrat d'assurance auquel il a adhéré, qu'il a eu nécessairement connaissance des conditions générales du contrat, observe que si tel n'avait pas été le cas, il aurait soulevé ce moyen dès l'origine du litige, que la notice dont il se prévaut ne lui était pas destinée mais concernait les souscripteurs de l'assurance groupe, soit les chefs d'entreprise ou les établissements de crédit. Elle rappelle que l'article L. 312-9 du code de la consommation met une obligation d'information à la charge du souscripteur et non de l'assureur.
Elle estime que dès lors que la preuve est rapportée de ce que Monsieur X. ne remplit pas la condition exigée d'un recours à une tierce personne, il ne peut prétendre à garantie au titre de l'invalidité.
Subsidiairement, en cas de rejet de son appel, elle précise ne pas s'opposer à ce que l'expertise médicale ordonnée soit diligentée.
Dans ses dernières écritures signifiées et déposées le 6 mars 2003, Monsieur X. a conclu à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la CNP à lui payer la somme de 1.000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive, outre 1.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il rappelle que ne sont opposables à l'assuré que les documents contractuels qui ont été portés à sa connaissance, qu'il appartient au souscripteur ou le cas échéant à l'assureur d'établir l'accomplissement de la formalité d'information, qu'en l'espèce, seule la référence à la notion d'invalidité permanente et absolue est applicable, la condition relative à l'assistance d'une tierce personne n'ayant pas été portée à sa connaissance.
Il se réfère également à la position adoptée par la commission des clauses abusives n°90 01 du 8 novembre 1989 et du 28 août 1989, qui recommande que lorsqu'une police d'assurance est incluse dans un document contractuel relatif à un crédit ou à une location et qu'il y est fait référence à une invalidité de 3ème catégorie de la sécurité sociale, cette référence soit accompagnée d'une mention informative précisant sa signification concrète, que la seule indication du numéro de l'article du code de la sécurité sociale ne satisfait pas à cette exigence.
[minute page 6] La procédure a été clôturée suivant ordonnance du 8 janvier 2004.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes de l'article 1er alinéa 3 des conditions générales applicables aux contrats au titre de l'assurance temporaire relative à la petite propriété et aux habitations à loyer modéré proposée par la CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE, l'invalidité permanente et absolue survenue avant l'âge de 65 ans prise en charge par cet assureur s'entend « avec un caractère définitif de celle définie au 3ème alinéa de l'article L. 310 du code de la sécurité sociale : elle consiste dans l'incapacité pour l'assuré d'exercer une profession quelconque pendant tout le reste de sa vie avec l'obligation d'avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie ».
L'appelante produit un exemplaire des conditions générales applicables au contrat souscrit par Monsieur X., vierge de toute signature.
Monsieur X. produit quant à lui une « proposition d'assurance temporaire », correspondant par conséquent à l'assurance proposée par l'intimée, qu'il a renseignée et signée le 18 octobre 1977, soit quasiment concomitamment à la souscription de l'emprunt auprès de l'Union Départementale Mutualiste, définissant l'objet de l'assurance comme suit :
« Cette assurance a pour objet de garantir le remboursement de la somme restant due, au décès de l'assuré, sur le montant d'un prêt consenti conformément à la législation sur les Habitations à Loyer Modéré. La même garantie est accordée sous certaines conditions en cas d'invalidité permanente et absolue de l'assuré, cette invalidité étant appréciée suivant la définition de l'article L. 310 3° alinéa du code de la Sécurité Sociale... ».
Il sera observé d'une part que l'assureur ne rapporte pas la preuve de ce que Monsieur X. a eu connaissance des conditions générales du contrat.
D'autre part, la clause définissant l'invalidité permanente et absolue en référence à l'article L. 310 3° du code de la Sécurité Sociale apparaît abusive dès lors que sa formulation, imprécise, est de nature à induire en erreur les assurés sur les conditions réelles de prise en charge d'une telle invalidité, que la condition cumulative de recours à l'assistance à une tierce [minute page 7] personne est de nature à exclure de la prise en charge la quasi-totalité des invalidités, seulement 2 % des invalidités reconnues par la Sécurité sociale étant assorties de la majoration pour tierce personne et qu'elle induit un déséquilibre dans les obligations réciproques des cocontractants.
Par conséquent, le contrat d'assurance groupe s'analysant tant comme un contrat d'adhésion que comme un contrat à exécution successive, il convient de considérer que la condition relative à la nécessité de recourir à une tierce personne est abusive et réputée non écrite, que seule doit s'appliquer la condition selon laquelle l'assuré doit se trouver dans l'incapacité permanente d'exercer une profession quelconque.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu que seule cette dernière condition était applicable et a ordonné une expertise médicale afin d'établir que Monsieur X. est dans l'incapacité permanente d'exercer une profession quelconque.
Le jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY en date du 20 septembre 2001 sera confirmé dans toutes ses dispositions, par substitution de motifs.
Le seul fait d'interjeter appel d'une décision de justice est insuffisant pour caractériser un abus de droit. Monsieur X. sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par contre, l'équité impose de lui allouer une indemnité de procédure de 1.000 €.
La CNP, succombant en son appel, sera condamnée aux dépens.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY en date du 20 septembre 2001 en toutes ses dispositions, par substitution de motifs ;
[minute page 8] Y ajoutant ;
Déboute Monsieur X. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE à payer à Monsieur X. la somme de MILLE EUROS (1.000 €) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne la CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE aux dépens d'appel et autorise la SCP MILLOT LOGIER FONTAINE, associées avouées, à faire application des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ;
L'arrêt a été prononcé à l'audience publique du vingt huit septembre deux mille quatre par Monsieur DORY, Président de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, conformément à l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile, assisté de Madame STUTZMANN, greffier.
Et Monsieur le Président a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.
- 5741 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Conséquences sur l’issue du litige - Droits et obligations du professionnel
- 5814 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Clauses abusives - Illustrations : Loi n° 78-23 du 10 janvier 1978
- 6003 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Rédaction et interprétation - Rédaction claire et compréhensible (L. 212-1, al. 1, C. consom.) - Clause confuses
- 6089 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Contenu initial du contrat - Opposabilité des conditions générales - Conditions ne figurant pas sur l’écrit signé par le consommateur
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