TGI SAINT-BRIEUC, 25 novembre 2003
CERCLAB - DOCUMENT N° 1640
TGI SAINT-BRIEUC, 25 novembre 2003 : RG n° 01/01848
(sur appel CA Rennes (7e ch.), 18 mai 2005 : RG n° 04/01691)
Extrait : « Attendu que l'article 15 des conditions générales du prêt prévoit au paragraphe « Précisions » : « L'assureur se réservera le droit de demander tous renseignements et tous documents complémentaires et de faire vérifier à toute époque, l'état d'incapacité de travail ou d'invalidité et de chômage. » ; […] ;
Attendu que dans une espèce voisine incluant notamment une clause ainsi rédigée « A tout moment, l'assureur se réserve le droit de demander à l'assuré de se soumettre à un contrôle médical afin que soit apprécié l'état d'incapacité », la commission des clauses abusives rappelant sa recommandation n° 90-01 relative aux justificatifs médicaux et aux expertises, considère que l'absence d'information de l'assuré de sa faculté de se faire assister par un médecin de son choix lors de l'examen par le médecin désigné par l'assureur, permet à l'assureur au vu du seul avis de ce praticien d'interrompre le service des prestations, et en déduit l'existence d'un déséquilibre créé au détriment de l'assuré conférant un caractère abusif à la clause ;
Attendu qu'en l'espèce Madame Y. qui avait été examinée une première fois par le Docteur A. le 28 décembre 1999, s'est rendue à la convocation de ce praticien le 3 avril 2001, a constaté un peu plus tard sans information préalable que l'assureur avait cessé de prendre en charge les mensualités de son prêt, et n'a pris connaissance des conclusions du Docteur A. qu'en août 2001 ;
Attendu qu'en ne l'informant pas de la faculté de se faire assister d'un médecin, ni des constatations et des conclusions du médecin effectuant le contrôle, ni des conséquences tirées par l'assureur de cet examen médical, la SA SURAVENIR a ôté à son légitime pouvoir de contrôle toute transparence ;
Attendu que le fait que Madame Y. ait pu « menacer l'assureur d'une procédure aux fins d'expertise judiciaire » ne démontre nullement qu'elle connaissait la faculté de faire valoir ses droits préalablement ou concomitamment au contrôle médical du Docteur A. du 3 avril 2001, ni les effets immédiats de ce contrôle notamment quant à la faculté pour l'assureur de mettre fin unilatéralement à sa garantie
Attendu que la clause incriminée a effectivement créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation ; Que dès lors cette clause est réputée non écrite ; Qu'il en résulte que les conclusions du rapport du Docteur A. déposées en application de la clause litigieuse sont sans portée, et que la suspension des garanties découlant de ce contrôle médical est fautive ».
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT-BRIEUC
JUGEMENT DU 25 NOVEMBRE 2003
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 01/01848.
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur ROLLAND, Vice-Président faisant fonction de Président, Madame LEMAIRE, Vice-Président, Madame DUPUIS, Juge.
GREFFIER : Madame TOUPIN
DÉBATS : à l'audience publique du 23 septembre 2003 devant Monsieur ROLLAND, Vice-Président qui en a rendu compte dans son délibéré et qui agissait en qualité de juge rapporteur.
JUGEMENT : Contradictoire prononcé par Monsieur ROLLAND, Vice-Président, à l'audience publique du vingt cinq Novembre deux mil trois, Date indiquée à l'issue des débats.
ENTRE :
Madame X. épouse Y.,
demeurant [adresse], Représentant : Maître Hugues TALLENDIER, avocat plaidant au barreau de ST BRIEUC,
[minute page 2]
ET :
SA SURAVENIR,
dont le siège social est sis [adresse], Représentant : Maître Jacky VOISIN, avocat au barreau de ST BRIEUC, avocat postulant - Représentant : SCP COUETOUX DU TERTRE ET RAULT, avocat au barreau de Rennes, avocat plaidant
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS-PROCÉDURE-MOYENS DES PARTIES :
Par contrat de prêt en date du 2 janvier 1998, Madame Y. a contracté auprès du CRÉDIT MUTUEL DE BRETAGNE un prêt immobilier pour l'achat de sa résidence principale pour un montant de 400.000,00 Francs remboursable sur une durée de 12 ans selon mensualités de 4.367,68 Francs.
Ce prêt était assuré dans le cadre d'une assurance groupe auprès de SURAVENIR à laquelle Madame Y. adhérait le jour même.
Le 8 octobre 1998, Madame Y. était victime d'un grave accident cérébral avec syndrome méningé.
Madame Y. était hospitalisée à [ville P.] et mise en arrêt de travail.
Passé le délai de carence de trois mois et jusqu'au mois de mars 2001 soit pendant plus de 27 mois, SURAVENIR a normalement pris en charge les remboursement d'emprunt de Madame Y. qui bien entendu a systématiquement adressé à SURAVENIR l'ensemble des certificats médicaux demandés et les arrêts de travail correspondants, ce qui n'a jamais été contesté.
Le 28 décembre 1999, et à la demande de SURAVENIR, Madame Y. passait une visite médicale de contrôle auprès du Docteur A.
Rien de spécial n'était relevé par l'expert médical et la prise en charge des mensualités par SURAVENIR continuait.
Cependant, Madame Y. était convoquée à nouveau par le Docteur A. pour le 3 avril 2001.
Quelques semaines après, Madame Y. constatait sur ses relevés [minute page 3] bancaires que SURAVENIR n'avait pas pris en charge la mensualité du mois d'avril.
Madame Y. téléphonait aussitôt au CRÉDIT MUTUEL.
Elle apprenait alors verbalement que l'assureur avait décidé d'interrompre les remboursements et ceci sans aucunement l'en avertir.
Sur l'insistance de Madame Y., et par fax en date du 24 avril 2001, le CRÉDIT MUTUEL DE BRETAGNE écrivait :
« L'assureur nous informe qu'il y a lieu d'interrompre la prise en charge à compter du 3 avril 2001 en application des exclusions générales du contrat.
Avec nos regrets. »
Madame Y. réclamait aussitôt la communication du rapport A. à son médecin traitant afin de pouvoir au moins connaître le motif du refus de prise en charge (qu'elle ignorait toujours) mais le CRÉDIT MUTUEL ne déférait pas à sa demande.
Par lettre recommandée du 28 mai 2001, Madame Y. était à nouveau contrainte de relancer le CRÉDIT MUTUEL tout en contestant la décision de refus de prise en charge.
Dans ce courrier, Madame Y. joignait copie d'une expertise réalisée par le Docteur B. le 6 mars 2000 justifiant de son état de santé invalidant.
Par courrier en date du 14 juin 2001, SURAVENIR confirmait à Madame Y. son refus de prise en charge en lui indiquant que l'expertise du Docteur B. n'était pas de nature à la faire revenir sur sa position.
Par acte délivré le 8 octobre 2001 Madame X. épouse Y. assignait la SA SURAVENIR aux fins de :
- condamner SURAVENIR à rembourser à Madame Y. les mensualités qu'elle a indûment réglées à partir du 3 avril 2001 et ce jusqu'au prononcé du jugement (pour mémoire),
- condamner SURAVENIR à reprendre le paiement des mensualités à partir du jugement à prononcer,
- condamner SURAVENIR au paiement de la somme de 50.000,00 Francs pour résistance abusive,
- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de [minute page 4] l'assignation,
- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner SURAVENIR au paiement de la somme de 8.000,00 Francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La requérante soutient que la clause selon laquelle SURAVENIR se réserve le droit de décider de l'arrêt du versement des prestations en fonction d'une expertise médicale qu'il diligente et dirige seul et sans transparence aucune (article XV alinéa 3) s'analyse en une clause abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation.
Selon Madame Y. SURAVENIR a résisté abusivement à l'exécution de son obligation de prise en charge et elle s'estime fondée à solliciter la condamnation de SURAVENIR au paiement de la somme de 50.000,00 Francs pour résistance abusive.
Madame Y. fait valoir que SURAVENIR a agi de manière déloyale, profitant de son état de faiblesse pour lui opposer le refus de prise en charge sans lui expliciter le sens de la décision.
Madame Y. relève que SURAVENIR ne démontre pas que son état de santé justifierait son exclusion.
Dans ses écritures récapitulatives en date du 1er avril 2003 auxquelles il y a lieu de se référer, la SA SURAVENIR conclut :
- dire et juger la Compagnie SURAVENIR bien fondée en son refus de garantie à compter du 3 avril 2001,
- dire et juger n'y avoir lieu à application de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation,
- débouter Madame Y. de toutes demandes plus amples ou contraires,
- subsidiairement, et avant dire droit, ordonner une expertise médicale confiée à tel médecin expert qu'il plaira aux frais avancés de Madame Y. aux fins notamment de :
* dire si l'état d'incapacité de Madame Y. est une conséquence de l'exogénisation constatée par le Docteur A.,
- condamner Madame Y. à payer à la société SURAVENIR une somme de 1.500,00 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
[minute page 5] La SA SURAVENIR conteste l'existence d'une clause abusive rappelant que c'est dans le cadre de l'exécution de bonne foi de la police d'assurance dont l'assuré connaît les termes pour avoir accepté les conditions générales, que l'assureur fait procéder par un médecin à un examen médical de l'assuré pour vérifier la sincérité des déclarations de sinistre de l'assuré, et que dans le cadre de pouvoir de contrôle, l'assureur fait procéder à un nouvel examen de l'assuré au terme du délai de consolidation habituel indiqué et que Madame Y. a été immédiatement avisée de la décision de l'assureur et, particulièrement bien informée et consciente de ses droits, elle a d'ailleurs contesté la position de l'assureur menaçant d'une procédure aux fins d'expertise judiciaire.
Selon l'assureur, le déséquilibre allégué est inexistant, l'assurée étant parfaitement au fait de ses droits.
Pour SURAVENIR les conclusions du Docteur A. contenues dans son rapport du 3 avril 2001 doivent être retenues et ce, d'autant plus que Madame Y. les a implicitement acceptées en renonçant à recourir à un contre-examen médical.
La SA SURAVENIR nie toute absence de transparence et soutient avoir agi de bonne foi.
Répliquant à la prétendue absence de motif du refus de prise en charge SURAVENIR considère que les conclusions du Docteur A., médecin expert indépendant, sont claires et démontrent l'existence de la maladie.
Subsidiairement l'assureur préconise une expertise médicale aux frais avancés par Madame Y.
Par conclusions récapitulatives du 6 mai 2003 auxquelles il y a lieu de se référer, Madame Y. maintient ses demandes, s'oppose, à la demande d'expertise, invoquant le rapport du Docteur B., et subsidiairement réplique que la compagnie d'assurance doit en supporter les frais.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juin 2003.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS :
Attendu que l'article 15 des conditions générales du prêt prévoit au paragraphe « Précisions » : « L'assureur se réservera le droit de demander tous [minute page 6] renseignements et tous documents complémentaires et de faire vérifier à toute époque, l'état d'incapacité de travail ou d'invalidité et de chômage. » ;
Attendu que la requérante soutient qu'une telle clause est abusive, n'ayant pu présenter aucune observation, et n'ayant eu connaissance du refus de prise en charge du prêt, que 4 mois après que celui-ci fut effectif, déplorant l'absence de transparence tant du contrôle médical que de la notification de la décision en dérivant ;
Attendu que la SA SURAVENIR réplique avoir exercé son pouvoir de contrôle en soumettant Madame Y. a un « constat médical », et que l'assurée a été « immédiatement avisée de la décision de l'assureur... », et qu'au surplus Madame Y. était parfaitement informée de la possibilité de solliciter une mesure d'expertise ;
Que selon la compagnie d'assurance, le déséquilibre allégué par la requérante est inexistant ;
Attendu que dans une espèce voisine incluant notamment une clause ainsi rédigée « A tout moment, l'assureur se réserve le droit de demander à l'assuré de se soumettre à un contrôle médical afin que soit apprécié l'état d'incapacité », la commission des clauses abusives rappelant sa recommandation n° 90-01 relative aux justificatifs médicaux et aux expertises, considère que l'absence d'information de l'assuré de sa faculté de se faire assister par un médecin de son choix lors de l'examen par le médecin désigné par l'assureur, permet à l'assureur au vu du seul avis de ce praticien d'interrompre le service des prestations, et en déduit l'existence d'un déséquilibre créé au détriment de l'assuré conférant un caractère abusif à la clause ;
Attendu qu'en l'espèce Madame Y. qui avait été examinée une première fois par le Docteur A. le 28 décembre 1999, s'est rendue à la convocation de ce praticien le 3 avril 2001, a constaté un peu plus tard sans information préalable que l'assureur avait cessé de prendre en charge les mensualités de son prêt, et n'a pris connaissance des conclusions du Docteur A. qu'en août 2001 ;
Attendu qu'en ne l'informant pas de la faculté de se faire assister d'un médecin, ni des constatations et des conclusions du médecin effectuant le contrôle, ni des conséquences tirées par l'assureur de cet examen médical, la SA SURAVENIR a ôté à son légitime pouvoir de contrôle toute transparence ;
Attendu que le fait que Madame Y. ait pu « menacer l'assureur d'une procédure aux fins d'expertise judiciaire » ne démontre nullement qu'elle connaissait la faculté de faire valoir ses droits préalablement ou [minute page 7] concomitamment au contrôle médical du Docteur A. du 3 avril 2001, ni les effets immédiats de ce contrôle notamment quant à la faculté pour l'assureur de mettre fin unilatéralement à sa garantie ;
Attendu que la clause incriminée a effectivement créé un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation ;
Que dès lors cette clause est réputée non écrite ;
Qu'il en résulte que les conclusions du rapport du Docteur A. déposées en application de la clause litigieuse sont sans portée, et que la suspension des garanties découlant de ce contrôle médical est fautive ;
Attendu que même à admettre surabondamment la validité de la clause litigieuse, il appartiendrait à la SA SURAVENIR de rapporter la preuve du motif du refus de prise en charge ;
Qu'en l'espèce il n'a été versé aux débats que les conclusions du Docteur A., à savoir la page 7 du rapport, étant admis que le Docteur C. médecin traitant de la requérante n'a lui-même disposé que de cette communication très partielle du Docteur A. ;
Attendu que les conclusions d'un rapport d'expertise médicale, qualificatif à retenir au moins quant à son auteur, sont en principe fondées sur des éléments de discussion portant sur les pathologies constatées et leur origine ;
Que le Docteur A. conclut à des signes cliniques d'imprégnation alcoolique, malgré l'absence de signes biologiques ;
Que l'absence de communication des six premières pages du rapport motivant les conclusions a pour effet de priver celles-ci de toute pertinence et force probante ;
Que dans ces conditions, l'avis du Docteur B. médecin psychiatre mandaté par le médecin de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Côtes d'Armor, intégralement versé aux débats aboutissant à un diagnostic différent constitue une preuve contraire ;
Attendu que la demande de dommages intérêts présentée par la requérante pour résistance abusive et dolosive ne saurait être accueillie en l'absence de justification de sa situation matérielle et du préjudice allégué ;
Attendu que sa demande formée au titre des frais irrépétibles sera en revanche admise ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 8] PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
RÉPUTE non écrite la clause contenue dans l'alinéa 3 de l'article XV des conditions générales de l'offre de prêt immobilier, du crédit relatif à la mise en œuvre des assurances souscrites auprès de SURAVENIR comme de nature à instaurer un déséquilibre significatif entre les parties, et portant comme constitutive d'une clause abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation ;
En conséquence,
DÉCLARE sans portée les conclusions du rapport du Docteur A., et fautive la suspension immédiate des garanties de remboursement du prêt assuré ;
CONDAMNE la SA SURAVENIR à payer à Madame Y. en deniers ou quittances la somme de DIX MILLE TROIS CENT VINGT EUROS ET SOIXANTE TROIS CENTIMES (10.320,63 €) représentant les mensualités indûment réglées du 3 avril 2001 au 16 juillet 2002, avec intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2001, outre la somme de MILLE DEUX CENT VINGT EUROS (1.220,00 €) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
CONDAMNE la SA SURAVENIR aux dépens.
Le Greffier Le Président
Rédacteur : Alain ROLLAND
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