CA DOUAI (3e ch.), 14 septembre 2006
CERCLAB - DOCUMENT N° 1674
CA DOUAI (3e ch.), 14 septembre 2006 : RG n° 05/00241
Publication : Bull. transp. 2006. 636
Extrait : « Attendu que pour tenter de démontrer l'existence d'un tel déséquilibre Monsieur X. et son assureur font valoir que si la clause litigieuse était validée elle interdirait au client de se plaindre d'avaries, perte ou retard postérieurement à l'expiration du délai d'un an à compter de la livraison alors que le déménageur disposerait de dix ans pour exiger le règlement de la prestation défectueuse, ce qui en pratique aurait pour effet d'interdire au client de se prévaloir de l'exception d'inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat ; Attendu que ce raisonnement ne peut être suivi ; que la prescription édictée par l'article 15 des conditions générales éteint seulement les actions en justice pour avarie, perte ou retard ; que la prescription de l'action n'éteint pas le droit d'opposer l'avarie, la perte ou le retard comme exception en défense à une action principale ; que les exceptions sont perpétuelles ; Attendu que la réduction de délai de l'action en justice pour avarie, perte ou retard s'explique par la nécessité de prouver les manquements invoqués, une telle preuve pouvant plus difficilement être apportée plusieurs années après la livraison ; Attendu qu'il n'apparaît pas que la clause litigieuse confère un avantage excessif au déménageur de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté le moyen fondé sur le caractère abusif de l'article 15 des conditions générales ; Attendu que le jugement qui a déclaré l'action prescrite doit être confirmé ».
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2006
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 05/00241. Tribunal de Grande Instance de Lille du 14 décembre 2004.
APPELANTS :
- MUTUELLE ASSURANCES DES INSTITUTEURS DE FRANCE
Ayant son siège social [siège], représentée par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour, assistée de Maître KLEIN substituant Maître Patrick LOSFELD, avocat au barreau de LILLE
- Monsieur X.
[date et lieu de naissance], Demeurant [adresse], représenté par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour, assisté de Maître KLEIN substituant Maître Patrick LOSFELD, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉES :
- SA AVIVA ASSURANCES anciennement dénommée CGU ABEILLE ASSURANCES
Ayant son siège social [adresse], représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour assistée de Maître TALANDIER, avocat au barreau de PARIS
- SARL DÉMÉNAGEMENTS DERTHEIL
Ayant son siège social [adresse], représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour assistée de Maître TALANDIER, avocat au barreau de PARIS
[minute page 2] COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame MERFELD, Président de chambre
Monsieur GAIDON, Conseiller
Madame BERTHIER, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame AMBROZIEWICZ
DÉBATS à l'audience publique du 31 mai 2006,
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2006 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame MERFELD, Président, et Madame AMBROZIEWICZ, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 avril 2006
Sur le rapport de Madame MERFELD, Président de Chambre.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Monsieur X. et son assureur la MAIF, ont saisi, par assignations des 15 et 18 novembre 2002, le Tribunal de Grande Instance de LILLE d'une action contre la SARL Déménagements DERTHEIL et son assureur, la Société ABEILLE aux droits de laquelle se trouve actuellement la Société AVIVA Assurances, pour obtenir réparation des conséquences de la mauvaise exécution des obligations d'un contrat de déménagement, résultant de retard dans la livraison et de dommages causés aux biens.
Par jugement du 14 décembre 2004 le Tribunal a déclaré leur action irrecevable car prescrite et les a condamnés à verser à chacune des défenderesses la somme de 800 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Le tribunal a relevé que les conditions générales de vente du contrat de déménagement comportaient un article 15 stipulant que les actions en justice pour avarie, perte ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier (article 108 du code de commerce) et en a déduit que si le contrat de déménagement en tant que tel n'est pas soumis au bref délai de prescription du contrat de transport il est démontré par la simple lecture des actes contractuels liant les parties que ce délai a été réduit conventionnellement à une durée d'un an.
Monsieur X. et la MAIF ont relevé appel de ce jugement le 13 janvier 2005.
Par conclusions du 22 novembre 2005 ils demandent à la Cour, au visa des dispositions des articles L. 132-1 et suivants du code de la consommation et de la recommandation n° 82-02 de la commission des clauses abusives, de déclarer abusif et en conséquence réputé non écrit l'article 15 des conditions générales du contrat de déménagement, de dire que seule est applicable la prescription décennale de droit [minute page 3] commun et en conséquence de déclarer leur action recevable.
Ils demandent que la Société Déménagement DERTHEIL soit déclarée responsable du préjudice de Monsieur X. et condamnée in solidum avec son assureur, la Société AVIVA Assurances, à lui verser les sommes de 2.000 € à titre de dommages intérêts pour troubles de jouissance et préjudice moral, 1.000 € à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et 2.000 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La MAIF, subrogée dans les droits de Monsieur X., se porte demanderesse à l'égard des deux intimées de la somme de 22.031,01 € avec intérêts à compter de l'assignation, montant de l'indemnité qu'elle a versée à son assuré le 2 septembre 2002 ainsi que d'une somme de 1.000 € à titre de dommages intérêts pour résistance abusive et d'une indemnité procédurale de 2.000 €.
Les appelants concluent en outre à la capitalisation annuelle des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil.
La Société AVIVA Assurances et la Société Déménagement DERTHEIL ont conclu le 16 mars 2006 à la confirmation du jugement et subsidiairement au rejet des demandes.
Elles se portent chacune demanderesse d'une somme de 2.300 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR CE :
Attendu que suivant devis du 17 août 2000 Monsieur X. a confié à la SARL Déménagement DERTHEIL la mise en garde meubles puis le déménagement de divers effets mobiliers provenant de la succession de ses parents ; que le 18 août 2000 le mobilier était enlevé de la maison de [ville A.] pour être stocké en garde meubles dans les locaux de la Société Déménagement DERTHEIL en vue de leur déménagement définitif, par groupage, au domicile de Monsieur X. à [ville B.] ;
Que Monsieur X. déclare qu'il n'a pu obtenir la livraison de ses biens mobiliers que le 14 décembre 2000 après de multiples tentatives téléphoniques et l'envoi d'une lettre de mise en demeure le 4 décembre 2000 et qu'il a constaté à l'arrivée que les emballages et les meubles étaient couverts de moisissures, humides et très endommagés, que les appareils électroménagers étaient hors d'usage et la vaisselle brisée, qu'il a porté les premières réserves sur la lettre de voiture et par lettre recommandée du 21 décembre 2000, a adressé à la Société Déménagement DERTHEIL la liste des dégâts constatés ; que n'ayant pu, malgré différentes réclamations amiables, obtenir indemnisation de son préjudice, il a, avec son assureur, mis en œuvre la présente procédure ;
Attendu que la Société Déménagement DERTHEIL et son assureur ont opposé la prescription d'un an à compter de la livraison qui a eu lieu le 14 décembre 2000 alors que l'action n'a été introduite que par assignations des 15 et 18 novembre 2002 ;
Attendu que pour s'opposer à cette prescription les appelants rappellent la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le contrat de déménagement est un contrat d'entreprise qui se différencie du contrat de transport en ce que son objet n'est pas limité au déplacement de la marchandise et qu'en conséquence les règles [minute page 4] spéciales concernant la prescription dans le contrat de transport tirées de l'article 108 du code de commerce, devenu article L. 133-6 du même code, ne trouvent pas à s' appliquer ;
Que cette jurisprudence n'est pas sérieusement remise en cause par les intimées qui invoquent l'article 15 des conditions générales du contrat de déménagement ;
Que Monsieur X. réplique que la Société Déménagement DERTHEIL ne démontre pas qu'il a conventionnellement consenti à une réduction de la prescription décennale légalement applicable et subsidiairement que l'article 15 des conditions générales du contrat de déménagement est une clause abusive qui doit être réputée non écrite ;
1°) Sur la réduction conventionnelle du délai de prescription :
Attendu que Monsieur X. soutient que l'article 15 des conditions générales relatif à la prescription est une clause de style qui se borne à rappeler les dispositions de l'article 108 du code de commerce et que si le tribunal a établi qu'il a pris connaissance des conditions du contrat il n'en résulte pas qu'elles ont été librement débattues et acceptées par lui préalablement à la conclusion du contrat alors même que la clause litigieuse présentait la prescription annale de l'article 108 du code de commerce comme la prescription légalement applicable ;
Attendu qu'aux termes de l'article 1134 du code civil les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites ; que toute clause d'un contrat quoique usuelle ou se style, n'en produit pas moins son effet normal ;
Attendu que le contrat soumis par la Société DERTHEIL, professionnelle du déménagement, à ses clients, est un contrat type qui doit produire effet en sa totalité dès lors qu'il a été accepté par le consommateur ; qu'il importe peu dès lors que la clause litigieuse n'ait pas fait l'objet d'une négociation individuelle avec Monsieur X. ;
Attendu que le tribunal a relevé par des motifs pertinents que la Cour adopte qu'il résulte de la lecture de la facture établie le 17 août 2000 par la Société Déménagement DERTHEIL signée par Monsieur X., qui concernait le premier déménagement des meubles vers le garde meubles et de la lettre de voiture de déménagement signée également par Monsieur X. le 14 décembre 2000, qui concerne l'enlèvement et le transport des meubles du garde meubles vers le domicile de MARCQ EN BAROEUL ; qu'est stipulée au verso de ces documents, de manière claire et lisible au titre des conditions générales du contrat de déménagement un article 15 intitulé « prescription » qui prévoit : les actions en justice pour avarie, perte ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier (article 108 du code de commerce) ; et que la réduction du délai de prescription à un an résultant des conditions générales a bien été portée à la connaissance de Monsieur X. qui, pour réclamer la livraison en temps et en heure, a adressé par courrier du 4 décembre 2000, une mise en demeure à la Société Déménagement DERTHEIL en visant l'article 15 de ces mêmes conditions générales ;
Que l'article 15 relatif à la prescription fait partie du contrat qui a été accepté par Monsieur X. et lui est donc opposable ;
2°) Sur le moyen relatif au caractère abusif de la clause :
[minute page 5] Attendu que l'article L. 132-1 du code de la consommation dispose que sont abusives dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;
Attendu que pour tenter de démontrer l'existence d'un tel déséquilibre Monsieur X. et son assureur font valoir que si la clause litigieuse était validée elle interdirait au client de se plaindre d'avaries, perte ou retard postérieurement à l'expiration du délai d'un an à compter de la livraison alors que le déménageur disposerait de dix ans pour exiger le règlement de la prestation défectueuse, ce qui en pratique aurait pour effet d'interdire au client de se prévaloir de l'exception d'inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat ;
Attendu que ce raisonnement ne peut être suivi ; que la prescription édictée par l'article 15 des conditions générales éteint seulement les actions en justice pour avarie, perte ou retard ; que la prescription de l'action n'éteint pas le droit d'opposer l'avarie, la perte ou le retard comme exception en défense à une action principale ; que les exceptions sont perpétuelles
Attendu que la réduction de délai de l'action en justice pour avarie, perte ou retard s'explique par la nécessité de prouver les manquements invoqués, une telle preuve pouvant plus difficilement être apportée plusieurs années après la livraison ;
Attendu qu'il n'apparaît pas que la clause litigieuse confère un avantage excessif au déménageur de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté le moyen fondé sur le caractère abusif de l'article 15 des conditions générales ;
Attendu que le jugement qui a déclaré l'action prescrite doit être confirmé ;
Attendu que les premiers juges ont fait une juste application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile qui sera également confirmée ;
Que devant la Cour l'indemnité procédurale due à chacune des intimées sera fixée à 700 €.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour statuant en audience publique et contradictoirement,
Confirme le jugement,
Condamne Monsieur X. et la MAIF aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP LEVASSEUR-CASTILLE avoués,
Les condamne en outre in solidum à verser à chacune des intimées la somme de 700 euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en cause d'appel.
Le Greffier, Le Président,
- 5816 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Clauses abusives - Illustrations : Loi n° 95-96 du 1er février 1995
- 6024 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Réciprocité - Réciprocité des prérogatives - Inégalité
- 6043 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Contraintes d’exécution - Professionnel - Contraintes juridiques
- 6467 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Transport - Transport de déménagement (7) - Prescription et litiges