TJ MEAUX (1re ch.), 25 février 2025
CERCLAB - DOCUMENT N° 24399
TJ MEAUX (1re ch.), 25 février 2025 : RG n° 22/03123 ; jugt n° 25/188
Publication : Judilibre
Extraits : 1/ « L'article 1171 code civil prévoit que dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
Il est relevé que l'article 1171 du code civil ne s'applique pas aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, ceux-ci étant régis par l'article L212-1 du code de la consommation. »
Les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation étant similaires à celles de l'article 1171 du code civil, il convient de requalifier le fondement de la demande sans qu'il soit besoin de rouvrir les débats pour permettre aux parties de présenter leurs observations. »
2/ « L'article L. 212-1 du code de la consommation dispose : […]. L'article R. 212-2 du code de la consommation créé par le décret n°2016-884 du 29 juin 2016 prévoit que dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l'article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : 3° Imposer au consommateur qui n'exécute pas ses obligations une indemnité d'un montant manifestement disproportionné. L'article L. 241-1 du code de la consommation précise que les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d'ordre public.
Le contrat de séjour n°20190043 signé le 22 octobre 2019 est un contrat entre un professionnel, la société [5], et un consommateur, Madame [M] [W] [S], représentée par son tuteur. L'article VII 2-2-3, relatif à la résiliation du contrat à l'initiative de l'établissement pour inexécution contractuelle notamment en cas de retard ou défaut de paiement, prévoit que si le recouvrement des sommes restant dues devait être porté sur le terrain judiciaire, outre les intérêts au taux légal en vigueur, les sommes non réglées seront majorées de 10 % du montant restant dû, au titre de la possibilité offerte par l'article 1231-5 du code civil.
Cette clause qui n'a pas été négociée et qui prévoit une pénalité de 10% s’ajoutant aux sommes et intérêts dus en cas de retard ou de non paiement des frais de séjour est manifestement excessive au regard du préjudice subi par la société consistant uniquement dans le retard de paiement d'ores et déjà indemnisé par l'allocation des intérêts moratoires. Il est en outre relevé que si l'inexécution des obligations de l'hébergé sont sanctionnées, aucune réciprocité n'existe en cas d'inexécution de ses obligations par l'hébergeant. Il résulte des ces éléments que la clause pénale prévue par le contrat crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et est par conséquent réputée non écrite. En conséquence, la société [5] sera déboutée de sa demande de paiement au titre de la clause pénale. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE
JUGEMENT DU 25 FÉVRIER 2025
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 22/03123. Jugement n° 25/188. N° Portalis DB2Y-W-B7G-CCVNV.
Date de l'ordonnance de clôture : 4 novembre 2024
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDERESSE :
SAS [5]
[Adresse 8], représenté par Maître Séverine MEUNIER avocat au barreau de MEAUX, avocat postulant, Maître BADO Jean-Baptiste, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant
DÉFENDEURS :
Madame [A] [E] [B]
[Adresse 4], non représentée
Monsieur [Z] [T] [B]
[Adresse 3], non représenté
Madame [F] [G]
[Adresse 2] (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro XXX du [date] accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de MEAUX), représentée par Maître Abdou DJAE, avocat au barreau de MEAUX, avocat plaidant
Monsieur [J] [G]
[Adresse 1], représenté par Maître François DAUPTAIN de la SELARL TOURAUT AVOCATS, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant
Madame [M] [W] [S]
décédée
Monsieur [X] [Y] [G]
décédé
COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats et du délibéré : Mme VISBECQ, Juge statuant comme Juge Unique
DÉBATS : A l'audience publique du 14 janvier 2025
GREFFIER : Lors des débats et du délibéré : Mme BOUBEKER, Greffière
JUGEMENT : réputé contradictoire, mis à disposition du public par le greffe le jour du délibéré, Mme VISBECQ, Président, ayant signé la minute avec Mme BOUBEKER, Greffière ;
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS :
Madame [M] [W] [S] est née le 19 mars 1932 à [Localité 7] ([pays]).
De son mariage avec Monsieur [N] [P] [G] sont issus les enfants :
- [J] [G],
- [F] [G],
- [X] [Y] [G],
- [C] [G].
Par jugement du 14 août 2019, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Meaux a placé Madame [M] [W] [S] sous tutelle et désigné Monsieur [R] [H], mandataire judiciaire à la protection des majeurs en qualité de tuteur pour la représenter et administrer ses biens et sa personne.
En vertu d'un contrat signé le 22 octobre 2019 par Monsieur [R] [H] et la société [5], Madame [M] [W] [S] a été accueillie au sein de la maison de retraite [5] située à [Localité 6].
À compter de juin 2021, les frais d’hébergement n'ont pas été réglés intégralement.
Par courrier recommandé du 22 mars 2022, la société [5] a adressé à Monsieur [R] [H], ès qualités de tuteur de Madame [M] [W] [S], une première mise en demeure de payer les sommes dues.
Une seconde mise en demeure a été adressée à Monsieur [R] [H], ès qualités de tuteur, le 4 mai 2022.
Au 20 mai 2022, les sommes dues s’élevaient à 38.318,46 euros.
[*]
Par acte de commissaire de justice délivré le 24 juin 2022, la société [5] a assigné Madame [M] [W] [S] représentée par Monsieur [R] [H], ès-qualités de tuteur, devant le tribunal judiciaire de Meaux aux fins de :
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat à compter du mois de mai 2022,
- ordonner à Madame [M] [W] [S] de quitter l'établissement dans un délai de 6 mois à compter de la résiliation du contrat,
- lui allouer à compter du mois de juin 2022 une indemnité d'occupation équivalente au montant des frais de séjour dont aurait dû s'acquitter Madame [M] [W] [S] en cas de maintien du contrat,
- condamner Madame [M] [W] [S] représentée par son tuteur au paiement de la somme de 38 318,46 euros avec intérêt au taux légal à compter du 22 mars 2022,
- condamner Madame [M] [W] [S] représentée par son tuteur au titre de la clause pénale stipulée au contrat au paiement de la somme de 3831,85 euros avec intérêt au taux légal à compter du 9 novembre 2021,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner Madame [M] [W] [S] représentée par son tuteur au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.
[*]
Madame [M] [W] [S] est décédée le 23 juillet 2022 laissant pour lui succéder :
* ses enfants :
- Monsieur [J] [G],
- Madame [F] [G],
- Monsieur [X] [Y] [G],
* ses petits-enfants venant en représentation de leur père, Monsieur [C] [G] prédécédé le 15 avril 2005 à [Localité 6] :
- Monsieur [Z] [T] [B],
- Madame [A] [E] [L] [B].
La société [5] s'est rapprochée du notaire en charge de la succession afin de lui faire part de sa créance de 41 050,56 euros.
Par ordonnance du 6 février 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Meaux a dit que l'instance était interrompue en application des dispositions de l'article 370 du code de procédure civile et a renvoyé les parties et l'affaire à l'audience de mise en état pour régularisation de la procédure par la société [5].
Par actes délivrés par commissaire de justice les 26 octobre, 27 octobre, 30 octobre et 2 novembre 2023, la société [5] a appelé Monsieur [J] [G], Monsieur [Z] [B], Monsieur [X] [G], Madame [A] [B] et Madame [F] [G] à la cause.
La jonction des deux instances a été prononcée le 8 janvier 2024.
Monsieur [X] [Y] [G] est décédé le 17 septembre 2023.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2024, la société [5] demande, au visa des articles 1103 et 1104 du code civil et 782 et suivants du code civil, au tribunal de :
- acter d’une interruption d’instance pour cause de décès à l’endroit de Monsieur [X] [Y] [G],
- débouter Monsieur [J] [G] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- débouter Madame [F] [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Monsieur [J] [G], Madame [F] [G], Monsieur [Z] [T] [B], et Madame [A] [E] [L] [B], au paiement de la somme de 41 050,56 euros et ce avec intérêts de droit à compter du 22 mars 2022,
- condamner Monsieur [J] [G], Madame [F] [G], Monsieur [Z] [T] [B], et Madame [A] [E] [L] [B], au titre de la clause pénale stipulée au contrat au paiement de la somme de 4105,05 euros et ce, avec intérêts de droit à compter du 22 mars 2022,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
- ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner in solidum Monsieur [J] [G], Madame [F] [G], Monsieur [Z] [T] [B], et Madame [A] [E] [L] [B], au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
La société [5] demande que l'interruption de la procédure soit actée à l'égard de Monsieur [X] [Y] [G], celui-ci étant décédé en cours d'instance.
Au soutien de sa demande en paiement, elle expose qu'elle détient une créance de 41 050 euros à l'encontre de la succession et que Madame [F] [G], Monsieur [J] [G], Madame [A] [B] et Monsieur [Z] [B] doivent en répondre en leur qualité d'héritiers ayant accepté la succession.
Elle ajoute qu'en application de l'article 1236-1 du code civil, cette somme porte intérêt au taux légal à compter de la première mise en demeure, à savoir le 22 mars 2022.
Elle fait valoir en outre que l'article VII 2-2-3 du contrat prévoit une majoration de 10% de la somme due à compter de la mise en demeure à titre de clause pénale du seul fait de l'inexécution contractuelle. Elle conteste la qualification de contrat d'adhésion et rappelle que l'article 1171 du code civil doit être écarté en tant que droit général lorsqu'un droit spécial s'applique. Elle affirme qu'en application de l'article 1105 du code civil son contractant était libre de contracter, qu'il a eu connaissance des dispositions contractuelles et que la clause pénale est valide et non excessive, de sorte qu'il n'a pas lieu de la réputer non écrite ou de la minorer.
Elle s'oppose à ce qu'un délai de paiement soit accordé à Madame [F] [G] au motif que celle-ci perçoit des revenus de 1100 euros, s'acquitte de charges de logement de 250 euros et que la vente du bien immobilier a été retardée en raison de son refus de quitter les lieux qu'elle occupait illégalement.
Pour s'opposer à la demande reconventionnelle de dommages et intérêts, elle indique que le contrat a été signé par le tuteur de Madame [M] [W] [S] qui, en tant que mandataire judiciaire, avait connaissance des capacités financières de sa protégée. Elle ajoute que si des incidents de paiement ont eu lieu dès mars 2021, des régularisations sont intervenues en mars, avril et mai 2021. Elle expose encore que le tuteur s'était engagé à régler les sommes dues et qu'elle a privilégié la voie amiable avant de le mettre en demeure. Elle fait observer enfin que Madame [F] [G] a occupé illégalement le bien immobilier et a refusé de quitter les lieux, remettant en cause sa vente et les possibilités de règlement de la dette.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 août 2024, Madame [F] [G] demande, au visa des articles 782, 873, 1343-5, 1589, 1231-5, 1171, 1103, 1104 et 1226 du code civil, au tribunal de :
- débouter la société [5] SAS de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,
- constater l’exécution de mauvaise foi du contrat et le manque de diligences de la société [5],
- juger que la clause « A compter de cette mise en demeure, les sommes non réglées sont majorées de 10 % du montant restant dû » sera réputée non écrite,
- condamner la société [5] au paiement de la somme de 2000 euros au titre de la mauvaise foi contractuelle,
- condamner la société [5] au paiement de la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, Madame [G] renonçant dès lors bénéfice de l’aide juridictionnelle,
A titre subsidiaire :
- lui octroyer les délais de paiements les plus larges possibles au regard de la vente immobilière imminente,
- dire que les dépens seront partagés entre les parties.
Madame [F] [G] reconnaît être tenue de la dette successorale.
Elle sollicite en revanche un délai de paiement en application de l'article 1343-5 du code civil, sa situation financière ne lui permettant pas de s'acquitter de sa part de dette et une promesse synallagmatique de vente du bien immobilier ayant été signée par les héritiers en juillet 2024, la réitération devant notaire devant avoir lieu fin 2024.
Elle soutient que le contrat d'hébergement est un contrat d'adhésion et que dès lors, la clause pénale doit être réputée non écrite en application de l'article 1171 du code civil.
Elle sollicite enfin la condamnation de la société [5] à lui payer la somme de 2000 euros sur le fondement des articles 1103, 1104 et 1226 du code civil, en raison de sa mauvaise foi dans l'exécution du contrat. Elle précise que la société a mis en demeure le tuteur de régler les sommes dues un an après les premiers impayés, accroissant ainsi la dette de façon excessive.
[*]
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 mars 2024, Monsieur [J] [G] demande au visa de l’article 1345-5 du code civil, au tribunal de :
- débouter la société [5] de sa demande d’application du taux d’intérêt légal à compter du 22 mars 2022,
- débouter la société [5] de sa demande de condamnation des héritiers au règlement de la clause pénale prévue par le contrat d’hébergement d’un montant de 4105,05 euros,
- débouter la société [5] de sa demande de capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
- débouter la société [5] de sa demande de condamnation solidaires des héritiers à lui régler la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, ramener cette somme à de plus justes proportions,
- débouter la société [5] de sa demande de condamnation solidaires des héritiers à régler les entiers dépens,
- juger ce que de droit concernant l’exécution provisoire.
Monsieur [J] [G] ne conteste pas être tenu avec les héritiers de la dette de 41 050,56 euros.
Il demande toutefois, au nom de l'équité, d'être exonéré des intérêts légaux, de la majoration prévue par la clause pénale et de la capitalisation des intérêts. Il déclare que le règlement des frais d'hébergement incombait au tuteur et qu'il n'a eu connaissance des impayés qu'au moment du décès de sa mère.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures susvisées des parties pour l'exposé de leurs moyens.
Monsieur [Z] [B] et Madame [A] [B] n'ont pas constitué avocat. La présente décision, susceptible d'appel, sera réputée contradictoire en application de l'article 474 du code de procédure civile.
[*]
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 novembre 2024.
L'affaire a été fixée pour être plaidée à l’audience tenue en juge unique du 14 janvier 2025 à laquelle elle a été évoquée et mise en délibéré au 25 février 2025.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'interruption de l'instance :
En application de l'article 370 du code de procédure civile, à compter de la notification qui en est faite à l'autre partie, l'instance est interrompue par le décès d'une partie dans les cas où l'action est transmissible.
L'article 373 du code de procédure civile prévoit que l'instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense. A défaut de reprise volontaire, elle peut l'être par voie de citation.
L'article 374 du code de procédure civile précise que l'instance reprend son cours en l'état où elle se trouvait au moment où elle a été interrompue.
En l'espèce, l'instance a été interrompue par la notification du décès de Monsieur [X] [G].
En conséquence, il y a lieu de constater l'interruption de l'instance à l'égard de Monsieur [X] [G] pour cause de décès.
Sur la demande principale en paiement :
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Aux termes de l'article 873 du code civil, les héritiers sont tenus des dettes et charges de la succession, personnellement pour leur part et portion virile, et hypothécairement pour le tout ; sauf leur recours soit contre leurs cohéritiers, soit contre les légataires universels, à raison de la part pour laquelle ils doivent y contribuer.
Il résulte de ces dispositions que les héritiers du défunt répondent des créances successorales envers les créanciers à concurrence de la fraction de leurs droits dans la succession.
La dette de 41 050,56 euros n'étant pas contestée, il convient de condamner Madame [F] [G], Monsieur [J] [G], Madame [A] [B] et Monsieur [Z] [B] au paiement de la somme réclamée par la société [5] au prorata de leurs droits respectifs dans la succession de Madame [M] [W] [S].
Sur les intérêts légaux :
En application de l’article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d'aucune perte.
En l'espèce, la société [5] justifie avoir mis le tuteur de Madame [M] [W] [S] en demeure de payer les sommes dues au titre du contrat de séjour par courrier recommandé du 22 mars 2022.
Aucune disposition ne permet au tribunal d’écarter l’application des dommages et intérêts en considération de l’équité.
Par conséquent, les intérêts légaux sont dus à compter du 22 mars 2022.
Sur la capitalisation des intérêts :
En application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil, les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
En l’espèce, le contrat n’a pas prévu que les intérêts dus au moins pour une année porteront eux-mêmes intérêt.
L’anatocisme étant de nature à accélérer l’alourdissement du poids de la dette, il ne sera pas ordonné par la présente décision.
Sur la clause pénale :
Aux termes de l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent. Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite. Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.
L'article 1171 code civil prévoit que dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
Il est relevé que l'article 1171 du code civil ne s'applique pas aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, ceux-ci étant régis par l'article L212-1 du code de la consommation.
Les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la consommation étant similaires à celles de l'article 1171 du code civil, il convient de requalifier le fondement de la demande sans qu'il soit besoin de rouvrir les débats pour permettre aux parties de présenter leurs observations.
L'article L. 212-1 du code de la consommation dispose :
Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.
L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission des clauses abusives, détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.
Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.
Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.
L'article R. 212-2 du code de la consommation créé par le décret n°2016-884 du 29 juin 2016 prévoit que dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont présumées abusives au sens des dispositions des premier et cinquième alinéas de l'article L. 212-1, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de :
3° Imposer au consommateur qui n'exécute pas ses obligations une indemnité d'un montant manifestement disproportionné.
L'article L. 241-1 du code de la consommation précise que les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d'ordre public.
Le contrat de séjour n°20190043 signé le 22 octobre 2019 est un contrat entre un professionnel, la société [5], et un consommateur, Madame [M] [W] [S], représentée par son tuteur.
L'article VII 2-2-3, relatif à la résiliation du contrat à l'initiative de l'établissement pour inexécution contractuelle notamment en cas de retard ou défaut de paiement, prévoit que si le recouvrement des sommes restant dues devait être porté sur le terrain judiciaire, outre les intérêts au taux légal en vigueur, les sommes non réglées seront majorées de 10% du montant restant dû, au titre de la possibilité offerte par l'article 1231-5 du code civil.
Cette clause qui n'a pas été négociée et qui prévoit une pénalité de 10% s’ajoutant aux sommes et intérêts dus en cas de retard ou de non paiement des frais de séjour est manifestement excessive au regard du préjudice subi par la société consistant uniquement dans le retard de paiement d'ores et déjà indemnisé par l'allocation des intérêts moratoires.
Il est en outre relevé que si l'inexécution des obligations de l'hébergé sont sanctionnées, aucune réciprocité n'existe en cas d'inexécution de ses obligations par l'hébergeant.
Il résulte des ces éléments que la clause pénale prévue par le contrat crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et est par conséquent réputée non écrite.
En conséquence, la société [5] sera déboutée de sa demande de paiement au titre de la clause pénale.
Sur la demande reconventionnelle de délai :
Aux termes du premier alinéa de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Compte tenu des ressources de Madame [F] [G], de l'ancienneté de la dette et de son caractère divisible entre les héritiers, il n'y a pas lieu d'accorder de délai de paiement.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts :
Selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
En application des dispositions de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Il résulte du décompte produit par la société [5] que jusqu'en février 2021, les factures étaient réglées au moyen d'un prélèvement unique.
À compter du mois de mars 2021, les factures ont été réglées en partie par un prélèvement et pour l'autre partie par un règlement du Conseil Général de la Seine et Marne au titre de l'APA.
À compter du mois de mai 2021, les factures ont été réglées seulement à hauteur de l'aide versée par le Conseil Général de la Seine et Marne, d'abord par l'annulation des prélèvements puis par leur arrêt sollicité par le tuteur dans un courrier du 24 juin 2021.
Au 30 mars 2022, la somme due à la société [5] s'élevait à 35 034,64 euros.
La société [5] a adressé deux mises en demeure de payer, une première le 22 mars 2022 et une seconde le 4 mai 2022.
Le 28 mars 2022, Maître Yves DESBOIS, avocat en charge des intérêts de Madame [M] [W] [S] a indiqué que celle-ci allait vendre son bien immobilier estimé entre 170.000 et 180.000 euros afin de régler sa dette. Il a ajouté que l'immeuble était occupé illégalement par Madame [F] [G], qu'elle refusait de quitter les lieux et qu'il avait été contraint de saisir le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Meaux en référé afin d'obtenir son expulsion. Il a précisé qu'une date d'audience avait été fixée au 10 mai 2022 et que le délibéré devrait être rendu en début d'été, ce qui permettrait de mettre à exécution l'expulsion avant la trêve hivernale.
Au 20 mai 2022, la somme due à la société [5] s'élevait à 38 318,46 euros.
Madame [M] [W] [S] est décédée le 23 juillet 2022. À cette date, la somme due à la société [5] s'élevait à 41 050,56 euros.
Le 24 août 2022, la société a déclaré sa créance auprès du notaire en charge de la succession.
Ainsi, alors que les factures ont été régulièrement honorées pendant un an et demi, des incidents de paiement ont eu lieu à compter de mars 2021. Après quelques régularisations, les paiements des factures des mois de juin 2021 ainsi que les suivantes n'ont plus été effectués par le tuteur, seule l'aide du Conseil Général étant versée. Si les sommes dues sont importantes, en ce que chaque mois environ 3000 euros étaient impayés, il est souligné que la société [5] était en relation avec un mandataire judiciaire en charge des intérêts de l'hébergée et qu'ainsi la première mise en demeure effectuée huit mois plus tard n'apparaît pas tardive.
Il résulte de ces éléments que la société [5] n'a pas fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de ses obligations.
En conséquence, Madame [F] [G] sera déboutée de sa demande.
Sur les mesures de fin de jugement :
En application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est assortie de l'exécution provisoire.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner Madame [F] [G], Monsieur [J] [G], Madame [A] [B] et Monsieur [Z] [B], parties qui succombent, aux dépens au prorata de leurs droits respectifs dans la succession ainsi qu’au paiement à la société [5] d’une somme de 3000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens et ce au prorata de leurs droits respectifs dans la succession.
Madame [F] [G] sera déboutée de ses demandes au titre des frais irrépétibles.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le tribunal, statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement mis à disposition, réputé contradictoire et en premier ressort,
Constate l'interruption de l'instance à l'égard de Monsieur [X] [G], celui-ci étant décédé le 23 juillet 2022 ;
Condamne Madame [F] [G], Monsieur [J] [G], Madame [A] [B] et Monsieur [Z] [B] à payer à la société [5] au prorata de leurs droits respectifs dans la succession de Madame [M] [W] [S], la somme de 41 050,56 euros au titre des frais de séjour impayés, avec intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2022 ;
Déboute la société [5] de sa demande de capitalisation des intérêts ;
Dit que la clause pénale figurant à l'article VI 2-2-3 du contrat est réputée non écrite ;
Déboute en conséquence la société [5] de ses demandes relatives à cette clause pénale ;
Déboute Madame [F] [G] de sa demande de délai de paiement ;
Déboute Madame [F] [G] de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne Madame [F] [G], Monsieur [J] [G], Madame [A] [B] et Monsieur [Z] [B] aux dépens au prorata de leurs droits respectifs dans la succession de Madame [M] [W] [S] ;
Condamne Madame [F] [G], Monsieur [J] [G], Madame [A] [B] et Monsieur [Z] [B] à payer à la société [5] au prorata de leurs droits respectifs dans la succession de Madame [M] [W] [S] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Madame [F] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que le présente décision bénéficie de l'exécution provisoire ;
LE GREFFIER LE PRESIDENT
- 6151 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. - Application dans le temps
- 6152 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. – Articulation avec d’autres dispositions
- 8530 - Code civil - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Art. 1171 C. civ. (Ord. 10 février 2016 – L. ratif. 20 avril 2018). – Régime de la protection – Procédure
- 5851 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Absence de lien avec la profession
- 5852 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Consommateur partie au contrat