T. COM. PARIS (7e ch.), 21 juin 1994
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 283
T. COM. PARIS (7e ch.), 21 juin 1994 : RG n° 92/085763
(sur appel CA Paris (7e ch. A), 11 septembre 1996 : RG n° 94/19285)
Extrait : « Le Tribunal, en l'état, dira qu'il y a eu détournement et que la clause « détournement » de la police d'assurance doit s'appliquer, sous réserve du respect par l'assuré des conditions d'application de cette clause ; Attendu que parmi ces conditions figurent l'encaissement, un mois avant la date de mise à disposition, d'un acompte de 50 % du montant de la location, le tirage de photocopies des cartes d'identité ou passeports du locataire et de tous les passagers, du permis de conduire ou permis bateau du locataire, ainsi que d'une quittance de loyer ou d'électricité au nom du locataire, alors qu'il n'y a eu aucun paiement d'acompte ni aucun tirage de photocopies autre que pour le passeport du locataire ; Attendu que ces clauses ont pour objet de rendre le détournement plus difficile du fait de la possibilité de vérifier l'état civil, l'adresse et la solvabilité de celui à qui le bateau sera confié, et ne peuvent donc être considérées comme abusives ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS
SEPTIÈME CHAMBRE
JUGEMENT DU 21 JUIN 1994
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 92/085763.
ENTRE :
1°) La SA SUD MARINE BATEAU
dite SMB siège social [adresse].
2°) Monsieur X.
administrateur de sociétés, demeurant [adresse].
Demandeurs assistés de Maître Henry JEAN BAPTISTE Avocat (D 059) et comparant par Maître BOYER Avocat (M 9002).
ET :
1°) La Compagnie d'assurances LA CONCORDE
ayant son siège [adresse]. Société défenderesse, assistée de Maître HASCOET, Avocat (R 215) et comparant par Maître SEVELLEC, Avocat.
2°) La BANQUE LA HENIN MARINE
siège social [adresse]. Défenderesse, assistée de Maître HERAN, Avocat (C 1037) et comparant par la SCP VANDEL SCHERMANN MASSELIN, Avocats (R 1420).
3°) Le CRÉDIT AGRICOLE DU VAR
siège [adresse]. Défendeur, assisté de Maître FREAUD, Avocat (D 477) et comparant par Maître MARTIN GLEIZE, Avocat (A 148).
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] PROCÉDURE :
Par assignations des 10 et 13 novembre 1992 la société SUD MARINE BATEAU (SMB) et M. X. demandent au Tribunal de :
- dire que la Compagnie LA CONCORDE est tenue contractuellement à l'indemnisation de la perte du bateau MAR'SVIN VII, et que cette décision sera opposable à la banque LA HENIN MARINE ;
- condamner par suite la Compagnie LA CONCORDE à verser à la société SMB la somme de 731.551,43 Francs en réparation des préjudices qu'elle subit, et ce avec intérêts au taux légal ;
- dire abusive la résistance de la Compagnie LA CONCORDE et la condamner à verser à la société SMB la somme de 30.000 Francs à titre de dommages-intérêts ;
- la condamner en outre au paiement de la somme de 25.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ;
- dire que la décision à intervenir sera opposable à la banque LA HENIN MARINE ;
- subsidiairement, pour le cas où le Tribunal n'estimerait pas la Compagnie LA CONCORDE tenue à son obligation contractuelle, dire que le CRÉDIT AGRICOLE DU VAR a commis une faute quasi-délictuelle à son préjudice, et condamner cet organisme au paiement de la même somme de 731.551,43 Francs, outre le paiement de la somme de 30.000 Francs à titre de dommages-intérêts supplémentaires, soit au total la somme de 761.551,43 Francs, le tout assorti d'intérêts au taux légal ;
- condamner en ce cas le CRÉDIT AGRICOLE DU VAR au paiement d'une somme de 25.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ;
- dire que l'ensemble des condamnations prononcées sera productif d'intérêts au taux légal ;
- ordonner en tout état de cause l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- condamner aux dépens la partie qui succombera.
Par conclusions du 15 février 1994 la Compagnie LA CONCORDE demande au Tribunal de :
- constater que le MAR'SVIN VII a été détourné par M. Y.
- dire et juger que la SMB n'a pas respecté les obligations contractuelles qui figurent dans la clause « détournement » des conditions particulières de la police souscrite auprès de LA CONCORDE ; en conséquence,
- dire et juger que la garantie de la Compagnie LA CONCORDE ne lui est pas acquise par la société SMB au titre du détournement du MAR'SVIN VII ;
- débouter la SMB, Monsieur X. et la Banque LA HENIN MARINE de l'ensemble de leurs demandes ;
- [minute page 3] et, reconventionnellement,
- condamner solidairement la SMB et Monsieur X. à verser à la Compagnie LA CONCORDE la somme de 200.000 Francs ;
- les condamner à verser à la Compagnie LA CONCORDE la somme de 20.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ;
- les condamner aux dépens, dont distraction au profit de Maître HASCOET au titre de l'article 699 du NCPC.
Par conclusions du 15 février 1994 la Caisse Régionale du CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU VAR demande au Tribunal de :
- débouter la société SUD MARINE BATEAU de ses demandes, fins et conclusions ;
- dire irrecevable M. X. en ses demandes ;
- subsidiairement, le dire mal fondé ;
- condamner in solidum la société SUD MARINE BATEAU et M. X. à payer au CRÉDIT AGRICOLE DU VAR la somme de 25.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC.
Par conclusions additionnelles du 15 février 1994 la Caisse Régionale du CRÉDIT AGRICOLE DU VAR demande au Tribunal d'écarter des débats les trois attestations versées aux débats par la société SUD MARINE BATEAU.
Par conclusions du 15 février 1994 la Banque LA HENIN demande au Tribunal de :
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande formée par la société SUD MARINE BATEAU et M. X. à l'encontre de la Compagnie d'Assurances LA CONCORDE et du CRÉDIT AGRICOLE DU VAR ;
et, reconventionnellement,
- condamner solidairement la société SUD MARINE BATEAU, Monsieur X. et la Compagnie d'Assurances LA CONCORDE à lui payer la somme de 705.797,72 Francs sous réserve d'actualisation au jour du règlement ;
- les condamner solidairement à lui payer la somme de 20.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ;
- ordonner l'exécution provisoire sans constitution de garantie ;
- condamner solidairement la société SUD MARINE BATEAU, M. X. et la Compagnie d'Assurances LA CONCORDE aux dépens.
Par conclusions du 26 avril 1994 la société SUD MARINE BATEAU demande au Tribunal de lui adjuger de plus fort le bénéfice de ses précédentes écritures.
Par conclusions du 17 mai 1994, régularisées devant le Juge-Rapporteur, la société SUD MARINE BATEAU demande au Tribunal de constater que la créance de la Banque LA HENIN s'élève uniquement à la somme de 547.403,55 Francs.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DISCUSSION :
1 - Sur la demande dirigée contre la Compagnie d'Assurances LA CONCORDE :
La société SUD MARINE BATEAU soutient que le vol du bateau n'est pas prouvé, l'hypothèse d'une perte corps et biens n'étant pas à écarter ; elle invoque une jurisprudence de la Cour d'Appel d'AIX EN PROVENCE, [minute page 4] qui, dans un arrêt rendu le 8 janvier 1982 sur un cas analogue, avait dit que, eu égard aux circonstances demeurées inconnues du sinistre, le « vol » dont il a pu être fait état n'était qu'une hypothèse et que le détournement du bateau n'était pas démontré, et elle justifie que cet arrêt n'a pas été cassé sur ce point (Cass. 15 mai 1984) ; elle soutient par ailleurs qu'elle n'a pas signé la clause D1 du contrat d'assurance et qu'elle a été abusée par l'agent d'assurance qui lui a conseillé de porter plainte.
La Compagnie d'Assurances LA CONCORDE dit que la garantie « détournement » n'est pas acquise ; elle justifie au débat que la clause D1 relative au « détournement », défini comme la « non restitution frauduleuse du bateau par le locataire », fait bien partie du contrat, puisque les conditions particulières signées par SUD MARINE BATEAU mentionnent que « le souscripteur reconnaît avoir reçu un exemplaire des conditions générales et des clauses référencées ci-dessus » et que la clause D1 figure bien parmi les clauses validées ; mais elle dit que la société SUD MARINE BATEAU n'a pas acquis le bénéfice de la clause détournement régulièrement souscrite car elle n'a pas respecté les conditions d'application de cette clause.
Sur ce,
Attendu que la société SUD MARINE BATEAU a porté plainte pour le détournement de son bateau et s'est constituée partie civile devant le Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN ; que celui-ci, par un jugement par défaut du 19 avril 1993, a déclaré M. Y. (le locataire du bateau) coupable du vol du bateau et l'a condamné à payer à la partie civile la somme de 1.018.340 Francs à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que la juridiction pénale a donc reconnu qu'il y avait eu détournement ; qu'aucun nouveau moyen n'est invoqué pour justifier qu'il n'y aurait pas eu détournement ; que le pénal tient le civil en l'état ;
Le Tribunal, en l'état, dira qu'il y a eu détournement et que la clause « détournement » de la police d'assurance doit s'appliquer, sous réserve du respect par l'assuré des conditions d'application de cette clause ;
Attendu que parmi ces conditions figurent l'encaissement, un mois avant la date de mise à disposition, d'un acompte de 50 % du montant de la location, le tirage de photocopies des cartes d'identité ou passeports du locataire et de tous les passagers, du permis de conduire ou permis bateau du locataire, ainsi que d'une quittance de loyer ou d'électricité au nom du locataire, alors qu'il n'y a eu aucun paiement d'acompte ni aucun tirage de photocopies autre que pour le passeport du locataire ;
Attendu que ces clauses ont pour objet de rendre le détournement plus difficile du fait de la possibilité de vérifier l'état civil, l'adresse et la solvabilité de celui à qui le bateau sera confié, et ne peuvent donc être considérées comme abusives ;
Le Tribunal, en l'état, dira que la garantie « détournement » n'est pas acquise dans ces conditions, et que la société SUD MARINE BATEAU ne peut s'en prendre qu'à elle-même de son insouciance. Il dira donc, en l'état, cette société mal fondée en sa demande dirigée contre la Compagnie d'Assurances LA CONCORDE, et l'en déboutera quant à présent.
[minute page 5] Attendu que la Banque LA HENIN a tenu compte, dans son calcul de l'option d'achat, d'une pénalité de remboursement anticipé de 23.465,26 Francs HT non prévue au contrat produit ; qu'elle a omis le remboursement du dépôt de garantie de 122.250 Francs ; que les corrections à apporter au calcul conduiraient à une somme légèrement supérieure à la somme de 547.403,55 Francs que la Banque LA HENIN avait précédemment indiqué à la société SUD MARINE BATEAU, par erreur dit-elle ; que la Banque LA HENIN accepte au débat de réduire sa créance à cette dernière somme,
Le Tribunal condamnera la société SUD MARINE BATEAU à payer à la Banque LA HENIN la somme de 547.403, 55 Francs ;
Attendu que la Banque LA HENIN demande une condamnation solidaire de la société SUD MARINE BATEAU et de M. X. ; qu'elle justifie au débat que ce dernier s'est porté caution solidaire de la société SUD MARINE BATEAU dont il était le gérant, sans restrictions ni réserves ; Le Tribunal dit que M. X. sera condamné solidairement avec la société SUD MARINE BATEAU pour le paiement de la somme de 547.403,55 Francs ;
Attendu que la Banque LA HENIN demande des intérêts au taux de 12,75 % à compter de la levée d'option du 1er novembre 1992 ; que ce taux n'est pas explicité au contrat et que la Banque dit elle-même que, l'explication chiffrée étant fort difficile, elle accepterait que les intérêts soient calculés au taux légal,
Le Tribunal dira que la somme de 547.403,55 Francs citée ci-dessus portera intérêt au taux légal à compter du 1er novembre 1992.
4 - Sur les autres demandes : [N.B. le n° 4 est conforme à la minute]
Sur les dommages intérêts :
Attendu qu'il y a lieu de rejeter les demandes de dommages intérêts formulées par la Compagnie LA CONCORDE et par le CRÉDIT AGRICOLE DU VAR, ceux-ci n'apportant pas la preuve que soient réunies en l'espèce les conditions d'application de l'article 1153 du Code Civil ;
Sur l'article 700 :
Attendu que les défendeurs ont dû, pour faire reconnaître leurs droits ou assurer leur défense, exposer des frais, non compris dans les dépens, qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ; qu'il est justifié d'allouer, au titre de l'article 700 du NCPC, la somme de 3.000 Francs à chacun des défendeurs, déboutant du surplus demandé ;
Sur l'exécution provisoire :
Attendu que, le Tribunal l'estimant nécessaire, il y a lieu de l'ordonner ;
[minute page 6]
Sur les dépens :
Attendu qu'ils seront mis à la charge de la société SUD MARINE BATEAU qui succombera au principal.
Attendu que l'application des dispositions de l'article 699 du NCPC demandée par la compagnie LA CONCORDE ne sera pas ordonnée, le ministère d'avocat n'étant pas obligatoire devant ce Tribunal.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant par jugement contradictoire en premier ressort.
Dit la demande de M. X. irrecevable.
Dit la demande de la société SUD MARINE BATEAU à l'encontre de la Compagnie la Concorde en l'état mal fondée, l'en déboute quant à présent.
Dit que la demande de la société SUD MARINE BATEAU à l'égard du Crédit Agricole du Var mal fondée, l'en déboute.
Condamne solidairement la société SUD MARINE BATEAU et M. X. en sa qualité de caution à payer à la Banque LA HENIN la somme de : CINQ CENT QUARANTE SEPT MILLE QUATRE CENT TROIS FRANCS TRENTE CINQ CENTIMES (547.403,35 Francs) avec intérêts au taux légal à compter du 1er novembre 1992
Condamne solidairement la société SUD MARINE BATEAU et M. X. en sa qualité de caution, à payer la somme de : TROIS MILLE FRANCS (3.000 francs) à chacune des sociétés Compagnie d'Assurances la CONCORDE, Banque LA HENIN et CRÉDIT AGRICOLE DU VAR au titre de l'article 700 du NCPC.
Ordonne l'exécution provisoire.
Condamne solidairement la société SUD MARINE BATEAU et M. X. aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 275,21 Francs TTC (Appel 5,25 ; affr. 42,00 ; émol. 184,80 ; TVA : 43,16).
Confié lors de l'audience du 26 avril 1994 à Monsieur PIGANEAU en qualité de juge rapporteur.
Mis en délibéré le 17 mai 1994.
Délibéré par Messieurs PIGANEAU, SAULAIS, SOLAL et prononcé à l'audience publique, où siégeaient : [minute page 7] Monsieur de PLACE, PRÉSIDEN'T, Messieurs PIGANEAU, CAEN, SAULAIS, SOLAL, JUGES, les parties en ayant été préalablement avisées.
La Minute du Jugement est signée par le Président du Délibéré et Madame VASSEUR, Greffier.
Monsieur PIGANEAU
Juge rapporteur.
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