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TGI EPINAL, 4 juin 1999

Nature : Décision
Titre : TGI EPINAL, 4 juin 1999
Pays : France
Juridiction : Epinal (TGI)
Demande : 2467/96
Date : 4/05/1999
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 14/11/1996
Décision antérieure : CA NANCY (1re ch. civ.), 17 décembre 2001, CA NANCY (1re ch. civ.), 12 octobre 2006
Numéro de la décision : 342
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 360

TGI EPINAL, 4 juin 1999 : RG n° 2467/96 ; jugement n° 342

(sur appel CA Nancy, 17 décembre 2001)

 

Extrait : « Monsieur X., artisan peintre, ne peut plus exercer sa profession. Il peut cependant en exercer une autre : la gestion de sa SCI, de son entreprise de peinture qui emploie trois salariés. Il peut avoir une activité intellectuelle. Mais selon l'expert lui-même il ne peut ni se déplacer, ni exercer une activité qui suppose des stations debout prolongées, ce qui signifie qu'il ne peut pas diriger les chantiers de son entreprise sur le terrain, c'est-à-dire qu'il ne peut exercer qu'une activité théorique, alors qu'il n'est qu'un travailleur manuel. Il y a lieu de rappeler que la cotisation d'assurance s'élève à 240,47 Francs par mois, soit 2.885,64 Francs par an, soit 30.539,69 Francs à l'issue du contrat de prêt de 12 ans.

Le contrat d'assurance contient en outre un délai d'attente de 360 jours au cours duquel la compagnie perçoit les primes sans contrepartie pour l'assuré. Ce contrat prévoit également un délai de carence de 120 jours, à compter du début de l'ITT, très supérieur à ce qui est communément stipulé dans les contrats d'assurance groupe. Enfin, l'IPA ne peut être indemnisé qu'en cas « d'état végétatif » de l'assuré.

Dès lors, la clause contenue dans l'article 2.3 du contrat (l'impossibilité absolue de reprendre une activité professionnelle quelconque, même à temps partiel) est abusive, car elle retire à l'indemnisation de l'ITT et au contrat d'assurance lui-même toute contrepartie au paiement des primes par l'assuré et créé au détriment de Monsieur X. un déséquilibre significatif entre ses droits et les obligations de la CNP Assurances. Ainsi cette clause est réputée non écrite et la CNP Assurances devra prendre en charge le remboursement des échéances du prêt souscrit par la SCI Y. auprès de la banque La Hénin.

2/ « La sanction de la constatation du caractère abusif d'une clause au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation est que cette clause est réputée non écrite. A ce titre, le délai de carence de 120 jours contenu dans l'article 2.3 du contrat est écrit ou est réputé non écrit. En aucun cas, il ne peut être réduit. Dès lors, Monsieur X. sera débouté de cette demande. Le docteur A. ayant fixé l'incapacité de travail professionnelle de Monsieur X. au 7 avril 1995, le point de départ de la prise en charge par CNP Assurances doit être fixé, compte tenu du délai de carence de 120 jours, au 5 août 1995. »

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D’ÉPINAL

JUGEMENT DU 4 JUIN 1999

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 2467/96. Jugement civil n° 342. RENDU LE QUATRE JUIN MIL NEUF CENT QUATRE VINGT DIX NEUF

 

ENTRE :

Monsieur X.

le [date], de nationalité française, demeurant [adresse], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la SCI Y. dont le siège est sis lieudit [adresse]. DEMANDEUR. Représenté et plaidant par la SCP WELZER, LEFORT et BOURDEAUX, avocat au Barreau d'EPINAL.

 

ET :

La Société Anonyme CNP Assurances

au capital social de XX Francs, immatriculée au Registre du Commerce sous le numéro YY, dont le siège social est sis [adresse], prise en la personne de son représentant légal. DEFENDERESSE. Représentée et plaidant par Maître VOGEL, avocat au Barreau d'EPINAL.

 

Par Monsieur CHAZEL, Vice-Président, statuant publiquement, à Juge unique, assisté de Mademoiselle BALA, Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier. L'audience de plaidoiries a été tenue par le même Magistrat le 2 avril 1999. La cause a été renvoyée pour jugement à l'audience de ce jour.

[minute page 2]

LE TRIBUNAL

Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 janvier 1999,

Après avoir entendu les Avocats des parties et en avoir délibéré conformément à la loi,

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

I - EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 20 juillet 1992, la SCI Y. a souscrit un prêt de 800 000 Francs auprès de la Banque La Hénin, garantie par la caution de son gérant Monsieur X., artisan peintre, qui a adhéré a un contrat d'assurance groupe auprès de CNP Assurances, garantissant les risques décès, invalidité permanente et absolue (IPA) et incapacité temporaire totale de travail (I.T.T.).

En août 1994, Monsieur X. a ressenti des douleurs au pied gauche et a été mis en arrêt de travail le 2 septembre 1994 ; depuis le 1er décembre 1994, sa caisse d'assurance sociale, l'AVA de Lorraine, lui verse une pension d'incapacité totale à exercer son métier.

Après expertise, CNP Assurances a refusé la prise en charge de Monsieur X. avec effet du 6 avril 1995.

Par acte du 14 novembre 1996, Monsieur X. a fait assigner CNP Assurances aux fins de prise en charge du remboursement des échéances du prêt avec effet rétroactif du 6 avril 1995 sur le fondement de l'article 2.3 du contrat d'assurance (ITT) ; il demande de déclarer abusive la clause prévoyant un délai de carence de 120 jours et de réduire celui-ci à 30 jours et la clause subordonnant la prise en charge au titre de l'ITT à « être dans l'impossibilité absolue de reprendre une activité professionnelle quelconque même à temps partiel » ; il sollicite, en outre, 50.000 Francs de dommages et intérêts pour résistance abusive et 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Se fondant sur l'article 2.2 du contrat, CNP Assurances conclut au débouté de toutes les demandes et sollicite 5.000 Francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; puis se plaçant sur l'article 2.3 du contrat, elle conclut aux mêmes fins.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

II - MOTIFS DE LA DÉCISION :

1/ Sur la clause applicable :

L'article 2.2 du contrat définit l'incapacité permanente et absolue comme le cumul des trois conditions suivantes : [minute page 3]

« 1 - L’invalidité dont il est atteint le place dans l'impossibilité définitive de se livrer à toute occupation et/ou à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit ;

2 - Elle le met définitivement dans l'obligation de recourir de façon permanente à l'assistance totale d'une tierce personne pour l'ensemble des actes ordinaires de la vie (se laver, s’habiller, se nourrir, se déplacer) ;

3 - La date de reconnaissance du sinistre reconnue par l'assureur se situe avant son 60è anniversaire. »

L'article 2.3 du contrat définit l'incapacité temporaire totale de travail (ITT) selon les dispositions suivantes :

« Cette garantie est réservée aux assurés qui exercent une activité professionnelle rémunérée et, en tout état de cause, ne peut être mise en jeu qu'à l'issue de la période d'attente de 360 jours visée à l'article 3 « Risques exclus ».

L'assuré est en état d’ITT lorsque, à l'expiration d'une période d'interruption continue de travail de 120 jours (appelée délai de carence), il se trouve, par suite de maladie ou d'accident, dans l'impossibilité absolue de reprendre une activité professionnelle quelconque, même à temps partiel.

S'il est assuré social, et outre les conditions ci-dessus, il doit bénéficier des prestations en espèces (indemnités journalières maladie ou accident, pension d'invalidité de 2ème ou 3ème catégorie selon la définition de l'article L. 341-4 du Code de la Sécurité Sociale, ou rente d'accident du travail et maladies professionnelles pour un taux d'incapacité égal ou supérieur à 66 %). »

Dans son expertise effectuée le 23 janvier 1996 le docteur A. conclut : « Monsieur X. souffre de sa cheville et de son pied gauches depuis août 1994. Après divers examens réalisés, le diagnostic retenu fut une algodystrophie. L'évolution de cette affection est très longue et très douloureuse.

A la suite de l'examen réalisé, ce jour, et qui montre une aggravation certaine de la symptomatologie par rapport à l'examen réalisé par le docteur B. le 7 avril 1995, on peut affirmer que Monsieur X. est inapte totalement, depuis le 7 avril 1995, à exercer son activité professionnelle de plâtrier peintre car cette profession réclame l'intégrité des membres inférieurs.

[minute page 4] Cependant, il est apte à exercer partiellement une activité socialement équivalente ou une activité professionnelle autre excluant, évidemment, des déplacements ou des stations debout prolongées et ce depuis le 7 avril 1995.

De même, il est apte à exercer ses activités habituelles non professionnelles mais en excluant les activités nécessitant des déplacements ou des stations debout prolongées.

Cet état n'est pas encore consolidé. Une révision doit être envisagée après le deuxième anniversaire du début de l'affection, soit fin 1996, pour évaluer une éventuelle incapacité fonctionnelle. »

Il résulte de ces conclusions, notamment en raison de l'absence de consolidation de l'état de santé de Monsieur X. que la clause applicable est l'article 2.3 du contrat d'assurance.

 

2/ Sur le caractère abusif de la clause contenue dans l'article 2.3 du contrat : « dans l'impossibilité absolue de reprendre une activité professionnelle quelconque, même à temps partiel » :

Le refus de prise en charge de la CNP Assurances est exclusivement fondé sur le fait que si Monsieur X. est totalement inapte depuis le 7 avril 1995 à exercer son activité professionnelle de plâtrier peintre, il est cependant apte à exercer partiellement une activité socialement équivalente ou une activité professionnelle autre, ainsi que ses activités non professionnelles.

L'article L. 132-1 du Code de la Consommation, qui transpose en droit français les dispositions impératives de la directive européenne du 5 avril 1993 et dont les dispositions sont d'ordre public, dispose :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »

Monsieur X., artisan peintre, ne peut plus exercer sa profession. Il peut cependant en exercer une autre : la gestion de sa SCI, de son entreprise de peinture qui emploie trois salariés. Il peut avoir une activité intellectuelle. Mais selon l'expert lui-même il ne peut ni se déplacer, ni exercer une activité qui suppose des stations debout prolongées, ce qui signifie qu'il ne peut pas diriger les chantiers de son entreprise sur le terrain, c'est-à-dire qu'il ne peut exercer qu'une activité théorique, alors qu'il n'est qu'un travailleur manuel.

Il y a lieu de rappeler que la cotisation d'assurance s'élève à 240,47 Francs par mois, soit 2.885,64 Francs par an, soit 30.539,69 Francs à l'issue du contrat de prêt de 12 ans.

[minute page 5] Le contrat d'assurance contient en outre un délai d'attente de 360 jours au cours duquel la compagnie perçoit les primes sans contrepartie pour l'assuré. Ce contrat prévoit également un délai de carence de 120 jours, à compter du début de l'ITT, très supérieur à ce qui est communément stipulé dans les contrats d'assurance groupe.

Enfin, l'IPA ne peut être indemnisé qu'en cas « d'état végétatif » de l'assuré.

Dès lors, la clause contenue dans l'article 2.3 du contrat (l'impossibilité absolue de reprendre une activité professionnelle quelconque, même à temps partiel) est abusive, car elle retire à l'indemnisation de l'ITT et au contrat d'assurance lui-même toute contrepartie au paiement des primes par l'assuré et créé au détriment de Monsieur X. un déséquilibre significatif entre ses droits et les obligations de la CNP Assurances.

Ainsi cette clause est réputée non écrite et la CNP Assurances devra prendre en charge le remboursement des échéances du prêt souscrit par la SCI Y. auprès de la banque La Hénin.

 

3/ Sur le point de départ de la prise en charge :

La sanction de la constatation du caractère abusif d'une clause au sens de l'article L. 132-1 du Code de la Consommation est que cette clause est réputée non écrite.

A ce titre, le délai de carence de 120 jours contenu dans l'article 2.3 du contrat est écrit ou est réputé non écrit.

En aucun cas, il ne peut être réduit.

Dès lors, Monsieur X. sera débouté de cette demande.

Le docteur A. ayant fixé l'incapacité de travail professionnelle de Monsieur X. au 7 avril 1995, le point de départ de la prise en charge par CNP Assurances doit être fixé, compte tenu du délai de carence de 120 jours, au 5 août 1995.

 

4 / Sur les dommages et intérêts :

La non prise en charge de l’ITT de l'assuré eu égard à la clause abusive du contrat, déclarée réputée non écrite, a causé à Monsieur X. un préjudice certain et actuel qui sera justement réparé par la condamnation de CNP Assurances à lui payer 35.000 Francs de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.

[minute page 6]

5/ D'office, sur l'exécution provisoire :

L'ancienneté de la réclamation amiable de Monsieur X., la nature et les circonstances de l'affaire commandent d'ordonner d'office l'exécution provisoire.

 

6/ Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

L'économie générale du contrat d'assurance et l'équité commandent de condamner CNP Assurances à payer à Monsieur X. 5.000 Francs au titre des frais non taxables qu'il a exposés.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

III – DÉCISION :

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Déclare réputée non écrite la clause de l'article 2.3 du contrat d'assurance ainsi conçue : « dans l'impossibilité absolue de reprendre une activité professionnelle quelconque, même à temps partiel ».

Condamne CNP Assurances à prendre en charge les mensualités du prêt souscrit par la SCI Y. auprès de la banque « La Hénin » à compter du 5 août 1995 et dit que pour les mensualités payées par Monsieur X. à compter de cette date la CNP Assurances est condamnée à les lui rembourser.

Condamne CNP Assurances à payer à Monsieur X. 35.000 Francs (TREN'T'E CINQ MILLE FRANCS), soit la contre-valeur de 5.335,72 Euros, de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.

Ordonne l'exécution provisoire.

Condamne CNP Assurances à payer à Monsieur X. 5.000 Francs (CINQ MILLE FRANCS), soit la contre-valeur de 762,25 Euros, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne CNP Assurances aux dépens.