CA RENNES (2e ch.), 28 février 2013
CERCLAB - DOCUMENT N° 4317
CA RENNES (2e ch.), 28 février 2013 : RG n° 10/06866 ; arrêt n° 85
Publication : Jurica
Extrait : « En ce qu'elle prévoit, à la seule initiative du prêteur, une suspension du découvert, pour des motifs qui sont étrangers au contrat de crédit (situation de chômage, inscription au FICP) et qui ne mettent pas pour autant nécessairement en péril le remboursement des échéances dues au prêteur, cette clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et revêt de ce fait un caractère abusif. Elle aggrave également la situation du débiteur dès lors qu'aucune précision n'est apportée ni sur les conditions de sa mise en application, ni sur sa durée, ni sur les modalités de la reprise du contrat de crédit ; qu’elle est en outre susceptible de créer des difficultés dans la gestion financière de son crédit et de son budget par l'emprunteur, privé, à la discrétion du prêteur, des possibilités d'avoir recours à la réserve financière qui constitue l'objet du crédit ; qu'elle peut en outre mettre en péril par la suite la reprise du contrat et de ses obligations par l'intéressé. Elle doit en conséquence être également déclarée illicite.
L'insertion de cette clause illicite dans le contrat de crédit intervenu le 8 avril 2006, qui a pour effet de contourner la législation protectrice du consommateur, rend l'offre de crédit non conforme aux dispositions des articles L. 311-8 à L. 311-13 du code de la consommation et par conséquent justifie à elle seule l'application des dispositions de l'article L. 311-33 du code de la consommation, soit l'application au prêteur de la déchéance du droit aux intérêts, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres irrégularités affectant l'offre de crédit, alléguées par l'emprunteur ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
DEUXIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 28 FÉVRIER 2013
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 10/06866. Arrêt n° 85.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Madame Catherine LE BAIL, Président, Madame Françoise LE BRUN, Conseiller, Mme Béatrice LEFEUVRE, Conseiller,
GREFFIER : Madame Stéphanie LE CALVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS : A l'audience publique du 17 janvier 2013 devant Mme Béatrice LEFEUVRE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT : avant dire droit, contradictoire, prononcé publiquement le 28 février 2013 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTE :
Madame X.
Rep/assistant : la SCP BREBION CHAUDET, Postulant (avocats au barreau de RENNES), Rep/assistant : la SELARL SEVESTRE - SIZARET, Plaidant (avocats au barreau de RENNES)
INTIMÉE :
Société AXA BANQUE FINANCEMENT SA
Rep/assistant : la SCP GAUVAIN -DEMIDOFF, Postulant (avocats au barreau de RENNES), Rep/assistant : la SCP ELGHOZI-GEANTY-GAUTIER-PENNEC, Plaidant (avocats au barreau de SAINT-BRIEUC)
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Suivant offre préalable acceptée le 8 avril 2006, la banque AXA FINANCEMENT a consenti à Madame X. un crédit renouvelable utilisable par fractions d'un montant initial de 3.000 euros remboursable par mensualités de 30 euros au taux effectif global de 17,90 % jusqu'à 1.500 euros et de 14,90 % de 1.500 à 3.000 euros.
Saisi par Madame X., le tribunal d'instance de Saint-Brieuc a, par décision du 14 JUIN 2010 :
- prononcé la déchéance du droit aux intérêts en raison de l'absence de bordereau de rétractation et du caractère abusif de la clause II 9 b du contrat de crédit ;
- condamné Madame X. au paiement à la Banque AXA FINANCEMENT de la somme de 1.307,07 euros portant intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- débouté les parties du surplus de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Banque AXA FINANCEMENT aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Le tribunal a estimé en premier lieu que la clause II 9 b par laquelle la banque prévoit la suspension du droit à découvert, à son initiative, en cas de survenance de certain événements (défaut de règlement ponctuel de toute somme due, chômage, interdiction bancaire, inscription au FICP, manquement à l'obligation d'information) présentait un caractère abusif.
Il a ensuite jugé irrégulière l'offre préalable en ce que l'exemplaire emprunteur ne comportait pas de bordereau détachable de rétractation dans l'offre elle même, mais joint à celle-ci ; que l'exemplaire du préteur ne comportait pas non plus dans l'offre elle même ce bordereau détachable, de sorte que la sanction de la déchéance du droit aux intérêts était encourue et devait être appliquée.
Faisant droit à la demande reconventionnelle en paiement présentée par la Banque AXA FINANCEMENT, tout en faisant application de la déchéance du droit aux intérêts le tribunal a jugé que Madame X. n'était redevable que du capital restant dû après déduction des intérêts réglés à tort, soit 1.307,07 euros, mais n'a pas fait droit à la demande de Madame X. tendant à la production par la banque d'un décompte détaillé des sommes perçues par la banque au titre des intérêts outre des intérêts sur ceux-ci au taux légal à compter du jour de leur versement, le tribunal estimant que le calcul des sommes dues par l'emprunteur était parfaitement établi sur la base de l'historique du compte courant.
Madame X. a interjeté appel de cette décision aux motifs que le premier juge n'a pas tiré toutes conséquences de l'illicéité de l'offre de crédit, dès lors que les intérêts restitués par le prêteur devaient être majorés des intérêts au taux légal à compter de leur date de perception jusqu'à leur date de restitution, et qu'elle ne saurait voir retenir les indemnités contractuelles versées dans les échéances payées.
Elle demande en conséquence à la cour :
- de confirmer le jugement rendu le 14 juin 2010 en ce qu'il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts en raison de l'absence de bordereau de rétractation et du caractère illicite de la clause II 9 b du contrat de crédit ;
- de le réformer pour le surplus, et :
- de condamner la société AXA BANQUE FINANCEMENT à restituer à Madame X. les sommes perçues au titre des intérêts, outre les intérêts sur ceux-ci à compter du jour de leur versement et jusqu'à parfait paiement ;
- de condamner la société AXA BANQUE FINANCEMENT à restituer à madame Pierrette LESAUX les sommes perçues au titre des indemnités de retard dans les échéances payées ;
- de dire que Madame X. n'est tenue que du seul capital emprunté sous déduction, notamment des sommes sollicitées à titre d'indemnités de retard dans les échéances échues impayées ;
- de condamner la société AXA BANQUE FINANCEMENT à remettre à Madame X. un décompte détaillé des sommes perçues au titre des intérêts, outre des intérêts sur ceux-ci au taux légal à compter du jour de leur versement, et des indemnités de retard prélevées ou réclamées, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de l'arrêt à intervenir et ce pendant un mois ;
- de condamner la société AXA BANQUE FINANCEMENT à verser à Madame X. la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- de débouter la société AXA BANQUE FINANCEMENT de ses demandes et de la condamner aux entiers dépens.
La société AXA BANQUE FINANCEMENT conteste en premier lieu le caractère illicite et abusif de la clause de suspension du droit à découvert dans certaines situations, dont elle soutient qu'elle n'aggrave pas la situation de l'emprunteur, mais protège sa capacité financière et le préserve d'un éventuel usage excessif du compte renouvelable. Elle rappelle également que, à supposer abusive cette clause, elle doit simplement être considérée comme non écrite et n'entraîne pas la déchéance du droit aux intérêts, son illicéité n'étant pas démontrée.
Elle fait valoir en second lieu, s'agissant du bordereau de rétractation, d'une part que seul l'exemplaire de l'emprunteur doit contenir ce formulaire, dès lors que la faculté de rétractation n'est ouverte qu'à l'emprunteur et qu'aucun texte ne prévoit l'obligation que le bordereau de rétractation soit, comme l'offre préalable, établi en double exemplaire ; que, d'autre part, la reconnaissance par l'emprunteur de ce qu'il est resté en possession du contrat muni d'un formulaire détachable du bordereau de rétractation démontre valablement la remise de ce bordereau, et qu'en conséquence, à défaut pour l'emprunteur de rapporter la preuve de ce qu'il n'a pas reçu ce bordereau, notamment par la production de l'offre en sa possession, aucune déchéance du droit aux intérêts n'est applicable en l'espèce.
La société AXA BANQUE FINANCEMENT conclut donc à la réformation de la décision de première instance sur ce point et demande qu'il soit fait droit à sa demande reconventionnelle.
A titre subsidiaire, elle soutient que dans le cas de l'application des dispositions de l'article L. 311-33 du code de la consommation, il n'y a lieu à restitution par le préteur que des intérêts à l'exclusion d'autres sommes, et que, par ailleurs, le décompte qu'elle a produit étant complet, il appartient à Madame X. de chiffrer sa demande.
La société AXA BANQUE FINANCEMENT demande en définitive à la cour :
A titre principal
- de dire que la contestation de la clause n'est pas fondée,
- à défaut, de dire n'y avoir lieu au prononcé de la déchéance du droit aux intérêts pour sanctionner l'existence d'une clause abusive, cette dernière pouvant seulement être réputée non écrite ;
- de réformer le jugement en ce qu'il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts en se fondant sur la prétendue illicéité de la clause II 9 b et l'absence de bordereau de rétractation ;
- de condamner Madame X. à verser à la société AXA BANQUE FINANCEMENT la somme de 3.071,19 euros avec intérêts au taux contractuel à compter des conclusions du 28 septembre valant mise en demeure et jusqu'à parfait paiement ;
- de condamner Madame X. à verser à la société AXA BANQUE FINANCEMENT la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles et de la condamner aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire
- de dire n'y avoir lieu à restituer des sommes autres que les intérêts
- de constater que la société AXA BANQUE FINANCEMENT produit le décompte et un historique de compte qui font obstacle au prononcé de l'astreinte ;
- de dire qu'il appartient à Madame X. de chiffrer le montant de sa demande ;
- au visa de l’article 1153 du code civil, de dire que la société AXA BANQUE FINANCEMENT est fondée à réclamer les intérêts au taux légal de la somme restant due en capital à compter du jour de la mise en demeure et jusqu'à parfait paiement ;
- d'ordonner la compensation entre les deux sommes ;
- de dire que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur le caractère abusif et illicite de la clause II 9 b du contrat de crédit :
Le contrat de crédit renouvelable utilisable par fractions intervenu le 8 avril 2006 comporte une clause II-9-b aux termes de laquelle : « le droit à découvert sera suspendu à l'initiative du prêteur en cas de survenance de l'un des événements suivants :
a) défaut de règlement ponctuel et intégral de toute somme due par l'emprunteur au prêteur ;
b) chômage ;
c) interdiction bancaire ou judiciaire d'émettre des chèques ;
d) inscription concernant l'emprunteur au FICP tenu par la banque de France ;
e) manquement à l'obligation d'information ».
En ce qu'elle prévoit, à la seule initiative du prêteur, une suspension du découvert, pour des motifs qui sont étrangers au contrat de crédit (situation de chômage, inscription au FICP) et qui ne mettent pas pour autant nécessairement en péril le remboursement des échéances dues au prêteur, cette clause crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et revêt de ce fait un caractère abusif. Elle aggrave également la situation du débiteur dès lors qu'aucune précision n'est apportée ni sur les conditions de sa mise en application, ni sur sa durée, ni sur les modalités de la reprise du contrat de crédit ; qu’elle est en outre susceptible de créer des difficultés dans la gestion financière de son crédit et de son budget par l'emprunteur, privé, à la discrétion du prêteur, des possibilités d'avoir recours à la réserve financière qui constitue l'objet du crédit ; qu'elle peut en outre mettre en péril par la suite la reprise du contrat et de ses obligations par l'intéressé. Elle doit en conséquence être également déclarée illicite.
L'insertion de cette clause illicite dans le contrat de crédit intervenu le 8 avril 2006, qui a pour effet de contourner la législation protectrice du consommateur, rend l'offre de crédit non conforme aux dispositions des articles L. 311-8 à L. 311-13 du code de la consommation et par conséquent justifie à elle seule l'application des dispositions de l'article L. 311-33 du code de la consommation, soit l'application au prêteur de la déchéance du droit aux intérêts, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres irrégularités affectant l'offre de crédit, alléguées par l'emprunteur.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé sur ce point.
Sur l'application au prêteur de la déchéance du droit aux intérêts et sa demande reconventionnelle
En application des dispositions de l’article L. 311-33 du code de la consommation, l'emprunteur n'est tenu qu'au seul remboursement du capital restant dû au préteur qui se voit sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts, les sommes perçues au titre des intérêts, productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de leur versement, devant lui être restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.
La référence au seul capital restant dû exclut que le prêteur puisse se prévaloir des indemnités contractuelles de retard qu'il a perçues dans les échéances déjà versées, qui ne font pas partie du capital, et, qui, au même titre que les intérêts au taux contractuel, doivent être restituées à l'emprunteur.
Madame X. est donc fondée à réclamer, outre la restitution des intérêts au taux légal eux même productifs d'intérêts au taux légal à compter de leur versement, les indemnités de retard qui lui ont été appliquées et étaient incluses dans les échéances payées ;
Dans ces conditions, et pour permettre d'examiner la demande reconventionnelle en paiement réclamée par AXA, alors qu'aucune des pièces soumises à la cour ne comporte un décompte conforme aux dispositions précises de l'article L. 311-33 du code de la consommation, il sera enjoint à AXA BANQUE de présenter un décompte des intérêts au taux contractuel versés depuis l'origine, avec le calcul des intérêts au taux légal qu'ils ont produits depuis leurs versements successifs, ainsi que des indemnités de retard qui ont été appliquées à Madame X., toutes sommes qui viendront en déduction du capital restant dû dont le paiement est reconventionnellement sollicité.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé sur ce point.
Afin d'examiner la demande reconventionnelle après production du décompte, il sera procédé à la réouverture des débats devant la cour, selon le calendrier précisé dans le dispositif ci-après.
L'intérêt bien compris du créancier, qui se porte demandeur reconventionnel en paiement, exclut la nécessité de prévoir une astreinte pour le contraindre à la production de ce décompte préalable à toute condamnation en paiement de l'emprunteur.
Dans l'attente de la réouverture des débats, les dépens seront réservés.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts à l'encontre de la BANQUE AXA en raison du caractère illicite de la clause II 9 b du contrat de crédit ;
L'infirme pour ce qui concerne le montant de la somme restant due par Madame X., au titre de la demande reconventionnelle et après application de la déchéance du droit aux intérêts et dit que celle-ci n'est tenue qu'au remboursement du seul capital restant dû, déduction faite des intérêts conventionnels productifs d'intérêts au taux légal et des indemnités de retard versées ;
Ordonne la réouverture des débats à l'audience du 27 juin 2013 à 09 h 30 ;
Ordonne la production par AXA BANQUE d'un décompte de sa demande, conforme aux dispositions de l'article L. 311-33 du code de la consommation, faisant apparaître le montant des intérêts conventionnels perçus, productifs d'intérêts au taux légal à compter de leur versement par l'emprunteur, ainsi que le montant des indemnités de retard versées dans les échéances payées depuis l'origine, et le capital restant dû après déduction des sommes ci-dessus ;
Dit que la production du décompte devra intervenir dans un délai de deux mois suivant la présente décision, et que l'appelante disposera d'un délai impératif de deux mois pour y répondre ;
Sursoit à statuer pour le surplus des demandes et réserve les dépens.
Le greffier Le Président
- 5744 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Conséquences sur l’issue du litige - Effet rétroactif - Point de départ d’une forclusion - Présentation
- 5749 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets de l’action - Autres effets - Déchéance des intérêts
- 6623 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Régime général - Obligations de l’emprunteur - Déchéance et résiliation - Nature des manquements
- 6631 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Crédits spécifiques - Crédit renouvelable - 2 - Clause de dispense d’offre (augmentation du crédit) - Obligation de faire une offre
- 6633 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Banque - Crédit à la consommation - Crédits spécifiques - Crédit renouvelable - 4 - Clause de dispense d’offre (augmentation du crédit) - Clauses abusives