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CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 10 avril 2013

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 10 avril 2013
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 11/05303
Date : 10/04/2013
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4432

CA COLMAR (1re ch. civ. sect. A), 10 avril 2013 : RG n° 11/05303

Publication : Jurica

 

Extrait : « Les modalités de résiliation prévues étaient donc conformes aux dispositions légales des articles L. 145-4 al 2 et L. 145-9 du code de commerce, tant en ce qui concerne la résiliation au terme d'une période triennale qu'en ce qui concerne le préavis minimum de 6 mois. La résiliation notifiée pouvait donc être notifiée au bailleur le 30 décembre 2008.

Mais il s'agit là de dispositions impératives, peu importe qu'elles aient été conçues dans le but de protéger plus le locataire que le bailleur ; l’article L. 145-15 du code de commerce prohibe en effet toutes clauses contraires à l'article L. 145-4 dudit code relatif à la durée. La disposition selon laquelle le preneur a la faculté de donner congé ne pouvait donc produire effet qu'au 30 juin 2009. La Poste s'en réclame néanmoins, en soulignant que, selon cette règle, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, « à défaut de convention contraire ». Mais cette formule n'envisage que l'éventualité d'une clause du bail qui proscrirait la faculté de résiliation triennale de sorte que celle-ci se trouverait privée de son caractère d'ordre public. Cette disposition qui apporte une exception au principe légal n'entraîne pas pour le locataire la faculté d'étendre à son seul avantage la faculté de mettre fin au bail commercial auquel le législateur a voulu garantir une certaine stabilité. C'est donc en vain que La Poste prétend se réclamer de l'article 11 du bail pour se libérer à son gré moyennant un préavis de 3 mois.

Par ailleurs, la clause ne peut être considérée comme une clause potestative au sens des articles 1170 et 1174 du code civil, dans la mesure où elle permet une résiliation du contrat, et ne subordonne pas l'exécution de celui-ci à un événement que La Poste pourrait faire arriver ou empêcher.

En revanche, elle apparait contraire à l’article L. 132-1 du code de la consommation, qui répute non écrites des clauses qualifiées d'abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur : cette règle s'applique bien en l'espèce, dès lors que le contrat par la clause litigieuse établit une faculté de résiliation du bail à tout moment en contradiction avec les dispositions impératives du statut des baux commerciaux, et est conçue dans l'intérêt d'une partie professionnelle qui s'engage à verser le loyer, au détriment d'une partie non professionnelle comme c'est le cas de M. X., sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la qualité de bailleur ou de locataire de ce professionnel.

Mais au vu de la prise d'effet du bail et de la faculté de résiliation triennale, cette résiliation ne pouvait produire effet que 6 mois plus tard au 30 juin 2009. La Cour écarte l'application du préavis de 3 mois pour reporter l'effet du congé conformément aux stipulations légales au 30 juin 2009, terme de la période triennale, assorti d'un préavis de 6 mois. En conséquence, le moyen invoqué sur la base de l’article L. 132-1 du code de la consommation est sans objet. Enfin, rien ne permet de considérer qu'une telle clause, à la supposer valide, porterait une atteinte au droits de propriété du bailleur, alors que la faculté de résiliation restitue le bien loué le propriétaire qui ne se trouve privé que des loyers escomptés. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRÊT DU 10 AVRIL 2013

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 11/05303. Décision déférée à la Cour : 13 septembre 2011 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG.

 

APPELANTE :

SA LA POSTE

représentée par Maître Joëlle LITOU-WOLFF, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître BLATTER, avocat à PARIS

 

INTIMÉ :

Monsieur X.

représenté par Maître Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître SCHIEBER-HERRBACH, avocat à STRASBOURG

 

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l’article 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mars 2013, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. VALLENS, Président de Chambre, entendu en son rapport, et M. CUENOT, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : M. VALLENS, Président de Chambre, M. CUENOT, Conseiller, M. ALLARD, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme MUNCH-SCHEBACHER, Greffier

ARRÊT : - Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par M. Jean-Luc VALLENS, président et Mme Christiane MUNCH-SCHEBACHER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Par un contrat de bail commercial prenant effet au 1er janvier 2003, M. X. a donné à bail à La Poste un local commercial pour une durée de 9 années. Par un acte d'huissier du 30 décembre 2008, La Poste a donné congé au bailleur avec un préavis de 3 mois, prenant effet au 31 mars 2009. Par un acte d'huissier du 19 janvier 2010, M. X. a fait citer La Poste devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg-chambre civile aux fins de voir déclarer le congé irrégulier et nul, et d'obtenir le paiement des loyers prévus jusqu'à l'échéance du 31 décembre 2011 soit 19.477,59 euros.

Par un jugement du 13 septembre 2011, le tribunal a jugé que l'action de M. X. n'était pas prescrite, a déclaré le congé irrégulier et a condamné La Poste à payer à M. X. la somme de 19.477,59 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2008 et d'une indemnité de procédure de 2.000 euros.

La Poste a interjeté appel de ce jugement.

Elle demande à la Cour de :

- déclarer l'action de M. X. prescrite,

- déclarer le congé régulier,

- subsidiairement, dire que les effets du congé sont reportés au 30 juin 2009,

- débouter M. X.,

- le condamner au paiement d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts et de 6.000 euros pour les frais irréductibles.

Elle expose : le bail prévoit la possibilité d'une résiliation par le preneur avec un délai de préavis de 3 mois ; elle a appliqué cette clause ; l'action de M. X. est soumise à la prescription de 2 ans prévue par l’article L. 145-60 code de commerce ; le délai d'une action en nullité visant une clause du bail court à compter de la signature de celui-ci et non à compter du congé ; M. X. a pris l'initiative de l'action et n'a pas invoqué la nullité de la clause par voie d'exception ; l'action est donc prescrite ; la clause permettant une résiliation anticipée du bail n'est pas abusive, contrairement à l'avis des premiers juges au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation ; ces dispositions ne peuvent s'appliquer qu'à un contrat prévoyant la prestation de services d'un professionnel à un consommateur ; le bail permettait cette résiliation anticipée ; la clause en question ne constitue pas non plus une condition potestative et n'est pas contraire au droit de propriété ; si le congé est jugé prématuré, il devrait être validé au 30 juin 2009 ; l'action de M. X. est abusive.

M. X. sollicite la confirmation du jugement et le paiement d'une indemnité de procédure de 6.000 euros.

Il fait valoir : le congé de 3 mois prévu au bail n'est pas conforme à l’article L. 145-9 du code de commerce ; son action n'est pas prescrite, car elle tend à la nullité du congé et non à celle du bail ; La Poste n'a pas respecté le terme triennal prévu au contrat qui était le 31 décembre 2011 ; elle n'a pas non plus respecté le préavis de 6 mois résultant de l’article L. 145-9 du code de commerce ; elle n'a restitué les locaux que fin septembre 2009 ; l'exception de nullité est invoquée contre l'article 11 du bail ; elle peut toujours être soulevée ; il s'agit d'une exception perpétuelle ; la nullité a été invoquée par voie d'exception pour répondre au moyen soulevé par La Poste sur la base de cette clause du bail ; sa demande n'est donc pas prescrite ; le congé est nul et irrégulier ; il est donc inopérant ; le congé a été délivré pour la fin d'une période triennale ; La Poste prétend que l'huissier aurait porté cette mention par erreur et qu'il fallait lire « trimestrielle » ; la possibilité d'une résiliation du bail à tout moment n'est pas acceptable et n'est pas reconnue par la Cour de cassation ; si elle était admise, ce serait contraire au droit de propriété, puisque le bailleur lui-même ne peut résilier comme il l'entend ; la clause invoquée est également potestative, car La Poste pourrait se dégager à sa seule volonté ; elle constitue aussi une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Sur ce, la Cour :

Sur la prescription :

Aux termes de l’article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans, le chapitre étant celui relatif au bail commercial. Une action en nullité tendant à l'annulation d'une clause jugée illicite d'un bail est soumise à cette prescription, dont le délai court à compter de la conclusion du bail. Mais l'action engagée par M. X. ne tend qu'à faire juger irrégulier le congé notifié par La Poste. Le fait qu'elle soit fondée sur plusieurs motifs dont le caractère illicite de la clause du bail prévoyant des modalités de résiliation contraires au statut des baux commerciaux est inopérant dans la mesure où M. X. ne pouvait engager l'action qu'à compter du congé. Il ne peut donc se voir opposer la prescription de cette action, aussi le premier juge a-t-il écarté à juste titre cette fin de non recevoir.

 

Sur la validité du congé :

La Poste a donné congé à M. X. par un acte d'huissier comme le prescrit l’article L. 145-9, al. 5 du code de commerce.

Le congé a été signifié au bailleur le 30 décembre 2008 pour le 31 mars 2009 en mentionnant de façon erronée que « la prochaine période triennale expirera à la date du 31 mars 2009 ». La Poste se prévaut expressément dans ce congé de l'article 11 du bail qu'elle reproduit : « Pour quelque cause que ce soit et notamment suppression, fusion, ou transfert de services, La Poste n'aurait plus l'utilisation des locaux loués, le présent bail serait résilié à la volonté seule du preneur, à charge pour lui de prévenir le bailleur par simple lettre recommandée trois mois à l'avance, sans autre indemnité que le paiement du terme en cours ».

Or le bail avait été conclu le 6 janvier 2003, selon l'article 3 du contrat, pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2003, avec possibilité d'une résiliation par le preneur à l'expiration de chaque période triennale à charge pour lui d'en aviser le bailleur par acte extrajudiciaire au moins 6 mois avant l'expiration de la période en cours, tout en disposant de la faculté de résiliation anticipée reconnue au profit de La Poste figurant au paragraphe ci après « Résiliation anticipée » contenu à l'article 11 ci-dessus visé.

Les modalités de résiliation prévues étaient donc conformes aux dispositions légales des articles L. 145-4 al 2 et L. 145-9 du code de commerce, tant en ce qui concerne la résiliation au terme d'une période triennale qu'en ce qui concerne le préavis minimum de 6 mois.

La résiliation notifiée pouvait donc être notifiée au bailleur le 30 décembre 2008.

Mais il s'agit là de dispositions impératives, peu importe qu'elles aient été conçues dans le but de protéger plus le locataire que le bailleur ; l’article L. 145-15 du code de commerce prohibe en effet toutes clauses contraires à l'article L. 145-4 dudit code relatif à la durée. La disposition selon laquelle le preneur a la faculté de donner congé ne pouvait donc produire effet qu'au 30 juin 2009.

La Poste s'en réclame néanmoins, en soulignant que, selon cette règle, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, « à défaut de convention contraire ». Mais cette formule n'envisage que l'éventualité d'une clause du bail qui proscrirait la faculté de résiliation triennale de sorte que celle-ci se trouverait privée de son caractère d'ordre public. Cette disposition qui apporte une exception au principe légal n'entraîne pas pour le locataire la faculté d'étendre à son seul avantage la faculté de mettre fin au bail commercial auquel le législateur a voulu garantir une certaine stabilité.

C'est donc en vain que La Poste prétend se réclamer de l'article 11 du bail pour se libérer à son gré moyennant un préavis de 3 mois.

Par ailleurs, la clause ne peut être considérée comme une clause potestative au sens des articles 1170 et 1174 du code civil, dans la mesure où elle permet une résiliation du contrat, et ne subordonne pas l'exécution de celui-ci à un événement que La Poste pourrait faire arriver ou empêcher.

En revanche, elle apparait contraire à l’article L. 132-1 du code de la consommation, qui répute non écrites des clauses qualifiées d'abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur : cette règle s'applique bien en l'espèce, dès lors que le contrat par la clause litigieuse établit une faculté de résiliation du bail à tout moment en contradiction avec les dispositions impératives du statut des baux commerciaux, et est conçue dans l'intérêt d'une partie professionnelle qui s'engage à verser le loyer, au détriment d'une partie non professionnelle comme c'est le cas de M. X., sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la qualité de bailleur ou de locataire de ce professionnel.

Mais au vu de la prise d'effet du bail et de la faculté de résiliation triennale, cette résiliation ne pouvait produire effet que 6 mois plus tard au 30 juin 2009. La Cour écarte l'application du préavis de 3 mois pour reporter l'effet du congé conformément aux stipulations légales au 30 juin 2009, terme de la période triennale, assorti d'un préavis de 6 mois. En conséquence, le moyen invoqué sur la base de l’article L. 132-1 du code de la consommation est sans objet.

Enfin, rien ne permet de considérer qu'une telle clause, à la supposer valide, porterait une atteinte au droits de propriété du bailleur, alors que la faculté de résiliation restitue le bien loué le propriétaire qui ne se trouve privé que des loyers escomptés.

 

Sur les montants :

La Poste était tenue de respecter un délai de préavis de 6 mois. Il n'est pas soutenu qu'elle n'aurait pas versé le loyer jusqu'au 31 mars 2009, terme fixé par elle. Il n'est pas non plus démontré par M. X. que La Poste aurait différé la libération des lieux jusqu'au mois de septembre 2009 comme il l'affirme.

Compte tenu de la mensualité de 590,23 euros résultant du décompte soumis aux premiers juges, la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer le montant du jusqu'au 30 juin 2009 à 590,23 euros X 3 = 1.770, 69 euros.

Une indemnité de 1.200 euros sera également allouée à M. X. pour les frais irrépétibles engagés.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Infirme partiellement le jugement déféré du chef des montants alloués,

Et, statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la société La Poste à payer à M. X. la somme de 1.770,69 euros (mille sept cent soixante dix euros soixante neuf centimes) augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 janvier 2010 et la somme de 1.200 euros (mille deux cents euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Déboute M. X. de ses plus amples prétentions,

Condamne la société La Poste aux entiers frais et dépens.

Le Greffier :              le Président :