TI CHERBOURG, 26 juin 2003
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 460
TI CHERBOURG, 26 juin 2003 : jugement n° 03/204
(sur appel CA Caen (1re ch. civ. et com.), 9 septembre 2004 : RG n° 03/03000)
Extrait : « Qu'en conséquence, le Tribunal a le pouvoir de soulever d'office les moyens de pur droit tirés de la méconnaissance des dispositions d'ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code de la Consommation et de les soumettre à la contradiction ».
TRIBUNAL D’INSTANCE DE CHERBOURG
JUGEMENT DU 26 JUIN 2003
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Jugement n° 03/204. AUDIENCE PUBLIQUE DU TRIBUNAL D'INSTANCE DE CHERBOURG, tenue le vingt-six juin deux mille trois sous la Présidence de Mademoiselle Sabine NEALE, Juge auprès du Tribunal de Grande Instance de CHERBOURG, chargée du service du Tribunal d'Instance de VALOGNES, faisant fonction de Juge d'Instance à CHERBOURG, assistée de Annick LEROUVILLOIS, Adjoint Administratif Principal, assermenté, faisant fonction de Greffier.
ENTRE :
LA SOCIÉTÉ BANQUE SOFINCO
dont le siège social est [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ;
DEMANDERESSE NON COMPARANTE, MAIS RÉGULIÈREMENT REPRÉSENTÉE PAR MAÎTRE PETIT-ETIENNE, AVOCAT AU BARREAU DE COUTANCES ;
D'UNE PART
ET :
- 1° Monsieur X.
né le [date et lieu de naissance], demeurant [adresse].
- 2° Madame X. née Y.
le [date et lieu de naissance], demeurant également [adresse].
DÉFENDEURS NON COMPARANTS, NI REPRÉSENTÉS ;
D'AUTRE PART
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte d'huissier en date du 16 avril 2003, la SA SOFINCO a fait assigner Monsieur et Madame X. devant le présent Tribunal d'Instance afin d'obtenir le paiement de la somme de 16.429,02 euros au titre d'un crédit permanent souscrit le 1er décembre 1989, outre la somme de 600 euros en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
A l'audience du 15 mai 2003, le Tribunal a invité la requérante à s'expliquer sur une éventuelle déchéance du droit aux intérêts en application des dispositions de l'article L. 311-9, alinéa 2, du Code de la Consommation et à produire, en cours de délibéré, un historique complet des paiements retraçant le détail des opérations effectuées depuis l'origine aux fins de vérification d'une éventuelle forclusion.
Bien qu'assignés à personne, Monsieur et Madame X. n'ont pas comparu.
L'affaire a été mise en délibéré au 26 juin 2003.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Attendu qu'aux termes de l'article 472 du Nouveau Code de Procédure Civile, lorsque les défendeurs ne comparaissent pas, il est néanmoins statué sur le fond, le Juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée ;
Sur l'office du Juge :
Attendu que, par note en délibéré, la demanderesse explique que la méconnaissance des exigences de l'article L. 311-9 du Code de la Consommation, même d'ordre public, ne peut être opposée qu'a la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ;
Attendu toutefois qu'en application de l'article 125 du Nouveau Code de Procédure Civile, le Juge doit relever d'office les fins de non-recevoir qui ont un caractère d'ordre public ;
Qu'en outre, en application des articles 7, 12 et 16 du même code, le Tribunal peut, dans le respect du contradictoire, relever d'office les moyens de droit afin de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ;
Qu'à cet égard, il convient d'adopter la doctrine selon laquelle : « le Juge doit relever d'office les moyens de droit qui lui paraissent applicables au litige, que ces moyens soient d'ordre public ou qu'ils ne le soient pas ; [minute page 3] c'est parce qu'ils sont des moyens de droit qu'ils sont obligatoires à l'égard du Juge saisi, non parce qu'ils sont d'ordre public, cette qualification excluant seulement le pouvoir des parties d'en disposer ; cette obligation est imposée par la nature même de l'office du Juge » ;
Qu'en effet, l'application d'une loi d'ordre public découle de la nature même de cette norme et ne saurait donc être subordonnée à son invocation par l'une des parties ;
Attendu, de surcroît, qu'en cas de défaillance du défendeur, l'article 472 du Nouveau Code de Procédure Civile fait obligation au Juge de n'accueillir la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée,
Attendu qu'en outre le droit du crédit à la consommation est issu de la directive communautaire du 22 décembre 1987 de sorte que les dispositions des articles L. 311-l et suivants du Code de la consommation doivent être appliquées afin d'assurer l'efficacité de ladite directive ;
Qu'à cet égard, la Cour de Justice des Communautés Européennes dans son arrêt Simmenthal de 1978 considère que « le Juge national, chargé d'appliquer le droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ses nonnes, en laissant inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition de la législation nationale, même postérieure, sans attendre l'élimination de ces dispositions par voie législative ou tout autre procédé constitutionnel »,
Que ce principe doit être appliqué à la directive relative au crédit à la consommation dont l'objet d'assurer un haut degré de protection de l'emprunteur peut se heurter à l'ignorance de ce dernier, de sorte qu'une protection efficace et conforme aux objectifs de la directive impose la possibilité pour le Juge national de soulever d'office les éléments de droit applicables ;
Qu'en effet, l'efficacité du dispositif de protection ne saurait être abandonnée à la sagacité du consommateur et à son habileté à se défendre en justice ;
Attendu, enfin, que le consommateur ne peut pas renoncer au bénéfice des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation qui sont d'ordre public en application de l'article L. 313-16 du même code ;
Que, dès lors, ce qui échappe à l'autonomie de la volonté ne saurait être obtenu grâce au silence, à l'ignorance ou au défaut de comparution de la partie que la loi entend protéger, fût-ce contre elle-même ;
Qu'en conséquence, le Tribunal a le pouvoir de soulever d'office les moyens de pur droit tirés de la méconnaissance des dispositions d'ordre public des articles L. 311-1 et suivants du Code de la Consommation et de les soumettre à la contradiction ;
Attendu que la forclusion n'éteint pas une situation juridique mais seulement l'action en justice dont elle était munie ;
Que, l'effet extinctif portant sur la mise en œuvre des droits et non [minute page 4] sur les droits eux-mêmes, la forclusion ne valide donc pas l'irrégularité mais interdit seulement aux parties de s'en prévaloir en justice ;
Que, la forclusion ne concernant que l'action et n'intéressant de ce fait que les parties, le Juge, qui tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, conserve ses pouvoirs propres et peut, dès lors, soulever d'office le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts pour inobservation d'une règle d'ordre public.
Sur la demande principale :
Attendu qu'il est constant que selon offre préalable acceptée le 1er décembre 1989, la SA SOFINCO a consenti à Monsieur et Madame X. un prêt sous la forme d'un compte permanent ;
Que les échéances n'ayant pas été correctement honorées, la déchéance du terme a été prononcée ;
Attendu qu'à l'appui de ses prétentions, la demanderesse fournit notamment :
- le contrat de crédit conclu le 1er décembre 1989 ;
- l'historique de compte ;
- une sommation de payer du 12 août 2002 ;
- et un décompte détaillé des sommes dues au 14 juillet 2002 ;
Attendu qu'aux termes de l'offre de crédit initiale, reprenant les dispositions de l'article L. 311-30 du Code de la Consommation, en cas de défaillance des emprunteurs, le capital restant dû et les intérêts restés impayés deviennent immédiatement exigibles et produisent intérêts au taux du contrat jusqu'à parfait paiement ;
Que le prêteur peut, en outre, demander une indemnité égale à 8 % du capital restant dû lorsqu'il en exige le remboursement ou des échéances échues impayées dans le cas contraire, augmentée des intérêts au taux légal ;
Attendu, toutefois, que l'article L. 311-9, alinéa 2, du Code précité limite à un an renouvelable la validité de la convention d'ouverture de crédit et prévoit que le prêteur doit indiquer, trois mois avant l'échéance, les conditions de reconduction du contrat ;
Qu'en application de la règle générale posée par l'article 1315 du Code civil, il appartient au prêteur de rapporter la preuve de la réalité de cette information ;
Qu'en l'espèce, invitée par le Tribunal à s'expliquer sur ce point, la requérante n'a apporté aucun élément de preuve susceptible de la faire échapper à la sanction prévue de la déchéance du droit aux intérêts ;
[minute page 5] Qu'en effet, à défaut d'une telle preuve, le prêteur perd tout droit aux intérêts sur les sommes prêtées en exécution du contrat reconduit, puisque le nouveau contrat qui prend au bout d'un an la suite de l'ouverture de crédit devient irrégulier à l'expiration d'un délai de trois mois, faute de nouvelle offre, et ne peut donc ouvrir droit à un quelconque intérêt pour les mois et les années qui suivent ;
Attendu qu'un examen de l'historique des paiements permet de constater que, du fait de la déchéance du droit aux intérêts et des sommes versées par Monsieur et Madame X., la créance de la SA SOFINCO se trouve soldée ;
Qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement.
Sur les autres demandes :
Attendu qu'il convient de débouter la requérante de sa demande formée au titre des frais irrépétibles ;
Que la partie succombante doit supporter les entiers dépens de l'instance.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et rendu en premier ressort :
DÉBOUTE la SA SOFINCO de l'intégralité de ses demandes.
CONDAMNE la SA SOFINCO aux dépens.
AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ EN AUDIENCE PUBLIQUE.
LE PRESIDENT LE GREFFIER
S. NEALE A. LEROUVILLOIS
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