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CA CAEN (1re ch. sect. civ. et com.), 9 septembre 2004

Nature : Décision
Titre : CA CAEN (1re ch. sect. civ. et com.), 9 septembre 2004
Pays : France
Juridiction : Caen (CA), 1re ch. sect. civ et com.
Demande : 03/03000
Date : 9/09/2004
Nature de la décision : Confirmation
Décision antérieure : TI CHERBOURG, 26 juin 2003
Décision antérieure :
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 577

CA CAEN (1re ch. sect. civ. et com.), 9 septembre 2004 : RG n° 03/03000

Publication : Juris-Data n° 256353

 

Extrait  : « Par ailleurs, la directive 93/13 CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national, à l'expiration d'un délai de forclusion, de relever d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans ledit contrat. ».

 

COUR D’APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE SECTION CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 9 SEPTEMBRE 2004

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 03/03000. Origine : JUGEMENT du Tribunal d’Instance de Cherbourg du 26 juin 2003.

 

APPELANTE :

Société SOFINCO

[adresse], prise en la personne de son représentant légal, représentée par la SCP TERRADE DARTOIS, avoués, assistée de Maître DE BREK substituant Maître Pascal LEBLANC, avocat au barreau de CAEN

 

INTIMÉS :

- Monsieur X.

- Madame Y. épouse X.

non comparants, bien que régulièrement assignés,

 

DÉBATS : A l'audience publique du 02 juin 2004 tenue, sans opposition du ou des avocats, par Monsieur SALMON, Président, chargé du rapport, qui a rendu compte des débats à la Cour.

GREFFIER : Mme VERA, Greffier de la 1ère Chambre 2ème section, lors dès débats, et lors du prononcé.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : [minute page 2] Monsieur SALMON, Président, rédacteur, Madame HOLMAN, Conseiller, Monsieur HALLARD, Conseiller,

ARRÊT : prononcé par Madame HOLMAN, Conseiller, à l'audience publique du 09 septembre 2004.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 3] La société SOFINCO, qui a conclu avec Monsieur et Madame X., le 1er décembre 1989, un contrat de crédit renouvelable, utilisable par fractions, est appelante d'un jugement rendu le 26 juin 2003 par le Tribunal d'Instance de CHERBOURG qui l'a déchue de son droit aux intérêts, en application des articles L. 311-9 et L. 311-33 du code de la consommation et, compte tenu des sommes versées par Monsieur et Madame X., a constaté que sa créance était entièrement réglée et l'a, en conséquence, déboutée de sa demande tendant à la condamnation de ces derniers à lui payer la somme de 16.429,02 € .

Vu les conclusions déposées par la société SOFINCO le 18 mai 2004.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la nullité du jugement :

A l'appui de sa demande d'annulation du jugement, la société SOFINCO développe un moyen de fond tiré de la méconnaissance par le premier juge des prescriptions des articles L. 311-2 et L. 311-9 du code de la consommation qui, même si elles sont d'ordre public, ne peuvent être opposées qu'à la demande de celui que ces dispositions ont pour objet de protéger, le juge ne pouvant relever d'office l'éventuelle inobservation des dispositions de l'article L. 311-9 pour déclarer le prêteur déchu du droit aux intérêts.

Ce moyen, s'il était admis, n'aurait pas pour effet d'entraîner la nullité du jugement mais son infirmation, étant observé que le tribunal a respecté les dispositions de l'article 16 du nouveau code de procédure civile et, avant de statuer, a invité la société SOFINCO à présenter ses observations sur une éventuelle déchéance de son droit aux intérêts.

En toute hypothèse, en raison de l'effet dévolutif de l'appel qui n'est pas limité à certains chefs, la cour, saisie de l'entier litige, est tenue de se prononcer sur le fond du droit, de sorte qu'il est sans intérêt de statuer préalablement sur l'irrégularité ou la nullité du jugement.

 

Sur le fond :

L'article L. 311-9 du code de la consommation énonce que « l'ouverture de crédit qui, assortie ou non de l'usage d'une carte de crédit, offre à son bénéficiaire la possibilité de disposer de façon fractionnée, aux dates de son choix, du montant du crédit consenti » .... « précise que la durée du contrat est limitée à un an renouvelable et que le prêteur devra indiquer, trois mois avant l'échéance, les conditions de reconduction du contrat ».

[minute page 4] La méconnaissance de l'obligation d'informer l'emprunteur est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts sur les sommes prêtées en exécution du contrat reconduit telle qu'elle est édictée par l'article L. 311-33 du code de la consommation.

L'article 472 du nouveau code de procédure civile énonce : « Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué au fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière recevable et bien fondée. »

Ce texte impose au juge, saisi d'une demande en paiement d'une créance, lorsque le défendeur ne comparaît pas, comme en l'espèce, de vérifier si les sommes réclamées, en principal et intérêts, sont effectivement dues.

Le juge peut, en conséquence, sans être tenu, au préalable, de relever d'office un moyen tiré de l'application de l'article L. 311-9 du code de la consommation, constater que des intérêts réclamés ne sont pas dus si le prêteur ne justifie pas avoir informé l'emprunteur des conditions de reconduction du contrat et, dès lors, rejeter la demande en paiement de ces intérêts.

La société SOFINCO soutient que l'article L. 311-9 est inapplicable à l'offre de crédit que les époux X. ont acceptée, au motif que le contrat a été formé le 1er décembre 1989, antérieurement à la loi du 31 décembre 1989 dont sont issues les dispositions de cet article

Mais l'obligation d'information résultant, pour le préteur, de l'article L. 311-9 s'impose pour les renouvellements ou reconductions des ouvertures de crédit souscrites avant la loi du 31 décembre 1989, dès lors que ces renouvellements ou reconductions sont intervenus plus de trois mois après son entrée en vigueur, soit le 1er mars 1990.

La société SOFINCO avait, en conséquence, l'obligation d'informer Monsieur et Madame X. des conditions de renouvellement du contrat dans les trois mois qui ont précédé sa reconduction, le 1er décembre 1990, la même obligation lui étant imposée pour les renouvellements suivants.

La seule mention, dans un document versé aux débats par la société SOFINCO intitulé « Position de compte. Informations historiques », de « lettres » « Neiertz » ou « relevé Neiertz » émises de 1993 à 1999, ne saurait rapporter la preuve que l'organisme préteur a informé Monsieur et Madame X., de manière complète et explicite, des conditions de reconduction du contrat.

[minute page 5] En revanche, la société SOFINCO justifie avoir accompli son obligation d'information à l'occasion du renouvellement du contrat, le 1er décembre 1999, par l'envoi aux époux X. d'un relevé de compte du 29 octobre 1999 qui porte la mention suivante : « En décembre 1999, date anniversaire de votre contrat, celui-ci sera reconduit pour un an aux conditions actuelles figurant sur votre relevé, sauf avis contraire de votre part », étant précisé que sur ce relevé il est fait mention du taux effectif global mensuel et annuel.

La société SOFINCO ne peut, dès lors, prétendre aux intérêts des sommes prêtées à compter du 1er décembre 1990 jusqu'au 1er décembre 1999, ni aux intérêts des sommes prêtées à compter du 1er décembre 2000 jusqu'au 14 juillet 2002, date à laquelle elle s'est prévalue de la déchéance du terme et a mis en demeure Monsieur et Madame X., en raison de leur défaillance, de régler la totalité de leur dette.

Pour faire échec à l'application de l'article L. 311-9, la société SOFINCO fait encore valoir que l'article L. 311-37 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 décembre 2001, énonce que les actions engagées devant le tribunal d'instance doivent être formées dans les deux ans de l'évènement qui leur a donné naissance, à peine de forclusion, et qu'en conséquence le défaut d'information des emprunteurs et la déchéance du droit aux intérêts eussent dû être invoqués dans les deux ans qui ont suivi la reconduction du contrat, de sorte que, le moyen ayant été soulevé par le premier juge lors de l'audience du 15 mai 2003, la déchéance du droit aux intérêts ne peut être appliquée qu'aux renouvellements de crédits antérieurs de moins de deux ans, soit celui du 1er décembre 2001, étant observé, par ailleurs, qu'à compter de cette date aucune somme n'a été prêtée ni mise à la disposition des époux X.

Mais il convient de constater que Monsieur et Madame X. n'ont, jusqu'au mois d'octobre 1999, reçu aucune information de la banque SOFINCO sur l'obligation faite à celle-ci par la loi du 31 décembre 1989 de les informer trois mois à l'avance des conditions de la reconduction du contrat.

Dès lors, la société SOFINCO ne peut opposer aux emprunteurs la forclusion d'une action fondée sur la méconnaissance, par elle, d'une obligation dont ceux-ci ignoraient l'existence.

Par ailleurs, opposer aux emprunteurs le délai de deux ans pour contester, par voie d'exception, la validité du contrat renouvelé, apparaît contraire à l'objectif de la loi qui est d'assurer la protection du consommateur.

[minute page 6] En effet, le préteur, qui a contrevenu au formalisme légal de la reconduction du contrat, pourrait n'en subir aucune conséquence et fonder sa demande en paiement des intérêts contractuels sur un contrat irrégulier, dès lors qu'il introduirait sa demande plus de deux ans après le renouvellement de ce contrat.

Par ailleurs, la directive 93/13 CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, s'oppose à une réglementation interne qui, dans une action intentée par un professionnel à l'encontre d'un consommateur et fondée sur un contrat conclu entre eux, interdit au juge national, à l'expiration d'un délai de forclusion, de relever d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur, le caractère abusif d'une clause insérée dans ledit contrat.

La Cour de Justice des Communautés Européennes a énoncé dans l'une de ses décisions que « le juge national, chargé d'appliquer le droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ses normes en laissant inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition de la législation nationale, même postérieure, sans attendre l'élimination de ces dispositions par voie législative ou tout autre procédé constitutionnel ».

Compte tenu de ces éléments et en application de ces principes, il convient de considérer que le consommateur ou le juge peut invoquer la déchéance du droit du préteur aux intérêts sans que puisse lui être opposé le délai de forclusion de deux ans prévu par l'article L. 311-37, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 décembre 2001.

C'est en conséquence à bon droit que le premier juge, après avoir constaté que la société SOFINCO, à laquelle il appartenait d'établir qu'elle avait satisfait aux formalités prescrites par l'article L. 311-9 du code de la consommation, ne rapportait pas la preuve (sauf pour l'année s'étant écoulée du 1er décembre 1999 au 1er décembre 2000) de l'information qu'elle avait l'obligation de donner aux époux X., a considéré qu'elle ne pouvait prétendre aux intérêts sur les sommes prêtées en exécution du contrat reconduit, sans pouvoir se prévaloir de la forclusion biennale.

Il convient de constater, ainsi que l'a indiqué le premier juge, sans être spécialement critiqué sur ce point par l'appelante, que l'examen de l'historique des paiements révèle qu'en raison de la déchéance du droit aux intérêts et des règlements effectués par Monsieur et Madame X., ceux-ci ne sont plus redevables d'aucune somme envers l'organisme préteur.

Le jugement sera, en conséquence, confirmé.

La société SOFINCO, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens de l'appel qu'elle a, à tort, interjeté.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 7] DÉCISION :

- Rejette les demandes de la société SOFINCO.

- Confirme le jugement déféré.

- Condamne la société SOFINCO aux dépens.