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CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 18 mars 2015

Nature : Décision
Titre : CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 18 mars 2015
Pays : France
Juridiction : Paris (CA), Pôle 5 ch. 4
Demande : 12/21497
Date : 18/03/2015
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 27/11/2012
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2015-005764
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5161

CA PARIS (pôle 5 ch. 4), 18 mars 2015 : RG n° 12/21497

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2015-005764

 

Extraits : 1/ « que l'état de dépendance économique d'un distributeur au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce ; que la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part de marché, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur et, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, ces conditions devant être simultanément remplies, sans que la circonstance que cette situation de dépendance économique résulte de clauses volontairement souscrites puisse être opposée à la victime ».

2/ « Considérant que la demande de la société Cuisine Pratic tendant à obtenir le remboursement de ses redevances de publicité et de politique de marque est nouvelle en appel, et est donc irrecevable ».

3/ « Considérant que si l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, en vigueur après août 2008 dispose : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », la pratique en cause est en partie antérieure à août 2008 ; qu'elle ne saurait donc être qualifiée sur ce fondement ;

Que s'agissant de la pratique postérieure, la société Cuisine Pratic prétend que du 6 août 2008 à la fin de l'exécution de son préavis, elle a été soumise à des obligations créant un déséquilibre significatif à son détriment, car elle a continué à être privée, sans justification légitime, de l'accès à la gamme Easyline, dont elle assurait par ailleurs le financement de la promotion au travers des redevances assises sur un pourcentage de chiffre d'affaires ; […]

Considérant que par cette pratique de refus, la société Salm a soumis la société Cuisine Pratic à un déséquilibre significatif, en violation de l'article L. 442-6-I-2 ° du code de commerce, car celle-ci se trouvait exclue sans raison objective d'une gamme à laquelle les autres concessionnaires avaient accès et était, ainsi, privée des avantages attendus de son appartenance au réseau ; qu'en exigeant des redevances de publicité de la société Cuisine Pratic, alors que celle-ci était placée dans l'impossibilité de vendre la gamme à la mode et qui faisait l'objet d'une campagne publicitaire importante, la société Salm n'a fait qu'accentuer cette situation de déséquilibre ; que la société Salm sera donc condamnée à réparer le préjudice résultant de cette pratique ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

PÔLE 5 CHAMBRE 4

ARRÊT DU 18 MARS 2015

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 12/21497. Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 octobre 2012 - Tribunal de Commerce de BORDEAUX – R.G. n° 2011F00597

 

APPELANTE :

EURL CUISINE PRATIC

immatriculée au RCS de MONTAUBAN sous le n° XXX, ayant son siège [ville], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Antoine LACHENAUD de la SELARL MCM AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0228, ayant pour avocat plaidant : Maître Philippe MAISONNEUVE de la SELARL MCM AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : P 228

 

INTIMÉE :

SAS SALM (Société Alsacienne du Meuble)

immatriculée au RCS de COLMAR sous le n° YYY, ayant son siège [ville], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, représentée par : Maître Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653, ayant pour avocat plaidant : Maître Marc LANCIAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : D0864

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 11 février 2015, en audience publique, devant la Cour composée de : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de chambre, Madame Irène LUC, Conseillère, rédacteur, Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère, qui en ont délibéré ; Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Françoise COCCHIELLO dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Madame Violaine PERRET

ARRÊT : contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Françoise COCCHIELLO, présidente et par Madame Violaine PERRET, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Vu le jugement du 19 octobre 2012, par lequel le tribunal de commerce de Bordeaux a débouté la société Cuisine Pratic de sa demande indemnitaire au titre de pratiques anti-concurrentielles et d'un abus du droit de résiliation et condamné la société Cuisine Pratic à payer à la société Salm la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société Cuisine Pratic le 27 novembre 2012 et ses dernières conclusions signifiées le 28 juin 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de : sur les pratiques anticoncurrentielles, à titre principal, condamner la société Salm à réparer le préjudice subi par la société Cuisine Pratic pour des pratiques anticoncurrentielles, à hauteur de la somme de 653.000 euros, à titre subsidiaire, la condamner, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-1°) du code de commerce, à lui payer la somme de 19.184,22 euros, pour perception indue de redevances de publicité ; sur l'abus du droit de résiliation du contrat de concession, condamner la société Salm à lui payer la somme de 244.000 euros, à titre subsidiaire, ordonner une expertise pour chiffrer son préjudice, en tout état de cause, condamner la société Salm à payer à la société Cuisine Pratic une indemnité de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux revues professionnelles, au choix de la société Cuisine Pratic, dont l'Officiel des Cuisinistes, aux frais de la société Salm, dans les 6 mois de la décision, dans la limite de 5.000 euros par publication ;

Vu les dernières conclusions de la société Salm, du 25 avril 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de débouter la société Cuisine Pratic de l'ensemble de ses demandes, confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement déféré, et condamner la société Cuisine Pratic au paiement de la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La Société Alsacienne du Meuble (ci-après Salm) fabrique et assure la distribution de meubles de cuisine et de salles de bains par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires.

La société Socamaq, commercialisant des cuisines à [ville M.], est devenue, le 20 juillet 1995, concessionnaire « Cuisine Schmidt », la marque leader de la société Salm, qui commercialise également la marque Cuisinella.

Le 12 avril 1996, la société Socamaq a cédé son fonds à la société Cuisine Pratic et le contrat de concession s'est poursuivi sans modification. Depuis cette date, la société Cuisine Pratic a exploité ce fonds de commerce sous l'enseigne « Cuisine Schmidt ».

En 2007, la société Salm a lancé le concept « Easy Line » concernant des meubles de cuisine à portes exclusivement coulissantes. La société Cuisine Pratic n'a jamais pu commercialiser cette gamme de cuisine, le concédant lui en refusant l'accès.

En 2008, la société Salm a décidé de réviser certaines zones de chalandise des concessionnaires en activité et elle a procédé à une restructuration de son réseau de concession.

Elle a proposé à la société Cuisine Pratic, le 8 février 2008, un projet de protocole d'accord aux termes duquel elle ouvrait sans délai à la société Cuisine Pratic l'accès à la gamme « Easy Line », dès lors que la société Cuisine Pratic s'engageait à céder son magasin à l'enseigne Schmidt avant le 31 décembre suivant. Ce protocole d'accord n'a jamais été signé par Monsieur Souléry, le gérant de Cuisine Pratic.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juin 2008, la société Salm a notifié à la société Cuisine Pratic la résiliation du contrat de concession, à effet au 31 décembre 2008. La société Salm annonçait qu'elle assurerait la livraison des commandes vendues avant la fin du contrat ainsi que les commandes liées au service après-vente. Dès le 24 juillet 2008, la société Cuisine Pratic a fait valoir que le préavis de 7 mois accordé était à ses yeux notoirement insuffisant. Par courrier du 6 octobre 2008, la société Salm a accepté de reporter au 30 juin 2009 la fin du préavis.

En juillet 2009, un nouveau magasin à l'enseigne « Cuisine Schmidt », exploité par un concurrent de la société Cuisine Pratic, a ouvert à [ville M.]. Le propriétaire de ce nouveau magasin était l'ancien concessionnaire des cuisines Cuisinella, l'autre marque de la société Salm. Il a investi plus de 1,33 million d'euros dans cette opération.

Le 23 septembre 2009, la société Cuisine Pratic a cédé son droit au bail sur ses locaux.

C'est dans ces conditions que la société Cuisine Pratic a fait assigner, le 27 mai 2011, la société Salm devant le tribunal de commerce de Bordeaux, au titre de sa compétence régionale exclusive en matière de pratiques restrictives de concurrence et anticoncurrentielles.

 

Sur les pratiques anticoncurrentielles :

Considérant que la société Cuisine Pratic prétend avoir été victime d'un abus de dépendance économique de la part de la société Salm, entre les mois de septembre 2007 et juin 2009, pratique prohibée par l'article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce ; qu'elle expose avoir été privée de l'accès à la gamme « Easyline» depuis septembre 2007, alors que cet accès lui était indispensable, l'essentiel de la communication du réseau Cuisine Schmidt étant, à cette époque, centrée sur cette gamme ; que ce refus, uniquement motivé par la volonté de la société Salm de la faire sortir du réseau de concessionnaires, était abusif ;

Considérant que la société Salm soutient que le concept « Easy Line» était constitué par une ligne limitée de meubles de cuisine, possédant un intérêt très relatif, lancée en automne 2007 et abandonnée début 2010, pour manque de rentabilité ; qu'elle affirme qu'aucune des conditions imposées par l'article L. 420-2 du code de commerce n'est remplie, en particulier que l'appelante n'a jamais été en état de dépendance économique vis-à-vis de la société Salm ; que la distribution de meubles de cuisine est un marché fortement concurrentiel sur lequel interviennent de nombreuses marques, et des enseignes similaires à l'enseigne Cuisines Schmidt, présentes sur ce marché, sont en constante recherche de nouveaux affiliés ; qu'au surplus, la jurisprudence exigerait, pour établir l'état de dépendance économique, que tout changement de partenaire économique soit impossible ; que l'intimée considère que la société Cuisine Pratic, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, a disposé d'un préavis effectif de plus d'un an, largement suffisant pour lui permettre de contacter plusieurs autres réseaux et négocier avec eux les conditions d'un transfert d'activité dès septembre 2008 ; que l'absence de dépendance économique de l'appelante dispense de rechercher l'existence d'un abus de la part de la société Salm et son éventuel incidence sur la concurrence dans son fonctionnement ou sa structure ; que cependant, elle n'a commis aucun abus ;

Considérant que l'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce prohibe « (…) dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprise de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur (...) » ; que l'état de dépendance économique d'un distributeur au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce ; que la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part de marché, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur et, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents, ces conditions devant être simultanément remplies, sans que la circonstance que cette situation de dépendance économique résulte de clauses volontairement souscrites puisse être opposée à la victime ;

Considérant que la société Cuisine Pratic verse aux débats L'Officiel des cuisinistes du 2 juin 2008 ; qu'il en résulte qu'en 2007, la société Salm était le premier fabricant et le premier exportateur français de cuisines, avec un chiffre d'affaires au 31 décembre 2010 de 324,61 millions d'euros et un résultat net de 11,3 millions d'euros, le chiffre d'affaires réalisé par le réseau de concessionnaires s'élevant à 880 millions d'euros ; que cette société qui contrôle environ 20 % du marché hexagonal, est présente sur tous les marchés avec ses deux marques : Cuisinella pour le segment jeune habitat et Schmidt pour le moyen et haut de gamme ; que 50 % des cuisines exportées depuis la France sont des cuisines Schmidt ; que la marque Schmidt jouit d'une grande renommée ; qu'il n'est pas contesté, bien que le contrat de concession ne soit pas versé aux débats, que le concessionnaire réalisait la quasi intégralité de son chiffre d'affaires avec la société Salm ;

Considérant cependant, que la Société Cuisine Pratic n'établit pas la preuve, qui lui incombe, qu'au moment des pratiques dénoncées, elle ne disposait pas de la possibilité de substituer aux cuisines Schmidt un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ;

Considérant, en effet, que le marché des cuisines est très concurrentiel ; que si la Société Cuisine Pratic soutient que sa seule alternative était de changer d'enseigne et que ce changement ne pouvait s'opérer que dans une période relativement longue, après un réaménagement total du magasin, la substitution totale d'un concédant par un autre étant un processus lent et coûteux, nécessitant de nouveaux investissements, alors que les précédents venaient juste d'être amortis, elle ne verse aux débats aucun élément de nature à rapporter la preuve de ces difficultés, tel que le coût des investissements à réaliser ou sa situation financière personnelle ;

Considérant qu'il y a donc lieu de la débouter de sa demande ;

 

Sur l'article L. 442-6-I-1°-a) du code de commerce :

Considérant que cet article a été abrogé par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 ; qu'il y a donc lieu de rejeter la demande fondée sur cet article ;

 

Sur l'article L. 442-6-I-1° du code de commerce :

Considérant que la société Cuisine Pratic demande, à titre subsidiaire, à la cour, de faire application des dispositions de l'article L. 442-6-I-1°du même code qui sanctionne le bénéfice d'un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial rendu ou manifestement disproportionné au regard du service rendu ; que la société Salm a continué de percevoir de la société Cuisine Pratic les redevances de publicité et de politique de marque, qui ne correspondaient plus à aucun service commercial effectivement rendu ;

Considérant que la société Salm prétend que la demande de la société Cuisine Pratic ne pourrait prospérer dans la mesure où elle constituerait une demande nouvelle en cause d'appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile ; qu'en tout état de cause, la demande de la société Cuisine Pratic serait infondée ;

Considérant que la demande de la société Cuisine Pratic tendant à obtenir le remboursement de ses redevances de publicité et de politique de marque est nouvelle en appel, et est donc irrecevable ;

 

Sur l'application du déséquilibre significatif :

Considérant que si l'article L. 442-6-I-2° du code de commerce, en vigueur après août 2008 dispose : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », la pratique en cause est en partie antérieure à août 2008 ; qu'elle ne saurait donc être qualifiée sur ce fondement ;

Que s'agissant de la pratique postérieure, la société Cuisine Pratic prétend que du 6 août 2008 à la fin de l'exécution de son préavis, elle a été soumise à des obligations créant un déséquilibre significatif à son détriment, car elle a continué à être privée, sans justification légitime, de l'accès à la gamme Easyline, dont elle assurait par ailleurs le financement de la promotion au travers des redevances assises sur un pourcentage de chiffre d'affaires ;

Considérant que la société Salm expose que les redevances étaient assises sur la publicité de la totalité des gammes Cuisine Schmidt et que la société Cuisine Pratic n'a jamais élevé de contestation sur ce point ;

Considérant que la société Salm prétend que son refus de fournir la nouvelle ligne Easyline serait justifié, car il ne serait opposé qu'aux concessionnaires qui exerceraient par ailleurs des activités concurrentes dans d'autres points de vente de cuisines et de salles de bains, sous des enseignes concurrentes ; que, cependant, elle ne rapporte nullement la preuve de l'existence de telles conditions objectives ; que la campagne de publicité de dimension nationale menée sur cette nouvelle gamme ne mentionne à aucun moment une telle restriction ; qu'il résulte d'un constat d'huissier, du 14 novembre 2008, que la gamme de produits de cuisine Easy Line faisait l'objet de publicité sur le site Internet www.cuisine-schmidt.com ; que sur ce site, l'internaute était invité à se connecter au centre conseil Schmidt le plus proche pour obtenir des renseignements sur cette gamme, présentée comme pratique, ergonomique et esthétique, le tout pour un prix économique ; que par constat du 17 novembre 2008, l'huissier a constaté que, sur le département du Tarn et Garonne, la société Cuisine Pratic de [ville M.] étant indiquée comme centre conseil Schmidt (situé [...]) ; que la société Cuisine Pratic devait donc être à même de conseiller les éventuels clients sur cette nouvelle gamme et être dotée de cuisines de cette nouvelle gamme en démonstration ; que la société Salm ne donne aucune explication sur ce point et ne fournit aucun exemple d'une autre exclusion pratiquée à l'encontre d'un autre concessionnaire, pour le même motif d'exercice d'une activité concurrente ; qu'ainsi, la société Cuisine Pratic démontre avoir été désavantagée dans la concurrence, sans raison objective ;

Considérant que la circonstance que la société Cuisine Pratic serait concessionnaire exclusif dans sa zone de chalandise locale ne saurait priver cette pratique de sa dimension abusive ; qu'en effet, tous les membres d'un réseau de distribution se trouvant dans la même situation doivent être traités de manière équivalente et pouvoir ainsi affronter semblablement, dans leur zone de chalandise respective, la concurrence ; qu'en discriminant la société Cuisine Pratic, la société Salm l'a désavantagée par rapport aux autres membres du réseau, confrontés aux réseaux concurrents ;

Considérant, par ailleurs, que le lancement, en août 2007, de la gamme Easy Line, a, selon L'Officiel des cuisinistes de juin 2008, fait l'objet d'un soin tout particulier de la société Salm ; que si ce concept a été abandonné au début de l'année 2010, il paraissait, à l'époque, une idée innovante ; que le volume de cette gamme a représenté 7,8 % de l'activité de vente de la société Salm pour 2008, pour ensuite décliner ; que cette gamme a fait l'objet de campagnes publicitaires à la télévision et sur les principaux moteurs de recherche ; que la société Salm peut d'autant moins prétendre que cette gamme était de faible importance qu'elle n'aurait consenti à en octroyer la distribution à la société Cuisine Pratic qu'en contrepartie de l'engagement, par celle-ci, de lui céder son magasin, par le protocole qu'elle avait proposé à son distributeur le 8 février 2008 ; que le refus de fourniture de cette gamme privait la société Cuisine Pratic de ce produit d'appel, extrêmement médiatisé ; qu'il exposait la société à ne pas pouvoir faire face aux demandes des clients dans sa zone d'exclusivité, alors même que la société était mentionnée, sur le site Internet de Salm, comme un centre conseil où ce produit devait être disponible ;

Considérant que par cette pratique de refus, la société Salm a soumis la société Cuisine Pratic à un déséquilibre significatif, en violation de l'article L. 442-6-I-2 ° du code de commerce, car celle-ci se trouvait exclue sans raison objective d'une gamme à laquelle les autres concessionnaires avaient accès et était, ainsi, privée des avantages attendus de son appartenance au réseau ; qu'en exigeant des redevances de publicité de la société Cuisine Pratic, alors que celle-ci était placée dans l'impossibilité de vendre la gamme à la mode et qui faisait l'objet d'une campagne publicitaire importante, la société Salm n'a fait qu'accentuer cette situation de déséquilibre ; que la société Salm sera donc condamnée à réparer le préjudice résultant de cette pratique ;

 

Sur la réparation de la pratique :

Considérant que la société Cuisine Pratic demande une indemnisation d'un montant de 898.000 euros ; qu'elle expose que le refus de la gamme Easyline a causé une baisse de son chiffre d'affaires, alors que la société Salm connaissait une croissance de son chiffre d'affaires pendant la même période ; que ses concurrents, dans sa zone de chalandise, auraient également réalisé, pendant la même période, des progressions de chiffres d'affaires supérieures au chiffre d'affaires de leurs enseignes respectives ; que ce différentiel mesurerait le préjudice qu'elle a subi du fait de la privation de la gamme de cuisines Easy Line ;

Mais considérant que la société Salm souligne à juste titre que cette comparaison ne peut servir de base de calcul du préjudice de la société Cuisine Pratic ; qu'en effet, la croissance du chiffre d'affaires de la société Salm concerne la ligne Schmidt et la ligne Cuisinella ; que la décroissance du chiffre d'affaires de la société Cuisine Pratic peut s'expliquer par le désintérêt relatif de son gérant, impliqué dans la gestion de plusieurs autres sociétés ;

Considérant, toutefois, que la société Cuisine Pratic a nécessairement perdu des opportunités de vendre des cuisines de la nouvelle ligne, de l'automne 2007 au 30 juin 2009 ; que les bonnes performances réalisées par ses concurrents sur la zone de chalandise, à savoir les magasins Astruc du réseau Mobalpa et Revella du réseau Cuisinella, par rapport à celle de leurs réseaux respectifs, reflètent une part de transfert de clientèle au détriment de la société Cuisine Pratic ; qu'il y a lieu également de prendre en compte, pour la fixation du préjudice, des redevances de publicité indûment payées ; que la cour dispose au dossier d'éléments suffisants pour fixer à 50.000 euros le préjudice subi par la société Cuisine Pratic, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise ;

 

Sur l'abus du droit de résiliation :

Considérant que la société Cuisine Pratic expose avoir réalisé des investissements très importants pour assurer la promotion de la marque Cuisine Schmidt, ayant entièrement refait son magasin, entre mai et septembre 2004, selon un concept imposé par l'intimée ; que, consciente de la brièveté du délai entre la résiliation du contrat et les investissements importants réalisés par l'appelante, la société Salm s'était engagée, au moment de la notification de la cessation du contrat de concession, à lui présenter tout candidat à la reprise de son fonds de commerce ; que l'appelante affirme que l'intimée était de mauvaise foi, puisqu'elle savait pertinemment, au moment de la rédaction de son courrier en juin 2008, que la concession allait être attribuée à M. D., titulaire avec son épouse de la concession Cuisinella de [ville M.] depuis 2005 ;

Considérant que l'intimée soutient que la société Cuisine Pratic présente des arguments « avancés sans démonstration, en une succession d'affirmations toujours contraires aux pièces du dossier » ;

Considérant que si la société Salm, en prononçant la résiliation du contrat de concession la liant à l'appelante, n'a fait que mettre en œuvre son droit à résiliation de tout contrat à durée indéterminée, une telle résiliation peut, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, aux termes desquelles les conventions légalement formées « doivent être exécutées de bonne foi », que la faculté de résiliation d'un contrat de droit privé à durée indéterminée ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le partenaire d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ;

Considérant que la société Cuisine Pratic ne démontre pas avoir réalisé des investissements, à la demande de la société Salm, qui n'auraient pas été amortis au jour de la résiliation ; qu'en effet les travaux de remise en état des locaux ont été effectués en 2004, pour un montant de 215 000 euros hors-taxes ; que ces investissements étaient amortis en 2009 ; que si la société Cuisine Pratic a acheté et installé plusieurs cuisines d'une nouvelle gamme en 2006, ces frais ne se sont élevés qu'à une somme voisine de 20.000 euros ; que la société Cuisine Pratic ne démontre pas avoir été entretenue dans l'illusion du maintien des relations contractuelles ; que la circonstance que le nouveau concessionnaire Schmidt ait ouvert en septembre 2008, soit aussitôt après la fermeture de son magasin, ne saurait attester en soi la mauvaise foi de la société Salm, libre de réorganiser son réseau de concessionnaire comme elle l'entend ; qu'aucune pratique fautive, distincte du refus de la gamme Easy Line, ne peut être imputée à la société Salm ; que la demande de la société Cuisine Pratic sera donc rejetée ;

 

Sur la demande de publication :

Considérant que le préjudice de la société Cuisine Pratic est suffisamment réparé par l'allocation d'une somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que la demande de publication de l'appelante sera donc rejetée ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

- confirme le jugement entrepris, sauf sur la demande relative au refus de la gamme « EASY LINE »

- l'infirme sur ce point,

- et, statuant à nouveau,

- dit que la société Salm a soumis la Société Cuisine Pratic à des obligations créant un déséquilibre significatif, en lui refusant l'accès à la gamme Easy Line, sans justification objective,

- condamne la société Salm à payer à la société Cuisine Pratic la somme de 50.000 euros en réparation de cette pratique,

- condamne la société Salm aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de la procédure civile,

- condamne la société Salm à payer à la société Cuisine Pratic la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

LA GREFFIÈRE                  LA PRÉSIDENTE

V. PERRET                           F. COCCHIELLO