CA PARIS (pôle 2 ch. 5), 5 avril 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 5574
CA PARIS (pôle 2 ch. 5), 5 avril 2016 : RG n° 15/00758 ; arrêt n° 2016/146
Publication : Jurica
Extrait : « Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'en l'espèce la clause précitée est parfaitement claire, précise et compréhensible qu'alors qu'il est expressément indiqué que les garanties prennent fin à la date de la retraite ou à la préretraite de l'assuré, quelle qu'en soit la cause, cette clause ne laisse place à aucun doute et ne peut pas être interprétée comme excluant l'hypothèse dans laquelle la mise à la retraite anticipée est justifiée par l'incapacité de travail de l'assuré ;
Considérant qu'en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation […] » ; Considérant que la clause litigieuse qui définit, non l'objet principal de la garantie, mais les limites de celle-ci ne relève pas des dispositions de l'alinéa 7 de l'article L. 132-1 du code de la consommation ; Considérant que l'appréciation du caractère abusif d'une clause suppose la comparaison entre les désavantages subis par l'assuré et les avantages recueillis par l'assureur ;
Considérant qu'en ce qu'elle s'applique à l'hypothèse où la réalisation du risque a pour conséquence fortuite la mise à la retraite de l'assuré, la clause litigieuse a pour effet de priver l'assuré de la garantie qui aurait dû lui être acquise alors que par ailleurs lui est imposée une mise à la retraite anticipée dans des conditions moins favorables qu'un départ normal, que l'assureur tire au contraire un bénéfice de la réalisation du risque qu'il devait garantir ce qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat dans la mesure où l'assureur est déchargé de ses obligations qui sont la contrepartie du versement des primes alors qu'il aurait dû garantir le risque et que l'assuré ne bénéficie plus des indemnités qui lui étaient dues alors qu'il se trouve dans une situation de retraite imposée, en l'espèce dans des conditions défavorables puisque sa retraite a été calculée au taux de 50 % sur la base de 100 trimestres ;
Considérant qu'en conséquence, la clause susvisée est abusive et doit être déclarée nulle et de nul effet ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 2 CHAMBRE 5
ARRÊT DU 5 AVRIL 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 15/00758. Arrêt n° 2016/146 (6 pages). Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 novembre 2014 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - R.G. n° 13/13976.
APPELANTE :
SA CNP ASSURANCES
agissant poursuites et diligences du Président de son conseil d'administration domicilié en cette qualité au siège social, N° SIRET : XXX, Représentée et assistée par Maître Thierry L., avocat au barreau de PARIS, toque : D0845
INTIMÉ :
Monsieur X.
né le [date] à [ville], Représenté et assistée par Maître Anne G., avocat au barreau de PARIS, toque : D1028
COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 février 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Catherine LE FRANCOIS, Présidente de chambre, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Catherine LE FRANCOIS, Présidente de chambre, Monsieur Christian BYK, Conseiller, Madame Patricia LEFEVRE, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Catherine BAJAZET
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile - signé par Madame Catherine LE FRANCOIS, présidente et par Madame Catherine BAJAZET, greffier présent lors du prononcé.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Le 8 décembre 2005, Monsieur X., exerçant la profession libérale d'expert économiste de la construction, a souscrit un prêt immobilier à taux variable auprès de la société Crédit Foncier de France, d'un montant de 106.347 euros, pour une durée de 16 ans et 6 mois, afin de financer l'acquisition en l'état futur d'achèvement d'un appartement situé à [ville O.]. Il a adhéré au contrat d'assurance de groupe souscrit par le Crédit Foncier de France auprès de la société CNP ASSURANCES, garantissant les risques décès, perte totale et irréversible d'autonomie et incapacité totale de travail.
Le 22 mars 2009, Monsieur X. a été victime d'un accident vasculaire cérébral. Le 11 août 2010, il a été reconnu handicapé par la Maison départementale des handicapés du Val d'Oise de type supérieur à 50 % et inférieur à 80 % et a cessé toute activité professionnelle.
La société CNP ASSURANCES a pris en charge les échéances de remboursement du prêt, au titre de la garantie « incapacité totale de travail », après application du délai de franchise, de juillet 2009 à décembre 2010 soit pendant 18 mois. A compter du 1er janvier 2011, Monsieur X. a été placé de façon anticipée sous le régime de l'assurance vieillesse pour cause d'inaptitude au travail. La société CNP ASSURANCES a alors refusé de garantir le remboursement du prêt.
Monsieur X. a vendu son bien par acte authentique du 29 mars 2013, pour le prix de 66.000 euros. Il a mis en demeure la société CNP ASSURANCES de lui payer l'indemnité prévue au contrat d'assurance par lettres recommandés en date des 6 mars 2013 et 5 juillet 2013.
Par acte d'huissier du 24 septembre 2013, Monsieur X. a assigné la société CNP ASSURANCES devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, qui, par jugement du 20 novembre 2014, a condamné la SA CNP assurances à lui payer la somme de 68.806,68 euros en réparation de son préjudice financier, celle de 5.000 euros au titre de son préjudice moral, ainsi que celle de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par déclaration du 8 janvier 2015, la société CNP ASSURANCE a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 octobre 2015, elle sollicite l'infirmation du jugement, demandant à la cour de débouter Monsieur X. de toutes ses demandes, subsidiairement de dire que toute éventuelle prise en charge des échéances du prêt ne pourrait s'opérer que dans les termes et limites du contrat et au profit exclusif du Crédit Foncier de France et de condamner Monsieur X. à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 septembre 2015, Monsieur X. sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la CNP ASSURANCES au paiement de la somme de 21.600,99 euros correspondant au montant des échéances du prêt qu'elle aurait dû garantir et au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, le réformer en ce qu'il a limité les préjudices liés à la responsabilité de la société CNP ASSURANCES au titre de sa position de non garantie, demandant à la cour de condamner la société CNP ASSURANCES à le garantir de la somme de 30.093,21 euros au titre du solde du remboursement du prêt immobilier, outre divers intérêts réclamés par l'établissement financier, celle de 66.000 euros au titre du préjudice financier résultant du fait d'avoir été obligé de vendre son bien de façon anticipée, et celle de 25.000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral. Subsidiairement, il sollicite la confirmation du jugement et en tout état de cause, demande la condamnation de la CNP ASSURANCES au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, outre les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2016.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la mise en œuvre de la garantie Incapacité Totale de Travail :
Considérant que la CNP ASSURANCES soutient que la garantie incapacité totale de travail n'est pas due, alors que le contrat prévoit que le paiement des prestations cesse à la date de la retraite ou préretraite de l'assuré quelle qu'en soit la cause, que la clause, claire et précise ne peut donner lieu à interprétation, qu'elle n'est pas abusive car elle ne vide pas de son effet la garantie ITT du contrat, que la durée de la garantie puisse être réduite selon un événement inconnu lors de la conclusion du contrat constitue l'objet même du contrat d'assurance vie et de son aléa, que la retraite de Monsieur X. ne saurait constituer un aléa qui ne saurait enlever au contrat sa validité, que cette clause ne peut être qualifiée d'abusive car elle est rédigée en caractères très apparents et ne crée pas au détriment de l'assuré un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des signataires du contrat dans la mesure où l'objet de la garantie était de garantir à l'assuré la perte de revenus du fait de son incapacité à exercer une quelconque activité professionnelle et non du fait qu'il a été mis à la retraite ;
Considérant Monsieur X. rétorque que la clause litigieuse, faisant cesser les prestations en cas de retraite, doit être interprétée dans le sens le plus favorable au consommateur en application de l'article L. 133-2 du code de la consommation, qu'elle ne saurait être interprétée comme permettant d'exclure la garantie Incapacité Totale de Travail, lorsque la cause de la décision de placer l'assuré en retraite anticipée a pour origine précisément le risque couvert par cette garantie, que l'ambiguïté de la clause vient du fait qu'une interprétation large viderait de son effet la garantie ITT chaque fois que la cause de l'ITT est la cause de la retraite ou de la pré-retraite, qu'il soutient de plus que la clause litigieuse, qui ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat, est abusive lorsque que la cessation d'activité professionnelle est la conséquence directe et involontaire de la réalisation du risque ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites que Monsieur X., dont l'incapacité totale de travail consécutive à l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime n'est pas contestée par l'assureur, qui a pris en charge les mensualités du prêt immobilier jusqu'au 31 décembre 2010, a été placé en retraite anticipée le 1er janvier 2011 pour cause d'inaptitude au travail ;
Considérant qu'en page 2 de la note d'information, sous le titre « Fin des garanties et des prestations », il est précisé que les garanties et le versement des prestations cessent, s'agissant de la garantie Incapacité, « à la date de votre pré-retraite ou de votre retraite, quelle qu'en soit la cause » et en tout état de cause au 65ème anniversaire de l'intéressé, que cette limitation est rappelée en page 4 de la note d'information s'agissant de la garantie incapacité totale de travail : « Fin de paiement des prestations : (...) à la date de votre retraite, ou préretraite quelle qu'en soit la cause (...) » ;
Considérant qu'en application de l'article L. 133-2 du code de la consommation, « Les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. Elles s'interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » ;
Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'en l'espèce la clause précitée est parfaitement claire, précise et compréhensible qu'alors qu'il est expressément indiqué que les garanties prennent fin à la date de la retraite ou à la préretraite de l'assuré, quelle qu'en soit la cause, cette clause ne laisse place à aucun doute et ne peut pas être interprétée comme excluant l'hypothèse dans laquelle la mise à la retraite anticipée est justifiée par l'incapacité de travail de l'assuré ;
Considérant qu'en application de l'article L. 132-1 du code de la consommation « Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » ;
Considérant que la clause litigieuse qui définit, non l'objet principal de la garantie, mais les limites de celle-ci ne relève pas des dispositions de l'alinéa 7 de l'article L. 132-1 du code de la consommation ;
Considérant que l'appréciation du caractère abusif d'une clause suppose la comparaison entre les désavantages subis par l'assuré et les avantages recueillis par l'assureur ;
Considérant qu'en ce qu'elle s'applique à l'hypothèse où la réalisation du risque a pour conséquence fortuite la mise à la retraite de l'assuré, la clause litigieuse a pour effet de priver l'assuré de la garantie qui aurait dû lui être acquise alors que par ailleurs lui est imposée une mise à la retraite anticipée dans des conditions moins favorables qu'un départ normal, que l'assureur tire au contraire un bénéfice de la réalisation du risque qu'il devait garantir ce qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat dans la mesure où l'assureur est déchargé de ses obligations qui sont la contrepartie du versement des primes alors qu'il aurait dû garantir le risque et que l'assuré ne bénéficie plus des indemnités qui lui étaient dues alors qu'il se trouve dans une situation de retraite imposée, en l'espèce dans des conditions défavorables puisque sa retraite a été calculée au taux de 50 % sur la base de 100 trimestres ;
Considérant qu'en conséquence, la clause susvisée est abusive et doit être déclarée nulle et de nul effet ;
Considérant que la CNP ASSURANCES aurait dû prendre en charge les échéances postérieures au 1er janvier 2011 ;
Considérant que la CNP ASSURANCES ne peut opposer aux demandes formées à son encontre le fait qu'aux termes de la notice, la prise en charge ne pourrait s'effectuer qu'au profit exclusif du CREDIT FONCIER alors qu'en l'espèce, Monsieur X. agit sur le fondement de l'article 1147 du code civil et qu'en refusant sa garantie au-delà du 1er janvier 2011, la CNP ASSURANCES a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle à l'égard de l'assuré et doit réparation à Monsieur X. des préjudices qui en sont résultés ;
Considérant que c'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges n'ont pas retenu de lien de causalité direct entre la faute commise et la vente du bien à un prix ne permettant pas d'apurer le solde du prêt et entre la faute et le fait que l'adhérent aurait pu intégralement bénéficier du prix de vente du bien au lieu de l'affecter au remboursement de son prêt immobilier ;
Considérant que c'est également à juste titre que les premiers juges ont retenu que le seul préjudice en lien avec le refus de garantie de l'assureur après janvier 2011 correspond d'une part aux mensualités qu'a dû acquitter Monsieur X. du 1er janvier 2011 à mars 2013, date de la vente du bien soit la somme de 21.600,99 euros et d'autre part aux mensualités que l'assureur aurait dû prendre en charge jusqu'aux 65 ans de l'assuré si celui-ci n'avait pas eu à vendre son bien, étant précisé à cet égard qu'ainsi que le soutient à juste titre l'appelant, il résulte du numéro de sécurité de sociale de l'intéressé ainsi que de la mention figurant dans l'attestation notariée du 29 mars 2013, pièce numéro 9 de l'intimé, que celui-ci est né le 9 décembre 1950 et non le 9 décembre 1952, comme indiqué par erreur sur l'offre de prêt immobilier et que dès lors le préjudice à ce titre doit être réduit à la somme de 27.329,61 euros (33 x 828,17 euros ), soit un préjudice total de 48.930,60 euros ;
Considérant que par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont alloué à Monsieur X. la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant qu'alors que les premiers juges ont fait une juste appréciation de la somme qui devait être allouée à Monsieur X. au titre de ses frais irrépétibles de première instance, il convient de lui allouer la somme de 1200 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition de la décision au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages et intérêts alloués en réparation du préjudice financier ;
Statuant à nouveau du chef infirmé ;
Condamne la société CNP ASSURANCES à payer à Monsieur X. la somme de 48.930,60 euros au titre de son préjudice financier ;
Y ajoutant,
Condamne la société CNP ASSURANCES à payer à Monsieur X. la somme de 1.200 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel et déboute la CNP ASSURANCES de sa demande à ce titre ;
Condamne la société CNP ASSURANCES aux entiers dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
- 5735 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Nature - Clause nulle
- 6009 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Principes généraux - Appréciation globale
- 6017 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Clauses sur l’objet principal ou le prix - Loi du 1er février 1995 - Notion d’objet principal
- 6344 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Présentation générale
- 6359 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de groupe - Assurance-crédit - Présentation générale
- 6364 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Assurance - Assurances de groupe - Assurance-crédit - Obligations de l’assureur - Invalidité permanente