CA PAU (1re ch. civ.), 9 février 2004
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 650
CA PAU (1re ch. civ.), 9 février 2004 : RG n° 02/001705
Publication : Jurinet
Extrait : « Toutefois, s'agissant d'un contrat d'adhésion, la règle spécifique de l'article L. 133-2 du Code de la Consommation doit être mise en application par le Juge pour vérifier si les clauses des contrats ainsi proposées par des professionnels à des consommateurs ou à des non professionnels, ce qui est le cas des époux X., ont été présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute, l'interprétation se fait dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non professionnel.
Il ne s'agit donc pas de savoir si la clause est en soi claire ou si son interprétation est nécessaire, mais si pour le consommateur ou le non professionnel, la lecture de la clause laissait place à une interprétation qui rend son erreur éventuelle de compréhension excusable et non fautive.
Force est de constater que la Société « IMMO 5 CANTONS » propose à ses mandants des modèles imprimés qui ne reprennent pas l'article 78 du décret du 20 juillet 1972 in extenso ; que le contrat Privilège paraphrase ces dispositions en laissant effectivement une possibilité de procéder à une mauvaise lecture, ce d'autant qu'aucune référence textuelle à l'article 78 ne lui permettait de corriger son erreur.
Comme l'a relevé exactement le premier Juge, la clause contractuelle peut être lue dans le sens où le préavis de quinze jours n'est exigé que pour mettre un terme au contrat à l'issue de la période initiale. Au contraire, pendant la période de prorogation d'un an, la résiliation peut intervenir « à tout moment ».
Cette ambiguïté manifeste ne peut que profiter aux époux X. en application de l'article L. 133-2 du Code de la Consommation, alors que c'est en toute bonne foi qu'ils ont adressé la lettre recommandée avec accusé de réception, mode habituel de notification donnant date certaine, pour dénoncer, au-delà de 3 mois, le mandat exclusif les liant à la Société « IMMO 5 CANTONS ».
Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas établi que les époux X. se soient livrés à une négociation au sens juridique du terme, avant le terme du mandat, en acceptant de conclure un accord pour un prix au demeurant largement inférieur à ceux prévus par le contrat d'exclusivité, la Société « IMMO 5 CANTONS » n'est pas fondée à réclamer la mise en œuvre de la clause pénale sanctionnant le non respect des obligations contractuelles.
La démarche de l'agence ne présente aucun caractère abusif. Les époux X. seront déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts, sauf à confirmer les indemnités arbitrées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, auxquelles il convient d'ajouter en cause d'appel la somme de 500 €. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PAU
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 9 FÉVRIER 2004
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dossier : 02/001705.
ARRÊT prononcé par Madame RACHOU, Conseiller, en vertu de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile, assistée de Madame PEYRON, Greffier, à l'audience publique du 9 février 2004, date à laquelle le délibéré a été prorogé.
APRES DÉBATS à l'audience publique tenue le 26 Novembre 2003, devant : Monsieur POUYSSEGUR, magistrat chargé du rapport, assisté de Madame PEYRON, greffier présente à l'appel des causes,
Monsieur POUYSSEGUR, en application des articles 786 et 910 du Nouveau Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de : Monsieur PUJO-SAUSSET, Président, Monsieur POUYSSEGUR, Conseiller désigné à cet effet par Ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 8 octobre 2003, Madame RACHOU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Société IMMO 5 CANTONS SARL EXPLOITANT UNE AGENCE LAFORET IMMOBILIER
[adresse] représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège, représentée par la SCP LONGIN C. ET P., avoués à la Cour, assistée de Maître SKOG, Avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
- Monsieur X.
né le […] à [ville] de nationalité Française, Résidence [adresse]
- Madame Y. épouse X.
née le […] à [ville] de nationalité Française, Résidence [adresse]
représentés par la SCP DE GINESTET / DUALE, avoués à la Cour, assistés de Maître COLMET, avocat au barreau de BAYONNE
Sur appel de la décision en date du 18 mars 2002 rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant jugement du 18 mars 2002, le Tribunal de Grande Instance de BAYONNE a débouté la Société « IMMO 5 CANTONS » de ses demandes en dommages et intérêts pour violation de la clause d'exclusivité comprise dans le mandat du 18 avril 2000 aux termes duquel les époux X. confiaient à l'agence immobilière la vente d'un appartement Résidence […], les époux X. obtenant la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société « IMMO 5 CANTONS » a régulièrement relevé appel de cette décision et réclame la condamnation de ses adversaires au règlement de la somme de 13.720,41 €, outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2000 ainsi que la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'appelante considère que le Tribunal a fait une mauvaise lecture des dispositions contractuelles, par ailleurs conformes au cadre règlementaire, en considérant que la stipulation litigieuse était susceptible d'interprétation en faveur de celui qui s'obligeait.
La Société IMMO 5 CANTONS souligne qu'au contraire la lecture attentive de la clause conclut à exiger dans tous les cas, un délai de 15 jours de préavis, tant à l'issue de la période initiale de 3 mois irrévocable, que pour la période postérieure en cas de prorogation.
L'agent immobilier conteste l'interprétation des époux X. consistant à s'affranchir du délai de 15 jours pendant la période de prorogation.
Il remarque au demeurant, que les époux X., aptes à comprendre le sens de leur signature, ont dénoncé le contrat par lettre recommandée avec avis de réception.
Selon l'appelante, il est clair que durant le préavis, il ne pouvait être conclu aucun acte en violation de l'exclusivité dont bénéficiait l'agence.
La société concluante rappelle que la nature de sa demande ne concerne pas le règlement d'une commission, mais la mise en œuvre d'une clause pénale spécialement visée.
Les époux X. demandent la confirmation du jugement, mais font un appel incident visant a obtenir la somme de 4.500 € pour procédure abusive et dilatoire, outre la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en cause d'appel.
Les parties intimées considèrent que la clause est sujette à discussion et interprétation conformément à ce qu'a indiqué le Tribunal, ne faisant, en cela, que répondre aux exigences de l'article L. 133-2 du Code de la Consommation.
Ils relèvent que le contrat proposé par l'agence immobilière ne reprend pas in extenso les termes de la loi (article 78 du décret du 20 juillet 1972) créant une équivoque dont la signataire ferait les frais. Il est d'ailleurs relevé l'utilisation de la conjonction « ou » et non « et ».
Les époux X. soutiennent qu'en tout état de cause, la vente pouvait être conclue valablement pendant le préavis de quinze jours sans enfreindre l'exclusivité consentie.
Il n'est pas par ailleurs établi que les époux X. ont négocié directement ou indirectement avec le signataire de l'acte sous seing privé du 12 septembre 2000 préalablement à la rupture du mandat immobilier.
Ils expliquent aussi que l'acte sous seing privé du 12 septembre 2000 ne constitue pas une vente susceptible de constituer une violation par les époux de leurs obligations contractuelles, s'agissant d'une promesse synallagmatique sous condition suspensive.
Enfin en l'absence d'opération identique à celle prévue au mandat, la clause pénale ne peut recevoir application.
Or, l'accord est intervenu à un prix bien inférieur à celui arrêté dans le mandat et qu'il s'agit d'un transfert de propriété et non pas d'une négociation.
Considérant que l'agence immobilière a essayé par tous moyens d'obtenir une rémunération à laquelle, elle ne pouvait manifestement pas prétendre, elle a abusé du droit d'agir et exposé ses clients à un risque contentieux malgré la clarté de la lecture et de la bonne foi des époux X.
Ils souhaitent donc que la Cour prenne en compte le préjudice ainsi subi en attribuant la somme de 4.500 €, ainsi qu'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
SUR QUOI, LA COUR :
Il est constant que le 18 avril 2000, Monsieur et Madame X. ont consenti un mandat exclusif de vente « Contrat Privilège » au profit de la Société « IMMO 5 CANTONS » exploitant d'une agence immobilière sous l'enseigne « LAFORET IMMOBILIER ».
Le mandataire était chargé de vendre un appartement situé à [adresse] pour un montant maximum de 292.702,11 € et minimum de 288.128,64 €.
En cas de réalisation de la vente, le mandataire avait droit à une commission de 13.720,41 € à la charge de l'acquéreur.
La clause d'exclusivité faisait obligation au mandant de signer aux prix, charges et conditions toute promesse de vente ou compromis de vente avec tout acquéreur présenté par le mandataire. Elle faisait interdiction au mandant de traiter directement, même 12 mois après l'expiration du mandat, avec une personne présentée par l'agence.
Elle engageait le vendeur pendant toute la durée du mandat, à diriger sur le mandataire toutes les demandes adressées personnellement, le propriétaire s'interdisant de négocier directement ou indirectement avec un quelconque acheteur. L'immeuble était doté d'une publicité exclusive en vue de la vente par l'intermédiaire de l'agence.
En cas de non respect de l'une de ces obligations, une indemnité compensatrice forfaitaire égale au montant de la rémunération prévue sera versée en vertu des articles 1142 et 1152 du Code Civil.
C'est l'objet même de la réclamation de l'agence immobilière qui considère qu'en signant le 12 septembre 2000 un compromis de vente en l'étude de Maître Z., Notaire à [ville], pour un prix de 213.428,62 €, les époux X. ont violé la clause d'exclusivité alors que la lettre de dénonciation du mandat, adressée par recommandé avec accusé de réception le 11 septembre 2000 et reçue le lendemain, faisait courir un délai de préavis de quinze jours jusqu'au 27 septembre 2000.
Il est important de se référer à la clause relative à la durée du mandat ainsi rédigé :
« Le présent mandat est consenti et accepté avec exclusivité pour une période irrévocable de trois mois à compter de ce jour.
Sauf dénonciation, à l'expiration de cette période initiale, il sera prorogé pour une durée maximale d'une année au terme de laquelle il prendra automatiquement fin.
Chacune des parties pourra, moyennant un préavis de quinze jours, par lettre recommandée avec avis de réception, y mettre fin au terme de la période initiale ou à tout moment pendant sa prorogation. »
Cette clause est parfaitement conforme dans son contenu au dispositif prévu par l'article 78 du décret du 20 juillet 1972 qui stipule :
« Lorsqu'un mandat est assorti d'une clause d'exclusivité ou d'une clause pénale, ou lorsqu'il comporte une clause aux termes de laquelle une commission sera due par le mandant, même si l'opération est conclue sans les soins de l'intermédiaire, cette clause ne peut recevoir application que si elle résulte d'une stipulation expresse d'un mandat dont un exemplaire a été remis au mandant. Cette clause est mentionnée en caractères très apparents.
Passé un délai de trois mois à compter de sa signature, le mandat contenant une telle clause peut être dénoncé à tout moment par chacune des parties, à charge pour celle qui entend y mettre fin, d'en aviser l'autre partie quinze jours au moins à l'avance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ».
Toutefois, s'agissant d'un contrat d'adhésion, la règle spécifique de l'article L. 133-2 du Code de la Consommation doit être mise en application par le Juge pour vérifier si les clauses des contrats ainsi proposées par des professionnels à des consommateurs ou à des non professionnels, ce qui est le cas des époux X., ont été présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute, l'interprétation se fait dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non professionnel.
Il ne s'agit donc pas de savoir si la clause est en soi claire ou si son interprétation est nécessaire, mais si pour le consommateur ou le non professionnel, la lecture de la clause laissait place à une interprétation qui rend son erreur éventuelle de compréhension excusable et non fautive.
Force est de constater que la Société « IMMO 5 CANTONS » propose à ses mandants des modèles imprimés qui ne reprennent pas l'article 78 du décret du 20 juillet 1972 in extenso ; que le contrat Privilège paraphrase ces dispositions en laissant effectivement une possibilité de procéder à une mauvaise lecture, ce d'autant qu'aucune référence textuelle à l'article 78 ne lui permettait de corriger son erreur.
Comme l'a relevé exactement le premier Juge, la clause contractuelle peut être lue dans le sens où le préavis de quinze jours n'est exigé que pour mettre un terme au contrat à l'issue de la période initiale. Au contraire, pendant la période de prorogation d'un an, la résiliation peut intervenir « à tout moment ».
Cette ambiguïté manifeste ne peut que profiter aux époux X. en application de l'article L. 133-2 du Code de la Consommation, alors que c'est en toute bonne foi qu'ils ont adressé la lettre recommandée avec accusé de réception, mode habituel de notification donnant date certaine, pour dénoncer, au-delà de 3 mois, le mandat exclusif les liant à la Société « IMMO 5 CANTONS ».
Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas établi que les époux X. se soient livrés à une négociation au sens juridique du terme, avant le terme du mandat, en acceptant de conclure un accord pour un prix au demeurant largement inférieur à ceux prévus par le contrat d'exclusivité, la Société « IMMO 5 CANTONS » n'est pas fondée à réclamer la mise en œuvre de la clause pénale sanctionnant le non respect des obligations contractuelles.
La démarche de l'agence ne présente aucun caractère abusif. Les époux X. seront déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts, sauf à confirmer les indemnités arbitrées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, auxquelles il convient d'ajouter en cause d'appel la somme de 500 €.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou non fondées et par motifs non contraires à ceux du premier Juge ;
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Société « IMMO 5 CANTONS » de l'ensemble de ses demandes ;
Déboute les époux X. de leurs demandes en dommages et intérêts ;
Confirme les indemnités allouées sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, y ajoutant, en cause d'appel, la somme de 500 € sur le même fondement ;
Condamne la partie succombante appelante, aux entiers dépens ;
Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, la SCP DE GINESTET-DUALE Avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
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