CJUE (10e ch.), 14 septembre 2016
CERCLAB - DOCUMENT N° 6574
CJUE (10e ch.), 14 septembre 2016 : Affaire C‑534/15
Publication : Rec.
Extrait : « L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à un contrat de garantie immobilière conclu entre des personnes physiques et un établissement de crédit en vue de garantir les obligations qu’une société commerciale a contractées envers cet établissement au titre d’un contrat de crédit, lorsque ces personnes physiques ont agi à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité professionnelle et n’ont pas de lien de nature fonctionnelle avec ladite société, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
DIXIÈME CHAMBRE
ORDONNANCE DU 14 SEPTEMBRE 2016
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑534/15,ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Judecătoria Satu Mare (tribunal de première instance de Satu Mare, Roumanie), par décision du 30 septembre 2015, parvenue à la Cour le 12 octobre 2015, dans la procédure
Pavel Dumitraș,
MioaraDumitraș
contre
BRD Groupe Société Générale - SucursalaJudeţeană Satu Mare,
LA COUR (dixième chambre), composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. A. Borg Barthet et Mme M. Berger (rapporteur), juges,
Avocat général : Mme J. Kokott,
Greffier : M. A. Calot Escobar,
Vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
- pour M. Dumitraș et Mme Dumitraş, par eux-mêmes,
- pour le gouvernement roumain, par M. R. Radu ainsi que par Mmes A. Wellman et L. Liţu, en qualité d’agents,
- pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
- pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Di Matteo, avvocatodelloStato,
- pour la Commission européenne, par Mme C. Gheorghiu et M. D. Roussanov, en qualité d’agents,
Vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Pavel Dumitraş et Mme Mioara Dumitraş, d’une part, à BRD Groupe Société Générale - SucursalaJudeţeană Satu Mare (succursale départementale de Satu Mare de BRD Groupe Société Générale, ci-après « BRD Groupe Société Générale »), d’autre part, au sujet de trois contrats de crédit et d’un contrat de garantie immobilière.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. Le dixième considérant de la directive 93/13 prévoit :
« considérant qu’une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l’adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives ; que ces règles doivent s’appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ; que, par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés ».
4. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive :
« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »
5. L’article 2 de la même directive définit les notions de « consommateur » et de « professionnel » de la manière suivante :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;
c) “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »
6. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :
« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en débit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »
Le droit roumain
La loi n° 193/2000
7. La directive 93/13 a été transposée dans l’ordre juridique roumain par la Legea nr. 193/2000 privindclauzeleabuzivedincontracteleîncheiateîntrecomercianţişiconsumatori (loi n° 193/2000 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre les commerçants et les consommateurs), du 10 novembre 2000, dans sa version republiée (MonitorulOficial al României, partie I, n° 305, du 18 avril 2008).
8. Aux termes de l’article 1er, paragraphes 1 à 3, de la loi n° 193/2000 :
« (1) Tout contrat conclu entre un commerçant et un consommateur en vue de la vente de marchandises ou de la prestation de services contient des clauses contractuelles claires, non équivoques et qui ne nécessitent pas de connaissances spécifiques pour être comprises.
(2) En cas de doute sur l’interprétation de clauses contractuelles, ces dernières sont interprétées en faveur du consommateur.
(3) Il est interdit aux commerçants d’insérer des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. »
9. L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la loi n° 193/2000 définit les notions de « consommateur » et de « commerçant » de la manière suivante :
« (1) Il convient d’entendre par “consommateur” toute personne physique ou tout groupe de personnes physiques constitué en association qui, dans le cadre d’un contrat relevant du domaine d’application de la présente loi, agit dans des buts étrangers à ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales.
(2) Il convient d’entendre par “commerçant” toute personne physique ou morale autorisée qui, dans le cadre d’un contrat relevant du domaine d’application de la présente loi, agit dans le contexte de ses activités commerciales, industrielles ou de production, artisanales ou libérales, ainsi que toute personne qui agit dans ce même cadre au nom ou pour le compte de cette première personne. »
Le code civil
10. L’article 1128 du code civil prévoit :
« La novation s’opère de trois manières :
1. lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l’ancienne, laquelle est éteinte ;
2. lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien qui est déchargé par le créancier ;
3. lorsque, par l’effet d’un nouvel engagement, un nouveau créancier est substitué à l’ancien, envers lequel le débiteur se trouve déchargé. »
11. Aux termes de l’article 1132 du code civil :
« La délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur qui s’oblige envers le créancier n’opère point de novation si le créancier n’a pas expressément déclaré qu’il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation ».
12. L’article 1135 du code civil dispose :
« Lorsque la novation s’opère par la substitution d’un nouveau débiteur, les privilèges et hypothèques primitifs de la créance ne peuvent point passer sur les biens du nouveau débiteur. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13. Au cours de la période allant de l’année 2005 à l’année 2008, BRD Groupe Société Générale, en qualité de prêteur, et SC Lanca SRL, en qualité d’emprunteur, ont conclu trois contrats de prêts.
14. M. Dumitraş, administrateur et associé unique de Lanca, et Mme Dumitraş ont, en garantie des obligations nées de ces contrats, souscrit un acte d’engagement hypothécaire en faveur de BRD Groupe Société Générale.
15. Le 30 juillet 2009, BRD Groupe Société Générale, en qualité de prêteur, et SC LancaConstrucţii SRL, en qualité d’emprunteur, ainsi que Lanca, en qualité de codébiteur, ont conclu trois contrats de crédit, numérotés 54/30. 07. 2009, 55/30. 07. 2009 et 56/30. 07. 2009, portant refinancement et rééchelonnement des trois contrats de prêts préalablement conclus entre BRD Groupe Société Générale et Lanca.
16. À la même date, par acte notarié authentifié sous le n° 1017 et intitulé « Contrat de vente par novation subjective – délégation parfaite », Lanca, société délégante, a donné LancaConstrucţii, société déléguée, en tant que débitrice de ses obligations résultant des contrats de crédit initialement souscrits auprès de BRD Groupe Société Générale, à ladite BRD Groupe Société Générale, avec l’accord de cette dernière, prise en qualité de société délégataire.
17. Il ressort également de la décision de renvoi, premièrement, que ni M. Dumitraş ni Mme Dumitraş n’ont la qualité d’administrateurs de LancaConstrucţii, deuxièmement, qu’ils se sont engagés à garantir, en qualité de garants hypothécaires, l’obligation de cette dernière à la suite de la novation, troisièmement, qu’ils ont signé, à cette fin, en leur nom propre, en qualité de garants hypothécaires les trois contrats de crédit du 30 juillet 2009 et, quatrièmement, que Lanca n’est restée redevable d’aucune obligation envers BRD Groupe Société Générale au titre des contrats de crédit initialement souscrits.
18. Le 6 décembre 2013, M. et Mme Dumitraş ont saisi la juridiction de renvoi d’un recours contre BRD Groupe Société Générale afin que soit constatée la nullité absolue de certaines clauses des contrats de crédits conclus le 30 juillet 2009, prévoyant la perception de commissions, au motif que ces clauses étaient abusives.
19. Durant la procédure au principal, BRD Groupe Société Générale a, notamment, soulevé une fin de non-recevoir tirée de ce que, faute pour M. et Mme Dumitraş d’avoir agi à des fins étrangères à leur activité commerciale, ceux-ci ne pouvaient se prévaloir de la qualité de consommateurs au sens de l’article 2 de la loi n° 193/2000.
20. C’est dans ces conditions que la Judecătoria Satu Mare (tribunal de première instance de Satu Mare, Roumanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) En ce qui concerne la définition de la notion de “consommateur”, l’article 2, sous b), de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens qu’il inclut ou, au contraire, en ce sens qu’il exclut de cette définition les personnes physiques qui ont signé, en qualité de garant-caution, des actes additionnels et des contrats accessoires (contrats de cautionnement ou de garantie immobilière) au contrat de crédit conclu par une société commerciale en vue de l’exercice de son activité, dans l’hypothèse où ces personnes physiques n’ont aucun lien avec l’activité de ladite société commerciale et ont agi dans un but étranger à leur activité professionnelle, sachant que les requérants étaient initialement des personnes physiques garantes d’un contrat de prêt conclu avec la défenderesse créancière, aux côtés de la débitrice principale, personne morale, dont l’administrateur était le requérant, mais que le contrat en question a ultérieurement été modifié, et que l’ancienne débitrice dont le requérant était l’administrateur a transmis la créance par novation, avec l’accord de la défenderesse créancière, à une autre personne morale, dont ni le requérant ni la requérante n’ont qualité d’administrateurs, mais que ces derniers se sont engagés au bénéfice de la nouvelle débitrice, personne morale, en tant que cautions de l’obligation transmise par novation à cette nouvelle débitrice ?
2) L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit-il être interprété en ce sens que seuls les contrats conclus entre commerçants et consommateurs ayant pour objet la vente de biens ou la fourniture de services relèvent du champ d’application de cette directive, ou bien en ce sens que les contrats accessoires (les contrats de garantie ou de cautionnement) à un contrat de crédit dont le bénéficiaire est une société commerciale, conclus par les personnes physiques qui n’ont aucun lien avec l’activité de ladite société commerciale et qui ont agi dans un but étranger à leur activité professionnelle, relèvent également du champ d’application de ladite directive, sachant que les requérants étaient initialement des personnes physiques garantes d’un contrat de prêt conclu avec la défenderesse créancière, aux côtés de la débitrice principale, personne morale, dont l’administrateur était le requérant, mais que le contrat en question a ultérieurement été modifié, et que l’ancienne débitrice dont le requérant était l’administrateur a transmis la créance par novation, avec l’accord de la défenderesse créancière, à une autre personne morale, dont ni le requérant ni la requérante n’ont qualité d’administrateurs, mais que ces derniers se sont engagés au bénéfice de la nouvelle débitrice, personne morale, en tant que cautions de l’obligation transmise par novation à cette nouvelle débitrice ? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles
21. En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
22. Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.
23. Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, sous b), de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que cette directive peut s’appliquer à un contrat de garantie immobilière conclu entre des personnes physiques et un établissement de crédit, tel que BRD Groupe Société Générale, en vue de garantir les obligations qu’une société commerciale, telle que LancaConstrucţii, a contractées envers cet établissement dans le cadre d’un contrat de crédit, lorsque ces personnes physiques n’ont aucun lien de nature professionnelle avec ladite société, mais qu’elles étaient les garantes hypothécaires de trois contrats de prêt préalablement conclus entre ledit établissement de crédit et une autre société commerciale, telle que Lanca, et que l’une d’elles était l’administrateur et l’associé unique de cette dernière société, qui, par novation, a transmis ses obligations à la nouvelle société commerciale débitrice, LancaConstrucţii.
24. D’emblée, il importe de souligner que la réponse à ces questions peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău (C‑74/15, EU:C:2015:772).
25. À cet égard, il convient de rappeler que la directive 93/13 s’applique, ainsi qu’il ressort de son article 1er, paragraphe 1, et de son article 3, paragraphe 1, aux clauses des « contrats conclus entre un professionnel et un consommateur » qui n’ont « pas fait l’objet d’une négociation individuelle » (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 20 et jurisprudence citée).
26. Ainsi que l’énonce le dixième considérant de la directive 93/13, les règles uniformes concernant les clauses abusives doivent s’appliquer à « tout contrat » conclu entre un professionnel et un consommateur, tels que définis à l’article 2, sous b) et c), de ladite directive (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 21 et jurisprudence citée).
27. L’objet du contrat est ainsi, sous réserve des exceptions énumérées par le dixième considérant de la directive 93/13, sans pertinence pour définir le champ d’application de cette directive (voir ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 22 et jurisprudence citée).
28. C’est donc par référence à la qualité des contractants, selon qu’ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle, que la directive 93/13 définit les contrats auxquels elle s’applique (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 23 et jurisprudence citée).
29. Ce critère correspond à l’idée sur laquelle repose le système de protection mis en œuvre par cette directive, à savoir que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 24 et jurisprudence citée).
30. Cette protection est particulièrement importante dans le cas d’un contrat de garantie ou de cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un consommateur. Un tel contrat repose en effet sur un engagement personnel du garant ou de la caution à payer la dette contractée par un tiers. Cet engagement entraîne pour celui qui y consent des obligations lourdes qui ont pour effet de grever son propre patrimoine d’un risque financier souvent difficile à mesurer (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 25).
31. Quant au point de savoir si une personne physique qui s’engage à garantir les obligations qu’une société commerciale a contractées envers un établissement bancaire dans le cadre d’un contrat de crédit peut être considérée comme un « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, il y a lieu de relever qu’un tel contrat de garantie ou de cautionnement, s’il peut être décrit, quant à son objet, comme un contrat accessoire par rapport au contrat principal dont est issue la dette qu’il garantit (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 1998, Dietzinger, C‑45/96, EU:C:1998:111, point 18), se présente, du point de vue des parties contractantes, comme un contrat distinct dès lors qu’il est conclu entre d’autres personnes que les parties au contrat principal. C’est donc dans le chef des parties au contrat de garantie ou de cautionnement que doit être appréciée la qualité dans laquelle celles-ci ont agi (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 26).
32. À cet égard, il convient de rappeler que la notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, a un caractère objectif. Elle doit être déterminée au regard d’un critère fonctionnel, consistant à apprécier si le rapport contractuel en cause s’inscrit dans le cadre d’activités étrangères à l’exercice d’une profession (voir ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 27 et jurisprudence citée).
33. Il incombe au juge national saisi d’un litige portant sur un contrat susceptible d’entrer dans le champ d’application de cette directive de vérifier, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce et de l’ensemble des éléments de preuve, si le contractant concerné peut être qualifié de « consommateur » au sens de ladite directive (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 28 et jurisprudence citée).
34. Dans le cas d’une personne physique qui s’est portée garante de l’exécution des obligations d’une société commerciale, il appartient ainsi au juge national d’établir si cette personne a agi dans le cadre de son activité professionnelle ou en raison de liens fonctionnels qu’elle a avec cette société, tels que la gérance de celle-ci ou une participation non négligeable à son capital social, ou si elle a agi à des fins d’ordre privé (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C‑74/15, EU:C:2015:772, point 29).
35. En l’occurrence, il ressort des pièces du dossier dont dispose la Cour que, lors de la conclusion des trois contrats de prêt au cours de la période allant de l’année 2005 à l’année 2008 entre, d’une part, BRD Groupe Société Générale, en qualité de prêteur, et, d’autre part, Lanca, en qualité d’emprunteur, M. Dumitraş, ayant agi en tant que garant hypothécaire de ces contrats, était l’administrateur et l’associé unique de cette dernière société commerciale.
36. Partant, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’opérer, il apparaît que, lors de la conclusion de ces contrats, M. Dumitraş a agi en raison de liens fonctionnels qu’il avait avec Lanca et ne saurait ainsi être qualifié, à cet égard, de « consommateur » au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13.
37. Il ressort également des pièces du dossier que, le 30 juillet 2009, d’une part, LancaConstrucţii a souscrit, auprès de BRD Groupe Société Générale, trois contrats de crédits portant refinancement et rééchelonnement des trois contrats de prêt signés par Lanca durant la période allant de l’année 2005 à l’année 2008. D’autre part, par novation, LancaConstrucţii s’est substituée à Lanca comme débitrice des obligations contractées par cette dernière envers BRD Groupe Société Générale. Par l’effet de cette novation, Lanca n’est restée redevable d’aucune obligation envers BRD Groupe Société Générale au titre des prêts initialement accordés.
38. En outre, il est constant que ni M. Dumitraş ni Mme Dumitraş n’avaient la qualité d’administrateurs de LancaConstrucţii et qu’ils se sont engagés à garantir, en qualité de garants hypothécaires, l’obligation de cette dernière à la suite de la novation. Il ne ressort pas non plus de la décision de renvoi que les requérants au principal détenaient une participation non négligeable au capital social de ladite société.
39. Dès lors, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît que, lors de la conclusion des contrats de crédit et de garantie immobilière du 30 juillet 2009, M. et Mme Dumitraş n’ont pas agi en raison de liens fonctionnels qu’ils auraient eus avec LancaConstrucţii. Il appartient également à la juridiction de renvoi d’établir si M. et Mme Dumitraş, en tant que garants hypothécaires de cette société, ont agi à des fins qui entrent dans le cadre de leur activité professionnelle et, à défaut, d’en tirer toutes les conséquences utiles pour leur qualification éventuelle comme « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13. Tel serait le cas, notamment, si M. Dumitraş, en se portant garant hypothécaire, avait agi en raison de ses liens fonctionnels avec Lanca, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
40. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, sous b), de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à un contrat de garantie immobilière conclu entre des personnes physiques et un établissement de crédit en vue de garantir les obligations qu’une société commerciale a contractées envers cet établissement au titre d’un contrat de crédit, lorsque ces personnes physiques ont agi à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité professionnelle et n’ont pas de lien de nature fonctionnelle avec ladite société, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Sur les dépens
41. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, sous b), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens que cette directive s’applique à un contrat de garantie immobilière conclu entre des personnes physiques et un établissement de crédit en vue de garantir les obligations qu’une société commerciale a contractées envers cet établissement au titre d’un contrat de crédit, lorsque ces personnes physiques ont agi à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité professionnelle et n’ont pas de lien de nature fonctionnelle avec ladite société, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
Signatures
- 5804 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (3) - Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993
- 5839 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat : contrat unilatéral
- 5840 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Nature du contrat - Qualification du contrat - Clauses abusives - Régime général
- 5853 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de consommateur - Particulier personne physique - Consommateur tiers au contrat
- 5863 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Principes - Présentation générale