CJUE (1re ch.), 29 octobre 2015
CERCLAB - DOCUMENT N° 6673
CJUE (1re ch.), 29 octobre 2015 : Affaire C‑8/14
Publication : Rec.
Extrait : « Les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale transitoire, telle que celle en cause au principal, qui soumet les consommateurs, à l’égard desquels une procédure de saisie hypothécaire a été ouverte avant la date d’entrée en vigueur de la loi dont cette disposition relève et non clôturée à cette date, à un délai de forclusion d’un mois, calculé à partir du jour suivant la publication de cette loi, pour former une opposition à l’exécution forcée, sur le fondement du caractère prétendument abusif de clauses contractuelles ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
PREMIÈRE CHAMBRE
ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2015
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑8/14, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia nº 4 de Martorell (tribunal de première instance nº 4 de Martorell, Espagne), par décision du 28 octobre 2013, parvenue à la Cour le 10 janvier 2014, dans la procédure
BBVA SA, anciennement Unnim Banc SA,
contre
Pedro Peñalva López,
Clara López Durán,
Diego Fernández Gabarro,
LA COUR (première chambre), composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. F. Biltgen, A. Borg Barthet, E. Levits (rapporteur) et S. Rodin, juges,
Avocat général : M. M. Szpunar,
Greffier : Mme M. Ferreira,
Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 février 2015,
considérant les observations présentées :
- pour BBVA SA, anciennement Unnim Banc SA, par Mes J. Rodríguez Cárcamo et B. García Gómez, abogados,
- pour M. Peñalva López et Mme López Durán ainsi que pour M. Fernández Gabarro par Mes M. Alemany Canals, A. Martínez Hiruela, T. Moreno et A. Davalos, abogados,
- pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,
- pour la Commission européenne, par MM. J. Baquero Cruz et M. van Beek, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 mai 2015
rend le présent
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BBVA SA, anciennement Unnim Banc SA (ci-après « BBVA »), à MM. Fernández Gabarro et Peñalva López ainsi qu’à Mme López Durán, au sujet de leur opposition à une saisie hypothécaire portant sur une place de parking et une remise.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
4. L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive est rédigé comme suit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le droit espagnol
5. La loi 1/2013, relative aux mesures visant à renforcer la protection des débiteurs hypothécaires, la restructuration de la dette et le loyer social (Ley 1/2013, de medidas para reforzar la protección a los deudores hipotecarios, reestructuración de deuda y alquiler social), du 14 mai 2013 (BOE nº 116, du 15 mai 2013, p. 36373), a modifié le code de procédure civile (Ley de enjuiciamiento civil), du 7 janvier 2000 (BOE nº 7, du 8 janvier 2000, p. 575), lui‑même modifié par le décret-loi 7/2013, portant mesures urgentes de nature fiscale et budgétaire et promouvant la recherche, le développement et l’innovation (decreto-ley 7/2013, de medidas urgentes de naturaleza tributaria, presupuestarias y de fomento de la investigación, el desarrollo y la innovación), du 28 juin 2013 (BOE nº 155, du 29 juin 2013, p. 48767, ci‑après le « code de procédure civile »).
6. La quatrième disposition transitoire de la loi 1/2013 (ci-après la « disposition transitoire litigieuse ») concerne les procédures d’exécution ouvertes avant l’entrée en vigueur de la loi 1/2013 et non encore clôturées. Cette disposition est libellée comme suit :
« 1. Les modifications [du code de procédure civile] introduites par la présente loi s’appliquent aux procédures d’exécution ouvertes à la date de son entrée en vigueur, uniquement vis-à-vis des mesures d’exécution restant à prendre.
2. En tout état de cause, dans les procédures d’exécution en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi dans lesquelles le délai d’opposition de dix jours prévu à l’article 556, paragraphe 1, [du code de procédure civile] a expiré, les parties défenderesses à l’exécution disposent d’un délai de forclusion d’un mois pour former opposition par voie incidente extraordinaire en se fondant sur les nouveaux motifs d’opposition prévus aux articles 557, paragraphe 1, point 7, et 695, paragraphe 1, point 4, [du code de procédure civile].
Le délai de forclusion d’un mois est calculé à partir du jour suivant celui de l’entrée en vigueur de la présente loi, et la formation de l’opposition par voie incidente par les parties a pour effet de suspendre la procédure jusqu’à ce qu’il ait été statué sur l’opposition, conformément aux articles 558 et suivants et 695 [du code de procédure civile].
La présente disposition transitoire s’applique à toute procédure d’exécution qui n’a pas abouti à la prise de possession de l’immeuble par l’acheteur conformément à l’article 675 [du code de procédure civile].
3. De même, dans les procédures d’exécution en cours dans lesquelles, à l’entrée en vigueur de la présente loi, le délai d’opposition de dix jours prévu à l’article 556, paragraphe 1, [du code de procédure civile] a déjà commencé à courir, les parties défenderesses à l’exécution disposent du même délai de forclusion d’un mois prévu au paragraphe précédent pour former opposition sur le fondement de l’un quelconque des motifs d’opposition prévus aux articles 557 et 695 [du code de procédure civile].
4. La publicité de la présente disposition vaut communication intégrale et valable aux fins de la notification de calcul et des délais prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article, l’adoption d’une décision expresse à cette fin n’étant en aucun cas nécessaire. »
7. L’article 556, paragraphe 1, du code de procédure civile est libellé comme suit :
« Si le titre exécutoire est une décision procédurale ou arbitrale de condamnation ou un accord de médiation, le défendeur à l’exécution peut, dans les dix jours suivant la notification de l’ordonnance d’exécution, s’opposer à celle-ci par écrit en invoquant le paiement ou le respect du dispositif de l’arrêt, de la sentence arbitrale ou de l’accord, ce dont il devra apporter la preuve documentaire.
Il est également possible d’opposer la forclusion de l’action en exécution ainsi que les accords et transactions qui auraient été conclus pour éviter l’exécution, à condition que ces accord et transactions figurent dans un acte notarié. »
8. Selon l’article 557 du code de procédure civile, relatif à la procédure d’opposition à l’exécution fondée sur des titres non judiciaires ou arbitraux :
« 1. Lorsque l’exécution est ordonnée pour les titres visés à l’article 517, paragraphe 2, points 4, 5, 6 et 7, ainsi que pour d’autres documents ayant force exécutoire visés à l’article 517, paragraphe 2, point 9, le défendeur à l’exécution ne peut s’y opposer, dans les délais et formes prévus à l’article précédent, que s’il invoque l’un des motifs suivants :
[...]
7° Le titre contient des clauses abusives.
2. Si l’opposition visée au paragraphe précédent est formée, le greffe du tribunal suspend l’exécution par mesure d’organisation de la procédure. »
9. L’article 695, paragraphes 1, point 4, et 2, du code de procédure civile est rédigé comme suit :
« 1. Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur à l’exécution n’est accueillie que lorsqu’elle est fondée sur les motifs suivants :
[...]
(4) le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement de l’exécution ou ayant permis de déterminer le montant exigible.
2. En cas d’introduction de l’opposition visée au paragraphe précédent, le greffe du tribunal procède à la suspension de l’exécution et convoque les parties à comparaître devant le tribunal ayant rendu l’ordonnance de saisie. La citation à comparaître doit intervenir au moins quinze jours avant la tenue de l’audience en question. Au cours de cette audience, le tribunal entend les parties, examine les documents produits et adopte la décision pertinente, sous la forme d’une ordonnance, au cours de la deuxième journée. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10. Avant l’entrée en vigueur de la loi 1/2013, le 15 mai 2013, BBVA a engagé une procédure de saisie hypothécaire à l’encontre de MM. Fernández Gabarro et Peñalva López ainsi que de Mme López Durán. À cette date, ladite procédure n’était pas encore clôturée. Il ressort du dossier soumis à la Cour que cette saisie porte sur une place de parking et une remise.
11. Le 17 juin 2013, après l’expiration du délai d’un mois pour introduire un incident extraordinaire d’opposition à la saisie hypothécaire, prévu par la disposition transitoire litigieuse, les défendeurs au principal ont fait valoir devant la juridiction nationale que le délai de forclusion fixé par cette disposition était contraire à la directive 93/13.
12. En effet, d’une part, le délai de forclusion d’un mois pour invoquer le caractère abusif des clauses figurant dans le titre exécutoire était insuffisant pour les tribunaux, appelés à contrôler d’office le contenu des contrats de prêt ou de crédit assortis d’une garantie hypothécaire en cours d’exécution, et a fortiori pour les consommateurs, appelés à faire valoir l’éventuel caractère abusif des clauses figurant dans ces contrats.
13. D’autre part, les défendeurs au principal affirment que, dans la mesure où, selon le paragraphe 4 de la disposition transitoire litigieuse, le délai de forclusion d’un mois commençait à courir à partir de la notification faite par la publication de la loi dans un journal officiel et non de manière individualisée, l’accès des consommateurs à la justice était très difficile, même s’ils bénéficiaient d’une assistance judiciaire.
14. La juridiction de renvoi estime qu’il lui est nécessaire, afin de pouvoir juger l’affaire pendante devant elle, que la Cour se prononce sur la question de concilier le principe de forclusion des délais procéduraux, étroitement lié au principe de sécurité juridique, avec la protection d’office du consommateur, qui est imprescriptible, au moyen de la constatation de la nullité totale de la clause abusive et de sa non‑intégration au contrat, ainsi que le prévoit la directive 93/13, telle qu’interprétée par la Cour dans sa jurisprudence récente.
15. Dans ces conditions, le Juzgado de Primera Instancia nº4 de Martorell (tribunal de première instance nº 4 de Martorell) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Le délai d’un mois prévu par la quatrième disposition transitoire de la loi 1/2013 doit‑il être interprété en ce sens qu’il est contraire aux articles 6 et 7 de la directive 93/13? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur la question préjudicielle
16. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 6 et 7 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale transitoire, telle que la disposition transitoire litigieuse, qui soumet les consommateurs, à l’égard desquels une procédure de saisie hypothécaire a été ouverte avant l’entrée en vigueur de la loi dont cette disposition relève et non clôturée à cette date, à un délai de forclusion d’un mois, calculé à partir du jour suivant la publication de cette loi, pour former une opposition à l’exécution forcée, notamment sur le fondement du caractère prétendument abusif de clauses contractuelles.
17. Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler d’emblée que, selon une jurisprudence constante, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information (arrêts Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 44, ainsi que Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 22).
18. Eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et les obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 40 et jurisprudence citée).
19. En outre, étant donné la nature et l’importance de l’intérêt public que constitue la protection des consommateurs se trouvant dans une telle situation d’infériorité, l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 68 ; Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, EU:C:2014:282, point 78, ainsi que Unicaja Banco et Caixabank, C‑482/13, C‑484/13, C‑485/13 et C‑487/13, EU:C:2015:21, point 30).
20. Aussi, la Cour a souligné que les procédures nationales d’exécution, telles que les procédures de saisie hypothécaire, sont soumises aux exigences induites par sa jurisprudence constante visant la protection effective des consommateurs (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 25).
21. Afin de tenir compte de cette jurisprudence, et plus particulièrement à la suite du prononcé de l’arrêt Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164), la loi 1/2013 a modifié notamment les articles du code de procédure civile relatifs à la procédure d’exécution des biens hypothéqués. Ainsi, pour les procédures ouvertes après l’entrée en vigueur de la loi 1/2013, l’opposition du défendeur à l’exécution, fondée sur le caractère abusif d’une clause contractuelle et formée dans un délai ordinaire de dix jours à compter de la date de notification de l’acte ordonnant l’exécution, permet désormais la suspension de la procédure de saisie hypothécaire jusqu’à la résolution de l’incident d’opposition.
22. Dans le cadre de cette réforme législative, la disposition transitoire litigieuse vise à tenir compte des procédures d’exécution en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013, dans lesquelles le délai d’opposition de dix jours a déjà commencé à courir ou a expiré. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 34 de ses conclusions, nonobstant le fait que les arrêts de la Cour déploient leur effet ex tunc, et, partant, depuis la date de l’entrée en vigueur de la disposition interprétée, le législateur espagnol a jugé nécessaire l’introduction d’un mécanisme de délai transitoire afin de permettre également aux consommateurs, visés par une procédure d’exécution en cours, de former, au niveau procédural, dans un délai à fixer par le législateur espagnol, une opposition par voie incidente extraordinaire en se fondant, notamment, sur l’existence de clauses abusives.
23. Il convient d’apprécier si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, la directive 93/13, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour, développée notamment depuis son arrêt Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164), s’oppose au mécanisme de délai transitoire, retenu par le législateur espagnol et introduit par la loi 1/2013.
24. À cet égard, il y a lieu de noter que, certes, en l’absence d’une harmonisation des mécanismes nationaux d’exécution forcée, les modalités de la fixation de délai d’opposition, admis dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire, relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe d’autonomie procédurale de ces derniers. Toutefois, la Cour a souligné que lesdites modalités doivent répondre à la double condition de ne pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et de ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (arrêts Aziz, C‑415/11, EU:C:2013 :164, point 50, et Barclays Bank, C‑280/13, EU:C:2014 :279, point 37).
25. S’agissant, d’une part, du principe d’équivalence, il y a lieu de relever que la Cour ne dispose d’aucun élément de nature à susciter un doute quant à la conformité de la disposition transitoire litigieuse avec celui‑ci.
26. D’autre part, en ce qui concerne le principe d’effectivité, la Cour a déjà jugé que chacun des cas dans lesquels se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (arrêt Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:2099, point 34 et jurisprudence citée).
27. Ces aspects, évoqués par la jurisprudence précitée, sont à prendre en considération lors de l’analyse des caractéristiques du délai en cause au principal. Ainsi, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 45 de ses conclusions, cette analyse doit porter sur deux volets, à savoir la durée du délai de forclusion fixée par le législateur et la modalité retenue pour déclencher l’ouverture dudit délai.
28. En ce qui concerne, premièrement, la durée du délai, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante, la fixation de délais raisonnables de recours sous peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique est compatible avec le droit de l’Union. En effet, de tels délais ne sont pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêt Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 41 et jurisprudence citée).
29. La Cour a également constaté que le délai imparti doit être matériellement suffisant pour permettre aux intéressés de préparer et de former un recours effectif (voir, en ce sens, arrêt Samba Diouf, C‑69/10, EU:C:2011:524, point 66).
30. En l’occurrence, il y a lieu de constater que le délai d’un mois est établi, à titre exceptionnel, par une disposition transitoire visant à assurer aux consommateurs, parties défenderesses dans une procédure d’exécution en cours dans laquelle le délai d’opposition ordinaire de dix jours a déjà commencé à courir ou a expiré, la possibilité de faire valoir, dans le cadre de la même procédure, un nouveau motif d’opposition qui n’était pas prévu au moment de l’introduction de l’action judiciaire en cause.
31. De ce fait, il convient de considérer que, eu égard à la place de la disposition transitoire litigieuse dans l’ensemble de la procédure de saisie hypothécaire, un délai de forclusion d’un mois pour introduire un incident extraordinaire d’opposition n’apparaît pas, en principe, matériellement insuffisant pour préparer et former un recours effectif, et s’avère ainsi comme étant raisonnable et proportionné au regard des droits et des intérêts en présence.
32. Il en découle que la disposition transitoire litigieuse ne saurait, au regard de la durée du délai d’opposition accordé au consommateur dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013, être considérée comme portant atteinte au principe d’effectivité.
33. En ce qui concerne, deuxièmement, l’analyse du second volet des caractéristiques du délai en cause au principal, portant sur la modalité choisie par le législateur pour l’ouverture dudit délai, les considérations suivantes s’imposent.
34. Il est constant, d’abord, que la loi 1/2013, dont la disposition transitoire litigieuse fait partie, pose un cadre législatif qui est de portée générale. Cette loi est entrée en vigueur le jour de sa publication au Boletín Oficial del Estado.
35. Ayant pour objet la protection accrue des citoyens dans un large nombre de situations liées aux prêts hypothécaires, la loi 1/2013 inclut, de manière explicite, celle des consommateurs qui se trouvent, à la date de l’entrée en vigueur de cette loi, en situation de défense dans le cadre d’une procédure d’exécution en cours, visant leur bien.
36. Or, ces consommateurs ont été, à la date de l’ouverture de la procédure d’exécution dirigée à leur encontre, informés par une notification individuelle, qui leur a été adressée personnellement, de leur droit de faire opposition à l’exécution dans un délai de dix jours à partir de cette notification.
37. Toutefois, ladite notification, antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi 1/2013, ne contenait pas d’informations concernant le droit desdits consommateurs de former une opposition à l’exécution en faisant valoir le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, une telle possibilité n’ayant été introduite, à l’article 557, paragraphe 1, point 7, du code de procédure civile, que par la loi 1/2013.
38. Dans ces conditions, au vu notamment des principes des droits de la défense, de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, les consommateurs ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à bénéficier d’une nouvelle possibilité d’introduire un incident d’opposition à défaut d’en être informés par la même voie procédurale que celle par laquelle leur était parvenue l’information initiale.
39. Par conséquent, il y a lieu de relever que la disposition transitoire litigieuse, en ce qu’elle prévoit que le délai de forclusion commence à courir en l’espèce sans que les consommateurs concernés soient informés personnellement de la possibilité de faire valoir un nouveau motif d’opposition dans le cadre d’une procédure d’exécution déjà ouverte avant l’entrée en vigueur de ladite loi, n’est pas de nature à garantir la pleine jouissance de ce délai, et donc l’exercice effectif du nouveau droit reconnu par la modification législative en cause.
40. En effet, compte tenu du déroulement, de la particularité et de la complexité de la procédure ainsi que de la législation applicable, il existe un risque significatif que ledit délai expire sans que les consommateurs concernés puissent faire valoir effectivement et utilement leurs droits par la voie juridictionnelle, en raison notamment du fait qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas, en réalité, l’étendue exacte de ces droits (voir, en ce sens, arrêt Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 58 et jurisprudence citée).
41. Dès lors, il y a lieu de conclure que la disposition transitoire litigieuse méconnaît le principe d’effectivité.
42. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 6 et 7 de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale transitoire, telle que celle en cause au principal, qui soumet les consommateurs, à l’égard desquels une procédure de saisie hypothécaire a été ouverte avant la date d’entrée en vigueur de la loi dont cette disposition relève et non clôturée à cette date, à un délai de forclusion d’un mois, calculé à partir du jour suivant la publication de cette loi, pour former une opposition à l’exécution forcée, sur le fondement du caractère prétendument abusif de clauses contractuelles.
Sur les dépens
43. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
Les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition nationale transitoire, telle que celle en cause au principal, qui soumet les consommateurs, à l’égard desquels une procédure de saisie hypothécaire a été ouverte avant la date d’entrée en vigueur de la loi dont cette disposition relève et non clôturée à cette date, à un délai de forclusion d’un mois, calculé à partir du jour suivant la publication de cette loi, pour former une opposition à l’exécution forcée, sur le fondement du caractère prétendument abusif de clauses contractuelles.
Signatures
- 5734 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Nature - Clause réputée non écrite
- 5733 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Effectivité
- 5734 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Nature - Clause réputée non écrite
- 5804 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (3) - Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993
- 5813 - Code de la consommation - Clauses abusives - Application dans le temps - Clauses abusives - Exceptions : application immédiate de la loi nouvelle
- 5983 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Juge de l’exécution (JEX)