CA TOULOUSE (1re ch. 1re sect.), 4 décembre 2006
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 817
CA TOULOUSE (1re ch. 1re sect.), 4 décembre 2006 : RG n° 05/06196 ; arrêt n° 504
Extrait : « Attendu qu'en application de l'article R. 132-1 du code de la consommation dans les contrats de vente conclus entre des professionnels d'une part et des non-professionnels d'autre part, est interdite comme abusive au sens de l'article L. 132-1 la clause, ayant pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation d'un non-professionnel en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ;
Attendu que dans le cadre de la vente en état futur d'achèvement le vendeur est tenu de livrer à l'acquéreur le bien vendu dans le délai fixé ;
Attendu que si le vendeur peut valablement stipuler une clause prolongeant le délai de livraison en cas d'interruption des travaux de construction provoquée par une cause indépendante de sa volonté et présentant les caractéristiques de la force majeure ou résultant d'événements précisément définis dans le contrat, il lui appartient de démontrer la survenance de la cause et le retard en résultant directement et ne peut se dispenser de rapporter cette preuve en prévoyant que la prolongation autorisée du délai de livraison sera forfaitairement fixée au double du délai effectivement enregistré ;
Attendu en effet que cette clause empêche l'acquéreur non professionnel de contrôler l’incidence effective de la cause invoquée sur le délai de livraison et de solliciter la juste indemnisation de son préjudice, ce qui conduit à la réduction de son droit à réparation du fait du non respect du délai initial, et entraîne un déséquilibre significatif au profit du professionnel, dans les obligations respectives des parties ;
Attendu que c'est à bon droit que le premier juge a déclaré abusive la clause litigieuse invoquée par la SCI DU PARC ARZAC étant observé qu'en application de l'article précité et de l'article L. 132-1 auquel il se réfère, il importe peu que la clause ait été portée à la connaissance des acquéreurs avant signature et qu'ils aient eu la possibilité de négocier librement les clauses du contrat ».
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
PREMIÈRE CHAMBRE SECTION 1
ARRÊT DU 4 DÉCEMBRE 2006
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 05/06196. Arrêt n° 504. Décision déférée du 20 octobre 2005 – Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE – 04/2809. Mme BLANQUE-JEAN. CONFIRMATION PARTIELLE.
APPELANTE :
SCI DU PARC ARZAC
[adresse], représentée par la SCP NIDECKER PRIEU-PHILIPPOT, avoués à la Cour, assistée de Maître Nathalie LAURENT, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉS :
- Monsieur X.
[adresse], représenté par la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Cour, assisté de Maître Olivier LERIDON, avocat au barreau de TOULOUSE
- Madame Y.
[adresse], représenté par la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Cour, assisté de Maître Olivier LERIDON, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR : Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 31 octobre 2006 en audience publique, devant la Cour composée de : H. MAS, président ; O. COLENO, conseiller ; C. FOURNIEL, conseiller qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : E. KAIM-MARTIN.
ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties - signé par H. MAS, président, et par E. KAIM-MARTIN, greffier de chambre.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 2] FAITS ET PROCÉDURE :
Le 7 octobre 2000, Mme Y. et M. X. ont conclu avec la SCI DU PARC ARZAC un contrat de réservation d'un appartement de 106 m2 pour le prix de 225.504,55 €.
L'acte authentique de vente a été signé par les acquéreurs le 14 août 2001 le délai de livraison étant fixé au 30 juin 2002.
La livraison effective est intervenue le 4 septembre 2003.
Les consorts Y./X. ont fait assigner la SCI afin d'obtenir sa condamnation à leur payer :
- 8.901,58 € au titre des loyers supportés du fait du retard,
- 6.940 € au titre du déblocage prématuré des fonds placés,
- 8.000 € au titre d'un préjudice moral,
- 100 € par mois au titre de l'immobilisation d'un cellier siège d'infiltrations.
La SCI a conclu au rejet partiel de ces prétentions en soutenant que le retard indemnisable devait être limité à cinq mois compte tenu des causes d'interruption prévues au contrat et dont elle justifie et que la somme réclamée au titre de l'indisponibilité du cellier était excessive.
Par jugement du 20 octobre 2005, le tribunal de grande instance de Toulouse :
- a annulé comme abusive la clause invoquée par la SCI défenderesse l'autorisant à se prévaloir d'un délai de suspension du délai de livraison double du délai effectivement écoulé,
- a retenu un retard de livraison indemnisable de 13,5 mois,
- et condamné la SCI DU PARC ARZAC à verser aux consorts Y./X. :
* 8.835,18 € au titre des loyers de juillet 2002 à juillet 2003,
* 6.940 € au titre des frais financiers,
* 3.000 € au titre d'un préjudice moral,
* 600 € pour l'indisponibilité du cellier,
* 1.500 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.
La SCI DU PARC ARZAC a régulièrement fait appel de cette décision.
Elle soutient que le contrat préliminaire stipulait déjà une possibilité de suspension du délai prévisionnel d'exécution ; que l'acte définitif prévoyait de même cette suspension pour des causes légitimes précisées dans l'acte et que la clause selon laquelle le délai serait suspendu pour un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison des répercussions sur l'organisation générale ne peut être qualifiée d'abusive, dans la mesure où elle a été portée à la connaissance des acquéreurs avant la vente conformément aux dispositions légales de l'article R 261-30 du C.C.H. et que [minute page 3] les acquéreurs auxquels le projet d'acte a été transmis le 31 janvier 2001 ont eu largement le temps d'en apprécier la portée avant la signature intervenue au mois d'août 2001.
Elle ajoute que cette clause ne créé aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et qu'elle est justifiée par les aléas que peut rencontrer le promoteur au cours de l'opération de construction tant au niveau technique qu'au niveau de la situation économique des entreprises intervenant sur le chantier.
Elle prétend en outre qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations et que ce n'est qu'après la signature de l'acte authentique qu'elle a été informée de la nécessité de modifier le système de fondation ce qui est à l'origine de la majorité du retard et que dans une espèce distincte concernant le même problème sur le même immeuble le tribunal a appliqué la clause litigieuse.
Indépendamment du problème lié aux fondations, elle fait état de 13 jours d'intempéries, ce qui justifie un retard d'un mois soit une suspension légitime totale de 9 mois ramenant le retard indemnisable à 5 mois.
Elle conteste par ailleurs les montants retenus au titre des loyers perdus pour lesquels les charges devraient être exclues et au titre de frais financiers en exposant que le tribunal a commis une erreur en retenant une période correspondant à l'intégralité du retard sans tenir compte des suspensions légitimes.
Elle nie l'existence d'un préjudice moral indemnisable et dit que l'indemnisation pour l'indisponibilité du cellier a été justement appréciée par le premier juge.
Elle demande à la cour de juger valide la clause contractuelle visant à prévoir une période de suspension légitime du délai de livraison égale au double du retard effectivement enregistré et en conséquence de retenir une suspension de 9 mois, de limiter le préjudice indemnisable à la durée de 5 mois soit 3.016,71 € au titre des loyers, 2.478,71 € au titre des frais financiers.
M. X. et Mme Y. concluent à la confirmation sauf à majorer l'indemnité due au titre de l'indisponibilité du cellier qu'ils désirent voir porter à 3.300 €. Ils demandent en outre 2.500 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Ils soutiennent que la clause permettant au vendeur de doubler le délai de suspension du délai de livraison par rapport à l'interruption constatée a été jugée à bon droit abusive sur le fondement de l'article R. 132-1 du code de la consommation dans la mesure où elle réduit le droit à réparation de l'acheteur.
[minute page 4] Ils ajoutent qu'il y a bien un déséquilibre manifeste dans la mesure où la clause ne permet pas d'invoquer la durée réelle de la suspension.
Ils contestent par ailleurs la possibilité pour le promoteur de se prévaloir d'une suspension au titre de la modification des fondations au motif que cette modification était prévisible dès le mois de janvier 2001 au vu du rapport du contrôleur technique et en toute hypothèse en raison de la situation de l'immeuble en bordure de Garonne.
Ils ajoutent que les fondations spéciales étaient prévues et intégrées dans le planning avant le contrat définitif puisque dès le 3 septembre 2001 le promoteur les informait du démarrage des fondations spéciales le 4 septembre sans prévoir un report de livraison.
Ils soutiennent que les périodes d'intempéries ne sont pas justifiées pour solliciter l'indemnisation sur les 14 mois de retard et font valoir que les problèmes d'humidité du cellier n'ont été réglés qu'en juin 2006 par la mise en place d'un groupe d'évacuation, ce qui justifie une indemnité sur 33 mois soit 3.300 €.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la validité de la clause de suspension du délai de livraison :
Attendu qu'en application de l'article R. 132-1 du code de la consommation dans les contrats de vente conclus entre des professionnels d'une part et des non-professionnels d'autre part, est interdite comme abusive au sens de l'article L. 132-1 la clause, ayant pour objet de supprimer ou de réduire le droit à réparation d'un non-professionnel en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ;
Attendu que dans le cadre de la vente en état futur d'achèvement le vendeur est tenu de livrer à l'acquéreur le bien vendu dans le délai fixé ;
Attendu que si le vendeur peut valablement stipuler une clause prolongeant le délai de livraison en cas d'interruption des travaux de construction provoquée par une cause indépendante de sa volonté et présentant les caractéristiques de la force majeure ou résultant d'événements précisément définis dans le contrat, il lui appartient de démontrer la survenance de la cause et le retard en résultant directement et ne peut se dispenser de rapporter cette preuve en prévoyant que la prolongation autorisée du délai de livraison sera forfaitairement fixée au double du délai effectivement enregistré ;
Attendu en effet que cette clause empêche l'acquéreur non professionnel de contrôler l'incidence effective de la cause invoquée sur le délai de livraison et de solliciter la juste indemnisation de son préjudice, ce qui conduit à la réduction de son droit à réparation du fait du non respect du délai initial, et entraîne un déséquilibre significatif au profit du professionnel, dans les obligations respectives des parties ;
[minute page 5] Attendu que c'est à bon droit que le premier juge a déclaré abusive la clause litigieuse invoquée par la SCI DU PARC ARZAC étant observé qu'en application de l'article précité et de l'article L. 132-1 auquel il se réfère, il importe peu que la clause ait été portée à la connaissance des acquéreurs avant signature et qu'ils aient eu la possibilité de négocier librement les clauses du contrat ;
- Sur l'indemnisation du retard :
Attendu que le premier juge a retenu à juste titre que la prolongation du délai de livraison pour une durée de 13 jours devait être retenue compte tenu des justifications apportées sur la survenance d'intempéries pendant le cours de la construction ;
Attendu s'agissant de la prolongation du délai au titre de la nécessité de procéder à des fondations spéciales, il appartient à la SCI appelante de démontrer que cette nécessité est apparue postérieurement à la signature de l'acte définitif et ne pouvait donc être intégrée dans le calcul du délai alors contractuellement fixé
Attendu que le premier juge a justement retenu que cette démonstration n'était pas faite ; que devant la cour, la SCI DU PARC ARZAC ne donne pas plus d'éléments probants alors qu'il résulte au contraire des documents échangés, que la SCI DU PARC ARZAC était avisée dès le mois de janvier 2001 de l'avis réservé du contrôleur technique QUALICONSULT sur le mode de fondations prévu et sur la nécessité de déterminer les hauteurs caractéristiques de la nappe ;
Attendu qu'il appartenait donc dès cette date au promoteur vendeur de faire procéder aux études nécessaires et d'intégrer dans le délai de livraison celui nécessaire à l'exécution des fondations dont il devait connaître les caractéristiques avant la signature de l'acte authentique puisque le courrier adressé le 20 août 2001 par le bureau de contrôle technique ne détermine pas le choix des fondations, mais « rappelle » la solution à retenir, ce qui implique que plusieurs types de fondations spéciales avaient été envisagés et qu'une prolongation du délai certes non définitivement acquise dans sa durée finale, mais certaine dans son principe était prévisible ;
Attendu en outre qu'il résulte des termes mêmes du contrat de vente que la justification de la survenance de l'une des circonstances justifiant la prolongation du délai de livraison devait être apportée par le vendeur à l'acquéreur par une lettre du maître d'œuvre et que les acquéreurs soutiennent sans être démentis par aucune pièce qu'ils n'ont pas été informés à un moment quelconque d'un différé de livraison dû à la nécessité de modifier les fondations dans les conditions prévues à l'acte précité ;
Attendu que la société appelante ne produit à cet égard aucun document informatif des acquéreurs ;
Attendu que c'est donc à bon droit que le premier juge a écarté toute possibilité de prolongation du délai de livraison, résultant de la nécessité de [minute page 6] réaliser des fondations spéciales, opposable aux consorts X./Y. ;
Attendu que le retard constaté étant de 14 mois le retard indemnisable doit être fixé sur la base de 30 jours calendaires à 407 jours (13 mois et 17 jours) ;
Attendu que l'acte de vente ne prévoit pas de pénalités contractuelles, qu'il appartient aux consorts X./Y. de rapporter la preuve du préjudice résultant de ce retard ;
Attendu que c'est à juste titre que la SCI DU PARC ARZAC fait valoir que le préjudice indemnisable ne peut intégrer les charges locatives dès lors que si l'immeuble avait été livré dans les délais les intimés auraient dû supporter des charges équivalentes voire supérieures ;
Que compte tenu des justifications produites la somme de 8.446,80 € sera allouée à ce titre ;
Attendu que la SCI DU PARC ARZAC ne conteste pas la réalité du préjudice financier invoqué et retenu par le premier juge mais seulement sa réduction pour tenir compte de la seule période d'indemnisation qu'il reconnaît ;
Attendu que la période de 13 mois et 17 jours étant retenue, la somme due à ce titre doit être fixée à 6.725,57 € ;
Attendu que les intimés ont subi un préjudice moral certain du fait des tracasseries et incertitudes liées aux difficultés rencontrées et à la nécessité de rechercher des solutions palliatives de logement ; que la somme de 3.000 € retenue à ce titre par le premier juge sera confirmée ;
Attendu s'agissant de l'indisponibilité du cellier, que les intimés qui réclament une somme supérieure à ce titre soutiennent que le problème d'humidité n'aurait été réglé qu'au mois de juin 2006 ne produisent aucun élément probant à ce titre mais seulement un constat d'huissier du 7 décembre 2005 montrant qu'à cette date le cellier était encore inutilisable compte tenu de l'humidité persistante ;
Attendu que la période d'indemnisation sera prolongée jusqu'au début janvier 2006 soit une période totale de 27 mois et une indemnisation de 1.350 € sur la base de 50 € par mois ;
Attendu qu'il apparaît équitable d'allouer aux intimés la somme complémentaire de 1.000 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
[minute page 7] PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Confirme la décision déférée sauf sur le montant des condamnations prononcées ;
Statuant sur ces points :
Condamne la SCI DU PARC ARZAC à payer aux consorts X./Y. :
- 8.446,80 € au titre des loyers réglés,
- 6.725,75 € au titre des frais financiers,
- 3.000,00 € au titre du préjudice moral,
- 1.350,00 € au titre de l'indisponibilité du cellier,
- 2.500,00 € (1.500 € au titre de la première instance 1.000 € au titre de la procédure d'appel) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
La condamne aux dépens distraits au profit de la SCP SOREL-DESSART-SOREL.
Le présent arrêt a été signé par H. MAS, président et E. KAIM-MARTIN, greffier.
LE GREFFIER : LE PRÉSIDENT :
E. KAIM-MARTIN H. MAS
- 5741 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Effets - Suppression de la clause - Conséquences sur l’issue du litige - Droits et obligations du professionnel
- 5827 - Code de la consommation - Clauses abusives - Nature de la protection - Législation d’ordre public - Conséquences : clauses de renonciation dans le contrat
- 5836 - Code de la consommation - Domaine d’application - Contrat - Forme du contrat
- 6086 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Contenu initial du contrat - Opposabilité des conditions générales - Clauses inconnues du consommateur
- 6493 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Vente d’immeuble à construire (2) - Retards de livraison