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CA LYON (6e ch.), 1er juillet 2021

Nature : Décision
Titre : CA LYON (6e ch.), 1er juillet 2021
Pays : France
Juridiction : Lyon (CA), 6e ch.
Demande : 21/00419
Date : 1/07/2021
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 18/01/2021
Référence bibliographique : 5708 (intérêt pour agir, contrat exécuté), 5730 (procédure, 954 CPC), 9742 (prêt en francs suisses), 6092 (langue du contrat)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 8974

CA LYON (6e ch.), 1er juillet 2021 : RG n° 21/00419 

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « M. X. et Mme Y. soutiennent, pour s'opposer à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de leurs actions, que la clause faisant reposer le risque de change sur l'emprunteur est abusive, de même que la clause de calcul des intérêts sur l'année lombarde.

Le juge de la mise en état a exactement répondu que les demandeurs, aux termes du dispositif de leurs conclusions, ont engagé une action en responsabilité et une action en annulation de la clause d'intérêts sur le fondement des articles 1147 et 1240 du code civil, sans présenter de demande au visa de l'article L. 132-1 du code de la consommation tendant à faire déclarer abusives les clauses litigieuses, ce qui aurait été sans intérêt puisque le prêt est entièrement remboursé. »

2/ « On peut admettre qu'en 2009 les emprunteurs pouvaient encore espérer que l'évolution négative des taux de change était conjoncturelle, d'autant qu'elle était peu significative (le taux de conversion CHF/euro étant passé de 0,63 à 2008 à 0,66 en 2009, ainsi qu'il résulte du tableau joint au courrier de leur conseil du 29 mars 2019.

Mais, dans les années suivantes, ils n'ont pu se méprendre sur l'évolution négative constante (hormis une très légère amélioration en 2013). A tout le moins, au début de l'année 2015, l'évolution négative des taux de change était avérée, le taux de conversion CHF/euro étant passé à 0,83 en 2014.

En conséquence, M. X. et Mme Y. étaient, plus de 5 ans avant la délivrance de l'assignation, parfaitement en mesure de connaître le préjudice allégué et de faire valoir leurs droits. L'ordonnance attaquée est confirmée sur ce point. »

3/ « La jurisprudence rappelle que le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur ou, lorsque tel n'est pas le cas, la date de révélation de celle-ci à l'emprunteur.

En l'espèce, à supposer que le calcul sur la base de 360 jours constitue une erreur à raison d'une incidence défavorable aux emprunteurs, M. X. et Mme Y. pouvait parfaitement constater celle-ci à la seule lecture du contrat. Le juge de la mise en état a exactement retenu que le point de départ de la prescription de l'action des emprunteurs ne saurait être reporté à leur démarche, dépendant de leur seule volonté, de consulter un professionnel sur les incidences de la base de calcul à 360 jours.

Par ailleurs, M. X., qui a signé les documents contractuels sans recours à une traduction en langue anglaise, n'est pas fondé à alléguer d'une prétendue connaissance insuffisante de la langue française, d'autant que sa compagne co-emprunteuse est française.

L'ordonnance du 15 décembre 2020 doit également être confirmée sur la prescription de l'action des demandeurs en nullité de la clause d'intérêts contractuels. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE LYON

SIXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 1er JUILLET 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 21/00419. N° Portalis DBVX-V-B7F-NLIR. Décision du Juge de la mise en état du TJ de LYON, du 15 décembre 2020, R.G. n° 20/02200.

 

APPELANTS :

M. X.

né le [date] à [ville], [adresse], [...], Représenté par Maître Maïthé S. de la SELARL S. AVOCAT, avocat au barreau de LYON, toque : 1548, Assisté de Maître Anne-Sophie R., avocat au barreau de PARIS

Mme Y.

née le [date] à [ville], [adresse], [...], Représentée par Maître Maïthé S. de la SELARL S. AVOCAT, avocat au barreau de LYON, toque : 1548, Assisté de Maître Anne-Sophie R., avocat au barreau de PARIS

 

INTIMÉE :

LA BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES, SA

[...], [...], Représentée par Maître Bertrand DE B. de la SELARL DE B., avocat au barreau de LYON, toque : 654

 

Date de clôture de l'instruction : 10 juin 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 juin 2021

Date de mise à disposition : 1er juillet 2021

Audience tenue par Dominique BOISSELET, président, et Evelyne ALLAIS, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré, assistés pendant les débats de Sylvie GIREL, greffier. A l'audience, Dominique BOISSELET a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré : - Dominique BOISSELET, président, - Evelyne ALLAIS, conseiller, - Magali DELABY, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ; Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Sylvie GIREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                        (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

Le 24 juin 2008, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes (la Banque Populaire) a consenti à M. X. et Mme Y. un prêt d'un montant de 310.000 euros soit 499.720 francs suisses (CHF), pour l'acquisition d'une maison à [ville L.].

Le prêt était remboursable en CHF sur une durée de 300 mois. Il a fait l'objet d'un avenant modificatif du taux d'intérêt en juin 2016 et d'un remboursement anticipé partiel en mars 2016. Le solde du prêt a fait l'objet d'un remboursement anticipé en mai 2017 après revente du bien immobilier.

Par acte d'huissier de justice du 27 janvier 2020, M. X. et Mme Y. ont fait assigner la Banque Populaire à comparaître devant le tribunal judiciaire de Lyon pour, en principal, voir dire que la banque a manqué à son obligation d'information et de conseil concernant les risques liés au taux de change et condamner celle-ci à leur payer la somme de 295.415,12 euros à titre de dommages et intérêts. Ils demandent également l'annulation de la clause de stipulation des intérêts conventionnels du prêt au motif qu'elle se base sur une année de 360 jours.

La Banque Populaire a soulevé l'irrecevabilité de l'action des emprunteurs à raison de sa prescription.

Par ordonnance du 15 décembre 2020, le juge de la mise en état a :

- déclaré l'action de M. X. et Mme Y. irrecevable comme étant prescrite,

- condamné M. X. et Mme Y. à payer à la Banque Populaire la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. X. et Mme Y. aux dépens.

M. X. et Mme Y. ont relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 18 janvier 2021.

Par ordonnance du 21 janvier 2021, le président de la chambre, faisant application des dispositions des articles 905 du code de procédure civile, a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 10 juin 2021 à 13h30.

[*]

En leurs dernières conclusions du 17 mai 2021, M. X. et Mme Y. demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état de Lyon en date du 15 décembre 2020 et, statuant à nouveau,

- recevoir M. X. et Mme Y. en leurs demandes et les dire bien fondées,

- débouter la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- juger que l'action de M. X. et Mme Y. n'est pas prescrite,

sur le fond,

Vu l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil),

- juger que la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes a manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de M. X. et Mme Y. concernant les risques liés au taux de change,

- condamner la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 295.415,12 euros à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Vu l'article 1147 du code civil (nouvel article 1231-1 du code civil),

- constater que la clause de calcul des intérêts conventionnels est dite lombarde et se base sur une année de 360 jours,

en conséquence,

- prononcer la nullité de la clause de stipulation d'intérêts du prêt litigieux,

en tout état de cause,

- condamner la société Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes à payer à M. X. et Mme Y. la somme de 6.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

- « prononcer l'exécution provisoire du jugement à intervenir » (sic).

[*]

Par dernières conclusions du 20 mai 2021, la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes demande à la Cour de statuer comme suit, au visa des articles 122 et 789 du code de procédure civile, 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon en date du 15 décembre 2020 en ce qu'il a décidé de déclarer l'action de M. X. et Mme Y. irrecevable comme étant prescrite,

en tant que de besoin,

- juger que l'action en justice de M. X. et Mme Y. est prescrite,

- débouter en conséquence M. X. et Mme Y. de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- condamner M. X. et Mme Y. à payer à la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

[*]

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre préliminaire, la Cour observe qu'en dépit des observations de l'intimé, les appelants persistent à développer inutilement leurs prétentions au fond dans le cadre de la présente procédure, pour laquelle la Cour n'est saisie que de l'appel portant sur la fin de non-recevoir de prescription.

 

Concernant l'imprescribilité des clauses abusives :

M. X. et Mme Y. soutiennent, pour s'opposer à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de leurs actions, que la clause faisant reposer le risque de change sur l'emprunteur est abusive, de même que la clause de calcul des intérêts sur l'année lombarde.

Le juge de la mise en état a exactement répondu que les demandeurs, aux termes du dispositif de leurs conclusions, ont engagé une action en responsabilité et une action en annulation de la clause d'intérêts sur le fondement des articles 1147 et 1240 du code civil, sans présenter de demande au visa de l'article L. 132-1 du code de la consommation tendant à faire déclarer abusives les clauses litigieuses, ce qui aurait été sans intérêt puisque le prêt est entièrement remboursé.

 

Concernant l'action en responsabilité bancaire :

L'article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le juge de la mise en état a exactement rappelé qu'en matière de responsabilité du prêteur pour manquement à son obligation d'information et de conseil concernant les risques liés au taux de change, la prescription a commencé à courir à la date à laquelle le dommage s'est manifesté.

Le juge a ensuite relevé qu'il ressort de l'annexe au courrier du conseil des emprunteurs adressé à la banque le 29 mars 2019 que le taux de change euro/CHF a constamment évolué en défaveur des emprunteurs dès l'année 2009 et qu'ils ne pouvaient pas l'ignorer, le taux de change étant une information publique faisant l'objet de publications journalières.

Estimant qu'il appartenait aux emprunteurs de se tenir informés du cours du CHF, le juge a dit qu'ils étaient en mesure de constater leur préjudice dès 2009 et en a déduit que la prescription est acquise depuis 2014.

Les appelants soutiennent que c'est à tort que le premier juge a considéré qu'ils devaient s'informer de l'évolution des taux de change dès l'année 2009 et prétendent c'est à partir de la survenance de difficultés de paiement que les emprunteurs prennent connaissance de leur préjudice. Dans leur cas précis, ils estiment que ce n'est qu'à la conclusion de l'avenant de 2016 qu'ils se sont pleinement aperçus de l'étendue de leur préjudice.

La Cour observe que M. X. et Mme Y. reconnaissent néanmoins dans leurs écritures qu'ils avaient conscience de longue date du problème posé par l'évolution défavorable du taux de change puisqu'ils indiquent qu'avant cet avenant, ils se sont tournés vers la banque « à maintes reprises afin de négocier cet emprunt mais elle est restée sourde à leur demande pendant longtemps. »

La Banque Populaire fait valoir, sans être contredite, que M. X. travaillait en Suisse et était rémunéré en CHF. Elle ajoute que les emprunteurs ont fait un apport en CHF au moment de l'acquisition. Qui plus est, ils ont souscrit un nouvel emprunt en CHF en 2016 et fait encore un apport en CHF.

Il s'en déduit que M. X., qui résidait comme Mme Y. en Haute Savoie à proximité de la frontière suisse, ne pouvait méconnaître l'évolution des taux de change quand bien même, comme il le prétend, il ne lisait pas les journaux.

Au surplus, on ne voit pas en quoi la signature de l'avenant a pu porter à la connaissance des emprunteurs les effets concrets de l'indexation du contrat sur le taux de change alors que cet avenant était précisément destiné à amoindrir, par une baisse du taux d'intérêt nominal de 4,25 à 1,8 %, les conséquences négatives de l'évolution du taux de change connues des parties.

On peut admettre qu'en 2009 les emprunteurs pouvaient encore espérer que l'évolution négative des taux de change était conjoncturelle, d'autant qu'elle était peu significative (le taux de conversion CHF/euro étant passé de 0,63 à 2008 à 0,66 en 2009, ainsi qu'il résulte du tableau joint au courrier de leur conseil du 29 mars 2019.

Mais, dans les années suivantes, ils n'ont pu se méprendre sur l'évolution négative constante (hormis une très légère amélioration en 2013). A tout le moins, au début de l'année 2015, l'évolution négative des taux de change était avérée, le taux de conversion CHF/euro étant passé à 0,83 en 2014.

En conséquence, M. X. et Mme Y. étaient, plus de 5 ans avant la délivrance de l'assignation, parfaitement en mesure de connaître le préjudice allégué et de faire valoir leurs droits. L'ordonnance attaquée est confirmée sur ce point.

 

Sur l'action en nullité de la clause d'intérêts contractuels :

M. X. et Mme Y. font valoir qu'étant des emprunteurs profanes, ils n'étaient pas en mesure de se convaincre par eux-mêmes des erreurs affectant le taux effectif global de l'offre de crédit, le taux étant calculé sur l'année « lombarde » de 360 jours.

Le juge de la mise en état a dit que ce point pouvait être constaté à la lecture de l'offre par un emprunteur normalement diligent, dès lors que la mention du calcul des intérêts sur la base de 360 jours figure dans l'acte de prêt, en page 2 des conditions particulières.

S'il admet que les incidences concrètes de cette clause ne sont pas perceptibles sans analyse mathématique, elle permet a minima au consommateur de déceler l'anomalie et agir en justice ou consulter un avocat. Il ajoute qu'il serait contraire au principe et aux objectifs de la prescription de retenir un élément subjectif comme la date à laquelle les emprunteurs ont décidé de consulter un avocat pour servir de point de départ au délai de prescription.

En l'espèce, il est stipulé dans les conditions particulières de l'offre de prêt, de manière parfaitement claire et lisible, que « les intérêts sont décomptés à chaque échéance avec calcul une base de 360 jours et à terme échu ».

La jurisprudence rappelle que le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur ou, lorsque tel n'est pas le cas, la date de révélation de celle-ci à l'emprunteur.

En l'espèce, à supposer que le calcul sur la base de 360 jours constitue une erreur à raison d'une incidence défavorable aux emprunteurs, M. X. et Mme Y. pouvait parfaitement constater celle-ci à la seule lecture du contrat. Le juge de la mise en état a exactement retenu que le point de départ de la prescription de l'action des emprunteurs ne saurait être reporté à leur démarche, dépendant de leur seule volonté, de consulter un professionnel sur les incidences de la base de calcul à 360 jours.

Par ailleurs, M. X., qui a signé les documents contractuels sans recours à une traduction en langue anglaise, n'est pas fondé à alléguer d'une prétendue connaissance insuffisante de la langue française, d'autant que sa compagne co-emprunteuse est française.

L'ordonnance du 15 décembre 2020 doit également être confirmée sur la prescription de l'action des demandeurs en nullité de la clause d'intérêts contractuels.

 

Sur les autres demandes :

M. X. et Mme Y., parties perdantes, supportent les dépens d'appel, conservent la charge des frais irrépétibles qu'ils ont exposés et doivent indemniser la Banque Populaire de ses propres frais à concurrence de 2.200 euros en sus de l'indemnité allouée par le premier juge.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 15 décembre 2020 par le juge de la mise en état de la 4ème chambre du tribunal judiciaire de Lyon,

Condamne in solidum M. X. et Mme Y. aux dépens d'appel,

Condamne in solidum M. X. et Mme Y. à payer à la SA Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 2.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT