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CA COLMAR (1re ch. civ. A), 27 septembre 2021

Nature : Décision
Titre : CA COLMAR (1re ch. civ. A), 27 septembre 2021
Pays : France
Juridiction : Colmar (CA), 1re ch. civ. sect. A
Demande : 19/02860
Date : 27/09/2021
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 19/06/2019
Décision antérieure : CASS. CIV. 1re, 28 juin 2023
Référence bibliographique : 9742 (prêt en francs suisses), 5705 (imprescriptibilité de l’action), 5721 (L. 212-1, obligation de relever d’office), 6016 (clauses définissant l’objet principal, relevé d’office), 5734 (clause réputée non écrite)
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9155

CA COLMAR (1re ch. civ. A), 27 septembre 2021 : RG n° 19/02860 ; arrêt n° 498/21

Publication : Jurica

 

Extraits : 1/ « Cela étant, il convient de remarquer que la demande formée à ce titre par les époux X. tend à voir réputées non écrites des clauses arguées d'être abusives. Ainsi, outre qu'elle ne s'analyse pas comme une demande en nullité, ce qui n'est, du reste, pas contesté par la banque, cette prétention, qui ne vise qu'à voir constater le caractère abusif de la clause litigieuse, et non, en elle-même, à la restitution de sommes indûment versées sur le fondement de telles clauses, à les supposer abusives, n'est pas soumise à la prescription quinquennale. C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu la demande formée par les époux X. tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses 5.3 et 10.5 des offres de prêt était recevable, le jugement dont appel devant ainsi également être confirmé de ce chef. »

2/ « Il en ressort que les consorts X., même s'ils ne disposaient pas eux-mêmes de liens avec la Suisse ou de ressources en devises, n'établissent pas, comme cela leur revient, qu'ils auraient pu, au moment de la conclusion du prêt, légitimement ignorer le risque de préjudice qu'ils invoquent au titre d'un manquement de la banque à son devoir d'information. En tout état de cause, dès lors que les échéances d'intérêt, dont le montant était conséquent, étaient constantes et remboursables en francs suisses, les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement des échéances trimestrielles s'est nécessairement manifestée dès l'année 2009, la cour observant, au vu des éléments dont elle dispose, qu'en janvier 2011, la parité par rapport au mois d'octobre 2009 avait connu une dégradation significative. En conséquence, il convient de retenir, en confirmation de la décision entreprise, que c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la demande des consorts X. au titre d'un manquement de la banque à son devoir d'information était prescrite. »

3/ « Les consorts X. entendent que les articles 4.3 et 10.5 des conditions particulières des deux contrats de prêt en cause, faisant référence au franc suisse, soient déclarées abusives et, en conséquence, réputées non écrites. À ce titre, ils affirment que la jurisprudence a reconnu que les clauses contractuelles faisant peser le risque de change exclusivement sur les emprunteurs étaient abusives, pour en déduire qu'en l'espèce, les clauses visant le franc suisse créeraient nécessairement un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.

Cela étant, la banque entend, pour sa part, faire valoir qu'en vertu des dispositions, rappelées précédemment, du code de la consommation, l'examen du caractère éventuellement abusif d'une clause ne peut porter sur la définition de l'objet principal du contrat, ce qui serait le cas de la clause faisant référence au franc suisse et prévoyant le coût du crédit, de sorte qu'elle échapperait au contrôle du caractère abusif.

À cet égard, la cour observe que, s'il appartient en effet au juge, soit d'office soit lorsque cela lui est demandé, d'examiner l'éventuel caractère abusif d'une clause contractuelle, il ne peut cependant pas le faire, ainsi que le souligne à raison la société CCM Europe, lorsque cette clause porte sur la définition de l'objet principal du contrat et est rédigée de manière claire et compréhensible.

Or, sur cette question, la cour estime que le premier juge, qui, procédant à une analyse détaillée de chacune des clauses litigieuses, a, en substance, retenu qu'elles caractérisaient un élément essentiel des prêts et relevaient donc de l'objet principal de ceux-ci, et qu'elles étaient rédigées en des termes clairs et compréhensibles, dénués d'ambiguïté ou de contradiction, a, par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'approuver, fait une juste appréciation des faits de la cause et des droits des parties, sans que ni l'argumentation, ni les éléments versés à hauteur d'appel ne soient de nature à remettre en cause cette appréciation. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE COLMAR

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE - SECTION A

ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 1 A 19/02860. Arrêt n° 498/21. N° Portalis DBVW-V-B7D-HDXY. Décision déférée à la Cour : 14 mai 2019 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MULHOUSE.

 

APPELANTS - INTIMÉS INCIDEMMENT :

Monsieur X.

[...], [...]

Madame Y. épouse X.

[...], [...]

Représentés par Maître Céline R., avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître J., avocat au barreau de PARIS

 

INTIMÉE - APPELANTE INCIDEMMENT :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE

prise en la personne de son représentant légal [...], [...], Représentée par Maître Laurence F., avocat à la Cour, Avocat plaidant : Maître L., avocat au barreau de STRASBOURG

 

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 22 mars 2021, en audience publique, devant la Cour composée de : Mme PANETTA, Présidente de chambre, M. ROUBLOT, Conseiller, entendu en son rapport, Mme ROBERT-NICOUD, Conseiller, qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE

ARRÊT : - Contradictoire - rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. X. et Mme Y., épouse X., ci-après également dénommés « les époux X. » ou « les consorts X. », ont souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel (CCM) Europe, ci-après également « le Crédit Mutuel » ou « la banque », deux prêts immobiliers :

- un premier prêt suivant offre de prêt émise le 4 juin 2004, destiné à financer la construction d'une maison individuelle à [ville T.], d'un montant de 366.000 CHF, et remboursable in fine moyennant une échéance unique en capital de 366.000 CHF payable le 31 juillet 2017 et des intérêts et cotisations d'assurance payables mensuellement moyennant un taux d'intérêt de 2,160 % l'an, indexé sur l'indice Libor 3 Mois ; le taux effectif global (TEG) annoncé dans l'offre de prêt est de 2,747 % l'an ; ce prêt a fait l'objet d'un avenant suivant offre émise le 20 mars 2007, portant le taux d'intérêt à 3,720 % l'an, indexé sur I'indice Libor 3 Mois, l'échéance unique en capital à verser étant ramenée à un montant de 353.000 CHF, et le TEG annoncé de 4,142 % l'an ;

- un second prêt suivant offre de prêt émise le 21 octobre 2004, destiné à financer l'achat d'un appartement situé à [ville S.], d'un montant de 255.000 CHF, et remboursable in fine moyennant une échéance unique en capital payable le 31 octobre 2016 et des intérêts et cotisations d'assurance payables annuellement moyennant un taux d'intérêt de 2,250 % l'an, indexé sur l'indice Libor 3 Mois, le taux effectif global (TEG) annoncé dans l'offre de prêt étant de 2,799 % l'an ; ce prêt a fait l'objet d'un avenant suivant offre émise le 20 mars 2007, portant le taux d'intérêt stipulé à 3,720 % l'an (le TEG étant annoncé à 4,144 %), indexé sur l'indice Libor 3 Mois, et ramenant l'échéance unique en capital à 237 725 CHF.

Les remboursements des deux prêts étaient chacun garantis, notamment, par la mise en gage, au profit de la banque, d'un contrat d'assurance-vie souscrit par M. X.

Suivant assignation délivrée le 26 avril 2016, les consorts X. ont fait attraire la banque devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, mettant notamment en cause la responsabilité de la banque et les stipulations des contrats relatives au TEG.

Par jugement rendu le 14 mai 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- dit que l'action en nullité de la stipulation prévoyant un remboursement en francs suisses, formée par M. X. et Mme Y. épouse X., était irrecevable pour être prescrite,

- en conséquence, rejeté la demande de condamnation du Crédit Mutuel Europe à recalculer depuis l'origine, les écrits en euros ;

- dit que l'action en responsabilité formée par M. X. et Mme Y. épouse X. au titre de manquements du Crédit Mutuel Europe aux obligations d'information et de mise en garde, était irrecevable pour être prescrite,

- dit que l'action indemnitaire à hauteur de 30.000 euros était irrecevable pour être prescrite,

- dit que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts contractuels, formée par M. X. et Mme Y. épouse X. au titre de l'absence de mention du taux de période dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004, était irrecevable pour être prescrite,

- dit que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels, formée par M. X. et Mme Y. épouse X., au titre d'irrégularités affectant le taux effectif global affiché dans les offres de prêt, était irrecevable pour être prescrite, sauf en ce qui concerne l'irrégularité tenant en la prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt pour le calcul du taux effectif global annoncé dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004,

- rejeté l'action en déchéance du droit du Crédit Mutuel aux intérêts stipulés dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004, faute pour M. X. et Mme Y. épouse X. de démontrer l'erreur affectant le calcul du taux effectif global affiché,

- dit que l'action en nullité de la clause d'indexation formée à titre principal par M. X. et Mme Y. épouse X. était irrecevable pour être prescrite,

- dit que l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels formée à titre subsidiaire par M. X. et Mme Y. épouse X., au titre de la clause d'indexation, était irrecevable pour être prescrite,

- dit que les règles relatives à la prescription n'avaient pas vocation à s'appliquer à une demande tendant à voir des stipulations d'offres de prêt, réputées non écrites au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation ;

- rejeté la demande formée par M. X. et Mme Y. épouse X. tendant à voir réputées non écrites les clauses 5.3 et 10.5 incluses dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004,

- rejeté en conséquence, la demande formée par M. X. et Mme Y. épouse X., tendant à voir juger que l'ensemble des paiements intervenus depuis l'origine des remboursements était réputé être intervenu en euros et à ce qu'il soit ordonné au Crédit Mutuel Europe de recalculer les paiements sur ces bases,

- dit que l'action formée par M. X. et Mme Y., épouse X., relative à la non-indexation du taux d'intérêt selon l'indice Libor tel que stipulé dans les offres de prêt émises le 4 juin 2004 et le 21 octobre 2004, n'était pas prescrite et donc recevable,

- rejeté, en l'absence de justificatifs, la demande de condamnation du Crédit Mutuel Europe à appliquer aux prêts litigieux le taux d'intérêts indexé sur l'évolution du Libor CHF Trois Mois et à restituer aux demandeurs les sommes reçues excédant le jeu négatif de l'index,

- rejeté la demande tendant à voir ordonner au Crédit Mutuel Europe le coût des périodes de différé,

- rejeté la demande de substitution du taux de l'intérêt légal au taux d'intérêt contractuel,

- rejeté la demande tendant à voir ordonner la réouverture des débats avec injonction au Crédit Mutuel Europe de produire pour chacun des contrats de crédit, un tableau d'amortissement des crédits accordés rémunérés au taux de l'intérêt légal en vigueur à la date de la décision à intervenir, et sur la base du capital emprunté en euros selon la contre-valeur euro/CHF à la date du 20 mars 2007, soit 218 942 euros pour l'offre/avenant au prêt N°203361 001 50 et 147 444 euros pour l'offre/avenant au prêt N°203361 002 51,

- rejeté la demande tendant à la condamnation du Crédit Mutuel a verser à M. X. et à Mme Y. épouse X., le trop-perçu résultant de la différence entre les sommes payées en euros par les emprunteurs pour honorer le paiement en euros des intérêts calculés en francs suisses en application des taux contractuels de l'offre/avenant au prêt immobilier n°203361 001 50 et de l'offre/avenant au prêt immobilier n°203361 002 51, et les sommes qu'ils auraient dû verser par application du taux d'intérêt légal en vigueur à la date de la décision à intervenir,

- rejeté la demande tendant à la condamnation du Crédit Mutuel Europe à verser à M. X. et à Mme Y., épouse X. le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements effectués en euros par les emprunteurs pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF,

- rejeté la demande tendant à fixer la somme à restituer au titre de l'offre/avenant du prêt N°203361 001 50 (Lotissement [ville T.]) au 31 juillet 2017 à hauteur de 218.942 euros, en substitution du montant de 353.000 CHF prévu par le contrat litigieux et au titre du prêt N°203361 002 51 (Résidence [ville S.]) au 31 octobre 2016 à hauteur de 147.444 euros, en substitution du montant de 237 725 CHF prévu par le contrat litigieux,

- condamné in solidum M. X. et Mme Y., épouse X. à payer au Crédit Mutuel Europe la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formée par M. X. et Mme Y., épouse X. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum M. X. et Mme Y. épouse X. aux dépens,

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

Le premier juge a, ainsi, notamment retenu que :

- l'action en déclaration de clauses réputées non écrites, ne s'analysant pas en une demande en nullité, et donc non soumise à la prescription quinquennale, était recevable,

- l'action relative à la non-indexation du taux d'intérêt selon l'indice Libor stipulé au contrat, tendant à l'application de dispositions contractuelles, n'était pas prescrite,

- l'action en nullité de la stipulation prévoyant un remboursement en francs suisses, relevant de la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce, dont le délai courait à compter de l'acceptation des prêts, les époux X. ne pouvant ignorer l'existence de cette clause à la lecture des offres, était prescrite,

- l'action en responsabilité du Crédit Mutuel, au titre de laquelle n'était envisagée au dispositif qu'une omission de mise en garde au titre d'une obligation générale d'information, était prescrite, dès lors que les époux X. étaient en mesure d'apprécier les conséquences de l'éventuel manquement de la banque à son devoir d'information ou de mise en garde, dès l'acceptation des offres de prêt, et au plus tard, au moment de l'acceptation des avenants,

- l'action en déchéance du droit aux intérêts au titre d'irrégularités affectant le TEG, quant à l'absence de mention du taux de période et de prise en compte du coût du différé d'amortissement du capital, décelables à la seule lecture de l'offre de prêt, était prescrite, sauf du chef de l'irrégularité portant sur la prise en compte du coût de l'amortissement in 'ne du prêt dans l'offre de prêt du 21 octobre 2004, le délai de prescription quinquennale n'ayant débuté qu'en avril 2016,

- l'action « en annulation des dispositions ayant mis à la charge de l'emprunteur un intérêt contractuel contenu dans l'offre de crédit », ne paraissant se rattacher à aucun autre moyen que celui tendant à la nullité de la clause d'indexation, relevant de la prescription décennale, puis quinquennale de l'article L. 110-4 précité, était prescrite, l'emprunteur ne pouvant ignorer l'existence de la clause d'indexation litigieuse, dont la rédaction était claire, précise et non équivoque, dès la lecture de l'offre de prêt,

- l'action subsidiaire en déchéance des intérêts depuis l'origine de l'amortissement, venant à la suite de la précédente et dont il a donc été retenu qu'elle visait la clause d'indexation, était également prescrite, le point de départ de la prescription étant identique à celui de l'action précédente,

- l'action indemnitaire à hauteur de 30.000 euros ('dommages et intérêts complémentaires'), visant à obtenir réparation du préjudice moral en suite des manquements allégués du Crédit Mutuel à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde, était prescrite, alors qu'il avait déjà été retenu que l'action en responsabilité du chef de ces manquements était prescrite depuis le 19 juin 2013,

- sur le caractère abusif des clauses de change, qui caractérisent un élément essentiel des prêts, dont il a été procédé à l'analyse et retenu qu'elles étaient rédigées de manière claire et intelligible et ne comportaient pas de contradiction, il n'y avait donc lieu à procéder au contrôle de ce caractère abusif, aucun déséquilibre significatif n'étant, au demeurant, caractérisé au détriment des époux X.,

- sur l'application de l'index Libor 3 Mois, les demandeurs ne produisaient aucun élément permettant de caractériser le manquement du Crédit Mutuel au respect des dispositions contractuelles, et le cas échéant, à partir de quelle date et dans quelle proportion,

- sur la prétendue non prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt de 255.000 CHF dans le calcul du TEG affiché dans l'offre de crédit, au regard des dispositions de l'offre de prêt l'amortissement in fine du seul capital ne pouvait être assimilé à une période de différé d'amortissement et, encore moins, à une période de franchise puisque des intérêts étaient versés dès le premier déblocage des fonds, aucune phase de préfinancement n'étant contractuellement prévue, la reconstruction d'un échelonnement de l'amortissement de la créance étant ainsi artificielle, en l'absence de surcroît d'explication sur le détail du raisonnement des emprunteurs, aucune erreur dans le calcul du TEG n'étant ainsi démontrée,

- les demandes annexes liées aux actions en nullité, aux actions en déchéance du droit aux intérêts, aux actions en responsabilité et à l'action fondée sur l'article L. 132-1 du code de la consommation, devenues sans objet, devaient également être rejetées.

[*]

M. X. et Mme Y., épouse X., ont interjeté appel de cette décision par déclaration déposée le 19 juin 2019.

Dans leurs dernières conclusions en date du 12 décembre 2019, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, ils demandent à la cour de :

* INFIRMER la décision du Tribunal de Grande instance de MULHOUSE du 14 mai 2019 sauf en ce qu'elle a déclaré recevable l'action relative au caractère non écrit des clauses abusives et à la non-indexation du taux d'intérêt selon l'indice LIBOR ;

EN STATUANT A NOUVEAU :

RECEVOIR Monsieur et Madame X. en leurs demandes et les dire bien fondées ;

DÉBOUTER la société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, y compris de son appel incident ;

DÉBOUTER la société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE de sa demande reconventionnelle ;

- Vu les articles 1178 et suivants du Code civil,

* DÉCLARER les contrats de prêt souscrit auprès de la société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE contraire à l'ordre public économique ;

EN CONSEQUENCE

DÉCLARER les contrats de prêts litigieux nul et non avenus,

CONSTATER que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,

ORDONNER la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,

CONSTATER leur compensation à due concurrence ;

- Vu l'article L. 212-1 du Code de la consommation,

* DÉCLARER abusive la clause d'indexation du contrat de prêt conclu avec la société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE

EN CONSEQUENCE

DÉCLARER ladite clause nulle et non écrite ;

- Vu l'article 1382 du Code civil (nouvel article 1240 du Code civil),

* DIRE ET JUGER que la société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE a manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de Monsieur et Madame X. ;

* CONDAMNER la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE à verser aux époux X. le surcoût engendré par l'effet de change Euro/CHF lors des versements

effectués en euros par les emprunteurs pour honorer les échéances d'intérêts libellées en CHF.

* CANTONNER le montant du capital du prêt in fine à restituer :

o Au titre de l'offre/avenant du prêt n°203361-001-50 (Lotissement [ville T.]) au 31/07/2017 à 218.942,00 €, en substitution du montant de 353.000,00 C.H.F. prévu par le contrat litigieux.

o Au titre du prêt n°203361-002-51 (Résidence [ville S.]) au 31/10/2016 à 147.444,00 €, en substitution du montant de 237.725,00 CHF prévu par le contrat litigieux.

- Vu l'article R 313-3 du Code de la consommation,

* DIRE ET JUGER que les deux offres de crédit adressées à Monsieur et Madame X. méconnaissent formellement les exigences issues de dispositions de l'article R313-3 du Code de la Consommation en ce qu'elles n'indiquent aucun taux de période ;

* DIRE, ET JUGER que les TEG mentionnés pour les offres du 4 juin et 21 octobre 2004 émises par la CAISSE DE CRÉDIT MUTUELLE MULHOUSE EUROPE, et portés à la connaissance des emprunteurs est erroné ;

* ORDONNER la déchéance totale du droit aux intérêts de ces contrats de crédits ;

* ORDONNER en conséquence la substitution des taux de l'intérêt légal applicable aux taux contractuels ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

* CONDAMNER la société CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL MULHOUSE EUROPE à

payer à Monsieur et Madame X. la somme de 6.000,00 ' par application des dispositions de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens.'

À l'appui de leurs prétentions, ils entendent, notamment, invoquer :

- l'absence de prescription de leurs demandes, s'agissant, pour l'action en nullité et l'action en responsabilité, de crédits in fine pour lesquels le point de départ de la prescription se situe au jour du remboursement du prêt, en l'absence de réalisation de dommage au préalable, tandis que la demande relative aux clauses abusives serait imprescriptible, et que le point de départ de l'action fondée sur l'erreur de TEG courrait à la date à laquelle ils auraient pu se convaincre de cette erreur,

- sur le fond, la nullité des prêts proposés, et plus particulièrement de la clause de remboursement, comme contraire à l'ordre public économique, le cours légal de la monnaie imposant, en l'absence d'élément d'extranéité, à tout créancier d'une somme d'argent d'en recevoir paiement au moyen d'instruments monétaires libellés dans la monnaie du territoire,

- le caractère abusif de la clause faisant peser le risque de change sur l'emprunteur, créant un déséquilibre significatif entre les parties,

- le manquement de la banque à son devoir d'information en les incitant à souscrire un emprunt en devises, sans établir, comme cela lui incombe, leur avoir fourni, en tant que profanes, une information préalable équilibrée sur les avantages et risques de cette opération, en attirant leur attention de manière claire et précise sur leurs incidences,

- le manquement de la banque à son devoir de conseil, en finançant un investissement surévalué et en faisant souscrire aux concluants un emprunt inadapté à leur situation sans lien avec la Suisse impliquant l'octroi d'un prêt en euros, et particulièrement risqué, s'agissant d'un prêt in fine,

- la violation des engagements contractuels de la banque relatifs à l'application du Libor au taux négatif et au TEG, faute d'intégration du coût du différé d'amortissement, impliquant l'annulation des intérêts au taux contractuel et leur substitution par celui de l'intérêt légal,

- un préjudice impliquant la réparation intégrale de la perte de chance subie, et d'ordonner la conversion du capital emprunté en euros, de compenser la différence entre le capital restant dû, et celui qui aurait dû l'être en mettant à la charge de la banque la différence entre ces deux sommes.

[*]

La Caisse de Crédit Mutuel Europe s'est constituée intimée le 1er juillet 2019.

Dans ses dernières écritures déposées le 8 décembre 2020, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, elle conclut à la confirmation de la décision entreprise sous réserve de l'appel incident, au titre duquel elle sollicite l'infirmation de la décision en ce qu'elle a rejeté l'exception de prescription concernant certains griefs relatifs aux TEG et concernant le grief de clause abusive, pour s'entendre dire que toutes les demandes adverses sont prescrites et donc irrecevables, outre condamnation des appelants aux dépens et au paiement, à son profit, d'une indemnité de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour sa part, elle invoque, notamment :

- la prescription des demandes adverses, quel que soit leur fondement, soumises à la prescription quinquennale à compter de la souscription des prêts, s'agissant d'une action à titre principale, reposant sur des clauses ou des erreurs apparentes ou des manquements supposément préalables à la conclusion des prêts,

- l'absence de nullité des contrats, le franc suisse étant monnaie de compte et non de paiement obligatoire, et les clauses en cause étant claires,

- l'absence de caractère abusif de la clause d'indexation, constituant l'objet des prêts, rédigée de manière claire et compréhensible, en l'absence, par ailleurs, de tout manquement à l'obligation de bonne foi, et de déséquilibre significatif résultant du seul libellé de la dette en francs suisses, impliquant un risque bilatéral et un avantage pour l'emprunteur en termes de taux d'intérêt,

- le défaut de manquement à l'obligation d'information et de conseil, les demandes de prêt ayant été présentées en francs suisses et l'attention des emprunteurs, parfaitement en mesure de comprendre les termes de l'opération, attirée sur les risques de change, alors que la banque n'avait qu'un rôle de dispensateur de crédit et aucune obligation de conseil quant au choix d'investissement, en l'absence, par ailleurs, d'application des dispositions relatives aux prestataires de service d'investissements, et qu'aucune perte de chance n'est établie à hauteur de la perte de change,

- l'absence de demande présentée au titre de l'indexation du taux d'intérêt, pour laquelle la différence a été remboursée,

- l'absence d'inexactitude des TEG, la pertinence de l'argumentation adverse reposant sur un surcoût lié au différé d'amortissement étant critiquée,

- l'absence de démonstration, par les appelants, du préjudice qu'ils auraient subi, en l'absence de preuve de la chance perdue au titre de l'action en dommages-intérêts, et de préjudice démontré comme il se doit en matière d'erreur sur le calcul des taux ou le TEG.

[*]

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs dernières conclusions respectives.

La clôture de la procédure a été prononcée le 17 février 2021, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 22 mars 2021.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS :

La cour observe, au préalable, que si les appelants l'entendent voir réformer le jugement entrepris, y compris en ce qu'il n'a pas été fait droit à leurs demandes initiales, ils soutiennent, à hauteur d'appel, les prétentions tendant aux fins suivantes :

- la nullité des contrats de prêt comme contraires à l'ordre public économique,

- le caractère abusif, et partant, réputé non écrit, de la clause d'indexation,

- la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation d'information et de conseil,

- la déchéance du droit aux intérêts pour absence d'indication du taux de période et erreur dans les TEG mentionnés, à défaut d'intégration du coût du différé d'amortissement.

S'il apparaît que les consorts X. invoquent, dans le corps de leurs écritures, la violation des engagements contractuels de la banque relativement à l'application du LIBOR au taux négatif, il convient de constater qu'aucune demande tendant à ladite application n'est formulée par les appelants, lesquels indiquent que le Crédit Mutuel a accepté de régulariser la situation, ce qui commande de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

 

Sur la prescription :

Sur la prescription de l'action en nullité des contrats :

Il convient de rappeler que les appelants demandent, à ce titre, à la cour, de déclarer nulle la clause d'indexation 'du contrat de prêt' conclu avec la banque, étant précisé que leur critique s'étend aux deux prêts en cause. S'agissant de la clause d'un acte mixte, à savoir un prêt souscrit par un non-commerçant auprès d'un établissement bancaire, c'est à bon droit que le premier juge a retenu l'application de l'article L. 110-4 du code de commerce, l'action en cause n'étant pas soumise à une durée de prescription plus courte, comme visant une nullité absolue, soumise à la prescription trentenaire, puis à compter de la loi du 17 juin 2008, à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil.

Or, si les consorts X. entendent faire valoir qu'ils n'étaient pas à même, avant le remboursement de l'échéance de chacun des prêts in fine de connaître les faits leur permettant d'agir de manière effective et efficace en nullité de ces prêts, il résulte, cependant des termes mêmes des offres de prêts, puis des avenants reprenant ces clauses, que le remboursement des prêts litigieux était stipulé en devises, en l'espèce en francs suisses, avec la possibilité de se libérer en euros, et ce sans équivoque, de sorte que les appelants étaient à même, à la seule lecture du contrat, d'appréhender les faits leur permettant d'agir.

En conséquence, sur cette question, la cour estime que le premier juge a, par des motifs pertinents qu'il convient d'approuver, fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties, le jugement entrepris devant ainsi être confirmé en ce qu'il a déclaré ce chef de demande prescrit.

 

Sur la prescription de l'action en déclaration de clauses réputées non écrites :

Les époux X. sollicitent, sur le fondement de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du code de la consommation, que les clauses contractuelles faisant référence au franc suisse, au sein des deux contrats de prêt en cause, soient déclarées abusives et en conséquence réputées non écrites.

La banque leur oppose, comme en première instance, la prescription de leur demande, arguant de ce que, s'agissant d'une clause convenue et exécutée, ne serait pas en cause un moyen de défense au fond, que le défendeur à l'action peut opposer au demandeur sans limite de temps, mais une demande, fût-elle fondée sur le moyen de défense imprescriptible, qui serait au contraire prescriptible.

Cela étant, il convient de remarquer que la demande formée à ce titre par les époux X. tend à voir réputées non écrites des clauses arguées d'être abusives. Ainsi, outre qu'elle ne s'analyse pas comme une demande en nullité, ce qui n'est, du reste, pas contesté par la banque, cette prétention, qui ne vise qu'à voir constater le caractère abusif de la clause litigieuse, et non, en elle-même, à la restitution de sommes indûment versées sur le fondement de telles clauses, à les supposer abusives, n'est pas soumise à la prescription quinquennale.

C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu la demande formée par les époux X. tendant à faire reconnaître le caractère abusif des clauses 5.3 et 10.5 des offres de prêt était recevable, le jugement dont appel devant ainsi également être confirmé de ce chef.

 

Sur la prescription de l'action en responsabilité de la banque pour manquement à son obligation d'information et de conseil :

Les époux X. entendent mettre en cause des manquements de la CCM Europe à ses obligations d'information et de conseil et de mise en garde, ce à quoi l'intimée oppose, approuvant sur ce point le premier juge, la prescription de la demande, portant sur une obligation précontractuelle, au titre de laquelle le délai de prescription courrait à compter de la conclusion du contrat, la faute et le dommage étant réalisés dès ce moment. Les appelants entendent, à cet égard, objecter que, lors de la conclusion des contrats, ils ne pouvaient avoir conscience de leur préjudice puisque celui-ci ne s'était pas encore réalisé, ce qui n'aurait été le cas qu'à la date des dernières échéances des prêts in fine.

Sur ce, il convient de rappeler que le dommage résultant d'un manquement du banquier à son obligation d'information, de mise en garde ou de conseil, qui consiste en une perte de chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé, se manifeste à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Or, ainsi que cela a déjà été relevé sous l'angle de l'examen de la recevabilité de la demande en nullité, l'offre de prêt faisait apparaître de manière nette et sans ambiguïté que le montant emprunté était libellé en francs suisses, monnaie dans laquelle devaient s'effectuer les remboursements, sauf la possibilité de se libérer en euros. Elle précisait également, dans le cadre de « dispositions propres aux crédits en devises », qu'il était expressément convenu que l'emprunteur assumerait toutes les conséquences d'un changement de parité entre le franc suisse et l'euro qui pourrait intervenir jusqu'au complet remboursement du prêt. De surcroît, les consorts X. avaient signé en date du 4 juin 2004 une attestation par laquelle ils reconnaissaient, notamment, avoir pris connaissance des risques liés au cours du franc suisse.

Il en ressort que les consorts X., même s'ils ne disposaient pas eux-mêmes de liens avec la Suisse ou de ressources en devises, n'établissent pas, comme cela leur revient, qu'ils auraient pu, au moment de la conclusion du prêt, légitimement ignorer le risque de préjudice qu'ils invoquent au titre d'un manquement de la banque à son devoir d'information. En tout état de cause, dès lors que les échéances d'intérêt, dont le montant était conséquent, étaient constantes et remboursables en francs suisses, les conséquences de la dégradation de la parité entre l'euro et le franc suisse sur le remboursement des échéances trimestrielles s'est nécessairement manifestée dès l'année 2009, la cour observant, au vu des éléments dont elle dispose, qu'en janvier 2011, la parité par rapport au mois d'octobre 2009 avait connu une dégradation significative.

En conséquence, il convient de retenir, en confirmation de la décision entreprise, que c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la demande des consorts X. au titre d'un manquement de la banque à son devoir d'information était prescrite.

En revanche, s'agissant des manquements invoqués au devoir de conseil de la banque, dès lors qu'ils se rapportent, au moins pour partie, à un préjudice que les consorts X. n'auraient été à même d'appréhender dans son importance, si ce n'est dans son principe, qu'à l'issue du remboursement complet du prêt, leurs griefs se rapportant, en particulier, aux caractéristiques du prêt in fine et à l'évaluation de la valeur de l'investissement, il y a lieu, en infirmation de la décision entreprise, de retenir que leur action n'est pas prescrite, et se trouve donc recevable.

 

Sur la prescription des demandes en déchéance du droit aux intérêts :

Les consorts X. entendent voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque en raison d'« erreurs algébriques affectant les offres de crédit », et plus particulièrement en raison de l'absence d'intégration du coût du différé d'amortissement, analysant à cet égard le crédit in fine comme un crédit comportant un différé sur l'ensemble des échéances de l'emprunt excepté la dernière. Il est également reproché, dans la partie dispositive des conclusions des appelants, à la banque, l'absence d'indication d'un taux de période. La cour observe à cet égard, comme l'a fait le premier juge, que ces griefs ne portent expressément que sur les TEG mentionnés « pour les offres du 4 juin et 21 octobre 2004 », de sorte que seules ces offres doivent être prises en compte dans l'analyse de cette question.

Le Crédit Mutuel conclut à la prescription de l'ensemble des prétentions de ce chef, en relevant que seul le caractère apparent de l'erreur serait pertinent, y compris s'agissant d'emprunteurs non professionnels, et que les stipulations tant des offres initiales que des avenants permettaient de déceler les erreurs dénoncées par les appelants.

Pour leur part, les époux X. font valoir qu'ils ne disposaient pas des compétences requises pour se convaincre par eux-mêmes, dès la conclusion des contrats litigieux, d'erreurs affectant le TEG.

Il convient de rappeler, sur ce point, que l'action en cause se rapporte à l'inobservation des dispositions de l'article L. 312-8 du code de la consommation, et ce sans qu'il n'y ait lieu, en l'espèce, de distinguer l'offre préalable de l'offre acceptée, ou la conclusion du contrat de son exécution, est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts, qui constitue une sanction civile distincte de la nullité, et soumise à la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce. Le point de départ du délai de prescription de cette action court à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur affectant le TEG.

La cour relève, tout d'abord, à l'instar du premier juge, que la demande relative à l'absence de mention d'un taux de période apparaît fondée sur un élément dont les emprunteurs pouvaient se convaincre à la seule lecture des offres de prêt, de sorte que la prescription, qui courait à compter de chacune des offres en cause, est acquise, ce qui emporte confirmation du jugement de première instance en ce qu'il l'a constaté, l'application des dispositions précitées conduisant à retenir dans un premier temps l'application décennale, puis, par application des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008, la prescription quinquennale courant à compter de l'entrée en vigueur de ladite loi et sans excéder l'expiration du délai de prescription prévu sous l'empire des dispositions initiales, de sorte que la prescription était acquise au 19 juin 2013.

Concernant les erreurs invoquées au titre de l'absence de prise en compte du différé d'amortissement, la cour observe, s'agissant du prêt de 366.000 CHF consenti selon offre en date du 4 juin 2004, qu'est joint à l'offre de prêt un tableau d'amortissement qui permet aux emprunteurs, en l'absence, par ailleurs, comme justement retenu par le premier juge, de différé d'amortissement des intérêts stipulé aux conditions particulières du prêt, d'appréhender le montant des intérêts conformément aux dispositions du prêt prévoyant un paiement, dès la première échéance, le premier jour de chaque mois, et partant par une opération mathématique simple, de s'assurer de la cohérence ou non du montant mentionné dans l'offre de prêt et se retrouvant dans le tableau d'amortissement, avec celui résultant de l'application du taux stipulé au montant du capital sur 15 ans. Dès lors, par application des dispositions précitées, l'action en déchéance du droit aux intérêts portant sur l'offre de prêt du 4 juin 2004 était également prescrite à la date du 19 juin 2013.

S'agissant du second prêt, les appelants font valoir, comme pour le premier, que ce crédit comportant un différé sur l'ensemble des échéances de l'emprunt excepté la dernière, impose d'en intégrer le coût au TEG, qui doit tenir compte des modalités de l'amortissement. Cela étant, sans faire d'appréciation au fond de cette interprétation, il y a lieu d'observer qu'elle repose sur une analyse des modalités de remboursement du prêt, à partir de laquelle les appelants ont ensuite « reconstitué des intérêts composés » sur la base d'un remboursement par mensualités constantes, et qui ne requiert donc que de connaître lesdites modalités. Or, les consorts X. disposaient, dès l'offre de prêt, d'un tableau d'amortissement détaillant les conditions de remboursement du prêt, également décrites dans l'offre elle-même, qui prévoyait un amortissement in fine du capital, le versement des intérêts dès le premier déblocage des fonds, sans, par ailleurs, stipuler de phase de préfinancement. Dès le 21 octobre 2004, date du prêt, les emprunteurs disposaient donc des éléments nécessaires pour se convaincre de l'erreur alléguée du TEG et engager une action en déchéance du droit aux intérêts. L'action introduite par assignation du 26 avril 2016 est donc prescrite pour avoir été engagée après l'expiration, le 19 juin 2013, du délai de prescription. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré cette demande recevable.

 

Sur l'action en déclaration de clauses réputées non écrites :

Les consorts X. entendent que les articles 4.3 et 10.5 des conditions particulières des deux contrats de prêt en cause, faisant référence au franc suisse, soient déclarées abusives et, en conséquence, réputées non écrites. À ce titre, ils affirment que la jurisprudence a reconnu que les clauses contractuelles faisant peser le risque de change exclusivement sur les emprunteurs étaient abusives, pour en déduire qu'en l'espèce, les clauses visant le franc suisse créeraient nécessairement un déséquilibre significatif au détriment de l'emprunteur.

Cela étant, la banque entend, pour sa part, faire valoir qu'en vertu des dispositions, rappelées précédemment, du code de la consommation, l'examen du caractère éventuellement abusif d'une clause ne peut porter sur la définition de l'objet principal du contrat, ce qui serait le cas de la clause faisant référence au franc suisse et prévoyant le coût du crédit, de sorte qu'elle échapperait au contrôle du caractère abusif.

À cet égard, la cour observe que, s'il appartient en effet au juge, soit d'office soit lorsque cela lui est demandé, d'examiner l'éventuel caractère abusif d'une clause contractuelle, il ne peut cependant pas le faire, ainsi que le souligne à raison la société CCM Europe, lorsque cette clause porte sur la définition de l'objet principal du contrat et est rédigée de manière claire et compréhensible.

Or, sur cette question, la cour estime que le premier juge, qui, procédant à une analyse détaillée de chacune des clauses litigieuses, a, en substance, retenu qu'elles caractérisaient un élément essentiel des prêts et relevaient donc de l'objet principal de ceux-ci, et qu'elles étaient rédigées en des termes clairs et compréhensibles, dénués d'ambiguïté ou de contradiction, a, par des motifs pertinents qu'il y a lieu d'approuver, fait une juste appréciation des faits de la cause et des droits des parties, sans que ni l'argumentation, ni les éléments versés à hauteur d'appel ne soient de nature à remettre en cause cette appréciation. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

 

Sur l'obligation de conseil :

La banque, dispensatrice de crédit, qui n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client pour apprécier l'opportunité des opérations auxquelles il procède, n'est pas tenue, en cette seule qualité, à une obligation de conseil envers l'emprunteur, sauf si elle en a pris l'engagement.

Lorsqu'elle a fourni un conseil, elle est tenue de délivrer un conseil adapté à la situation personnelle de son client dont elle a connaissance.

En l'espèce, la banque n'étant pas tenue à une obligation de conseil, sur des questions concernant, au demeurant, pour parties, de l'évaluation de la valeur de l'investissement et qui ne relèvent, en tout état de cause, pas de son appréciation, et n'ayant délivré aucun conseil, aucune faute ne peut lui être reprochée et la demande de dommages intérêts sera rejetée.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les appelants succombant pour l'essentiel seront tenus, in solidum, des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement déféré sur cette question.

L'équité commande en outre de mettre à la charge des époux X. une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2.500 euros au profit de la CCM Europe, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière et en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 14 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, sauf :

- en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite la demande en dommages-intérêts fondée sur une responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de conseil,

- en ce qu'il a déclaré la demande en déchéance du droit aux intérêts de M. X. et Mme Y., épouse X. recevable en ce qui concerne l'irrégularité tenant en la prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt pour le calcul du taux effectif global annoncé dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004 et les en a déboutés,

Et statuant à nouveau des chefs de demande infirmés,

Dit que la demande en déchéance du droit aux intérêts de M. X. et Mme Y., épouse X. en ce qu'elle concerne l'irrégularité tenant en la prise en compte du coût de l'amortissement in fine du prêt pour le calcul du taux effectif global annoncé dans l'offre de prêt émise le 21 octobre 2004 est irrecevable comme prescrite,

Dit que la demande en dommages-intérêts fondée sur une responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de conseil est recevable,

Déboute M. X. et Mme Y., épouse X. de leur demande à ce titre,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. X. et Mme Y., épouse X. aux dépens de l'appel,

Condamne in solidum M. X. et Mme Y., épouse X. à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Mulhouse Europe la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. X. et Mme Y., épouse X.

La Greffière :                                               la Présidente :