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CA RENNES (2e ch.), 8 octobre 2021

Nature : Décision
Titre : CA RENNES (2e ch.), 8 octobre 2021
Pays : France
Juridiction : Rennes (CA), 2e ch.
Demande : 18/03576
Décision : 21/520
Date : 8/10/2021
Nature de la décision : Réformation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 4/06/2018
Numéro de la décision : 520
Référence bibliographique : 6626 et 6638 (prêt immobilier, modulation des échéances), 6030 (indice, option offert au consommateur), 6048 (indice, pouvoir discrétionnaire), 6618 (crédit à la consommation), 6104 (modification à l’initiative du consommateur)
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CERCLAB - DOCUMENT N° 9175

CA RENNES (2e ch.), 8 octobre 2021 : RG n° 18/03576 ; arrêt n° 520 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Mme X. estime que la clause conférant au prêteur la possibilité de refuser l'exercice de son droit d'option serait abusive, en ce qu'elle laisse à la seule discrétion de celui-ci, et sans contrepartie, la faculté d'octroyer ou non un délai de grâce, de sorte que, le contrat étant soumis au code de la consommation, il conviendrait de sanctionner cette irrégularité par une déchéance du droit du prêteur aux intérêts.

À supposer même qu'elle soit abusive au sens de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation, cette clause n'en serait cependant pas pour autant illicite comme prohibée par la réglementation d'ordre public des crédits immobiliers, de sorte que la déchéance du droit du prêteur aux intérêts n'est nullement encourue, la seule sanction applicable étant que le juge devrait en écarter l'application.

Or, le Crédit agricole, qui conteste avoir été saisi d'une demande de mise en œuvre de l'une des options offertes à l'emprunteuse, fait valoir avec raison que Mme X. ne prouve pas avoir accompli des démarches en ce sens conformément aux modalités prévues aux conditions générales de l'offre, le courrier du 3 avril 2014 produit évoquant des réclamations sans rapport, de sorte qu'écarter la clause permettant au prêteur de refuser la modulation des échéances serait en l'espèce inopérant.

En toute hypothèse, contrairement à ce que Mme X. soutient, la faculté de refuser l'option choisie par l'emprunteur n'est nullement discrétionnaire, dès lors qu'elle est subordonnée à la démonstration que les nouvelles charges de remboursement qui en découleraient seraient incompatibles avec les ressources de l'emprunteur, et elle ne crée pas davantage de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, puisqu'il est de l'intérêt des deux parties que le prêteur s'assure que les conditions du crédit qu'il octroie soient adaptées aux capacités de remboursement de l'emprunteur, de sorte que cette clause n'est pas abusive. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE RENNES

DEUXIÈME CHAMBRE

ARRÊT DU 8 OCTOBRE 2021

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 18/03576. Arrêt n° 520. N° Portalis DBVL-V-B7C- O4HE.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre, rédacteur,

Assesseur : Madame Marie-Odile GELOT-BARBIER, Conseillère,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER : Madame Virginie SERVOUZE, lors des débats, et Monsieur Régis ZIEGLER, lors du prononcé,

DÉBATS :A l'audience publique du 22 juin 2021

ARRÊT : Contradictoire, prononcé publiquement le 8 octobre 2021 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

 

APPELANTE :

Madame X.

née le [date] à [ville], [adresse], [...], Représentée par Maître Bruno S. de la SELARL S. AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

 

INTIMÉE :

La société anonyme coopérative à capital et personnels variables CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL D'ILLE ET VILAINE

dont le siège social est [adresse], [...], [...], Représentée par Maître Alexandre T. de la SELARL B., T., P., avocat au barreau de RENNES

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Selon offre préalable acceptée le 19 mai 2009, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille-et Vilaine (le Crédit agricole) a consenti à Mme X. un triple concours constitué par :

- un prêt n° 12 de 12.916 euros à taux révisable initialement fixé à 4,45 %, remboursable en 168 mensualités de 103,44 euros hors anticipation,

- un prêt n° 21 de 48.096 euros à taux révisable initialement fixé à 4,45 %, remboursable en 168 mensualités de 385,18 euros hors anticipation,

- un prêt à taux zéro n° 30 de 8.250 euros, remboursable en 48 mensualités de 171,88 euros.

Prétendant que les échéances de remboursement n'étaient plus honorées depuis mai 2014 en dépit d'une lettre recommandée avec avis de réception du 22 septembre 2014 la mettant en demeure de régulariser l'arriéré sous 10 jours, le prêteur s'est prévalu de la déchéance du terme au 11 avril 2016.

Saisie par Mme X. le 23 septembre 2016, la commission de surendettement des particuliers d'Ille-et-Vilaine a recommandé le 14 avril 2017 un moratoire de deux ans sur le remboursement des prêts n° 21 et 30 ainsi que le règlement de mensualités de 200 par mois pendant deux ans au titre du prêt n° 12.

Corrélativement, le Crédit agricole avait, par acte du 25 avril 2016, fait assigner l'emprunteuse en paiement devant le tribunal de grande instance de Rennes.

Par jugement réputé contradictoire du 17 avril 2018, le premier juge a :

- condamné Mme X. à payer au Crédit agricole les sommes de :

* 10.689,71 euros au titre du prêt n° 12, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016,

* 39.297,65 euros au titre du prêt n° 21, avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016,

* 8.250,00 euros au titre du prêt n° 30,

* 4.074,61 euros au titre des indemnités de 7 %, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- rejeté les demandes au titre des intérêts de retard passés, de la capitalisation des intérêts et des frais irrépétibles,

- condamné Mme X. aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

[*]

Mme X. a relevé appel de cette décision le 4 juin 2018, pour demander à la cour de la réformer et de :

- dire illicites les paragraphes III des offres préalables des prêts n° 12 et 21 du 19 mai 2009,

- en conséquence, dire que le Crédit agricole est déchu de son droit aux intérêts au titre de ces prêts et que la dette se limitera au seul capital échu,

- condamner le Crédit agricole à restituer les sommes perçues au titre des intérêts de ces offres de crédit, outre les intérêts sur ceux-ci au taux légal à compter de leur versement,

- condamner le Crédit agricole à remettre à Mme X. un décompte détaillé des sommes perçues au titre des intérêts, outre des intérêts sur ceux-ci à compter du jour de leur versement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la notification de l'arrêt, et ce pendant un mois,

- dire que le Crédit agricole a manqué à son devoir d'exécuter le contrat de bonne foi,

- en conséquence, condamner le Crédit agricole au paiement de la somme de 20.000 euros à titre des dommages-intérêts,

- en toute hypothèse, débouter le Crédit agricole de ses demandes,

- dire que toute condamnation prononcée à l'encontre de Mme X. ne portera aucun intérêt, qu'il soit au taux contractuel ou au taux légal,

- condamner le Crédit agricole au paiement d'une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

[*]

Le Crédit agricole conclut quant à lui à la confirmation de la décision attaquée, sauf en ce qu'elle a rejeté sa demande en paiement des intérêts contractuels de retard.

Il sollicite à cet égard le paiement d'intérêts au taux de 2,45 % à compter du 11 avril 2016 sur les sommes dues en principal au titre des prêts n° 12 et 21, le rejet des demandes reconventionnelles en déchéance du droit du prêteur aux intérêts et en paiement de dommages-intérêts, et la condamnation de Mme X. au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

[*]

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour Mme X. le 29 janvier 2019 et pour le Crédit agricole le 9 novembre 2018, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 22 avril 2021.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Les conditions générales de l'offre de prêts comportent une clause dénommée « option souplesse » ouvrant à l'emprunteur la faculté de modifier, au cours de l'exécution du contrat, le montant des échéances de remboursement hors assurance par l'exercice de diverses options permettant de les majorer, de les minorer ou d'en suspendre le règlement.

L'emprunteur était toutefois averti que l'exercice de ces options était susceptible d'entraîner une modification de la durée du prêt, de la quote-part en capital et intérêts des mensualités de remboursement ainsi que du coût total du crédit à la hausse ou à la baisse, et que « le prêteur pourra refuser l'exercice de ces options s'il estime que les nouvelles charges de remboursement qui en découleraient seraient incompatibles avec les ressources de l'emprunteur ».

Mme X. estime que la clause conférant au prêteur la possibilité de refuser l'exercice de son droit d'option serait abusive, en ce qu'elle laisse à la seule discrétion de celui-ci, et sans contrepartie, la faculté d'octroyer ou non un délai de grâce, de sorte que, le contrat étant soumis au code de la consommation, il conviendrait de sanctionner cette irrégularité par une déchéance du droit du prêteur aux intérêts.

À supposer même qu'elle soit abusive au sens de l'article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation, cette clause n'en serait cependant pas pour autant illicite comme prohibée par la réglementation d'ordre public des crédits immobiliers, de sorte que la déchéance du droit du prêteur aux intérêts n'est nullement encourue, la seule sanction applicable étant que le juge devrait en écarter l'application.

Or, le Crédit agricole, qui conteste avoir été saisi d'une demande de mise en œuvre de l'une des options offertes à l'emprunteuse, fait valoir avec raison que Mme X. ne prouve pas avoir accompli des démarches en ce sens conformément aux modalités prévues aux conditions générales de l'offre, le courrier du 3 avril 2014 produit évoquant des réclamations sans rapport, de sorte qu'écarter la clause permettant au prêteur de refuser la modulation des échéances serait en l'espèce inopérant.

En toute hypothèse, contrairement à ce que Mme X. soutient, la faculté de refuser l'option choisie par l'emprunteur n'est nullement discrétionnaire, dès lors qu'elle est subordonnée à la démonstration que les nouvelles charges de remboursement qui en découleraient seraient incompatibles avec les ressources de l'emprunteur, et elle ne crée pas davantage de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, puisqu'il est de l'intérêt des deux parties que le prêteur s'assure que les conditions du crédit qu'il octroie soient adaptées aux capacités de remboursement de l'emprunteur, de sorte que cette clause n'est pas abusive.

Mme X. fait par ailleurs valoir que le Crédit agricole aurait manqué à son obligation d'exécution de bonne foi de la convention liant les parties en refusant d'accorder un délai de grâce à l'emprunteuse, ce qui aurait contraint celle-ci à saisir la commission de surendettement des particuliers et à mettre en vente un bien immobilier familial.

Il a cependant été précédemment observé que l'emprunteuse ne prouvait pas avoir sollicité la mise en œuvre de l'une des options « souplesse » prévues au contrat de prêts, celle-ci se bornant à alléguer sans le démontrer l'avoir réclamée lors d'un rendez-vous avec son conseiller bancaire.

Par ailleurs, il ne saurait être imputé à faute au créancier, qui est en droit de se prévaloir des engagements de remboursement des prêts dans les conditions fixées par le contrat faisant la loi des parties, de ne pas accepter amiablement l'octroi d'un délai de grâce.

La demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts sera donc rejetée.

Pour le surplus, c'est par d'exacts motifs que le premier juge a condamné Mme X. au paiement des sommes principales de 10.689,71 euros au titre du prêt n° 12, 39.297,65 euros au titre du prêt n° 21 et 8.250,00 euros au titre du prêt n° 30, outre 4.074,61 euros au titre des indemnités contractuelles de défaillance.

Sur son appel incident, le Crédit agricole fait cependant valoir qu'il aurait à tort refusé de prononcer condamnation au paiement des intérêts contractuels de retard au titre des prêts n° 12 et 21, au motif que ceux-ci étaient stipulés dans l'offre à taux variable que le créancier n'avait pas précisé dans sa demande et dans son décompte le taux effectivement appliqué.

À cet égard, la banque précise à présent devant la cour que le taux des intérêts contractuels de retard applicables à ces deux prêts à compter du 11 avril 2016 est, compte tenu des modalités de variation de celui-ci, de 2,45 %.

Il doit toutefois être observé que la commission de surendettement des particuliers a, pendant la période du 11 avril 2017 au 10 avril 2019, réduit le taux des intérêts applicable au prêt n° 12 à 0,90 % et celui applicable au prêt n° 21 à zéro.

Il conviendra donc, après réformation du jugement attaqué en ce sens, de condamner Mme X. au paiement des sommes principales de :

- 10.689,71 euros au titre du prêt n° 12, avec intérêts au taux de 2,45 % du 11 avril 2016 au 10 avril 2017, puis de 0,90 % du 11 avril 2017 au 10 avril 2019, et à nouveau au taux de 2,45 % à compter du 11 avril 2019,

- 39.297,65 euros au titre du prêt n° 21, avec intérêts au taux de 2,45 % du 11 avril 2016 au 10 avril 2017, puis à compter du 11 avril 2019.

Les autres dispositions de la décision attaquée seront confirmées.

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge du Crédit agricole l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 1.300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Dit n'y avoir lieu à déchéance du droit du prêteur aux intérêts ;

Infirme le jugement rendu le 17 avril 2018 par le tribunal de grande instance de Rennes en ce qu'il a condamné Mme X. au paiement des intérêts au taux légal sur les sommes de 10.689,71 euros et de 39.297,65 euros ;

Statuant à nouveau de ces chefs, condamne Mme X. à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine les sommes de :

- 10.689,71 euros au titre du prêt n° 12, avec intérêts au taux de 2,45 % du 11 avril 2016 au 10 avril 2017, puis de 0,90 % du 11 avril 2017 au 10 avril 2019, et à nouveau au taux de 2,45 % à compter du 11 avril 2019,

- 39.297,65 euros au titre du prêt n° 21, avec intérêts au taux de 2,45 % du 11 avril 2016 au 10 avril 2017, puis à compter du 11 avril 2019 ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Déboute Mme X. de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Condamne Mme X. à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille-et-Vilaine une somme de 1.300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme X. aux dépens d'appel ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes.

LE GREFFIER                                LE PRÉSIDENT