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6048 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Comportement des parties - Professionnel - Pouvoir discrétionnaire accordé au professionnel

Nature : Synthèse
Titre : 6048 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Déséquilibre injustifié - Exécution du contrat - Comportement des parties - Professionnel - Pouvoir discrétionnaire accordé au professionnel
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
Notice :
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 6048 (12 octobre 2023)

PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE DE LA CONSOMMATION

NOTION DE CLAUSE ABUSIVE - APPRÉCIATION DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

DÉSÉQUILIBRE INJUSTIFIÉ - EXÉCUTION DU CONTRAT

COMPORTEMENT DES PARTIES - PROFESSIONNEL - POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2023)

 

Présentation. L’une des expressions les plus évidentes du déséquilibre entre le professionnel et le consommateur ou non-professionnel est incarnée par les stipulations qui accordent au professionnel un pouvoir discrétionnaire.

N.B. Assez curieusement, lors de la réalisation du site du Cerclab, cet indice n’a pas fait l’objet d’une notice autonome. A la réflexion, cette anomalie est sans doute liée à une caractéristique fondamentale de cet indice : son ubiquité. L’octroi d’un pouvoir de décision ou d’appréciation au seul professionnel peut en effet se retrouver quasiment partout, tout en ayant impact variable en fonction de la règle particulière qu’il épouse.

L’idée de cantonner ce pouvoir que le professionnel s’accorde à lui-même, qui n’est pas absente du droit commun (V. notamment la sanction des conditions potestatives), est présente aussi dans certaines dispositions relatives aux clauses abusives, notamment dans les listes noires et grises créées par le décret du 18 mars 2009 (art. R. 132-1 s., devenus art. 212-1 s. C. consom.).

Enfin, il convient de noter que l’exclusion du contrôle judiciaire de l’exécution du contrat par le professionnel ou le consommateur est un argument très souvent évoqué et retenu pour réputer une clause abusive (V. par exemple pour les contrats d’enseignement, dans le cas d’exclusion d’un élève, Cerclab n° 6321).

A. POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE ET EXISTENCE DU CONTRAT

Possibilité de refuser la conclusion du contrat. Pour la présence de cette idée dans l’art. R. 212-2-1° C. consom., anciennement l’art. R. 132-2-1° C. consom. : est présumée abusive, sauf preuve contraire rapportée par le professionnel, la clause ayant pour objet ou pour effet de « prévoir un engagement ferme du non-professionnel ou du consommateur, alors que l'exécution des prestations du professionnel est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté ». § Sur cette question V. notamment Cerclab n° 6081. § V. aussi ci-dessous B, pour le refus de reprendre les engagements des mandataires ou représentants.

Possibilité de mettre fin au contrat. Pour la présence de cette idée dans l’art. R. 212-1-8° C. consom., anciennement l’art. R. 132-1-8° C. consom. : est irréfragablement abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « reconnaître au professionnel le droit de résilier discrétionnairement le contrat, sans reconnaître le même droit au non-professionnel ou au consommateur ». § Sur cette question V. Cerclab n° 6130.

V. aussi pour les suites de la résiliation, l’art. R. 212-1-9° C. consom., anciennement l’art. R. 132-1-9° C. consom. : est irréfragablement abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « permettre au professionnel de retenir les sommes versées au titre de prestations non réalisées par lui, lorsque celui-ci résilie lui-même discrétionnairement le contrat ».

B. POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE ET CONTENU DU CONTRAT

Possibilité de déterminer unilatéralement le contenu initial des conditions générales. Cette illustration englobe en réalité la totalité de la protection des clauses abusives. C’est parce que le professionnel, dans un contrat d’adhésion, impose au consommateur (ou non-professionnel en droit interne) des conditions générales dont il a unilatéralement et discrétionnairement déterminé le contenu, que le législateur, interne puis européen, a offert au consommateur (et assimilés) la possibilité de demander au juge d’expurger le contrat des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Cette intervention a souvent été présentée par la CJUE comme visant à remplacer un équilibre formel par un équilibre réel (V. Cerclab n° 5804).

Possibilité de refuser de reprendre les engagements de ses mandataires ou représentants. Pour la présence de cette idée dans l’art. R. 212-1-2° C. consom., anciennement l’art. R. 132-1-2° C. consom. : est irréfragablement abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « restreindre l'obligation pour le professionnel de respecter les engagements pris par ses préposés ou ses mandataires ». § Sur cette question V. Cerclab n° 6080 et Cerclab n° 6081.

Possibilité d’interpréter le contrat. Pour la présence de cette idée dans l’art. R. 212-1-4° C. consom., anciennement l’art. R. 132-1-4° C. consom. : est irréfragablement abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « accorder au seul professionnel le droit de déterminer si la chose livrée ou les services fournis sont conformes ou non aux stipulations du contrat ou lui conférer le droit exclusif d'interpréter une quelconque clause du contrat ». § Sur cette question V. Cerclab n° 6073. § N.B. Il est évident que, dans cette hypothèse, le souci du rééquilibrage du contrat entre les parties, s’accompagne d’une certaine hostilité de principe vis-à-vis des clauses tentant d’évincer le contrôle du juge.

Pour une illustration : CA Paris (pôle 4 ch. 8), 18 mai 2017 : RG n° 16/24420 ; arrêt n° 387/17 ; Cerclab n° 6855 ; Juris-Data n° 2017-013029 (prêt immobilier ; caractère abusif de la clause de déchéance qui vise en termes généraux les éléments essentiels des déclarations des emprunteurs, laissant au seul prêteur l'appréciation du caractère inexact de ces déclarations en le laissant décider du caractère essentiel des éléments sur lesquels elles portent et déterminer si elles ont été de nature soit à déterminer l'accord de la banque, soit à compromettre le remboursement du prêt ; quand bien même la clause aurait pour finalité de prémunir la banque contre le dol ou la mauvaise foi, cette clause est abusive en ce qu’elle lui octroie un pouvoir discrétionnaire ; clause contestée aussi sur son caractère automatique, sans même ouvrir la possibilité d'une contestation du consommateur), confirmant par substitution de motifs TGI Melun (Jex), 15 novembre 2016 : RG n° 15/00011 ; Dnd (action prescrite).

Possibilité pour le consommateur d’exercer une option prévue par le contrat. En général, la faculté d’option est plutôt accordée au consommateur (V. Cerclab n° 6030). § N'est pas abusive la clause permettant au prêteur de refuser la modulation des échéances demandée par l’emprunteur, dès lors que la faculté de refuser l'option choisie par l'emprunteur n'est nullement discrétionnaire, puisqu'elle est subordonnée à la démonstration que les nouvelles charges de remboursement qui en découleraient soient incompatibles avec les ressources de l'emprunteur et qu’elle ne crée pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, puisqu'il est de l'intérêt des deux parties que le prêteur s'assure que les conditions du crédit qu'il octroie soient adaptées aux capacités de remboursement de l'emprunteur. CA Rennes (2e ch.), 8 octobre 2021 : RG n° 18/03576 ; arrêt n° 520 ; Cerclab n° 9175 (prêt personnel ; clause au surplus non illicite au regard de la règlementation du crédit ; argument surabondant, la preuve d’une demande de l’emprunteuse n’étant pas rapportée), sur appel de TGI Rennes, 17 avril 2018 : Dnd.

Possibilité pour le professionnel d’exercer une option prévue par le contrat. Elle a été parfois abordée pour le professionnel, par exemple dans les contrats affectés lorsque le professionnel peut choisir entre plusieurs garanties. Indépendamment de la possibilité de contester l’une des branches de l’option, ces clauses ont parfois été jugées abusives en raison de l’absence d’information du consommateur sur le choix effectué. V. par exemple : CA Amiens (1re ch. civ.), 7 juillet 2017 : RG n° 15/04991 ; Cerclab n° 6945 ; Juris-Data n° 2017-014591 (serait en tout état de cause abusive, la clause autorisant le prêteur à choisir entre le gage et la réserve de propriété sans information des emprunteurs), sur appel de TI Abbeville, 24 avril 2015 : Dnd, suite de CA Amiens (1re ch. civ.), 28 mars 2017 : RG n° 15/04991 ; Dnd. § Créent un déséquilibre manifeste en défaveur du consommateur les contradictions entre les différentes mentions du contrat, qui ont légitimement pu engendrer une incompréhension, puisque l’offre de prêt mentionne que le prêteur se réserve le droit de demander un cautionnement ou une hypothèque, que la fiche d'informations précontractuelles vise un cautionnement, une hypothèque, un gage ou une réserve de propriété et que le contrat prévoit à la fois la réserve de propriété et le gage du véhicule. CA Paris (pôle 4 ch. 9-A), 8 décembre 2022 : RG n° 20/15871 ; Cerclab n° 9991, sur appel de TJ Meaux (protect.), 16 septembre 2020 : RG n° 11-19-001754 ; Dnd. § V. aussi pour l’option entre plusieurs garanties, Cerclab n° 6054.

Possibilité de modifier unilatéralement le contenu initial du contrat. Cette forme de pouvoir discrétionnaire a été la première à être visée par les textes, puis l’art. 3 du décret du 24 mars 1978 a encadré les clauses de modification unilatérale du contrat. L’idée est toujours présente dans les art. R. 212-1-3° C. consom., anciennement R. 132-1-3° C. consom. (est irréfragablement abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre ») et R. 212-2-6° C. consom., anciennement art. R. 132-2-6° C. consom. (est présumée abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives aux droits et obligations des parties, autres que celles prévues au 3° de l'article R. 132-1 »). § Sur cette question V. Cerclab n° 6104.

Pour une illustration : n’est pas abusive la clause d’un contrat de reprise de véhicule d’occasion qui stipule que le prix de rachat est estimatif et qu’il est susceptible d’être révisé, en raison notamment d'une modification de l'état du véhicule survenue entre la date d'établissement du bon de commande et celle de livraison du véhicule neuf, qui correspond également à celle de livraison, par le client, du véhicule repris ; cette clause ne crée pas de déséquilibre significatif, en permettant au professionnel de modifier unilatéralement le montant de la reprise, et, partant, le prix du véhicule neuf, alors que cette variation résulte, soit d'un élément extérieur objectif qui échappe à la maîtrise du concessionnaire, à savoir l'évolution à la hausse ou à la baisse de la cote Argus du véhicule repris, soit de la constatation d'une modification, depuis la signature du bon de commande, de l'état de ce véhicule, laquelle n'est pas laissée à l'appréciation arbitraire du seul professionnel, mais doit résulter d'un examen contradictoire du bien, ce caractère contradictoire s'étendant en outre à l'évaluation elle-même. CA Dijon (2e ch. civ.), 4 novembre 2021 : RG n° 19/00120 ; Cerclab n° 9230 (arrêt notant, qu’en l’espèce, les travaux de remise en état n'ont pas été facturés d'office, mais ont fait l'objet de l'établissement par le professionnel d'un devis, qui a été transmis à l'intéressé, lequel a en outre été avisé qu'il disposait, en cas de désaccord, de la possibilité d'en faire lui-même évaluer le coût), sur appel de TGI Dijon, 14 décembre 2018 : RG n° 16/02562 ; Dnd.

C. POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE ET EXÉCUTION DU CONTRAT

Possibilité d’apprécier l’existence d’un manquement contractuel. Pour la présence de cette idée dans l’art. R. 212-1-4° C. consom., anciennement l’art. R. 132-1-4° C. consom. : est irréfragablement abusive la clause ayant pour objet ou pour effet de « accorder au seul professionnel le droit de déterminer si la chose livrée ou les services fournis sont conformes ou non aux stipulations du contrat ou lui conférer le droit exclusif d'interpréter une quelconque clause du contrat ». § Sur cette question V. Cerclab n° 6073. § N.B. Outre l’hostilité déjà évoquée à l’égard des clauses limitant le pouvoir du juge, il est clair que ces dispositions sont d’un danger tout particulier puisqu’elles permettent au professionnel d’échapper ses obligations « en amont » de l’examen des causes d’exonération ou des clauses d’exonération, puisque c’est l’existence même d’un manquement qui passe sous son contrôle.

V. avant le décret du 18 mars 2009 : TGI Grenoble (6e ch.), 31 janvier 2002 : RG n° 2000/02123 ; jugt n° 26 ; Site CCA ; Cerclab n° 3166 ; Juris-Data n° 167015 (vente de voiture ; la clause qui ne garantit la livraison que dans la limite des disponibilités « connues du vendeur » au moment de la commande est abusive en ce qu’elle introduit dans les rapports contractuels un élément invérifiable qui ne résultera que de l'affirmation du concessionnaire), confirmé par CA Grenoble (1re ch. civ.), 1er juin 2004 : RG n° 02/01499 ; arrêt n° 333 ; Cerclab n° 7049.

Possibilité de déterminer la date d’exécution du contrat. Pour la présence de cette idée dans l’art. R. 212-2-7° C. consom., anciennement l’art. R. 132-2-7° C. consom. : est présumée abusive, sauf preuve contraire rapportée par le professionnel, la clause ayant pour objet ou pour effet de « stipuler une date indicative d'exécution du contrat, hors les cas où la loi l'autorise ». § Sur cette question V. Cerclab n° 6098.

Pour une illustration : CA Riom (1re ch. civ.), 31 mai 2022 : RG n° 20/01146 ; arrêt n° 280 ; Cerclab n° 9665 (promesse de bail emphytéotique et de constitution de servitudes en vue de l’installation d’éoliennes d’une durée excessive de six ans, avec en outre la possibilité jugée abusive d’une prorogation de six ans ; arrêt admettant le caractère abusif aux motifs, notamment, que la durée initiale de six ans est en soi une durée longue en termes d'immobilisation des avoirs fonciers de la partie bailleresse, qui apparaît suffisante pour amortir l'ensemble des éventuels contretemps occasionnés par les délais administratifs d'obtention des autorisations nécessaires ou les délais de règlements juridictionnels en cas de recours contentieux exercés par des tiers, alors que les six causes de prorogation automatique pouvant être invoquées par le locataire ne sont pas indépendantes du comportement de celui-ci et dépendent de ses diligences, appréciation in abstracto confortée par l’appréciation in concreto puisque la société locataire a attendu trois ans avant d’entamer les démarches), confirmant par substitution de motifs TGI Cusset, 26 août 2020 : RG n° 19/01314 ; Dnd.

Possibilité de s’accorder une preuve à soi-même. Selon l’art. R. 212-2-9° C. consom., anciennement l’art. R. 132-2-9° C. consom. : est présumée abusive, sauf preuve contraire rapportée par le professionnel, la clause ayant pour objet ou pour effet de « limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du non-professionnel ou du consommateur ». Cette disposition peut permettre de condamner, ou en tout cas d’encadrer les clauses par lesquelles le professionnel s’octroierait la possibilité de s’accorder une preuve à lui-même. § Sur cette question V. Cerclab n° 6142.

Possibilité de choisir la sanction d’un manquement contractuel. Est abusive, au regard des dispositions de l'ancien art. R. 132-1-4° [R. 212-1-4°] C. consom., la version initiale des clauses en ce qu'elles prévoyaient, en cas de non-respect de l'ordre des coupons de vol, à la fois la perte de validité du billet et la modification du tarif avec application d'un complément tarifaire, dès lors que cette contradiction permettait au transporteur de se réserver la possibilité de choisir l'une ou l'autre de ces sanctions, mettant ainsi le consommateur dans l’ignorance des conséquences du non-respect de l'ordre des coupons de vol. CA Paris (pôle 2 ch. 2), 17 octobre 2014 : RG n° 13/09619 ; Cerclab n° 4906 (clause modifiée se contentant de viser une modification des tarifs, non abusive), confirmant TGI Bobigny (7e ch. sect. 2), 26 avril 2013 : RG n° 09/06829 ; Cerclab n° 7067, pourvoi rejeté par Cass. civ. 1re, 26 avril 2017 : pourvoi n° 15-18970 ; arrêt n° 496 ; Cerclab n° 6849.

D. MODALITÉS DE L’ENCADREMENT DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE

Présentation. Compte tenu de l’extrême variété des situations en cause, le fait de réputer non écrite la clause déclarée abusive peut avoir des conséquences variées : retour à un contrôle du juge, retour à l’existence du contrat pour une résiliation discrétionnaire (Cerclab n° 5747), etc. Dans certains cas, le juge se contente d’interpréter la clause dans un sens non abusif, par exemple pour décider qu’elle ne peut accorder un pouvoir d’appréciation discrétionnaire au professionnel, ce qui invaliderait la stipulation, et qu’elle doit donc être comprise comme permettant un contrôle du juge (Cerclab n° 6608).