CJUE (3e ch.), 11 mars 2020
CERCLAB - DOCUMENT N° 9187
CJUE (3e ch.), 11 mars 2020 : Affaire C‑511/17
Publication : Site Curia
Extrait : « 1) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’un juge national, saisi d’un recours introduit par un consommateur et tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat que ce consommateur a conclu avec un professionnel, n’est pas tenu d’examiner d’office et individuellement l’ensemble des autres clauses contractuelles, qui n’ont pas été attaquées par ledit consommateur, afin de vérifier si elles peuvent être considérées comme abusives, mais doit examiner seulement celles qui sont liées à l’objet du litige, tel que ce dernier a été délimité par les parties, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, complétés, le cas échéant, par des mesures d’instruction.
2) L’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, s’il est vrai que, pour apprécier le caractère abusif de la clause contractuelle servant de base aux prétentions d’un consommateur, il convient de prendre en compte toutes les autres clauses du contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, cette prise en compte n’implique pas, en tant que telle, une obligation, pour le juge national saisi, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de toutes ces clauses. ».
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 11 MARS 2020
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Dans l’affaire C‑511/17, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 18 juillet 2017, parvenue à la Cour le 21 août 2017, dans la procédure
Györgyné Lintner
contre
UniCredit Bank Hungary Zrt.,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J. Malenovský et F. Biltgen, juges,
Avocat général : M. E. Tanchev,
Greffier : Mme R. Şereş, administratrice,
Vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 septembre 2019,
considérant les observations présentées :
- pour UniCredit Bank Hungary Zrt., par Mes. Z. Lajer et A. Szőke ainsi que par Mme J. Pettkó-Szandtner, ügyvédek,
- pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent,
- pour la Commission européenne, par MM. L. Havas et N. Ruiz García, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 décembre 2019,
rend le présent :
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Arrêt :
1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Györgyné Lintner à UniCredit Bank Hungary Zrt. (ci-après « UniCredit Bank ») au sujet du caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3. Aux termes du vingt et unième considérant de la directive 93/13 :
« considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel ; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives ».
4. L’article 4, paragraphe 1, de cette directive énonce :
« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »
5. L’article 6, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
6. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
7. L’article 8 de cette directive énonce :
« Les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur. »
Le droit hongrois
8. En vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la Polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi n° III de 1952, relative à la procédure civile), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la procédure civile ») :
« Le juge, en l’absence d’une disposition légale contraire, est lié par les conclusions et les arguments juridiques présentés par les parties. Le juge prend en considération les conclusions et arguments soumis par les parties non pas en fonction de leur dénomination formelle, mais en fonction de leur contenu. [...] »
9. L’article 23, paragraphe 1, de la loi relative à la procédure civile énonce :
« Relèvent de la compétence des juridictions de comitat : [...]
k) les recours qui visent à établir l’invalidité de clauses contractuelles abusives ;
[...] »
10. L’article 73/A, paragraphe 1, de cette loi dispose :
« La représentation par un avocat est obligatoire : [...]
b) dans les affaires ressortissant à la compétence d’une juridiction de comitat en tant que juridiction de première instance, et ce à tous les stades de la procédure, et dans le cadre également d’un appel [...] »
11. Aux termes de l’article 215 de la loi relative à la procédure civile :
« La décision ne peut s’étendre au-delà des demandes formulées dans le cadre du recours et en défense. Cette règle s’applique également en ce qui concerne les prétentions accessoires aux demandes principales (intérêts, frais, etc.). »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12. Le 13 décembre 2007, Mme Lintner a conclu avec UniCredit Bank un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère. Ce contrat comporte certaines clauses conférant à UniCredit Bank le droit de modifier unilatéralement ledit contrat.
13. Le 18 juillet 2012, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) a été saisie d’un recours introduit par Mme Lintner, tendant à ce que soit constatée l’invalidité, avec effet rétroactif, desdites clauses, ce recours étant notamment fondé sur la directive 93/13. Par un arrêt rendu le 29 août 2013, cette juridiction a rejeté ledit recours.
14. Par une ordonnance rendue le 1er avril 2014, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) a, sur appel interjeté par Mme Lintner, annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire à la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale). La Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a rappelé, dans cette ordonnance, que, dans sa jurisprudence relative à la directive 93/13, la Cour avait systématiquement évoqué le principe selon lequel le juge doit, dans les affaires relatives à des contrats conclus avec des consommateurs, examiner d’office le caractère abusif des clauses figurant dans ces contrats. Elle a précisé, à cet égard, que, selon sa compréhension de ladite directive et de la jurisprudence y afférente, ainsi que du droit national applicable, une application efficace de cette directive n’est possible que si le juge national examine d’office la totalité du contrat litigieux. Elle a ainsi enjoint à la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) d’inviter la partie requérante à déclarer si elle souhaitait invoquer le caractère abusif des clauses visées dans ladite ordonnance ou d’autres clauses du contrat qui n’étaient pas visées dans son recours initial, et si elle se considérait liée par ledit contrat une fois écartées les clauses en question.
15. Par une ordonnance rendue le 7 décembre 2015, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a, après avoir repris l’examen de l’affaire, mis fin à la procédure, au motif que Mme Lintner n’avait pas donné suite à l’invitation qui lui avait été faite de formuler une demande « d’application des conséquences juridiques de l’invalidité », conformément à une législation ad hoc concernant des contrats de prêt libellés en devise étrangère, tels que celui en cause au principal, adoptée au cours de l’année 2014, postérieurement à la conclusion des contrats de prêt qu’elle concerne. Cette législation comprend notamment la Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. évi XXXVIII. törvény (loi no XXXVIII de 2014, relative au règlement de certaines questions liées à la décision rendue par la Kúria [Cour suprême, Hongrie] dans l’intérêt de l’uniformité du droit au sujet des contrats de prêt conclus par les établissements financiers avec les consommateurs), et la Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. évi XXXVIII. törvényben rögzített elszámolás szabályairól és egyes egyéb rendelkezésekről szóló 2014. évi XL. törvény (loi n° XL de 2014, relative aux règles applicables au décompte prévu dans la loi no XXXVIII de 2014 relative au règlement de certaines questions liées à la décision rendue par la Kúria [Cour suprême] dans l’intérêt de l’uniformité du droit au sujet des contrats de prêt conclus par les établissements financiers avec les consommateurs, ainsi qu’à différentes autres dispositions, ci-après, respectivement, les « lois DH1 et DH2 »), qui contiennent des dispositions régissant la constatation du caractère abusif ainsi que les conséquences devant en être tirées, s’agissant de certaines clauses figurant dans ces contrats, à savoir celles relatives, d’une part, à la faculté unilatérale de modifier le contrat et, d’autre part, à l’écart entre le cours de vente et le cours d’achat de la devise concernée.
16. Le 29 mars 2016, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale), de nouveau saisie d’un appel formé par Mme Lintner, a confirmé ladite ordonnance s’agissant des clauses du contrat visées par les lois DH1 et DH2, mais l’a annulée pour le surplus et a enjoint à la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) de rendre une nouvelle décision.
17. À cet égard, la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) a considéré que, si les clauses visées par les lois DH1 et DH2 ne pouvaient effectivement plus faire l’objet d’une décision juridictionnelle, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) devait néanmoins, au vu des conclusions de Mme Lintner, examiner les clauses de ce même contrat ayant trait à l’attestation notariée, aux motifs de résiliation et à certains frais incombant au consommateur.
18. La Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale), appelée à se prononcer sur lesdites clauses, relève qu’elle est ainsi tenue d’examiner d’office des clauses contractuelles que Mme Lintner n’a pas critiquées en première instance, sans que cette dernière ait davantage, dans les motifs de son recours, fait état d’éléments factuels qui auraient permis d’inférer qu’elle demandait également la constatation du caractère abusif des stipulations visées par la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale).
19. Par conséquent, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir dans quelle mesure, d’une part, elle doit procéder à l’examen du caractère abusif de chaque clause d’un contrat dont certaines clauses font l’objet du recours introduit par le consommateur et, d’autre part, elle est liée, dans le cadre de cet examen, par les conclusions de la partie demanderesse. La juridiction de renvoi se réfère, à cet égard, à la jurisprudence de la Cour, notamment à l’arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C‑243/08, EU:C:2009:350), dont il résulterait que l’appréciation d’office du caractère abusif des clauses est motivée par la circonstance que le consommateur ignore ses droits ou qu’il est dissuadé de les faire valoir, en raison des frais qu’une action en justice entraînerait. La juridiction de renvoi précise que, dans le droit hongrois, les procédures tendant à la constatation du caractère abusif de clauses contractuelles ne peuvent être introduites que par le ministère d’un avocat.
20. Dans ces conditions, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13], compte tenu également de la réglementation nationale imposant une représentation en justice, en ce sens qu’il faut examiner individuellement chacune des clauses contractuelles sous l’angle de la question de savoir si elle peut être considérée comme abusive, indépendamment du point de savoir si un examen de l’ensemble des stipulations du contrat est réellement nécessaire pour statuer sur la prétention formulée dans le cadre du recours ?
2) Sinon, faut-il, au contraire de ce qui est proposé dans la première question, interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la directive [93/13] en ce sens que c’est pour conclure au caractère abusif de la clause à la base de la prétention qu’il y a lieu d’examiner toutes les autres stipulations du contrat ?
3) Si la deuxième question appelle une réponse affirmative, cela peut-il signifier que c’est aux fins de pouvoir établir le caractère abusif de la clause en question que l’examen de l’ensemble du contrat est nécessaire, c’est-à-dire que le caractère abusif de chacun des éléments du contrat ne doit pas être examiné de façon autonome, indépendamment de la clause attaquée dans le cadre du recours ? »
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Sur les questions préjudicielles :
Sur la première question :
21. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’un juge national, saisi d’un recours introduit par un consommateur et tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat que ce dernier a conclu avec un professionnel, est tenu d’examiner d’office et individuellement l’ensemble des autres clauses contractuelles, qui n’ont pas été attaquées par ce consommateur, afin de vérifier si elles peuvent être considérées comme abusives.
22. Il ressort de la décision de renvoi que le recours initial introduit par Mme Lintner tendait seulement à faire constater le caractère abusif des clauses contractuelles conférant à UniCredit Bank la faculté de modifier unilatéralement le contrat de prêt en cause au principal. Toutefois, au stade actuel de l’instance, la juridiction de renvoi est amenée à se prononcer sur la question de savoir si elle est tenue, en vertu la directive 93/13, d’étendre d’office, ainsi que l’y oblige la décision de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) rendue en appel, le litige pendant devant elle à l’appréciation du caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat ayant trait à l’attestation notariée, aux motifs de résiliation de celui-ci et à certains frais imposés à Mme Lintner, bien que ces dernières clauses n’aient pas été contestées par la requérante au principal dans son recours initial.
23. À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, le système de protection mis en œuvre par la directive 93/13 repose sur l’idée selon laquelle le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci (voir, notamment, arrêts du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, EU:C:2009:350, point 22, et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 26).
24. La Cour a également jugé que, eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (arrêt du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 27 et jurisprudence citée).
25. Afin d’assurer la protection voulue par ladite directive, la Cour a souligné que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, EU:C:2010:659, point 48, et du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 28 ainsi que jurisprudence citée).
26. Ainsi, en premier lieu et selon une jurisprudence constante, le juge national est tenu d’apprécier d’office, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel (arrêts du 17 mai 2018, Karel de Grote – Hogeschool Katholieke Hogeschool Antwerpen, C‑147/16, EU:C:2018:320, point 29, et du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring, C‑51/17, EU:C:2018:750 point 87 ainsi que jurisprudence citée).
27. Partant, l’examen d’office obligatoire que le juge national saisi doit effectuer en vertu de la directive 93/13 est limité, dans un premier temps, aux clauses contractuelles dont le caractère abusif peut être établi sur la base des éléments de droit et de fait figurant dans le dossier dont dispose ledit juge national. En effet, si ce dernier ne dispose pas de l’ensemble de ces éléments, il ne sera pas en mesure de procéder à cet examen (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Profi Credit Polska, C‑176/17, EU:C:2018:711, points 46 et 47).
28. Un tel examen doit, dans un second temps, respecter les limites de l’objet du litige, compris comme étant le résultat qu’une partie poursuit par ses prétentions, lues à la lumière des conclusions et des moyens présentés à cette fin.
29. Tout d’abord, bien que la protection du consommateur voulue par la directive 93/13 exige une intervention positive de la part du juge national saisi, il est néanmoins nécessaire, pour que cette protection puisse être accordée, qu’une procédure juridictionnelle ait été engagée par l’une des parties au contrat (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C‑32/14, EU:C:2015:637, point 63).
30. Ensuite, l’effectivité de la protection que le juge national concerné est réputé accorder, en vertu de ladite directive, au consommateur par une intervention d’office, ne saurait aller jusqu’à ignorer ou excéder les limites de l’objet du litige tel que les parties l’ont défini par leurs prétentions, lues à la lumière des moyens qu’elles ont invoqués, de telle sorte que ledit juge national n’est pas tenu d’étendre ce litige au-delà des conclusions et des moyens présentés devant ce juge, en analysant, aux fins de vérifier leur caractère éventuellement abusif, de manière individuelle, toutes les autres clauses d’un contrat dont seules certaines clauses font l’objet du recours introduit devant lui.
31. Cette appréciation est justifiée notamment par la circonstance que le principe dispositif, selon lequel les parties définissent l’objet du litige, ainsi que le principe ne ultra petita, selon lequel le juge ne doit pas statuer au-delà des prétentions des parties, auxquels a également fait référence le gouvernement hongrois lors de l’audience, risqueraient d’être méconnus si les juridictions nationales étaient tenues, en vertu de la directive 93/13, d’ignorer ou d’excéder les limites de l’objet du litige fixées par les conclusions et les moyens des parties, ainsi que l’a, en substance, également relevé M. l’avocat général aux points 43 et 51 de ses conclusions.
32. Partant, c’est dans les limites de l’objet du litige dont il est saisi que le juge national est appelé à examiner d’office une clause contractuelle au titre de la protection qui doit être accordée au consommateur en vertu de la directive 93/13, pour éviter que les prétentions de ce dernier soient rejetées par une décision passée, le cas échéant, en force de chose jugée, alors que celles-ci auraient pu être accueillies si ce consommateur n’avait pas, par ignorance, omis d’invoquer le caractère abusif de cette clause.
33. Il convient également de préciser que, afin que le consommateur puisse pleinement bénéficier de la protection que la directive 93/13 lui accorde et qu’il ne soit pas porté atteinte à l’effet utile de cette protection, le juge national ne doit pas faire une lecture formaliste des prétentions dont il est saisi, mais doit, au contraire, appréhender leur contenu à la lumière des moyens invoqués au soutien de celles-ci.
34. Il découle des considérations exposées aux points 27 à 33 du présent arrêt que seules les clauses contractuelles qui, bien qu’elles ne soient pas visées par le recours du consommateur, sont liées à l’objet du litige tel qu’il est défini par les parties au vu de leurs conclusions et de leurs moyens, relèvent de l’obligation d’examen d’office incombant au juge national saisi et doivent être examinées, aux fins de vérifier leur caractère éventuellement abusif, dès que ce juge dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
35. En second lieu, s’agissant de la mise en œuvre de cette obligation d’examen d’office, bien que cette dernière soit limitée aux clauses visées au point précédent, il ne saurait pour autant en être déduit que le juge national saisi devrait, aux fins de cet examen, s’en tenir, en toute circonstance, exclusivement aux éléments de droit et de fait invoqués par les parties, pour limiter ledit examen aux clauses dont le caractère abusif peut être apprécié de manière définitive sur la base de ces seuls éléments.
36. En effet, la Cour a jugé à plusieurs reprises que le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction, afin d’établir si une clause figurant dans le contrat à l’origine du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un consommateur, relève du champ d’application de la directive 93/13 (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C‑137/08, EU:C:2010:659, point 56, et du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 66).
37. Au même titre, et ainsi que l’a également relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 61 à 64 de ses conclusions, si les éléments de droit et de fait figurant dans le dossier soumis au juge national font naître des doutes sérieux quant au caractère abusif de certaines clauses qui n’ont pas été visées par le consommateur, mais qui présentent un lien avec l’objet du litige, sans pour autant qu’il soit possible de procéder à des appréciations définitives à ce sujet, il incombe au juge national de prendre, au besoin d’office, des mesures d’instruction afin de compléter ce dossier, en demandant aux parties, dans le respect du contradictoire, de lui fournir les éclaircissements et les documents nécessaires à cet effet.
38. Il en découle que le juge national est tenu d’adopter d’office des mesures d’instruction, telles que celles visées au point précédent du présent arrêt, pour autant que les éléments de droit et de fait figurant déjà dans ledit dossier suscitent des doutes sérieux quant au caractère abusif de certaines clauses qui, bien qu’elles n’aient pas été attaquées par le consommateur, sont liées à l’objet du litige, et que, par conséquent, la mise en œuvre de l’examen d’office incombant à ce juge exige que de telles mesures d’instruction soient prises.
39. En l’occurrence, il semble résulter des considérations figurant au point 22 du présent arrêt que la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle les clauses qui n’ont pas été attaquées par Mme Lintner ne sont pas liées à l’objet du litige au principal, dans la mesure où la suite qu’il convient de donner aux prétentions de cette dernière, qui visent spécifiquement les clauses permettant à UniCredit Bank de modifier unilatéralement le contrat, ne dépend aucunement d’une décision relative à ces clauses. Or, dans ce cas, l’obligation d’examen d’office résultant de la directive 93/13 ne s’étend pas auxdites clauses, sous réserve des vérifications que la juridiction de renvoi devra, le cas échéant, effectuer en ce qui concerne l’objet précis dudit litige, au vu des conclusions et des moyens invoqués par Mme Lintner. Ce constat est cependant sans préjudice de la possibilité dont Mme Lintner pourrait, le cas échéant, se prévaloir, en vertu du droit national applicable, d’introduire un nouveau recours visant les clauses du contrat qui ne faisaient pas l’objet de son recours initial ou d’étendre l’objet du litige dont la juridiction de renvoi est saisie, sur invitation de ladite juridiction ou de sa propre initiative.
40. Par ailleurs, le fait que Mme Lintner soit représentée par un avocat n’a pas d’incidence sur l’analyse qui précède, la question, de nature générale, de la portée de l’examen d’office incombant au juge national saisi devant être tranchée en faisant abstraction des circonstances concrètes de chaque procédure (voir, par analogie, arrêt du 4 octobre 2007, Rampion et Godard, C‑429/05, EU:C:2007:575, points 62 et 65).
41. Enfin, il convient de rappeler, premièrement, que, en vertu de l’article 8 de la directive 93/13, « les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur ». Par conséquent, les États membres demeurent libres de prévoir, dans leur droit interne, un examen d’office plus étendu que celui que leurs juridictions doivent effectuer en vertu de cette directive, conformément aux considérations figurant aux points 28 à 38 du présent arrêt.
42. Deuxièmement, dans l’hypothèse où le juge national, après avoir établi, sur la base des éléments de fait et de droit dont il dispose ou dont il a eu communication à la suite des mesures d’instruction qu’il a prises d’office à cet effet, qu’une clause relève du champ d’application de ladite directive, constate, au terme de l’appréciation à laquelle il procède d’office, que cette clause présente un caractère abusif, il est, en règle générale, tenu d’en informer les parties au litige et de les inviter à en débattre contradictoirement, selon les formes prévues à cet égard par les règles nationales de procédure (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, EU:C:2013:88, points 31 et 32, ainsi que du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C‑419/18 et C‑483/18, EU:C:2019:930, point 70).
43. Troisièmement, le juge national n’est pas tenu, en vertu de la directive 93/13, d’écarter l’application de telles clauses contractuelles si le consommateur, après avoir été avisé par ledit juge, entend ne pas en faire valoir le caractère abusif et non contraignant (arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C‑243/08, EU:C:2009:350, point 33).
44. Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’un juge national, saisi d’un recours introduit par un consommateur et tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat que ce dernier a conclu avec un professionnel, n’est pas tenu d’examiner d’office et individuellement l’ensemble des autres clauses contractuelles, qui n’ont pas été attaquées par ce consommateur, afin de vérifier si elles peuvent être considérées comme abusives, mais doit examiner seulement celles qui sont liées à l’objet du litige, tel que ce dernier a été délimité par les parties, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, complétés, le cas échéant, par des mesures d’instruction.
Sur les deuxième et troisième questions :
45. Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, si, pour apprécier le caractère abusif de la clause contractuelle servant de base aux prétentions d’un consommateur, il convient de prendre en compte toutes les autres clauses du contrat que celui-ci a conclu avec un professionnel, une telle prise en compte implique, en tant que telle, une obligation, pour le juge national saisi, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de toutes ces clauses.
46. À cet égard, la Cour a rappelé que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, le juge national doit, afin de porter une appréciation sur le caractère éventuellement abusif de la clause contractuelle qui sert de base à la demande dont il est saisi, tenir compte de toutes les autres clauses dudit contrat (arrêt du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C‑472/11, EU:C:2013:88, point 41).
47. Cette obligation de tenir compte de toutes les autres clauses du contrat conclu entre un professionnel et un consommateur s’explique par le fait que l’examen de la clause attaquée doit prendre en compte tous les éléments susceptibles d’être pertinents pour comprendre cette clause dans son contexte, dans la mesure où, en fonction du contenu de ce contrat, il peut être nécessaire, aux fins de l’appréciation du caractère abusif de ladite clause, d’évaluer l’effet cumulatif de toutes les clauses dudit contrat (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Radlinger et Radlingerová, C‑377/14, EU:C:2016:283, point 95).
48. Toutefois, ainsi qu’il résulte des considérations exposées dans le cadre de l’analyse de la première question et comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, il n’en découle pas pour autant que le juge national est tenu d’examiner d’office ces autres clauses contractuelles de manière autonome quant à leur caractère éventuellement abusif, dans le cadre de l’appréciation qu’il effectue sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13.
49. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, s’il est vrai que, pour apprécier le caractère abusif de la clause contractuelle servant de base aux prétentions d’un consommateur, il convient de prendre en compte toutes les autres clauses du contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, cette prise en compte n’implique pas, en tant que telle, une obligation, pour le juge national saisi, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de toutes ces clauses.
Sur les dépens :
50. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
1) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens qu’un juge national, saisi d’un recours introduit par un consommateur et tendant à faire constater le caractère abusif de certaines clauses figurant dans un contrat que ce consommateur a conclu avec un professionnel, n’est pas tenu d’examiner d’office et individuellement l’ensemble des autres clauses contractuelles, qui n’ont pas été attaquées par ledit consommateur, afin de vérifier si elles peuvent être considérées comme abusives, mais doit examiner seulement celles qui sont liées à l’objet du litige, tel que ce dernier a été délimité par les parties, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, complétés, le cas échéant, par des mesures d’instruction.
2) L’article 4, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, s’il est vrai que, pour apprécier le caractère abusif de la clause contractuelle servant de base aux prétentions d’un consommateur, il convient de prendre en compte toutes les autres clauses du contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur, cette prise en compte n’implique pas, en tant que telle, une obligation, pour le juge national saisi, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif de toutes ces clauses.
Signatures
- 5717 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Faculté - Jurisprudence antérieure - Clauses abusives
- 5720 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Principe - Obligation - Droit de l’Union européenne
- 5724 - Code de la consommation - Régime de la protection - Consommateur - Procédure - Office du juge - Relevé d’office - Régime - Conditions - Clause affectant l’issue du litige
- 5986 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Cadre général - Contrôle judiciaire - Ordre logique des sanctions - Lien de la clause avec le litige : clauses abusives
- 6009 - Code de la consommation - Notion de clauses abusives - Appréciation du déséquilibre - Principes généraux - Appréciation globale