CA PARIS (pôle 5 ch. 3), 23 février 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9469
CA PARIS (pôle 5 ch. 3), 23 février 2022 : RG n° 21/02983
Publication : Jurica
Extraits : 1/ « Le texte précité [N.B. L. 132-1], dans sa rédaction applicable lors de la signature du bail, ne peut pas être valablement invoqué par la société Daphnis et Chloé, pour soutenir qu'une clause du bail la liant à la société Hôtelière Bibliothèque serait abusive.
En effet, la société appelante ne peut pas se prévaloir de la qualité de consommateur, non professionnel, alors que ce bail a été signé dans le cadre de l'objet social de la société commerciale pour les besoins de son activité professionnelle. »
2/ « Ce texte issu de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 permet de sanctionner le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans les contrats d'adhésion. Si cette disposition légale reprend l'état du droit positif antérieur, elle n'est pas applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016.
Or, la notion de déséquilibre significatif, pouvant être appliquée pour la définition d'une clause abusive, ne pouvait être invoqué par une personne n'ayant pas la qualité de consommateur, non professionnel, comme indiqué précédemment. La société Daphnis et Chloé ne peut donc pas s'en prévaloir. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
PÔLE 5 CHAMBRE 3
ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 21/02983 (9 pages). N° Portalis 35L7-V-B7F-CDDZH. Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 janvier 2021 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris – R.G. n° 20/08740.
APPELANTE :
SARL DAPHNIS ET CHLOE
agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège, immatriculée au RCS de CANNES sous le numéro XXX, [...], [...], Représentée par Maître Jean-Philippe A., avocat au barreau de PARIS, toque : L0053, avocat postulant, Assistée de Maître Nicolas B. de la SELARL B., avocat au barreau de NICE, avocat plaidant substitué par Maître Cécile P., avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant
INTIMÉE :
SASU HOTELIÈRE BIBLIOTHÈQUE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro YYY, [...], [...], Représentée par Maître Jacques A., avocat au barreau de PARIS, toque : D0781 substitué par Maître Carole C.-B., avocat au barreau de PARIS, toque : D0781
COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 14 décembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de : Monsieur Gilles BALA', président de chambre, Madame Elisabeth GOURY, conseillère, Madame Elisabeth IENNE-BERTHELOT, conseillère, qui en ont délibéré ; un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE
ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Monsieur Gilles BALA', président de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon acte sous seing privé du 30 décembre 2005 dénommé « bail commercial meublé », la société Dahpnis et Chloé a consenti à la société Park and Suites un bail portant sur deux studios meublés constituant les lots 59 et 60 et les parties communes attachées auxdits lots dépendant d'un immeuble en copropriété à destination de résidence hôtelière situé [...].
Le bail a été consenti pour une durée de 11 années et 11 mois à compter du jour de la signature de l'acte authentique par lequel le bailleur a reçu la propriété des lieux loués. La clause « Destination » est libellée comme suit :
« La destination exclusive est l'exercice par le preneur dans les locaux constituant la Résidence, dont celui objet des présentes, d'une activité d'exploitation de Résidence services consistant en la sous-location meublée de locaux situés dans ladite Résidence.
Le preneur est, en conséquence, de plein droit autorisé à consentir toutes sous-locations, sous la réserve qu'il respecte les obligations résultant du présent paragraphe et celles stipulées sous le paragraphe « sous-location » ci-après.
En outre, le preneur s'engage expressément, dans le cadre de la destination ci-dessus fixée, à offrir aux résidents les services et prestations hôtelières nécessaires à la non remise en cause du régime fiscal de faveur dont a bénéficié l'acquéreur.
Et plus spécialement, il s'oblige à rendre ces services et prestations au moins conformément aux prescriptions de l'article 261 D4° du C.G.I. et des instructions administratives des 11 avril 1991 et 30 avril 2003, de manière à ce que la présente location soit passible de TVA, et ce pendant toute la période de validité des présentes ».
Fin 2005 et courant 2006, la société Park and Suites a conclu avec plusieurs autres propriétaires des baux identiques portant sur des lots situés dans la même résidence.
Le 30 juin 2010, la société Hôtelière Bibliothèque a acquis le fonds de commerce de la société Park and Suites.
Le 20 juillet 2015, l'assemblée générale des copropriétaires a voté la réalisation de travaux de rénovation dans les parties communes de l'immeuble.
Par lettre du 19 novembre 2015, la société Hôtelière Bibliothèque a demandé aux bailleurs de prendre en charge des travaux de rénovation de leur lot, selon descriptif chiffré joint au courrier, faisant notamment valoir que les commentaires négatifs des clients sur internet confirmaient la dégradation avancée des équipements de la résidence.
Plusieurs bailleurs ont refusé de donner suite à cette demande. Les 22 et 23 janvier 2016, la société Hôtelière Bibliothèque a fait dresser un procès-verbal de constat d'état des lieux dans les différents lots pris à bail. Courant février 2016, elle a fait signifier ce constat aux bailleurs n'ayant pas donné suite à sa demande de réalisation de travaux de rénovation, l'acte comportant par ailleurs sommation d'avoir, soit à autoriser la société Hôtelière Bibliothèque à faire effectuer elle-même lesdits travaux à ses frais avancés, soit à indiquer quelles dispositions ils entendaient prendre pour les effectuer eux-mêmes.
Cette sommation étant restée vaine, la société Hôtelière Bibliothèque a fait assigner les bailleurs concernés devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins de désignation d'un expert judiciaire.
Par ordonnance du 24 mai 2016, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 septembre 2017, le juge a désigné Mme X. en qualité d'expert avec pour mission de :
« - décrire l'état des revêtements de sol et de murs, du mobilier présent, des éléments d'équipement de la salle d'eau et de la « kitchenette » de chacun des lots,
- donner son avis sur le point de savoir si les lieux ont été correctement entretenus et sur la nécessité de réaliser des travaux de réparation ou de remplacement, et, le cas échéant, évaluer le coût des travaux nécessaires pour permettre une utilisation conforme à la destination des lieux ».
Mme X. a déposé son rapport le 10 janvier 2017. Elle estime que les lieux ont été « plutôt correctement entretenus » et conclut à la nécessité de réaliser des travaux de remplacement de revêtements de sols et de mobilier, des éléments d'équipement de la salle d'eau et de la kitchenette de chacun des appartements meublés qu'elle a visités. Elle évalue le coût global des frais nécessaires à la somme de 640.433 € HT (768.520 € TTC) pour les 29 lots concernés par son expertise, soit 448.830 € HT pour les travaux de rénovation et 191.603 € HT pour le remplacement du mobilier.
Par ordonnance du 27 février 2017, le juge des référés de ce tribunal, saisi par la société Hôtelière Bibliothèque, a autorisé cette dernière à faire réaliser les travaux de remise en état des lieux loués, à ses frais avancés et à ses risques et périls.
Les travaux ont depuis lors été effectués par le preneur à ses frais avancés.
Au cours des mois d'avril et mai 2017, la société Hôtelière Bibliothèque a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris les bailleurs ayant refusé de s'acquitter des sommes réclamées pour la rénovation de leurs lots.
Par ordonnance du 21 décembre 2018, le juge de la mise en état, statuant à la demande de certains bailleurs, a ordonné à la société Hôtelière Bibliothèque de communiquer « des factures lisibles des travaux réclamés pour chacun des lots dont ils sont propriétaires, au besoin en détaillant lot par lot les travaux réclamés par références claires aux devis et aux factures établies de façon globale pour la résidence ».
En revanche, le juge a débouté les bailleurs de leur demande de production du contrat de franchise conclu par la société Hôtelière Bibliothèque avec le groupe Choice Hotels/Quality Suites et de production du cahier des charges signé avec le franchiseur, aux motifs que ces pièces étaient sans incidence sur le présent litige, circonscrit à l'application des clauses du bail, et qu'elles étaient au demeurant inopposables aux bailleurs.
Par ordonnance du 11 septembre 2020, le juge de la mise en état a ordonné la disjonction de l'instance en autant d'instances que de défendeurs ou de couples de défendeurs.
Par jugement du 14 janvier 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a :
- Condamné la société Daphnis et Chloé à payer à la société Hôtelière Bibliothèque la somme de 55.123,20 € TTC au titre des frais de remise en état des lieux loués, outre les intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2017,
- Condamné la société Daphnis et Chloé à payer à la société Hôtelière Bibliothèque la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté la société Daphnis et Chloé de l'ensemble de ses demandes,
- Condamné la société Daphnis et Chloé aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire confiée à Mme X. hauteur de 1/17ème, dont distraction au profit de Maître A. conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision en toutes ses dispositions.
Par déclaration en date du 12 février 2021, la SARL Daphnis et Chloe, a interjeté appel de ce jugement.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 novembre 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu les dernières conclusions notifiées le 26 octobre 2021, par lesquelles la société Daphnis et Chloe, demande à la Cour de :
In limine litis, annuler le rapport d'expertise judiciaire du 10 janvier 2017 de Madame X. et en ordonner la destruction ;
Au fond,
- Réformer le jugement du 14 janvier 2021 en ce qu'il a condamné la société Daphnis et Chloé au paiement de travaux réalisés d'un montant de 55.123,20 euros ;
- Juger, compte tenu de l'usage que la société Hôtelière Bibliothèque fait des locaux loués, que la clause du bail intitulé « Entretien et réparations » impose qu'elle assume seule les travaux de rénovations effectués
- Juger que la société Hôtelière Bibliothèque doit assumer elle-même les travaux qu'elle a engagés à ses risques et périls et ce, par application du contrat de bail qui lie les parties ;
A titre subsidiaire,
- Juger que la société Hôtelière Bibliothèque doit assumer le coût des travaux sur le fondement de l'article L. 311-1 du Code de Tourisme ;
- Juger que la société Daphnis et Chloé n'est pas redevable de payer les travaux engagés par la société Hôtelière Bibliothèque à ses risques et périls ;
A titre infiniment subsidiaire,
- Juger non écrite la clause du bail intitulé « Entretien et réparations » ;
- Juger que la société Hôtelière Bibliothèque doit assumer elle-même les travaux qu'elle a engagés à ses risques et périls et ce, par application du contrat de bail qui lie les parties ;
- Juger que la société Daphnis et Chloé n'est pas redevable de payer les travaux engagés par la société Hôtelière Bibliothèque ;
En tout état de cause,
- Condamner la Société Hôtelière Bibliothèque au paiement de la somme de 5.000 EUR en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Philippe A. avocat au barreau de Paris ;
[*]
Vu les dernières conclusions notifiées le 22 novembre 2021, par lesquelles la société Hôtelière Bibliothèque demande à la Cour de :
- Confirmer le jugement rendu le 14 janvier 2021 en toutes ses dispositions,
- Débouter la société Daphnis et Chloé de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions
- Ordonner la capitalisation des intérêts dus dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil,
- Condamner la société Daphnis et Chloé à payer la société Hôtelière Bibliothèque la somme de 2.000,00 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Jacques A., avocat, par application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
[*]
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Sur la demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire :
Aux termes de l'article 238 du code de procédure civile, le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen duquel il a été commis, il ne peut répondre à d'autres questions sauf accord écrit des parties et ne doit jamais porter d'appréciation d'ordre juridique.
La demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire sur le fondement de ce texte n'est pas fondée en ce qu'aucune disposition ne sanctionne de nullité l'inobservation des obligations imposées par ce texte au technicien.
En réalité, la critique selon laquelle l'expert judiciaire n'aurait pas réalisé sa mission en tenant compte du fait que les locaux litigieux étaient loués pour l'exploitation d'une résidence service et non pas d'un hôtel 3 étoiles, est une critique de fond qui porte sur l'avis même de l'expert ; cette critique à laquelle l'expert avait d'ailleurs déjà répondu dans son rapport, est soumise à la discussion contradictoire des parties devant le juge.
La demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire n'est en conséquence pas fondée.
Sur les obligations du bailleur :
Aux termes de l'article 1719 du Code civil, le bailleur est notamment obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en l'état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.
Aux termes de l'ancien article 1134 du Code civil applicable à l'espèce, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
En l'espèce, les parties sont liées par un bail commercial meublé par acte sous seing privé du 30 décembre 2005, établi sur un imprimé à l'entête de la société Park&Suites, constituant un modèle appliqué à tous les baux de la résidence, pour être conclu en termes identiques avec les différents investisseurs ayant acquis un ou plusieurs lots de la résidence.
Ainsi, l'exposé préalable du contrat désigne l'ensemble à destination de résidence hôtelière que le preneur a conçu le projet d'exploiter sous forme de résidence meublée avec services, en prenant à bail commercial chacun des lots de la résidence après leur vente et préalablement meublés par les propriétaires, pour les sous-louer meublés aux futurs résidents, en versant un loyer quel que soit le taux d'occupation réel du local, et en remplissant certaines obligations annexes mais déterminantes du consentement du bailleur, telles que les prestations hôtelières.
Cette situation particulière place l'investisseur particulier en situation d'adhérer, en signant en même temps que son acte de vente, un contrat de bail, à un projet d'exploitation d'une résidence service devant lui assurer, dans un montage fiscalement avantageux, un retour sur investissement dont l'économie générale n'a cependant pas d'incidence sur la solution du présent litige.
C'est pourquoi le contrat comporte quelques clauses exorbitantes, comme par exemple l'impossibilité pour le preneur de résilier à l'expiration des périodes triennales, le contrat ayant été conclu pour une période incompressible de 11 années et 11 mois ; de même, le preneur devant exploiter par des contrats de sous-location, s'est obligé à offrir aux résidents les services et prestations hôtelières nécessaires à la non remis en cause du régime fiscal de faveur dont a bénéficié l'acquéreur.
C'est dans ce contexte qu'une clause particulière relative à l'entretien et aux réparations a été stipulée dans les termes suivants :
« Le PRENEUR supportera les réparations locatives visées au Décret 87-712 du 26 août 1987 dans sa rédaction à ladite date, toutes autres réparations incomberont au BAILLEUR.
Il reste entendu que le PRENEUR ne prendra en charge ces dépenses que pour autant qu'elles ne correspondent pas aux réparations visées à l'article 606 du Code Civil.
Le PRENEUR devra prévenir par écrit le BAILLEUR de tous désordres dans les lieux loués qui rendraient nécessaires des travaux ou interventions incombant au BAILLEUR ».
Le décret n° 87-712 du 26 août 1987 pris en application de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986 définit les charges récupérables sur le locataire. Son article 1 est libellé comme suit :
« Sont des réparations locatives les travaux d'entretien courant, et de menues réparations, y compris les remplacements d'éléments assimilables auxdites réparations, consécutifs à l'usage normal des locaux et équipements à usage privatif. Ont notamment le caractère de réparations locatives les réparations énumérées en annexe au présent décret ».
Le choix des parties de se référer à ce texte dans le bail commercial litigieux pour déterminer les réparations imputables au preneur n'est pas contraire à la loi.
La société Hôtelière Bibliothèque prétend obtenir le remboursement des travaux qu'elle a effectués dans les parties privatives des lots loués, en exécution de l'obligation résultant de la clause précitée, a contrario, au motif qu'il s'agit de travaux de réparation nécessaires pour permettre au preneur de jouir de la chose louée en l'état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.
Elle prétend que seules les réparations du décret dans sa rédaction initiale sont mises à sa charge, ce qui a pour conséquence que la plus importante partie des travaux d'entretien et de réparations à la charge du bailleur, tels que la remise à neuf du mobilier, le changement des revêtements de sol et de mur, soit en pratique la remise en état totale des chambres (pièces 1, décret et 2, baux) contrairement à ce que prétendent les bailleurs qui tirent la conséquence erronée du 2ème alinéa en prétendant qu'ils ne devraient que les réparations en vertu de l'article 606 du code civil.
Or, Elle affirme que les locaux, tant en ce qui concerne les parties privatives que communes, sont aujourd'hui vétustes pour l'exploitation hôtelière et nécessitent la réalisation de travaux de remise en état, se fondant sur l'avis de Madame X., expert, dans son rapport clos le 10 janvier 2017, ayant affirmé que tant le mobilier que les équipements, que les sols et revêtements des appartements sont vétustes, même si les lieux ont été plutôt correctement entretenus.
L'avis de l'expert a été exprimé dans les termes suivants :
« Les équipements et finitions des lots aménagés il y a plus de 20 ans, sont aujourd'hui, pour une part mineure en état d'usage et pour une part majeure en états usagés et/ou vétustes, les revêtements et agencements étant usés et/ou dégradés de façon significative. L'ensemble contribue à donner aux locaux et à leurs équipements l'image d'une hygiène parfois douteuse difficilement recevable pour des studios meublés, hormis les 2 lots « témoins » qui ont été refaits à neuf. Conclusion : Suite à nos constatations, notre avis est qu'il y a nécessité de réaliser des travaux de remplacement de revêtements de sols et de murs, du mobilier présent, des éléments d'équipement de la salle d'eau et de la kitchenette de chacun des appartements meublés que nous avons visités. »
Pour s'opposer à la demande, la société appelante prétend successivement :
- que le contrat ne met à la charge du bailleur que les seules réparations visées à l'article 606 du Code civil
- que les travaux d'entretien et de réparation litigieux ont été rendus nécessaires par un usage hôtelier intensif non conforme au contrat, et doivent constituer des charges de l'activité hôtelière.
- que les travaux nécessaires pour l'exploitation d'un hôtel de catégorie 3 étoiles n'entrent pas dans les prévisions du contrat
- que les travaux litigieux sont à la charge du preneur en application de l'article L. 311-1 du code de tourisme
- que la clause litigieuse du bail relative aux travaux d'entretien et de réparation doit être réputée non écrite en application de l'article L.132-1 du code de la consommation dans sa rédaction ancienne applicable au litige
- que la clause doit encore être déclarée non écrite en application de l'article 1171 du Code civil en raison d'un déséquilibre significatif
Il y a lieu d'examiner ces différents moyens.
Sur le moyen tiré de l'article L. 132-1 du code de la consommation :
Le texte précité, dans sa rédaction applicable lors de la signature du bail, ne peut pas être valablement invoqué par la société Daphnis et Chloé, pour soutenir qu'une clause du bail la liant à la société Hôtelière Bibliothèque serait abusive.
En effet, la société appelante ne peut pas se prévaloir de la qualité de consommateur, non professionnel, alors que ce bail a été signé dans le cadre de l'objet social de la société commerciale pour les besoins de son activité professionnelle.
Sur le moyen tiré de l'article 1171 du Code civil :
Ce texte issu de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 permet de sanctionner le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans les contrats d'adhésion.
Si cette disposition légale reprend l'état du droit positif antérieur, elle n'est pas applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016.
Or, la notion de déséquilibre significatif, pouvant être appliquée pour la définition d'une clause abusive, ne pouvait être invoqué par une personne n'ayant pas la qualité de consommateur, non professionnel, comme indiqué précédemment.
La société Daphnis et Chloé ne peut donc pas s'en prévaloir.
Sur le moyen tiré de l'article L. 311-1 du code de tourisme :
C'est par une analyse circonstanciée et des motifs pertinents qu'il convient d'adopter entièrement que le premier juge a rejeté ce moyen, cette disposition légale n'étant pas de nature à modifier la répartition de la charge des travaux d'entretien et de réparation, résultant d'une disposition contractuelle.
Sur le moyen tiré d'une interprétation de la clause contractuelle :
La société appelante, pour critiquer le jugement entrepris qui a fait une application de la clause contractuelle précitée, développe deux arguments d'interprétation de sa portée.
Elle n'est cependant pas fondée en premier lieu à prétendre que la clause litigieuse limiterait les travaux de réparation et d'entretien à sa charge aux seuls travaux définis à l'article 606 du Code civil. Une lecture attentive de la clause permet en effet de constater que le premier paragraphe définit les travaux à la charge du preneur, en les limitant aux seuls travaux relatifs aux « réparations locatives visées au Décret 87-712 du 26 août 1987 dans sa rédaction à ladite date » alors que le 2e paragraphe vient restreindre les travaux à charge du preneur en excluant ceux qui, bien que correspondant à la définition du premier paragraphe, restent néanmoins à la charge du bailleur en ce qu'ils constituent des grosses réparations visées à l'article 606 du Code civil. Il en résulte que tous les travaux qui ne correspondent pas à ceux limitativement à la charge du preneur en vertu du premier paragraphe, sont à la charge du bailleur comme l'indique ce texte, qu'il s'agisse ou non de grosses réparations visées à l'article 606 du Code civil.
En deuxième lieu la société appelante critique le jugement pour avoir considéré qu'en l'absence de stipulations contraires, le bailleur supporte également l'ensemble des réparations rendues nécessaires par la vétusté ; cette critique procède de la même confusion en ce que la clause contractuelle ne définit pas les travaux d'entretien de réparation à la charge du bailleur mais seulement ceux à la charge du preneur. Il en résulte que tous les travaux qui ne correspondent pas à ceux limitativement à la charge du preneur en vertu du premier paragraphe de la clause litigieuse, sont à la charge du bailleur comme l'indique ce texte, qu'il s'agisse ou non de travaux rendus nécessaires par la vétusté.
Sur le bien-fondé de la demande :
L'expert a analysé les locaux en classant les éléments mobiliers et immobiliers en 3 catégories :
- état d'usage : qui n'est pas récent et qui correspond à l'usage
- état usagé : usé
- état vétuste : vieux
il a constaté que la construction de l'immeuble et les aménagements intérieurs dateraient de 1995, avec des revêtements et un niveau de finition conforme aux tendances de l'époque ; et il observe que les lots témoins réaménagés récemment sont rénovés de façon équivalente selon des prestations comparables à celles d'origine, mais avec des finitions qui correspondent aux critères d'aménagement actuels, s'agissant des matériaux, couleurs et finitions. Il précise qu'après une première impression générale favorable et de bon entretien, apparaît l'état d'usage et de vétusté qui ne résulte pas d'un défaut d'entretien. En particulier il observe que les matériaux utilisés ne sont pas vraiment lavables de sorte qu'à l'usage ils sont dégradés par les taches usées par les tentatives de nettoyage, qu'il s'agisse des sols des kitchenettes ou des mobiliers d'assise ; de même, il relève que certains mobiliers réalisés en panneaux stratifiés ou mélaminés avec un placage de couleur sombre en finition sont usés au point que l'on constate le décollement, l'éclatement des bandes de champs avec le support en contreplaqué devenu apparent. Ainsi pour l'essentiel, les lieux visités lui apparaissent pour une part très mineure en état d'usage mais pour l'essentiel usagés ou vétustes, cette dégradation donnant l'image d'une hygiène douteuse incompatible avec l'hébergement de résidents en appartement meublé.
Le bail consenti par la société Daphnis et Chloé par acte sous seing privé du 30 décembre 2005 porte sur les lots 59 et 60 représentant deux T2 et le lot de parkings 90.
S'agissant du lot 59 correspondant à la chambre 601, et du lot 60 correspondant à la chambre 602, l'expert judiciaire relève que certains éléments sont en état d'usage, d'autre en état usagé et dégradé ou vétuste.
Dans la mesure où les lieux ont été correctement entretenus, la nécessité de procéder au remplacement des éléments usagés ou vétustes n'est pas discutable.
Il s'agit de travaux de réparation et d'entretien consistant dans le remplacement des revêtements de sol et de mur, d'éléments de mobilier et d'équipement de la salle d'eau et de la kitchenette. De même l'expert a prévu la nécessité de procéder à la modification partielle de l'installation électrique existante pour l'adapter aux nouveaux matériels, la pose de luminaires aux normes actuelles, la fourniture et pose de nouveaux matériels de sanitaires, la reprise partielle de la plomberie pour l'adapter aux nouveaux matériels, et en raison de l'importance de ces travaux la mise en peinture des plafonds faux plafonds, et boiseries.
Il n'est pas sérieusement envisageable de procéder à des reprises partielles, de sorte que la société Hôtelière Bibliothèque était en droit d'exiger les travaux définis par l'expert judiciaire, sur la base des devis produits par certaines parties ; l'expert doit être approuvé d'avoir estimé que les solutions proposées par la société Hôtelière Bibliothèque et ses conseils techniques sont cohérentes pour réaliser des travaux de remplacement, le niveau de prestation étant équivalent à celui d'origine, et ces travaux étant nécessaires pour poursuivre l'exploitation.
Pour répondre aux objections des bailleurs relatives au niveau de standing affiché par les enseignes figurant en façade à l'extérieur de l'immeuble, soit « Quality Suites », « Appart hotel » et le logo « H*** », l'expert a clairement confirmé avoir visité des locaux aménagés en studio équipé d'une porte d'entrée, de couchage, de dressing, d'une salle d'eau et d'une partie cuisine kitchenette, et avoir préconisé des travaux sur la base des devis produits par la demanderesse qui ne comportent pas d'amélioration mais un niveau de prestation équivalent à celui qui préexistait.
L'avis de l'expert n'est pas sérieusement critiqué par la seule affirmation de principe selon laquelle il aurait préconisé des travaux améliorant le standing des locaux, mais sans aucune étude technique critique. Ainsi les bailleurs ne rapportent pas la preuve que d'autres solutions auraient été plus adaptées et moins onéreuses.
Ces travaux de réparation et d'entretien nécessaires à la poursuite de l'exploitation excèdent les réparations locatives contractuellement imputables au preneur, par application de la clause contractuelle précitée, et ils incombent par conséquent au bailleur.
Les prix proposés par l'entreprise Briones ne sont pas sérieusement critiqués, et d'ailleurs font bénéficier à chaque bailleur pris individuellement, l'avantage de la commande groupée pour la rénovation de tous les lots concernés de la résidence.
Les prix globaux ont fait l'objet d'une présentation détaillée, pour chaque type de chambre, par des devis qui indiquent les travaux réalisés, et les chambres auxquelles ils s'appliquent. Il en est de même pour les factures de remplacement du mobilier.
Le jugement sera en conséquence purement et simplement confirmé en ce qu'il a condamné la société Daphnis et Chloe au paiement de la somme de 55.123,20 € TTC.
Il convient d'y ajouter, en application de l'article 1343-2 du Code civil, que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront intérêts.
Sur les demandes annexes :
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et frais irrépétibles doivent être confirmées.
En équité, par application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Daphnis et Chloe devra indemniser la société Hôtelière Bibliothèque des frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel en lui payant la somme de 1.000 €. Elle sera en outre condamnée aux dépens, avec distraction au profit de Maître Jacques A., avocat, en application des dispositions de l'article 699 du même code.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêts,
Condamne la société Daphnis et Chloe à payer à la société Hôtelière Bibliothèque la somme de 1.000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la société Daphnis et Chloe aux dépens d'appel et autorise Maître Jacques A., avocat, à recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans recevoir de provision.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT,
- 5872 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Notion d’activité professionnelle - Activité et objet social
- 5920 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus pendant l’activité - Immeubles - Contrats immobiliers conclus par des sociétés immobilières
- 6150 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. - Présentation générale
- 6151 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit postérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 et à la loi du 20 avril 2018 - Art. 1171 C. civ. - Application dans le temps
- 6153 - Code civil et Droit commun - Sanction directe des déséquilibres significatifs - Droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 - Extension directe sans texte