T. COM. ROUEN, 16 novembre 1998
CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 971
T. COM. ROUEN, 16 novembre 1998 : RG n° 98/003854
(sur appel CA Rouen (2e ch.), 23 nov. 2000 : RG n° 99/00172)
Extraits : 1/ « que ces deux contrats (location de matériel adossé à un contrat de maintenance) constituent ensemble une convention de « renting » ; qu'il convient de souligner que dans les articles 5 (obligations) et 7 (délimitation de responsabilité) de TELESIX, si cette société reconnaît qu'elle « s'engage à assurer la maintenance du matériel désigné », elle ajoute (alinéas 2 des articles 5 et 7.2) que « En exécution de ce contrat, TELESIX est tenue d'une obligation de moyen, à l'exclusion de toute obligation de résultat, ce que le « CLIENT » accepte expressément », que cette clause est manifestement abusive car toute obligation de maintenance, opération dont le but est de maintenir un appareil en état de fonctionnement, ne peut se satisfaire d'une obligation de moyens ».
2/ « Attendu que la société FIRENT ex COFIGEST ainsi que la société TELESIX ont entendu se soumettre volontairement aux dispositions du Code de la Consommation puisque tous deux ont inclus dans leurs conditions générales, impression en italique, les articles L. 121-23 à 121-28 de cette loi du 26 juillet 1993 ; qu'ils ont également prévu le formulaire détachable destiné à faciliter au client l'exercice de son droit de renonciation ; qu'ils ont donc considéré que le contrat avait été signé par Mme X. dans le cadre de son activité professionnelle mais hors de sa spécialité ».
3/ « que tout contrat doit présenter un intérêt pour ceux qui s'y obligent ; que le mobile déterminant sans lequel elle n'aurait pas contracté ne peut être que la recherche d'un profit, qu'il est manifeste que le coût de la location d'un publiphone à pièces installé dans un petit bar de quartier, début 1997 au moment où le téléphone portable se développe d'une façon quasi exponentielle et où existent encore de nombreuses cabines téléphoniques, ne pouvait être amorti ni par les recettes directes de l'appareil ni par celles induites par cette installation ; que l'arrêt de la Cour de Cassation (1re chambre civile) du 3 juillet 1996, rejetant un pourvoi dans une affaire similaire, énonce qu'un contrat est dépourvu de cause lorsque l'économie voulue par les parties était impossible ; que c'est le cas en l'espèce et donc ce deuxième moyen est donc fondé ».
TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROUEN
JUGEMENT DU 16 NOVEMBRE 1998
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
R.G. n° 98/003854. Audience Publique du Tribunal de Commerce de ROUEN (Seine-Maritime) du seize novembre mil neuf cent quatre vingt dix huit, où siégeaient MR LE BUHAN, Président d'audience, MM POUILLEVET et LECOQ, Juges, assistés de MR CLERC Greffier. Le Tribunal vidant son délibéré du 28 septembre 1998, où siégeaient MR LE BUHAN, Président d'audience, MM DROUIN et LECOMTE, Juges, assistés de MR CLERC Greffier, a rendu le jugement suivant :
ENTRE :
LA SOCIÉTÉ COFILION SA
dont le siège est à [adresse], demanderesse, représentée par Maître NIZOU-LESAFFRE, avocat à LIMOGES, plaidant par Maître MUTEL, Avocat à ROUEN, d'une part
ET :
Madame X.
demeurant à [adresse], défenderesse représentée par la SCP SILIE VERILHAC, plaidant par Maître LE GIGAN, avocat à ROUEN, d'autre part
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PROCÉDURE :
Par exploit de Maître A., B., C., huissiers de justice à [ville], en date du 26 mars 1998, la société COFILION a assigné Mme X. à comparaître le 11 mai 1998 devant le Tribunal de céans, pour s'entendre,
- dire et juger recevable et fondée en l'ensemble de ses demandes ;
- constater que le contrat conclu entre la société COFILION et Madame X. a été résilié de plein droit 8 jours après l'envoi de la mise en demeure du 26 novembre 1997 ;
- condamner en conséquence Madame X. à payer à la société COFILION la somme de 24.833,95 francs en principal, augmentée des intérêts de droit à compter du 26 novembre 1997, date de la mise en demeure qui lui a été adressée, et des intérêts capitalisés, conformément aux clauses des contrats les unissant ;
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, sans caution ni garantie,
- condamner Madame X. à payer à la société COFILION la somme de 6.000 francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC,
- la condamner aux dépens de la procédure.
Par conclusions reconventionnelles du 3 septembre 1998, Mme X. demande au Tribunal de :
- Annuler pour défaut de cause, par application de l'article 1131 du code Civil, les contrats de janvier 1997 et débouter en conséquence COFILION de toutes ses demandes fins et conclusions en condamnant cette société au paiement d'une indemnité de 5.000 francs par application de l'article 700 du NCPC.
A titre infiniment subsidiaire, accorder termes et délais à Madame X.
[minute page 2] Par voie de conclusions en réplique du 8 septembre 1998, la société COFILION demande au Tribunal de :
- lui adjuger l'entier bénéfice de ses précédentes écritures et rejeter les prétentions de Mme X.
LES FAITS :
Le 17 janvier 1997, Madame X. exploite un fonds de bar, à [ville], et a conclu deux contrats, un de prestations de téléphonie avec la société TELESIX et l'autre de location d'un publiphone à pièces de type PEGASUS avec la société COFILION, qui y était représentée par la société COFIGEST.
Le 3 février 1997, le matériel a été livré et installé.
N'ayant payé aucune des mensualités prévues dans les contrats signés le 17 janvier 1997, elle a été mise en demeure le 26 novembre 1997 par la société FIRENT, venant aux droits de la société COFIGEST, de lui payer la somme de 24.833,95 francs représentant les loyers impayées de février 1997 à novembre 1997 et les loyers restant à échoir de février 1998 à novembre 2000.
D'où le présent litige.
DROITS ET MOYENS DES PARTIES :
COFILION :
- fait valoir que Mme X., locataire du publiphone à pièces depuis le 17 janvier 1997, date de signature du contrat, avait l'obligation de payer les loyers dus sous peine de résiliation mais n'a réglé aucune échéance malgré la mise en demeure.
- réplique que la cause de l'engagement de Mme X. est constituée de l'obligation de COFILION de lui fournir le matériel qu'elle a choisi et qu'elle n'établit pas que l'appareil ne serait pas rentable.
Mme X. soutient que le contrat est nul :
- pour absence de cause car le mobile déterminant, sans lequel elle n'aurait pas contracté, est la recherche du profit et il était évident pour le démarcheur que cet appareil ne pouvait être rentable compte tenu de l'emplacement et de la fréquentation du bar.
- en application de l'article L. 121-13 du code de la consommation qui dispose qu'à peine de nullité le contrat doit indiquer le prix global à payer et les modalités de paiement.
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
MOTIVATION :
- Attendu que Mme X. a été démarchée par une même personne M. Y. agissant, à la fois, comme mandataire de TELESIX et de COFIGEST représentant COFILION ; que ces deux contrats, l'un de prestations de téléphonie (TELESIX), l'autre de location (COFIGEST), signés le 17 janvier 1997 par les parties, sont interdépendants ; qu'ils sont rédigés en caractères identiques, la première page contenant les [minute page 3] mêmes cadres à remplir : désignation du matériel, prix de la prestation ; que le nom du bailleur, pouvant être un organisme financier pris dans une liste, n'est pas précisé ; que le loueur, en application de l'article 6 du contrat de location, reverse à TELESIX, au titre de la prestation de service « 14,4 % du montant total encaissé mensuellement par le bailleur » ;
- que l'article 3 du contrat TELESIX énonce « Pour le cas où l'acquisition du matériel désigné à l'article 1 ci-avant, serait financé par le biais d'une location, le présent contrat serait conclu sous condition suspensive constituée par l'acceptation du dossier de financement relatif au dit matériel, que TELESIX s'engage à soumettre à la Société devant en faire l'acquisition pour le louer au « CLIENT », qu'il apparaît donc que le contrat TELESIX n'existe que par la signature de la convention de location ; que le libellé de cet article peut faire croire au locataire qu'il deviendra propriétaire de l'appareil au terme de la location ce qui est inexact ;
- qu'il y a lieu de constater que le démarcheur lève immédiatement cette condition dite suspensive en signant les deux contrats le même jour sans se préoccuper ni de l'acceptation du dossier par l'organisme financier acheteur dont le nom n'est pas indiqué ni des possibilités financières du locataire potentiel ; qu'également le procès-verbal de réception du matériel a été signé par un certain Christophe X. dont la fonction n'est pas lisible et qu'il n'est pas démontré qu'il était habilité à le faire ;
- que ces deux contrats (location de matériel adossé à un contrat de maintenance) constituent ensemble une convention de « renting » ; qu'il convient de souligner que dans les articles 5 (obligations) et 7 (délimitation de responsabilité) de TELESIX, si cette société reconnaît qu'elle « s'engage à assurer la maintenance du matériel désigné », elle ajoute (alinéas 2 des articles 5 et 7.2) que « En exécution de ce contrat, TELESIX est tenue d'une obligation de moyen, à l'exclusion de toute obligation de résultat, ce que le « CLIENT » accepte expressément », que cette clause est manifestement abusive car toute obligation de maintenance, opération dont le but est de maintenir un appareil en état de fonctionnement, ne peut se satisfaire d'une obligation de moyens ;
Sur la nullité éventuelle du contrat COFILION :
- Attendu que la société FIRENT ex COFIGEST ainsi que la société TELESIX ont entendu se soumettre volontairement aux dispositions du Code de la Consommation puisque tous deux ont inclus dans leurs conditions générales, impression en italique, les articles L. 121-23 à 121-28 de cette loi du 26 juillet 1993 ; qu'ils ont également prévu le formulaire détachable destiné à faciliter au client l'exercice de son droit de renonciation ; qu'ils ont donc considéré que le contrat avait été signé par Mme X. dans le cadre de son activité professionnelle mais hors de sa spécialité ;
- que l'article L. 121-11 inclus dans la section « démarchage » dispose : « Est soumis aux dispositions de la présente section quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique, à sa résidence ou à son lieu de travail ... ; afin de lui proposer l'achat, la vente, la location, la location-vente ou la fourniture de services » ; qu'en l'espèce le contrat litigieux est un contrat de location ;
- que l'article L. 121-23 énonce : « Les opérations visées à l'article L. 121-11 doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire est remis ait client au moment de la conclusion du [minute page 4] contrat et comporter, à peine de nullité les mentions suivantes : « Prix global à payer et modalités de paiement » ;
- que sur chaque exemplaire des contrats TELESIX et COFIGEST remis à Mme X., au paragraphe « Prix de la prestation », il est seulement indiqué « Total HT 390,00 francs » ; qu'il faut se reporter à l'article 8 du contrat TELESIX pour savoir que ce montant correspond à une mensualité ; que COFIGEST ne précise qu'il s'agit de loyers mensuels que dans l'article 6 « le montant des mensualités indiqué à l'article 1... » ; que ce n'est que par une lecture attentive des articles 8 (TELESIX) ou 6 (COFIGEST) que le cocontractant apprend donc qu'il n'y a qu'un seul loyer à régler ;
- que ni les montants de la TVA ni de la mensualité TTC ne sont indiqués ; que le montant total des loyers TTC avec prestations de services sur 48 mois n'est pas indiqué, contrevenant ainsi aux dispositions de l'article L. 121-23 du Code de la Consommation ; que l'indication de ce total (22.576,32 francs) aurait effrayé Mme X. qui n'aurait sans doute pas signé ; que par contre sur l'exemplaire en possession de COFIGEST ces cases ont été remplies ultérieurement (écriture différente) ; que bizarrement alors que contractuellement, les loyers étaient mensuels la mise en demeure de FIRENT du 26 novembre 1997 fait état de loyers trimestriels échus impayés pour une année entière alors que 10 mois se sont seulement écoulés ; que dès lors, en application de l'article L. 121-23 du Code de la Consommation, le Tribunal fait droit à la demande de Mme X. et prononce la nullité du contrat conclu avec COFIGEST le 17 janvier 1997 ;
- Attendu que surabondamment Mme X. invoque un second moyen, tiré de l'absence de cause, justifiant la nullité du contrat pour ce motif, ce que réfute COFIGEST ;
- que tout contrat doit présenter un intérêt pour ceux qui s'y obligent ; que le mobile déterminant sans lequel elle n'aurait pas contracté ne peut être que la recherche d'un profit, qu'il est manifeste que le coût de la location d'un publiphone à pièces installé dans un petit bar de quartier, début 1997 au moment où le téléphone portable se développe d'une façon quasi exponentielle et où existent encore de nombreuses cabines téléphoniques, ne pouvait être amorti ni par les recettes directes de l'appareil ni par celles induites par cette installation ; que l'arrêt de la Cour de Cassation (1re chambre civile) du 3 juillet 1996, rejetant un pourvoi dans une affaire similaire, énonce qu'un contrat est dépourvu de cause lorsque l'économie voulue par les parties était impossible ; que c'est le cas en l'espèce et donc ce deuxième moyen est donc fondé ;
- Attendu que la nullité de ce contrat successif étant prononcé, celui-ci ne peut produire d'effets qu'après ce jugement ; que les parties sont tenues d'obligations réciproques de restitution ; que Mme X. ayant joui de l'appareil pendant 14 mois réglera à COFIGEST au titre de la contrepartie monétaire de cette mise à disposition, un montant arbitré par le Tribunal à la somme de 600 francs ; que Mme X. devra restituer à COFIGEST l'appareil PEGASUS dans le délai d'un mois suivant la signification du présent jugement, à la date qu'elle aura choisie ; mais à condition d'en avoir averti, par LRAR [lettre recommandée avec accusé de réception] Mme X. ;
- que compte tenu de la nature de l'affaire et du comportement du démarcheur il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme X. les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager pour faire valoir ses moyens de défense, il convient, en conséquence, de [minute page 5] condamner la société COFILION à lui payer la somme de 4.500 francs sur le fondement de l'article 700 du NCPC et en tous les dépens ;
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal, après en avoir délibéré, statuant publiquement par jugement en premier ressort et contradictoirement,
Vu le Code de la Consommation, particulièrement l'article L. 121-23,
Vu l'article 1131 du Code Civil,
Prononce la nullité du contrat conclu entre la société COFIGEST, représentant COFILION et Mme X. le 17 janvier 1997 pour la location d'un publiphone à pièces type PEGASUS,
Condamne Mme X. à régler à la société COFILION la somme de six cents francs (600) au titre de la jouissance de cet appareil installé dans son bar depuis le 3 février 1997 jusqu'à la date du présent jugement,
Dit et juge que Mme X. devra restituer cet appareil à COFILION,
Dit que COFILION devra avertir, par lettre recommandée avec avis de réception, Mme X. de la date de l'enlèvement,
Condamne la société COFILION à payer à Mme X. la somme de quatre mille cinq cents francs (4.500) sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
Condamne la société COFILION aux entiers dépens liquidés ce jour à la somme de sept cent cinq francs 08 (705,08).
Ont signé l'original :
Le Président : M. LE BUHAN Le Greffier : Maître G. CLERC
- 5831 - Code de la consommation - Domaine d’application - Application conventionnelle - Illustrations voisines : démarchage à domicile
- 5870 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Notion d’activité professionnelle - Activité globale ou spécifique
- 5916 - Code de la consommation - Domaine d’application - Bénéficiaire de la protection - Notion de professionnel - Illustrations - Contrats conclus en vue d’une activité - Adjonction d’une activité supplémentaire : moyens de communication
- 7289 - Code civil et Droit commun - Sanction indirecte des déséquilibres significatifs – Absence de cause (droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016)