CAA LYON, 20 octobre 2022
CERCLAB - DOCUMENT N° 9895
CAA LYON, 20 octobre 2022 : req. n° 21LY02840
Publication : Légifrance
Extrait : « 7. Eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l'occasion de la fourniture de l'eau, exercer d'autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture. Il appartient, en conséquence, à l'abonné qui, à l'occasion d'un litige né du contrat d'abonnement, invoque le droit que lui confère sa qualité de consommateur, d'opposer le caractère abusif d'une clause du contrat devant le juge judiciaire qui saisira la juridiction administrative par la voie préjudicielle, s'il s'agit d'une clause réglementaire.
8. Toutefois, cette voie de droit ne fait pas obstacle à ce que l'usager saisisse le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir contre les clauses qui, comme les clauses litigieuses, ont une portée réglementaire, la conformité aux articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation conditionnant, non plus l'opposabilité contractuelle de ces clauses, mais leur légalité. M. X. ayant choisi d'exercer un recours pour excès de pouvoir dont la tardiveté ne ressort pas pièces du dossier, il y a lieu d'examiner ses conclusions sur ce fondement.
9. Les dispositions 1.2 et 18 du règlement, qui doivent être combinées aux dispositions de l'article 21, n'aménagent un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé que subsidiairement au principe de responsabilité jusqu'au compteur. Ce régime subsidiaire auquel tout abonné peut d'ailleurs se soustraire en demandant l'installation d'un compteur, loin de réduire la responsabilité du service, l'encadre en lui donnant un critère objectif tandis que l'absence de critère aurait pour effet de l'étendre arbitrairement. Il suit de là que lesdites clauses ne méconnaissent pas les articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation et que les conclusions à fin d'annulation de la requête doivent être rejetées. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2022
ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Numéro de requête : 21LY02840. Numéro de rôle : 22355.
APPELANT : Monsieur X.
INTIMÉE : Communauté d'agglomération du pays voironnais
EXPOSÉ DU LITIGE (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. X. a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les clauses 1.2 et 18 du règlement de service des eaux de la communauté d'agglomération du pays voironnais, ainsi que la décision rejetant implicitement son recours gracieux, et de condamner la communauté d'agglomération du pays voironnais à lui verser une somme de 2.819,25 euros en réparation des préjudices financier et moral subis du fait de l'application desdites clauses à sa situation d'abonné.
Par jugement n° 1905708 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 20 août 2021 et le 20 juillet 2022, M. X., représenté par Maître Py, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 juin 2021 ;
2°) d'annuler les clauses litigieuses du règlement de service des eaux de la communauté d'agglomération du pays voironnais, ainsi que la décision implicite de rejet de sa demande préalable ;
3°) de condamner la communauté d'agglomération du pays voironnais à lui verser une somme de 2.819,25 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du pays voironnais une somme de 1.800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, n'ayant pas été lu en audience publique en méconnaissance des articles L. 10 et R. 741-1 du code de justice administrative et de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- les clauses 1.2 et 18 du règlement de service des eaux de la communauté d'agglomération du pays voironnais présentent un caractère abusif et sont illégales en ce qu'elles excluent la responsabilité du service sur des canalisations situées en amont du compteur individuel ou, en l'absence de compteur individuel, au-delà du point de fourniture défini à l'article 1.2 du même règlement.
- le tribunal est compétent pour statuer sur ses conclusions indemnitaires en application du principe d'une bonne administration de la justice ; les préjudices invoqués sont en lien direct avec l'illégalité fautive des clauses en litige et sont fondés.
[*]
Par mémoire enregistré le 24 novembre 2021, la communauté d'agglomération du pays voironnais, représentée par la Selas Adaltys Affaires publiques, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. X. une somme de 2.000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement est régulier car conforme à l'article R. 741-1 du code de justice administrative dans sa version issue du décret du 18 novembre 2020 ;
- les conclusions indemnitaires relèvent de la compétence du juge judiciaire ; elles relèvent d'un litige relatif à la facturation ou aux modalités de fonctionnement d'un service public industriel et commercial ; à titre subsidiaire, la demande indemnitaire sera rejetée, aucune faute ne pouvant lui être reprochée ;
- le règlement du service de gestion de l'eau potable ne contient pas de clause abusive ; la canalisation où s'est produite la fuite ne relève pas du réseau public de canalisation d'eau potable mais est implantée sur un fond privé sur lequel a été instituée une servitude privée de passage au profit du requérant ; le requérant n'a pas installé de compteur général en limite de propriété.
[*]
Par ordonnance du 21 juillet 2022, prise en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 septembre 2022.
Par courrier du 19 septembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de relever d'office l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur une demande en déclaration d'inopposabilité de clauses contractuelles, en tant que cette demande, qui concerne un litige né d'une facturation de prestations, relève des rapports contractuels entre un usager et un service public industriel et commercial et, à ce titre, de la compétence des juridictions judiciaires ; la juridiction administrative ne pouvant être saisie que dans le cadre d'une question préjudicielle à l'occasion du litige porté devant le juge judiciaire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- le code de la consommation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christine Psilakis, première conseillère,
- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Maître Stievet pour M. X., et celles de Maître Alaimo pour la communauté d'agglomération du pays voironnais ;
MOTIFS (justification de la décision) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
Considérant ce qui suit :
1. M. X. relève appel du jugement du 24 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des clauses 1.2 et 18 du règlement du service public d'alimentation en eau potable du pays voironnais, ainsi que la décision rejetant implicitement sa demande préalable, et tendant à la condamnation de la communauté d'agglomération du pays voironnais à lui verser une somme de 2.819,25 euros en réparation des préjudices financier et moral subis du fait de l'illégalité desdites clauses.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 10 du code de justice administrative : « Les jugements sont publics (…) ». Aux termes de l'article R. 741-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 18 novembre 2020, seule applicable à la date du jugement attaqué : « (…) la décision est prononcée par sa mise à disposition au greffe de la juridiction. La liste des décisions mises à disposition au greffe de la juridiction est affichée le jour même dans les locaux de la juridiction ». Par ailleurs, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) publiquement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement (…) ».
3. Le jugement attaqué, en ce qu'il prévoit une mise à disposition du public au greffe de la juridiction, complétée par des mesures de publicité par affichage au sein de la juridiction dans un espace où le public peut accéder librement, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 741-1 du code de justice administrative, répond aux exigences de publicité mentionnées à l'article 6 §1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, lequel n'exige pas une lecture en audience publique.
Sur les conclusions dirigées contre les clauses 1.2 et 18 du règlement de service des eaux :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 132-1 du code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », et en vertu des articles L. 212-1 et R. 212-1 du même code, sont présumées abusives de manière irréfragable et donc inopposables au consommateur, les clauses qui réduisent la responsabilité du professionnel cocontractant pour réparer les manquements à l'une de ses obligations.
5. D'autre part, aux termes de l'article 1.2 du règlement de service des eaux de la communauté d'agglomération du pays voironnais : « Le service de l'Eau du Pays Voironnais est propriétaire des installations de distribution d'eau jusqu'au point de fourniture. Le point de fourniture d'eau est constitué par le compteur individuel pour les constructions individuelles, général ou de contrôle dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales. En l'absence de compteur individuel, ou dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales non équipées de compteurs généraux ou de contrôle, le point de fourniture se situe au terme du premier mètre linéaire de la canalisation du branchement située en domaine privé, la distance étant calculée à partir de la limite du domaine public ». Aux termes de l'article 18 de ce même règlement : « Au-delà du point de fourniture, l'installation appartient au propriétaire qui en assure la garde et l'entretien à ses frais », et aux termes de l'article 21 du même règlement : « Le service de l'Eau du pays voironnais est responsable des dommages pouvant résulter du fonctionnement des éléments des branchements dont il est propriétaire dans les cas suivants : - lorsque le dommage a été produit par la partie du branchement située dans le domaine public ; - lorsque le service de l'Eau du pays voironnais a été informé d'une fuite ou d'une autre anomalie de fonctionnement concernant la partie du branchement située dans les propriétés privées et qu'il n'est pas intervenu dans un délai raisonnable (…) ».
6. M. X., abonné ne disposant pas d'un compteur, soutient que ne pouvaient être mis à sa charge les frais de réparation de la fuite d'eau constatée au-delà du premier mètre linéaire de branchement situé sur son fonds, les clauses des articles 1.2 et 21 qui lui ont été appliquées limitant abusivement la responsabilité du service en cas d'absence de compteur.
7. Eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d'abonnement liant le distributeur d'eau et l'usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l'occasion de la fourniture de l'eau, exercer d'autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d'entretien ou de fonctionnement de l'ouvrage public qui assure ladite fourniture. Il appartient, en conséquence, à l'abonné qui, à l'occasion d'un litige né du contrat d'abonnement, invoque le droit que lui confère sa qualité de consommateur, d'opposer le caractère abusif d'une clause du contrat devant le juge judiciaire qui saisira la juridiction administrative par la voie préjudicielle, s'il s'agit d'une clause réglementaire.
8. Toutefois, cette voie de droit ne fait pas obstacle à ce que l'usager saisisse le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir contre les clauses qui, comme les clauses litigieuses, ont une portée réglementaire, la conformité aux articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation conditionnant, non plus l'opposabilité contractuelle de ces clauses, mais leur légalité. M. X. ayant choisi d'exercer un recours pour excès de pouvoir dont la tardiveté ne ressort pas pièces du dossier, il y a lieu d'examiner ses conclusions sur ce fondement.
9. Les dispositions 1.2 et 18 du règlement, qui doivent être combinées aux dispositions de l'article 21, n'aménagent un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé que subsidiairement au principe de responsabilité jusqu'au compteur. Ce régime subsidiaire auquel tout abonné peut d'ailleurs se soustraire en demandant l'installation d'un compteur, loin de réduire la responsabilité du service, l'encadre en lui donnant un critère objectif tandis que l'absence de critère aurait pour effet de l'étendre arbitrairement. Il suit de là que lesdites clauses ne méconnaissent pas les articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation et que les conclusions à fin d'annulation de la requête doivent être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
10. M. X. réitère en appel ses conclusions indemnitaires, lesquelles ont été rejetées, sans irrégularité, par le tribunal comme présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre. Ne saurait permettre de remettre en cause l'attribution de compétence à la juridiction judiciaire des litiges nés de créance trouvant leur cause dans un contrat d'abonnement conclu avec un service public industriel et commercial, le principe dont se prévaut le requérant tiré d'une bonne administration de la justice.
11. Il résulte de ce qui précède que M. X. n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de communauté d'agglomération du pays voironnais, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par M. X. au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la communauté d'agglomération du pays voironnais.
DISPOSITIF (décision proprement dite) (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. X. est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération du pays voironnais sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A B et à la communauté d'agglomération du pays voironnais.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022 à laquelle siégeaient : M. Philippe Arbarétaz, président de chambre, Mme Aline Evrard, présidente-assesseure, Mme Christine Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.
La rapporteure, Le président, Le greffier,
Christine Psilakis Philippe Arbarétaz Julien Billot
- 5847 - Code de la consommation - Domaine d’application - Légalité des actes réglementaires - Compétence administrative
- 6114 - Code de la consommation - Notion de clause abusive - Présentation par clause - Inexécution du contrat - Responsabilité du professionnel - Clauses limitatives et exonératoires - Droit postérieur au décret du 18 mars 2009 (R. 212-1-6° C. consom.)
- 6313 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Eau (fourniture) - Formation et contenu du contrat
- 6314 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Eau (fourniture) - Obligations du consommateur
- 6315 - Code de la consommation - Présentation par contrat - Eau (fourniture) - Obligations du fournisseur