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5805 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (4) - Loi n° 95-96 du 1er février 1995

Nature : Synthèse
Titre : 5805 - Code de la consommation - Clauses abusives - Évolution de la protection (4) - Loi n° 95-96 du 1er février 1995
Pays : France
Rédacteurs : Xavier HENRY
Notice :
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CERCLAB - SYNTHÈSE DE JURISPRUDENCE - DOCUMENT N° 5805 (6 février 2024)

PROTECTION CONTRE LES CLAUSES ABUSIVES DANS LE CODE DE LA CONSOMMATION

PRÉSENTATION GÉNÉRALE - ÉVOLUTION DE LA PROTECTION

QUATRIÈME ÉTAPE : LOI N° 95-96 DU 1er FÉVRIER 1995

Auteur : Xavier HENRY (tous droits réservés © 2024)

 

Présentation. La loi du 1er février 1995 introduisant la directive du 5 avril 1993 (A) a dû être complétée pour rendre la transposition conforme au texte européen (B).

Domaine d’application territorial : Polynésie française. À défaut d'extension en Polynésie française des dispositions du Code de la consommation qui l'ont consacrée par la suite, la jurisprudence posée par la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 mai 1991, n° 89-20999) est applicable. CA Papeete (ch. civ.), 14 octobre 2021 : RG n° 17/00022 ; arrêt n° 324 ; Cerclab n° 9237 (location longue durée de voiture), sur appel de T. civ. 1re inst. Papeete, 24 novembre 2015 : RG n° 13/00048 ; jugt n° 69 ; Dnd.

A. TEXTE INITIAL

Présentation. La directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 a été introduite en droit français, avec un léger retard par rapport à la date prévue du 1er janvier 1995, par la loi n° 95-96 du 1er février 1995. Globalement, cette introduction est restée assez fidèle au texte européen, sous réserve de quelques particularités mentionnées plus loin. Sur un plan technique, la loi a modifié l’ancien art. L. 132-1 du Code de la consommation, qui avait repris à droit constant l’art. 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978, ainsi que l’ancien art. L. 421-6, et créé deux articles nouveaux, les anciens art. L. 133-2 (interprétation des contrats de consommation) et L. 135-1 (conflits de lois).

Textes : ancien art. L. 132-1 C. consom. A compter de l’entrée en vigueur de cette loi, l’ancien art. L. 132-1 a été rédigé de la façon suivante :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. [alinéa 1]

Des décrets en Conseil d'État, pris après avis de la commission instituée à l'art. L. 132-2, peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives au sens du premier alinéa. [alinéa 2]

Une annexe au présent code comprend une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le demandeur n'est pas dispensé d'apporter la preuve du caractère abusif de cette clause. [alinéa 3]

Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies. [alinéa 4]

Sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux art. 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre. [alinéa 5]

Les clauses abusives sont réputées non écrites. [alinéa 6]

L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert. [alinéa 7]

Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses. [alinéa 8]

Les dispositions du présent article sont d'ordre public. [alinéa 9] »

Domaine d’application. La loi de 1995 a conservé sans modification la formule initiale de 1978 réservant la protection contre les clauses abusives aux contrats conclus « entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs » (ancien L. 132-1, alinéa 1er), plus large que celle de la directive (art. 2, b). Elle apporte en revanche trois nouveautés, qui ne jouent pas toutes dans le même sens.

1. - La première modification élargit la protection. Tout d’abord, alors que la version antérieure du texte faisait référence à des « conditions générales préétablies », le nouvel alinéa 4 vise les « stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies ». La solution s’éloigne de la directive dont l’art. 3 est plutôt limité aux clauses « n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle ». À s’en tenir aux décisions recensées, elle est d’une portée pratique plutôt réduite, dès lors que l’existence d’une négociation (Cerclab n° 6029) ou d’une option laissée au consommateur (Cerclab n° 6030) aboutit le plus souvent à l’exclusion du caractère abusif.

2. - Les deux autres vont en sens inverse. D’un côté, la protection est désormais applicable à toutes les clauses et non à celles limitativement énumérées par l’ancien art. 35 de la loi du 10 janvier 1978. De l’autre, la loi du 1er février 1995 précise à l’alinéa 7 de l’ancien art. L. 132-1 que « l'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert ». La modification suit partiellement la directive qui n’admettait cette exclusion que « pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible », ce qui a justifié une intervention ultérieure du législateur (V. ci-dessous, B).

Clauses déclarées abusives par décret. L’alinéa 2 de l’ancien art. L. 132-1 dispose que « des décrets en Conseil d'État, pris après avis de la commission instituée à l'article L. 132-2, peuvent déterminer des types de clauses qui doivent être regardées comme abusives au sens du premier alinéa ». Le texte conserve donc le dispositif antérieur qui prévoyait que certaines clauses « peuvent être interdites, limitées ou réglementées, par des décrets en Conseil d'État pris après avis de la commission ». La suppression de l’énumération « interdites, limitées ou réglementées » est a priori sans conséquence, l’absence de précision laissant au pouvoir réglementaire le choix de la protection la plus adaptée. Au demeurant, qui peut le plus peut le moins : autorisé à interdire une clause, le pouvoir réglementaire doit être en mesure d’adopter des mesures moins frontalement contraires à la liberté contractuelle (ce qui a d’ailleurs été fait en 2008, mais avec une nouvelle modification législative). § N.B. Le fait de viser des « types » de clause, plutôt que des clauses, semble avoir une portée purement formelle, les décrets ne pouvant prohiber que des clauses définies de façon abstraite et générale, et non une clause d’un contrat ou d’un contractant précis.

Clauses déclarées abusives par le juge. La loi du 1er février 1995 ne contient aucune affirmation directe et solennelle du pouvoir du juge de contrôler les clauses abusives (l’art. ne contient pas les mots : juge, juridiction, tribunal, jugement). Néanmoins, et comme la directive, le dispositif mis en place ne se comprend que si les juges voient confirmer le pouvoir que leur a reconnu la Cour de cassation dans l’arrêt précité du 14 mai 1991. L’idée est notamment présente dans l’alinéa 3 : « une annexe au présent code comprend une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées au premier alinéa. En cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le demandeur n'est pas dispensé d'apporter la preuve du caractère abusif de cette clause ». En définitive, la référence au contrôle judiciaire résulte de façon certaine de l’emploi des termes « demandeur » et « litige », qui n’ont de sens que dans le cadre d’une action en justice, et implicitement du fait que le juge est la seule institution pouvant naturellement apprécier le déséquilibre significatif dans un contrat précis (la Commission intervient sur un modèle et ne donne qu’un avis pour les contrats conclus, sans pouvoir supprimer directement la clause et un organe administratif n’aurait pu le faire que si le texte l’avait expressément prévu).

V. pourtant erroné, se contentant de raisonner sur le seul décret du 24 mars 1978 : TI Rambouillet, 11 mai 1999 : RG n° 11-98-00296 ; jugt n° 99/294 ; Cerclab n° 119 (jugement écartant le caractère abusif d’une clause limitative dans un contrat de développement de pellicules au seul motif que le contrat n’étant pas une vente, le décret du 24 mars 1978 n’est pas applicable, sans apprécier directement l’existence d’un déséquilibre pour un contrat relevant apparemment de la loi du 1er février 1995, l’assignation en ayant été délivrée en 1998), sur appel CA Versailles (1re ch. 2e sect.), 8 juin 2001 : RG n° 1999/05817 ; arrêt n° 433 ; Jurinet ; Cerclab n° 1730 (clause non abusive au sens de l’art. L. 132-1 C. consom.).

V. aussi erroné : les dispositions de l'art. R. 132-1 C. consom. qui, dans ses termes actuels résultent d'un décret du 18 mars 2009 donc postérieur au prêt litigieux et qui dans sa rédaction antérieure ne visait que les contrats de ventes, ne sont pas applicables à un contrat de prêt, sans que l’ancien art. L. 132-1 C. consom. permette d'élargir le champ d'application des dispositions de l'art. R 132-1. CA Chambéry (2e ch.), 4 mai 2017 : RG n° 15/02221 ; Cerclab n° 6887 ; Legifrance, sur appel de TGI Thonon-les-Bains, 7 septembre 2015 : RG n° 13/01734 ; Dnd. § N.B. Si l’affirmation est exacte, elle est totalement insuffisante puisqu’une clause peut être déclarée abusive sur le fondement direct de l’ancien art. L. 132-1 C. consom.

Définition des clauses abusives. La loi du 1er février 1995 définit dans son alinéa premier les clauses abusives comme celles qui « ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». La formule est à peu près conforme à la directive, mais elle modifie substantiellement les solutions antérieures.

1. - Suppression de la condition d’abus de puissance économique. La condition d’abus de puissance économique, qui a suscité des difficultés d’application (soit parce qu’elle était systématiquement considérée comme remplie, soit à l’inverse parce qu’elle était écartée, notamment par la Cour de cassation, dans des situations où il était difficile de voir quelle preuve supplémentaire le consommateur pourrait apporter (V. Cerclab n° 5803), est supprimée. Il faut souligner que, si la directive n’utilise pas ce critère de l’abus de puissance économique, elle vise toutefois les contrats d’adhésion et le manquement à l’exigence de bonne foi, qui n’ont pas été retenus par la loi du 1er février 1995. § Sur cette condition de bonne foi : l’article 3, paragraphe 1, de la directive du Conseil 93/13/CEE (1), lu en combinaison avec les articles 8 et 8bis de ladite directive, doit-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas aux dispositions d’une législation nationale qui définissent les conditions de la « bonne foi » et du « déséquilibre significatif » d’alternatives (conditions distinctes, autonomes et indépendantes l’une de l’autre) de sorte qu’il suffit pour décider du caractère abusif d’une clause contractuelle qu’existent des faits déterminants ne relevant que de l’une de ces deux conditions ? CJUE (QP), 30 juin 2021, FV / Nova Kreditna Baka Maribor d.d. : aff. C 405-21 ; Cerclab n° 9854.

Certaines des décisions recensées continuent pourtant d’évoquer ou/et de vérifier cette condition d’abus de puissance économique, même après sa suppression par la loi du 1er février 1995. Si la solution est erronée sur le plan de l’application de la loi dans le temps (Cerclab n° 5814 et n° 5816), l’argument s’inscrit parfois dans le cadre d’un raisonnement visant à vérifier une condition actuelle (déséquilibre significatif). V. par exemple : TGI Paris (1re ch.), 8 octobre 1996 : RG n° 15827/95 ; Cerclab n° 426 ; Juris-Data n° 1996-049942 (documents contractuels proposés par un professionnel de la location saisonnière, sans que les clauses puissent être discutées par les locataires et constituant de véritables contrats d'adhésion), confirmé par CA Paris (1re ch. B), 7 mai 1998 : RG n° 96/86626 ; arrêt n° 160 ; Cerclab n° 1103 ; Juris-Data n° 1998-023868 ; RJDA 8-9/98, n° 1058 ; D. Affaires 1998. 1851, obs. V.A.-R ; Lamyline (application stricte de la seule loi du 1er février 1995) - CA Grenoble (ch. com.), 26 février 2004 : RG n° 02/02139 ; arrêt n° 117 ; Cerclab n° 3124 ; Juris-Data n° 2004-251959 (le contrat de télésurveillance d’une bijouterie est en rapport direct avec l'exercice de la profession du souscripteur, puisqu’il s'agit, en effet, pour une entreprise, tenue dans le cadre de sa gestion habituelle d'assurer la sécurité de ses locaux en raison des risques particuliers auxquels elle est exposée, d'un acte d'exploitation courant, ne la plaçant pas a priori dans un état de dépendance économique ou technique), sur appel de T. com. Vienne, 26 mars 2002 : RG n° 01/00040 ; Cerclab n° 270 (problème non abordé) - CA Besançon (2e ch. civ.), 21 janvier 2009 : RG n° 07/00836 ; Cerclab n° 2632 (la seule circonstance que le contrat relève de la catégorie des contrats d'adhésion ne suffit pas démontrer que la clause de résiliation a été imposée par un abus de puissance économique) - TGI Saintes, 27 février 2009 : RG n° 08/00044 ; jugt n° 2009/73 ; Cerclab n° 4222 (le seul fait qu'un contrat relève de la catégorie des contrats d'adhésion ne suffit pas à démontrer qu'une clause a été imposée par un abus de puissance économique ; N.B. la référence à l’abus de puissance économique est discutable pour un contrat conclu en 2002), sur appel CA Poitiers (1re ch. civ.), 24 septembre 2010 : RG n° 09/01736 ; Cerclab n° 3009 (problème non examiné) - CA Versailles (16e ch.), 23 juin 2011 : RG n° 10/03745 ; Cerclab n° 3253 (« la fixation d'un taux d'intérêt ne constitue pas une clause abusive au sens du code de la consommation ; qu'en outre les appelants n'établissent pas l'existence d'un abus de l'établissement bancaire qui aurait, selon eux, profité de la dépendance économique de sa cliente, alors que le client est avocat et qu'il ne justifie pas que le taux d'intérêts contractuel auquel il a consenti aurait été particulièrement excessif »), sur appel de TGI Nanterre (6e ch.), 12 mars 2010 : RG n° 08/3114 ; Dnd - CA Aix-en-Provence (3e ch. A), 1er décembre 2016 : RG n° 15/05893 ; arrêt n° 2016/437 ; Cerclab n° 6561 (application, semble-t-il, de la protection contre les clauses abusives à un contrat conclu par un non professionnel - location de deux grues et d’une nacelle par un professionnel de la ferraille, afin de procéder au démontage de matériels en exécution d’un marché conclu avec le port de Marseille - mais rejet du caractère abusif au motif notamment que l’abus de position dominante n’était pas établi, le bailleur n’étant pas le seul sur la marché, même s’il en était un des principaux acteurs et que la clause sanctionnant dans le retard dans le paiement était à la portée de n’importe quel contractant, consommateur ou non professionnel), sur appel de T. com. Marseille, 5 janvier 2015 : RG n° 2014/00431 ; Dnd

2. - Remplacement de « l’avantage excessif » par le « déséquilibre significatif ». L’exigence antérieure d’un « avantage excessif » est remplacée par celle d’un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Sur le plan théorique, les deux formules ne sont pas équivalentes. D’une part, la référence à un « avantage » accordé au professionnel est plus restrictive que le déséquilibre entre les droits et les obligations. D’autre part, l’exigence d’un excès semble également plus contraignante qu’un simple déséquilibre significatif.

Ces deux différences peuvent faire penser que la définition de 1995 est moins exigeante que celle de 1978, ce qui a une importance quant à la pertinence de la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur : une clause abusive en raison d’un avantage excessif remplit aussi, a priori, la condition d’un déséquilibre significatif, alors que l’inverse n’est pas acquis et qu’une clause ne créant pas d’avantage excessif peut éventuellement créer un déséquilibre significatif. § Pour une illustration de la première idée : CA Douai (1re ch. 1re sect.), 29 juin 2009 : RG n° 08/02037 ; Cerclab n° 2423 (clause qui « confère en conséquence un avantage excessif au professionnel, créant par la même un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat »), sur appel de TGI Lille (1re ch.), 27 février 2008 : RG n° 07/00321 ; jugt n° 08/00321 ; Cerclab n° 3709 (problème non examiné).

Les décisions recensées invitent toutefois à tempérer ces oppositions. La modification du critère définissant les clauses abusives ne semble pas avoir modifié fondamentalement les positions des juges du fond et il est d’ailleurs fréquent, même après 1995, que le terme « excessif » continue de figurer dans les motifs (voire « avantage excessif » ou « déséquilibre excessif », V. Cerclab n° 5816).

En tout état de cause, toute exigence supplémentaire est contraire au texte. Pour une décision erronée ajoutant à la définition de l'ancien art. L. 132-1 C. consom. : pour encourir le qualificatif de déséquilibre significatif, le déséquilibre doit, par application pure et simple de la force obligatoire des contrats, induire une situation illégitime. CA Rennes (1re ch. B), 30 mars 2001 : RG n° 00/01559 ; arrêt n° 351 ; Cerclab n° 1806, cassé pour une autre raison par Cass. civ. 1re, 21 octobre 2003 : pourvoi n° 01-13239 ; arrêt n° 1279 ; Cerclab n° 2020 (cassation totale pour refus d’octroi de dommages et intérêts à l’association, arrêt statuant ultra petita).

3. - Généralisation de la prohinition des clauses ayant pour effet de créer un déséquilibre. La loi du 1er février 1995 généralise une possibilité nouvelle, qui n’existait ni dans l’art. 35 de la loi du 10 janvier 1978, ni dans la directive du 5 avril 1993, mais uniquement dans le décret du 24 mars 1978, en autorisant l’éradication, non seulement des clauses qui ont pour objet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, mais aussi de celles qui produisent un tel effet.

Cette solution est particulièrement importante, d’autant qu’elle se combine avec les dispositions de l’alinéa 5 permettant d’apprécier le caractère abusif en tenant compte de l’ensemble des clauses du contrat. Elle autorise le juge à déjouer des manœuvres du professionnel qui, par des artifices rédactionnels, tenterait de contourner le caractère abusif d’une clause en raison de son objet par une combinaison de clauses ou une accumulation de conditions ou d’exceptions aboutissant au même résultat (ex. absence apparente d’exonération de responsabilité, vidée de son contenu par d’autres clauses). En ce sens, cette nouveauté de la loi du 1er février 1995 s’inscrit parfaitement dans le souci, manifesté par la directive, d’assuer l’effectivité de la protection des consommateurs contre les clauses abusives.

4. - Précision des règles d’interprétation et d’appréciation du caractère abusif. Le nouvel alinéa 5 de l’ancien art. L. 132-1 précisait les conditions dans lesquelles ce déséquilibre significatif devait être apprécié : « sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il s'apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l'exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l'une de l'autre. » Le texte reprend en substance l’art. 4.1 de la directive. § N.B. Il vise bien sûr les anciens textes du Code civil, antérieurs à la réforme du 10 février 2016.

5. - Création d’une liste indicative de clauses susceptibles d’être déclarées abusives. La loi du 1er février 1995, suivant en cela la directive, ajoute à l’ancien art. L. 132-1 une annexe comportant une liste de clauses susceptibles d’être déclarées abusives, si le consommateur rapporte la preuve d’un déséquilibre significatif. Cette annexe n’institue donc, ni une liste de clauses « noires » (interdites), ni une liste de clauses « grises » (présumés abusives, sous réserve que le professionnel rapporte la preuve contraire) et elle a parfois été désignée comme une « liste blanche », pouvant servir d’inspiration au juge (V. Cerclab n° 5995).

En tout état de cause, le fait que la clause ne figure pas dans la liste de l’annexe n’interdit pas au juge de la déclarer abusive sur le fondement direct de l’ancien art. L. 132-1 C. consom. V. explicite : CA Bordeaux (1re ch. civ.), 30 octobre 2017 : RG n° 16/04074 ; Cerclab n° 7109 (assurance crédit ; cette clause ne relève pas de la liste indicative et n’est pas abusive au sens de l’art. L. 132-1 C. consom.), sur appel de TGI Bordeaux (5e ch.), 26 mai 2016 : RG n° 11/02020 ; Dnd.

Interprétation et rédaction des contrats. L’art. 5 de la directive posait l’exigence d’une rédaction « claire et compréhensible » des clauses des contrats de consommation, sous peine qu’« en cas de doute sur le sens d'une clause, l'interprétation la plus favorable au consommateur » prévale. Le législateur, dans la loi du 1er février 1995, semble avoir estimé que cette exigence était générale et n’était pas forcément liée aux clauses abusives. Il a donc introduit cette exigence de la directive dans un article autonome sur l’interprétation et la forme des contrats (ancien art. L. 133-2).

Il faut remarquer que, paradoxalement, l’alinéa 5 précité renvoie à plusieurs textes du Code civil sur l’interprétation des contrats, mais pas à l’ancien art. L. 133-2 issu de la même directive. Un tel renvoi était peut-être inutile puisque l’ancien art. L. 133-2 est applicable à tous les contrats de consommation et d’ailleurs, l’énumération d’articles du Code civil semble confirmer cette analyse, puisqu’elle ne mentionne pas l’ancien art. 1162 C. civ. [comp. 1191 nouveau], qui concerne justement l’interprétation des clauses douteuses et qui n’a plus d’intérêt en droit de la consommation depuis la création de l’ancien art. L. 133-2. Néanmoins, les décisions recensées montrent que l’articulation de l’interprétation des clauses avec l’analyse de leur caractère abusif est une source de difficultés et de solutions jurisprudentielles divergentes. Selon les cas, en effet, le juge peut retenir une interprétation favorable au consommateur pour éviter de déclarer la clause abusive ou, au contraire, éradiquer la clause en retenant son sens le moins favorable au consommateur. Cependant, compte tenu de l’infinie diversité des situations en cause, il n’est pas sûr que l’imposition d’une méthode rigide soit possible ou opportune (V. Cerclab n° 6001 s.).

Sanction des clauses abusives. La loi du 1er février 1995 conserve la sanction de principe adoptée par la loi du 10 janvier 1978 : « les clauses abusives sont réputées non écrites » (alinéa 6). La solution semble en accord avec la directive dont l’art. 6.1 édicte que les États membres prévoient que les clauses abusives « ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux ».

La loi du 10 janvier 1978 ne prévoyait aucune dérogation à cette sanction et n’envisageait pas explicitement qu’une clause réputée non écrite puisse entraîner l’anéantissement du contrat. La loi du 1er février 1995, en revanche, suivant en cela la directive, ajoute à l’ancien art. L. 132-1 un alinéa 8 qui dispose que « le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s'il peut subsister sans lesdites clauses ». La solution semble réaliste et comble une lacune du droit antérieur, la disparition de certaines clauses pouvant rendre impossible l’exécution du contrat (V. Cerclab n° 5746).

Texte d’ordre public. La loi du 1er février 1995 introduit un alinéa 9 qui dispose que « les dispositions du présent article sont d'ordre public ». Le texte rend ainsi explicite une solution qui ne faisait pas de doute, même sous l’empire du droit antérieur, puisqu’une solution contraire aurait abouti à la généralisation de clauses de style par lesquelles les consommateurs auraient renoncé à la protection contre les clauses abusives.

B. MODIFICATION DU TEXTE PAR L’ORDONNANCE DU 23 AOÛT 2001

Rectification d’une introduction incomplète de la directive. Comme indiqué précédemment, la loi du 1er février 1995 n’a introduit que de façon incomplète l’art. 4.2 de la directive en omettant la restriction finale du texte européen (« pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible »). Cette imperfection pouvait faire encourir à la France une condamnation devant la Cour de Luxembourg, comme le reconnaît explicitement l’exposé des motifs de l’ordonnance : « Le chapitre III (art. 16) traite des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs et complète le dispositif de l’art. L. 132-1 du code de la consommation. Le but est ici de combler la transposition incomplète de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant lesdites clauses abusives. »

Le législateur a profité d’une ordonnance concernant l’introduction d’une autre directive pour remédier à cette lacune. C’est ainsi que l’ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 a complété l’alinéa 7 en réintroduisant la partie de la directive initialement omise : « L'appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible ».

Compte tenu de ses justifications, l’ordonnance pourrait être analysée comme une disposition interprétative, ce qui peut avoir une incidence sur son application dans le temps (V. Cerclab n° 5813 et n° 5817). § Pour une illustration d’application de l’exigence à un contrat conclu avant l’ordonnance : le prêt litigieux étant daté du 13 mai 1998, date d'acceptation de l'offre, la banque fait valoir que les clauses contestées constituant l'objet principal du contrat, leur caractère abusif ne peut être examiné même si elles ne sont pas rédigées de façon claire et compréhensible, cette dernière réserve ayant été ajoutée seulement postérieurement au contrat par la loi nationale ; toutefois, la CJUE, dans son arrêt C 125/18 du 3 mars 2020, a dit pour droit que la directive doit être interprétée en ce sens que les juridictions des Etats membres doivent contrôler le caractère clair et compréhensible d'une clause portant sur l'objet principal du contrat indépendamment de la transposition de son article 4 § 2. CA Douai (3e ch.), 19 octobre 2023 : RG n° 22/01024 ; arrêt n° 23/352 ; Cerclab n° 10488 (conclusion en 1998 avec le Crédit mutuel d’un prêt en franc suisse dont le capital était remboursable en une échéance, in fine, le 30 avril 2018), sur appel de TJ Lille, 18 janvier 2022 : RG n° 18/04163 ; Dnd. § Sur l’arrêt cité : la directive 93/13, et notamment son art. 4 § 2, et son art. 8, doit être interprétée en ce sens qu’une juridiction d’un État membre est tenue de contrôler le caractère clair et compréhensible d’une clause contractuelle portant sur l’objet principal du contrat, et ce indépendamment d’une transposition de l’article 4, paragraphe 2, de cette directive dans l’ordre juridique de cet État membre. CJUE (gd. ch.), 3 mars 2020 : aff. C 125/18 ; Cerclab n° 9188.

Sur l’appréciation de cette condition, V. Cerclab n° 6016 s.