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TJ BORDEAUX (7e ch. civ.), 29 mai 2024

Nature : Décision
Titre : TJ BORDEAUX (7e ch. civ.), 29 mai 2024
Pays : France
Juridiction : T. jud. Bordeaux
Demande : 22/05082
Date : 29/05/2024
Nature de la décision : Admission
Mode de publication : Judilibre
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CERCLAB - DOCUMENT N° 23102

TJ BORDEAUX (7e ch. civ.), 29 mai 2024 : RG n° 22/05082

Publication : Judilibre

 

Extraits : 1/ « Aux termes de leurs ultimes écritures, les époux X. sollicitent, sur le fondement des articles 1217 du code civil, L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l’habitation, la condamnation solidaire des sociétés COEUR DU [Localité 8] et BOUYGUES IMMOBILIER à leur payer la somme de 66.866,66 euros à titre de pénalités telles que prévues par le code de la construction et de l’habitation, soit 1/3000ème du prix de vente par jour de retard.

La société BOUYGUES IMMOBILIER soulève, dans le corps de ses écritures, une fin de non recevoir de l’action des époux X. en ce qu’elle est dirigée à son encontre sur un fondement contractuel car elle n’a été partie ni au contrat de vente en état futur d’achèvement ni aux opérations de livraison. Ce moyen n’est pas repris dans le dispositif de ses conclusions en contravention avec l’article 768 du code de procédure civile, de telle sorte que conformément à l’alinéa 2 de ce texte, le tribunal n’est pas tenu de statuer sur ce point qui, au surplus, n’a jamais fait l’objet d’une saisine du juge de la mise en état seul compétent jusqu’à son dessaisissement pour trancher les fins de non-recevoir ainsi qu’en dispose l’article 789-6° du code de procédure civile. Il est donc irrecevable.

Cependant, il résulte de l’article 125 du même code que le juge du fond peut relever d’office le défaut de qualité à agir. Les demandes des époux X. dirigées contre la société BOUYGUES IMMOBILIER seront en conséquence d’office déclarées irrecevables sur le fondement de l’article 32 du code de procédure civile, faute de qualité à agir sur un fondement contractuel, dès lors qu’ils ont exclusivement contracté avec la SNC COEUR DU [Localité 8] et non avec sa société mère, étrangère au litige. »

2/ « En page 46 de l’acte il était prévu que « pour l’appréciation des événements, ci-dessus évoqués, les parties, d’un commun accord, déclarent s’en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maître d’œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus ci-dessus sauf en ce qui concerne les retards de paiement de l’acquéreur dans le règlement des appels de fond ».

Les demandeurs contestent la légalité de ce dispositif conventionnel aux termes duquel les parties ont donc convenu de la possibilité de causes de légitimes de suspension du délai de livraison et d’un mode de preuve sous la forme d’une attestation du maître d’œuvre de l’opération. Les époux X. considèrent que ce dispositif, inclus dans un contrat d’adhésion et donc non négociable, crée un déséquilibre significatif entre les droits des parties et doit donc être réputé non écrit en application de l’article 1171 alinéa 1er du code civil.

Les contrats de vente en état futur d’achèvement, conclus entre un professionnel et un consommateur, sont soumis à l’article L. 212-1 du code de la consommation et la Commission des clauses abusives s’est prononcée favorablement sur la validité des clauses stipulant un possible report du délai de livraison qui ne présentent pas de caractère manifestement disproportionné lorsque le calcul est effectué par un tiers (en ce sens avis CCA n° 16-01 du 29 septembre 2016). La troisième chambre civile de la cour de cassation a elle aussi admis la validité de ces clauses qui n’ont pour objet ni pour effet de créer, au détriment du non professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (en ce sens 24 octobre 2012 et 23 mai 2019). Ce processus conventionnel, prévoyant un calcul effectué par un tiers, est également conforme à l’article 1356 al 1er du code civil qui dispose que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition », dérogeant ainsi à l’article 1358 du même code et il n’a pas pour effet d’inverser la charge de la preuve incombant au vendeur conformément à l’article 1353 du code civil qui impose à celui qui se prétend libéré d’une obligation de prouver le fait extinctif.

La clause conventionnelle de report du délai de livraison doit donc recevoir application. »

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

SEPTIÈME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 29 MAI 2024

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 22/05082. N° Portalis DBX6-W-B7G-WVUO. SUR LE FOND. 54G

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Lors des débats : Monsieur Gilles TOCANNE, Magistrat Honoraire Juridictionnel, magistrat rapporteur,

Lors du délibéré : Madame Anne MURE, Vice-Présidente, Madame Alice VERGNE, Vice-Présidente, Monsieur Gilles TOCANNE, Magistrat Honoraire Juridictionnel

Lors des débats : Madame Elodie GUILLIEU, Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier

Lors du prononcé : Monsieur Éric ROUCHEYROLLES, Greffier

DÉBATS : à l’audience publique du 3 avril 2024, Monsieur Gilles TOCANNE, magistrat chargé du rapport, a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés, et en a rendu compte au tribunal dans son délibéré.

JUGEMENT : Contradictoire, En premier ressort, Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe

 

DEMANDEURS :

Monsieur X.

né le [date] à [Localité 7] ([Pays]), de nationalité XX, [Adresse 3], [Localité 4], représenté par Maître Benjamin ECHALIER de la SELARL ALPHA CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

Madame Y.

née le [date] à [Localité 9] ([Pays]), de nationalité XX, [Adresse 3], [Localité 4], représentée par Maître Benjamin ECHALIER de la SELARL ALPHA CONSEILS, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

 

DÉFENDERESSES :

SCI COEUR DU [Localité 8]

[Adresse 2], [Localité 5], représentée par Maître Jérôme MARTIN de la SELARL MARTIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, et Maître Tanguy HUERRE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant

SASU BOUYGUES IMMOBILIER

prise en la personne de son établissement secondaire de BORDEAUX GRANDE REGION SUD OUEST sis [Adresse 1], [Adresse 2], [Localité 5], représentée par Maître Jérôme MARTIN de la SELARL MARTIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant et Maître Tanguy HUERRE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat postulant

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte authentique du 4 janvier 2017, les époux X. ont acquis de la SNC COEUR DU [Localité 8], filiale de la SASU BOUYGUES IMMOBILIER, un appartement en état futur d'achèvement, avec cellier et parking couvert situé dans un immeuble dénommé [Adresse 10] sis [Adresse 6], livrable le 31 décembre 2018 au plus tard.

La livraison a été constatée le 4 septembre 2020.

Se plaignant d'un retard de plus de 33 mois générateur d'un préjudice, par acte du 14 juin 2022, les époux X. ont saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux d'une action indemnitaire dirigée contre la SNC COEUR DU [Localité 8] et la SASU BOUYGUES IMMOBILIER.

Vu les conclusions récapitulatives notifiées le 10 juillet 2023 par les époux X.,

Vu les conclusions notifiées le 20 janvier 2023 par la SNC COEUR DU [Localité 8] et la SASU BOUYGUES IMMOBILIER,

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 avril 2023 et l'affaire fixée pour plaidoiries à l'audience du 6 avril 2024, date à laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                  (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION.

Aux termes de leurs ultimes écritures, les époux X. sollicitent, sur le fondement des articles 1217 du code civil, L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l’habitation, la condamnation solidaire des sociétés COEUR DU [Localité 8] et BOUYGUES IMMOBILIER à leur payer la somme de 66.866,66 euros à titre de pénalités telles que prévues par le code de la construction et de l’habitation, soit 1/3000ème du prix de vente par jour de retard.

La société BOUYGUES IMMOBILIER soulève, dans le corps de ses écritures, une fin de non recevoir de l’action des époux X. en ce qu’elle est dirigée à son encontre sur un fondement contractuel car elle n’a été partie ni au contrat de vente en état futur d’achèvement ni aux opérations de livraison.

Ce moyen n’est pas repris dans le dispositif de ses conclusions en contravention avec l’article 768 du code de procédure civile, de telle sorte que conformément à l’alinéa 2 de ce texte, le tribunal n’est pas tenu de statuer sur ce point qui, au surplus, n’a jamais fait l’objet d’une saisine du juge de la mise en état seul compétent jusqu’à son dessaisissement pour trancher les fins de non recevoir ainsi qu’en dispose l’article 789-6° du code de procédure civile.

Il est donc irrecevable.

Cependant, il résulte de l’article 125 du même code que le juge du fond peut relever d’office le défaut de qualité à agir.

Les demandes des époux X. dirigées contre la société BOUYGUES IMMOBILIER seront en conséquence d’office déclarées irrecevables sur le fondement de l’article 32 du code de procédure civile, faute de qualité à agir sur un fondement contractuel, dès lors qu’ils ont exclusivement contracté avec la SNC COEUR DU [Localité 8] et non avec sa société mère, étrangère au litige.

Sur le fond, le vendeur, qui était tenu de respecter l’élément essentiel que constitue le délai de livraison, invoque la clause contractuelle de report figurant en pages 45 et 46 de l’acte, aux termes de laquelle en cas de force majeure ou d'une cause légitime de suspension caractérisée par des événements énumérés de manière exhaustive, l'époque prévue pour l'achèvement serait différée d'un temps égal à celui pendant lequel l’événement considéré aurait perturbé directement ou par ses répercussions le déroulement normal des travaux. Aucune clause pénale n’est stipulée.

En page 46 de l’acte il était prévu que « pour l’appréciation des événements, ci-dessus évoqués, les parties, d’un commun accord, déclarent s’en rapporter dès à présent à un certificat établi par le maître d’œuvre ayant la direction des travaux, sous sa propre responsabilité, auquel seront joints, le cas échéant, les justificatifs convenus ci-dessus sauf en ce qui concerne les retards de paiement de l’acquéreur dans le règlement des appels de fond ».

Les demandeurs contestent la légalité de ce dispositif conventionnel aux termes duquel les parties ont donc convenu de la possibilité de causes de légitimes de suspension du délai de livraison et d’un mode de preuve sous la forme d’une attestation du maître d’œuvre de l’opération.

Les époux X. considèrent que ce dispositif, inclus dans un contrat d’adhésion et donc non négociable, crée un déséquilibre significatif entre les droits des parties et doit donc être réputé non écrit en application de l’article 1171 alinéa 1er du code civil.

Les contrats de vente en état futur d’achèvement, conclus entre un professionnel et un consommateur, sont soumis à l’article L. 212-1 du code de la consommation et la Commission des clauses abusives s’est prononcée favorablement sur la validité des clauses stipulant un possible report du délai de livraison qui ne présentent pas de caractère manifestement disproportionné lorsque le calcul est effectué par un tiers (en ce sens avis CCA n° 16-01 du 29 septembre 2016).

La troisième chambre civile de la cour de cassation a elle aussi admis la validité de ces clauses qui n’ont pour objet ni pour effet de créer, au détriment du non professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (en ce sens 24 octobre 2012 et 23 mai 2019).

Ce processus conventionnel, prévoyant un calcul effectué par un tiers, est également conforme à l’article 1356 al 1er du code civil qui dispose que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition », dérogeant ainsi à l’article 1358 du même code et il n’a pas pour effet d’inverser la charge de la preuve incombant au vendeur conformément à l’article 1353 du code civil qui impose à celui qui se prétend libéré d’une obligation de prouver le fait extinctif.

La clause conventionnelle de report du délai de livraison doit donc recevoir application.

Or, la SNC COEUR DU [Localité 8] verse aux débats une attestation du 20 mai 2020 établie par l’agence d’architecture LEIBAR et SIGNEURIN, maître d’œuvre de l’opération, chiffrant à 16 semaines le retard pris par les travaux de fondations en raison de contraintes géologiques, à 48, 61 et 23 jours les retards liés aux intempéries, 9 jours ceux causés par les travaux d’aménagement des espaces publics, 29 semaines au titre des conséquences d’une injonction de la CARSAT consécutive à un accident du travail et enfin 55 jours la suspension provoquée par l'ordonnance n° 2020-306 imposant un confinement entre le 17 mars 2020 et le 11 mai 2020.

Ce certificat récapitulatif est conforme au dispositif conventionnel et il vise des causes de suspension entrées dans le champ contractuel, l’acte de vente énonçant notamment les intempéries, les injonctions administratives ou judiciaires, la découverte d’anomalies du sous-sol et les accidents de chantier.

Contrairement à ce que soutient la défenderesse, le retard doit être calculé en jours calendaires en l’absence de précision dans l’acte de vente et non en jours ouvrés, l’attestation de l’architecte n’en faisant au demeurant pas état, visant seulement des jours ou des semaines sans autre précision.

Ce certificat ne comporte aucune erreur grossière ou manifeste et le total de 511 jours de suspension légitime auquel il parvient doit donc être déduit du retard théorique de 612 jours car si l’architecte a délivré une attestation d’achèvement conforme à l’article R 261-1 du code de la construction et de l’habitation à la date du 12 mars 2020, la SNC COEUR DU [Localité 8] ne justifie d’aucune tentative de remise des clés antérieure au procès-verbal de livraison.

Le retard indemnisable s’établit en conséquence à 101 jours.

C’est à juste titre que la défenderesse fait valoir que les dispositions des articles L. 231-2 et R. 231-14 du code de la construction et de l’habitation ne concernent que les contrats de construction de maison individuelle et ne peuvent être transposées à la vente en état futur d’achèvement de lots de copropriété.

L’indemnisation de ce retard doit en conséquence être évaluée en fonction du préjudice réellement subi et non de manière forfaitaire.

Ce retard de trois mois a nécessairement causé un préjudice aux époux X. et, en l’absence de justificatifs particuliers et d’explications quant à la destination du bien, il leur sera accordé une indemnité de 2.000 euros, le surplus de la demande étant rejeté.

Il sera rappelé que conformément à l'article 514 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au présent litige, le présent jugement est exécutoire à titre provisionnel.

La SASU BOUYGUES IMMOBILIER ne formule aucune demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, la SNC COEUR DU [Localité 8] sera condamnée à payer aux époux X. une indemnité de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles et supportera les dépens.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

EN CONSÉQUENCE

Le Tribunal,

DÉCLARE irrecevables faute de qualité à agir les demandes de M. X. et de Mme X. dirigées contre la SASU BOUYGUES IMMOBILIER,

CONDAMNE la SNC COEUR DU [Localité 8] à payer à M. X. et Mme X., ensemble, la somme de 2.000 euros en indemnisation du retard de livraison et rejette le surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la SNC COEUR DU [Localité 8] à payer à M. X. et Mme X., ensemble, une indemnité de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que le présent jugement est de droit exécutoire par provision,

CONDAMNE la SNC COEUR DU [Localité 8] aux dépens et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La présente décision est signée par Madame Anne MURE, Vice-Présidente, et Monsieur Éric ROUCHEYROLLES, Greffier.

LE GREFFIER,                                          LE PRESIDENT,