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T. COM. AUBENAS, 9 février 1988

Nature : Décision
Titre : T. COM. AUBENAS, 9 février 1988
Pays : France
Juridiction : Aubenas (TCom)
Demande : 84/633
Date : 9/02/1988
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 4/06/1984
Décision antérieure : CA NÎMES (2e ch.), 8 mars 1990
Numéro de la décision : 97
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 2740

T. COM. AUBENAS, 9 février 1988 : RG n° 84/633 ; jugement n° 97

(sur appel CA Nîmes (2e ch.), 8 mars 1990 : RG n° 88/1496 ; arrêt n° 211)

 

Extrait : « Attendu que subsidiairement EDF demande le renvoi des parties devant le Tribunal Administratif de LYON afin que soit tranchée la question préjudicielle de la validité des clauses limitatives et exonératoires de responsabilité dans le cadre des contrats de fourniture de courant. Attendu que le contrat EDF/PAYEN liant les parties s'analyse en une vente de fourniture d'électricité passée par un établissement public à caractère industriel et commercial, et qu'il est donc soumis au droit privé. Attendu que la relation entre EDF et la SA PAYEN est donc de nature contractuelle et que la fourniture d'énergie électrique est une vente. Que ceci est d'ailleurs confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS du 16 DÉCEMBRE 1987.

Attendu dans ces conditions que la SA PAYEN, consommateur, face à EDF, établissement à caractère monopolistique, ne saurait se voir opposer une clause limitative de responsabilité qui apparaîtrait abusive et illicite, et qu'en raison de la faute lourde d'EDF dont la preuve est apportée par les éléments de la cause et par les rapports d'expertise établis par Mr B. et par Mr A., aucune limitation de la réparation du préjudice subi par la SA PAYEN ne doit intervenir.

Attendu par ailleurs que EDF est mal fondée à affirmer que la SA PAYEN ne peut invoquer à son encontre une obligation de résultat, s'estimant débitrice d'une simple obligation de moyens en l'état des stipulations précises des articles 1 et 12 du contrat de fourniture. »

 

TRIBUNAL DE COMMERCE D’AUBENAS

JUGEMENT DU 9 FÉVRIER 1988

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

RG n° 84/633. Jugement n° 97. Jugement rendu par Mr Jean TOGNETTY, Président d'audience.

Clôture des débats et délibéré : à l'audience du 8 SEPTEMBRE 1987.

Composition du Tribunal lors de la clôture des débats et du délibéré : Monsieur Jean TOGNETTY, Président d'audience, Messieurs VERGNOUX et LARGIER, Juges.

Greffier : Monsieur Max JOUVENCEAU.

 

ENTRE :

SA PAYEN & CIE

[adresse], Demanderesse ayant pour avocat Mr le Bâtonnier Jean-Jacques CHAVRIER, du barreau de l'Ardèche, et plaidant par Maître Henri LUCIEN-BRUN du barreau de Lyon, demeurant [adresse], d'une part

 

ET :

ÉLECTRICITÉ DE FRANCE en sigle et ci-après dite « EDF »

Centre de distribution mixte de NÎMES [adresse], Défenderesse, représentée par Maître Alain VIDAL-NACQUET, avocat associé demeurant [adresse], d'autre part

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

Il convient de rappeler que par jugement du 23 JUILLET 1985, ce Tribunal a constaté que l'expertise amiable n'avait pas conduit à un accord entre les parties, et avant dire droit quant au fond, a désigné en qualité d'expert Mr François A. expert inscrit près la Cour d'Appel de LYON avec pour mission d'entendre les parties en leurs dires et explications et de se faire remettre tous documents nécessaires, de prendre connaissance du rapport amiable de l'expert B. et de l'étude critique par l'expert C., d'entendre ou d'interroger si besoin est lesdits experts, de répondre sur tous les points de la mission d'expertise amiable, de fixer l'éventuel préjudice subi par la SA PAYEN du fait de EDF et d'une manière générale de répondre à toutes les questions posées par les parties à l'occasion du litige.

L'expert ayant accompli sa mission l'affaire est revenue en ordre utile devant ce Tribunal afin de permettre la reprise des débats.

La SA PAYEN & Cie sollicite du Tribunal de déclarer recevable et bien fondée son action indemnitaire ; de dire qu’EDF a manqué à 30 reprises de 1978 à 1980 à son obligation de résultat de fourniture d'énergie électrique et qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une cause exonératoire de sa responsabilité ; de dire illicite la clause limitative de responsabilité de l'article 12 et la déclarer nulle et de nul effet ; [minute page 2] en toute hypothèse de dire que l'EDF a commis une faute lourde ; de condamner en conséquence EDF à l'indemnisation de l'entier préjudice de la SA PAYEN soit 4.061.000,00 Francs de dommages et intérêts, 200.000,00 Francs de dommages et intérêts pour résistance abusive, 2.915,42 Francs pour frais d'expertise B., et 60.000 Francs au titre de l'article 700 du NCPC ; d'ordonner l’exécution provisoire et de condamner EDF en tous les dépens.

EDF quant à elle développe des conclusions sollicitant du Tribunal de débouter la SA PAYEN de toutes ses demandes, fins et conclusions ; de rejeter le rapport A. comme ne répondant pas à la mission qui a été impartie à l'expert par la convention des 12 et 22 DÉCEMBRE 1980 par le jugement du Tribunal de Commerce d'AUBENAS du 23 JUILLET 1985 ; de dire et juger que la preuve d'une faute lourde au sens tout d'abord donné à cette notion par le contrat d'abonnement et ses avenants et subsidiairement par la jurisprudence, n'est pas rapportée au titre des coupures de fourniture dont se plaint la SA PAYEN ; de dire et juger que les dispositions des articles 35 de la Loi du 10 JANVIER 1978 relatives à la protection des consommateurs de produits et de services, et de l'article 2 du décret du 24 MARS 1978 pris pour son application (Loi Scrivener) ne sont pas applicables dans les rapports entre industriels et plus spécifiquement entre EDF et la SA PAYEN ; de dire et juger que la SA PAYEN ne peut invoquer à charge d'EDF une obligation de résultat, mais une simple obligation de moyens en l'état des stipulations précises des articles 1 et 12 du contrat de fourniture ; de dire et juger que la preuve n’est pas rapportée de faute lourde imputable à EDF au sens des dispositions du contrat de fourniture ; de débouter derechef la SA PAYEN de toutes ses demandes, fins et conclusions ; subsidiairement de renvoyer les parties devant le Tribunal Administratif de Lyon pour y être tranchée la question préjudicielle de la validité des clauses limitatives et exonératoires de responsabilité dans le cadre des contrats de fourniture de courant, contrats règlementés en l'état de la prétention selon laquelle ces stipulations seraient nulles en application des dispositions de la loi SCRIVENER et de son décret d'application ; de condamner la SA PAYEN aux entiers dépens ; de condamner la SA PAYEN à verser à EDF la somme de CINQUANTE MILLE FRANCS (50.000,00 Francs) en application des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions en réponse, la SA PAYEN & CIE sollicite de débouter EDF de toutes ses prétentions et demandes et de lui adjuger l'entier bénéfice de ses conclusions après expertise A.

L'affaire a été mise en délibéré lors de l'audience du 8 SEPTEMBRE 1987.

Les parties ont adressé plusieurs notes en cours de délibéré sur lesquelles il n'y a pas lieu en conséquence de revenir, étant précisé cependant qu'elles ont eu pour seul mérite de porter à la connaissance de ce Tribunal, l'arrêt rendu par la cour d'appel d'ANGERS le 16 DÉCEMBRE 1987 dans une affaire EDF contre divers défendeurs horticulteurs qui se sont groupés pour engager une action en responsabilité à l'encontre d'EDF à la suite de pannes d'électricité survenues en Janvier 1985.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LE TRIBUNAL :

Attendu que la procédure amiable prévue par les dispositions du contrat de fourniture a été mise en œuvre et qu'ayant échoué 1’instance a été reprise par la SA PAYEN contre EDF devant le Tribunal de Commerce d'AUBENAS.

[minute page 3] Attendu que par jugement du 23 JUILLET 1985 ce Tribunal, avant dire droit au fond, a désigné Mr A. en qualité d'expert.

Attendu que contrairement à ce qu'indique EDF ce jugement n'a pas constaté que Mr B. n'avait pas rempli sa mission, mais constaté que l'expertise amiable n'avait pas conduit à un accord entre les parties.

Attendu que c'est dans ces conditions que l'expert A. a été désigné et qu'il a déposé son rapport le 15 MAI 1987.

Attendu qu'EDF critique vigoureusement le rapport A.

Attendu cependant contrairement à ce que tente de démontrer EDF, que l'expert A. a éclairé la religion du Tribunal en déterminant la faute d'EDF, et que ce rapport n'est pas « dubitatif » puisqu'il précise notamment :

- page 4 dernier paragraphe : « le réseau 20 KV lui-même reçoit son énergie d'un réseau de grande distribution ou de transport à une tension de 63 KV et au-dessus. A ce niveau, il appartient à EDF de réaliser les ouvrages nécessaires et de déterminer à tout instant la structure d'exploitation du réseau de manière qu'un incident ne se répercute pas, ou seulement très rarement, au niveau du réseau de distribution et de la clientèle ».

- page 5 premier paragraphe : « Une défaillance à ce niveau doit donc être considérée comme faute lourde ».

- page 5 deuxième paragraphe : « en conclusion, il me semble que la conception du réseau d'alimentation 20 KV peut être mise en cause ».

- page 5 avant-dernier paragraphe : « Toutefois, je dois signaler que le nombre de défauts sur le câble de sortie du poste des S., départ C., qui alimente l'usine PAYEN, paraît anormalement élevé et que de ce fait, la part de responsabilité EDF pourrait être plus importante que sa limite contractuelle ».

- page 9 paragraphe 7.4.4. : « le nombre d'interruptions dues à des incidents sur le matériel apparaît anormalement élevé dans l'état actuel de la technique. Le nombre des incidents sur les réseaux 60 KV et au-dessus, entraînant des coupures au niveau 20 KV m’apparaît anormal et devant mettre en jeu la responsabilité intégrale d'EDF ».

Attendu qu'ainsi l'expert A. a répondu à sa mission tant sur les proportions normales ou anormales des incidents au regard de la technique, incidents qui prouvent l'incapacité d'EDF à les prévenir et à y pallier.

Attendu qu'ainsi la responsabilité d'EDF doit être retenue.

Attendu que subsidiairement EDF demande le renvoi des parties devant le Tribunal Administratif de LYON afin que soit tranchée la question préjudicielle de la validité des clauses limitatives et exonératoires de responsabilité dans le cadre des contrats de fourniture de courant.

Attendu que le contrat EDF/PAYEN liant les parties s'analyse en une vente de fourniture d'électricité passée par un établissement public à caractère industriel et commercial, et qu'il est donc soumis au droit privé.

Attendu que la relation entre EDF et la SA PAYEN est donc de nature contractuelle et que la fourniture d'énergie électrique est une vente.

[minute page 4] Que ceci est d'ailleurs confirmé par l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS du 16 DÉCEMBRE 1987.

Attendu dans ces conditions que la SA PAYEN, consommateur, face à EDF, établissement à caractère monopolistique, ne saurait se voir opposer une clause limitative de responsabilité qui apparaîtrait abusive et illicite, et qu'en raison de la faute lourde d'EDF dont la preuve est apportée par les éléments de la cause et par les rapports d'expertise établis par Mr B. et par Mr A., aucune limitation de la réparation du préjudice subi par la SA PAYEN ne doit intervenir.

Attendu par ailleurs que EDF est mal fondée à affirmer que la SA PAYEN ne peut invoquer à son encontre une obligation de résultat, s'estimant débitrice d'une simple obligation de moyens en l'état des stipulations précises des articles 1 et 12 du contrat de fourniture.

Attendu en effet ainsi que l'a fort justement souligné l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS du 16 DÉCEMBRE 1987, que le contrat par lequel EDF s'engage à fournir de l'énergie à ses clients constitue bien une vente et que cette obligation de résultat est inhérente au contrat de vente qui implique la livraison de la chose promise ; que par ailleurs dans ses contrats pour la fourniture électrique haute tension, EDF se reconnaît « en principe responsable des interruptions inopinées de fourniture, et, par suite, des dommages qui pourraient en résulter pour l'abonné » ; que l'existence d'aléas quant à la production, au transport et à la distribution de 1’énergie n'est pas de nature à exclure l'obligation de résultat, qui est considérée comme due dans d'autres contrats, comme le contrat de construction ou le contrat de transport dont l'exécution n'est pas exempte non plus d'aléas.

Attendu pour toutes ces raisons que ce Tribunal est bien compétent pour connaître du présent litige, et que compte-tenu des éléments du rapport de Mr A., il convient de retenir au titre du préjudice subi par la SA PAYEN, et compte-tenu de l'absence de preuve de cas de force majeure invoqué par EDF, le total des coupures fixé par l'expert, soit 30 (page 5 du rapport) et de fixer à 22.612 Francs l'évaluation faite par le même expert (page 7) pour chaque arrêt soit au total 30 X 22.612,00 Francs soit 678.360,00 Francs, somme à laquelle EDF sera tenue à indemnisation auprès de la SA PAYEN, déduction faite de celle de 22.000,00 Francs payée par EDF et acceptée par la SA PAYEN à titre d'indemnisation, soit un solde de 656.360,00 Francs.

Attendu en ce qui concerne les dommages et intérêts réclamés par la SA PAYEN qu'il sera fait reste de droit à cette dernière en vertu du principe de l'article 1153 du Code Civil en lui allouant 1es intérêts de droit sur la somme de 656.360,00 Francs, à compter de l’assignation introductive d'instance du 4 JUIN 1984.

Attendu que la demande au titre de l'article 700 du Nouveau de Procédure Civile est justifiée en son principe mais exagérée en son quantum ; qu'il sera fait reste de droit à la SA PAYEN, compte-tenu, des nombreuses diligences procédurales par elle accomplies, de lui allouer une somme de 40.000,00 Francs.

Attendu qu'il convient de condamner EDF en tous les dépens de l’instance lesquels comprendront les frais d'expertise B. et ceux de l'expertise A., ce si besoin est, à titre de dommages et intérêts supplémentaires.

Attendu que l'exécution provisoire ne s'impose pas.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                          (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 5] PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal après en avoir délibéré conformément à la Loi, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort.

Rejetant tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties comme injustifiés ou mal fondés ; les en déboutant.

Déclare recevable et bien fondée l'action indemnitaire de la SA PAYEN à l'encontre d'EDF et constate que cette dernière a manqué à 30 reprises de 1978 à 1980 à son obligation de résultat de fourniture d'énergie électrique et qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère exonératoire de sa responsabilité.

Fixe à la somme de SIX CENT CINQUANTE SIX MILLE TROIS CENT SOIXANTE FRANCS (656.360,00 Francs) le montant dudit préjudice.

Condamne EDF à payer à la SA PAYEN ladite somme de 656.360,00 Francs outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 4 JUIN 1984.

Fait reste de droit à la SA PAYEN en condamnant EDF à lui payer une somme de QUARANTE MILLE FRANCS (40.000,00 Francs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent.

Condamne EDF en tous les dépens de l'instance comprenant les frais d'expertise B. et les frais d'expertise A., dont frais de Greffe comprenant le coût du jugement avant dire droit du 23 JUILLET 1985, et le coût du présent, liquidés à la somme totale TTC de 819,76 Francs.

Ainsi fait, jugé et prononcé à l'audience publique tenue au Tribunal de Commerce d'AUBENAS le MARDI 9 FÉVRIER 1988.

LE GREFFIER :                               LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE :

Max JOUVENCEAU                    Jean TOGNETTY