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CA RENNES (1re ch. B), 3 février 2011

Nature : Décision
Titre : CA RENNES (1re ch. B), 3 février 2011
Pays : France
Juridiction : Rennes (CA), 1re ch. sect. B
Demande : 09/05628
Date : 3/02/2011
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 31/07/2009
Décision antérieure : TGI VANNES, 30 juin 2009
Numéro de la décision : 83
Décision antérieure :
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3019

CA RENNES (1re ch. B), 3 février 2011 : RG n° 09/05628 ; arrêt n° 83

Publication : Jurica

 

Extrait : « Les avis émis les 27 mai et 24 juin 2004 sous les numéros 04.02 et 04.03 par la commission des clauses abusives ne sont pas applicables au cas d'espèce qui concerne des contrats de prêt en lien direct avec l'activité professionnelle du débiteur principal ».

 

COUR D’APPEL DE RENNES

PREMIÈRE CHAMBRE B

ARRÊT DU 3 FÉVRIER 2011

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 09/05628. Arrêt n° 83.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Madame Catherine LE BAIL, Président, Madame Françoise X., Conseiller, Monsieur Jean-Pierre GIMONET, Conseiller,

GREFFIER : Marie-Noëlle KARAMOUR, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS : A l'audience publique du 30 novembre 2010 devant Madame Françoise X., magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT : Avant dire droit, prononcé publiquement le 3 février 2011 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré

 

APPELANTE :

Madame Y. veuve X.,

représentée par la SCP JEAN LOUP BOURGES & LUC BOURGES, avoués, assistée de Maître Philippe KERZERHO, avocat

 

INTIMÉE :

CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL DU MORBIHAN,

représentée par la SCP BAZILLE Jean-Jacques, avoués, assistée de la SELARL LEHUEDE - GUENNO-LE PARC, avocats

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

I - Exposé du litige :

Par acte du 29 septembre 1999, la Caisse Régionale de Crédit Agricole du Morbihan, ci-après le Crédit Agricole, a consenti à Monsieur Z. un prêt d'un montant de 53.357,16 euros, au taux nominal de 5,10 % l'an, remboursable en 84 mensualités constantes, garanti par la caution de Madame Y. et une promesse de nantissement sur le fonds de commerce objet du financement. Le même jour, Madame Y. veuve X. s'est portée caution solidaire de Monsieur Z. pour la somme de 69.364,30 euros, y compris les intérêts au taux nominal de 5,10 %, les intérêts de retard, frais et accessoires.

Le 2 octobre 2000, une ouverture de crédit de 30.489 euros a été consentie à l'EURL Garage Z., pour le financement de sa trésorerie, au taux proportionnel variable de 8,40 %, à échéance du 10 septembre 2002, garantie par la caution de Madame Y. et un nantissement de fonds. De fait, par acte du 15 septembre 2000, madame Y. veuve X. s'est portée caution solidaire de l'EURL Garage Z., « pour la somme de 30.489 euros, plus les intérêts au taux variable actuellement de 8,40 % l'an, plus les intérêts de retard, frais et accessoires ».

Le 19 octobre 2000, le Crédit Agricole a consenti à Monsieur Z. un crédit de 4.573,47 euros, au taux proportionnel variable de 8,40 % l'an, à échéance du 10 octobre 2002, garanti par la caution de Madame Y. veuve X., pour financer sa trésorerie. L'acte de caution a été paraphé et signé par Madame Y. le 24 octobre 2000, se portant caution solidaire de la somme de 4.573,47 euros, plus les intérêts au taux variable actuellement de 10,177 %, plus les intérêts de retard, frais et accessoires. La mention « le cas échéant de 8,40 % huit quarante pour cent » a été rayée nulle.

Par jugement du 25 juin 2003, le tribunal de commerce de Vannes a prononcé la liquidation judiciaire de l'EURL Garage Z.

Après mise en demeure du 4 juillet 2006, par acte du 19 mars 2007, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Morbihan a fait assigner Madame Y. veuve X. en réclamant le paiement de diverses sommes au titre du prêt du 29 septembre 1999 ainsi que des ouvertures de crédit du 2 octobre 2000 et du 19 octobre 2000, outre 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 30 juin 2009, le tribunal de grande instance de Vannes a :

- Débouté Madame Y. veuve X. de sa demande en nullité des actes de cautionnement ;

- Débouté Madame Y. veuve X. de sa demande tendant à être déchargée de son engagement du fait de l'absence d'inscription de nantissement ;

- Condamné Madame Y. veuve X. à payer au Crédit Agricole du Morbihan les sommes suivantes :

* au titre du prêt d'un montant initial de 53.357,16 euros du 29 septembre 1999 :

- 30.452,78 euros au titre du capital,

- 3.117,62 euros au titre des intérêts normaux,

- 7.981,84 euros au titre des intérêts sur échéances en retard,

outre les intérêts conventionnels sur ces trois sommes, à compter du 28 février 2007 ;

- 723,80 euros au titre de l'ADI,

- 58 euros au titre des frais,

outre intérêts au taux légal sur ces « trois sommes », à compter de l'assignation ;

* Au titre de l'ouverture de crédit d'un plafond de 4.573 euros du 19 octobre 2000 :

- 6.682,93 euros au titre du solde débiteur, avec intérêts au taux conventionnel à compter du 28 février 2007,

* Au titre de l'ouverture de crédit d'un plafond de 30.489 euros :

- 58.765,28 euros au titre du solde débiteur, avec intérêts au taux conventionnel à compter du 8 février 2007 ;

- Débouté le Crédit Agricole du Morbihan de sa demande dirigée contre Madame Y. veuve X. sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement ;

- Condamné Madame Y. veuve X. aux dépens ;

- Rejeté toute autre demande des parties plus amples ou contraires.

Madame Y. veuve X. a régulièrement déclaré faire appel de cette décision le 31 juillet 2009, à l'encontre du Crédit Agricole du Morbihan.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions signifiées par les parties.

Madame Y. veuve X. a conclu le 26 juillet 2010 et demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et

- Vu l'article 1108 du Code civil, l’article 1110 du Code civil et la violation par le banquier de son obligation d'information, des articles L. 313-7, L. 313-8 et L. 313-10 du Code de la consommation,

- Vu le caractère civil de l'acte de cautionnement,

- Prononcer à titre principal la nullité de chacun des actes de cautionnement ;

- Vu l’article 2314 du Code civil,

- Prononcer en toute hypothèse, la décharge de Madame Y. de son engagement de caution au titre du prêt du 29 septembre 1999 ;

- Vu les articles 2292 alinéa 1 et 2292 du Code civil, vu l'article L. 313-22 du Code de la consommation, vu l'article 47 de la loi 94.126 du 11 février 1994, vu les avis émis sous les numéros 04.02 et 04.03 par la commission des clauses abusives, vu l'absence de pénalités et indemnités forfaitaires, vu l'inopposabilité de la clause 5 des conditions générales des deux ouvertures de crédit à court terme, vu la durée indéterminée des deux ouvertures de crédit,

- Déclarer irrecevable le Crédit Agricole en ses demandes au titre de ces deux ouvertures ;

- Dire et juger en toute hypothèse que les créances exigibles sont des créances limitées au seul principal, après affectation prioritaire des paiements effectués par le débiteur principal ;

- Constater que le Crédit Agricole ne justifie pas du montant de ces créances après application des modalités précitées ;

- Le débouter de toutes ses demandes sur le fondement de l'article 1315 alinéa du Code civil ;

- En toute hypothèse, vu les articles 1147 et 1134 alinéa 3 du Code civil, vu la violation par le banquier de son devoir de mise en garde, vu le maintien abusif et artificiel des ouvertures de crédit, vu les règlements affectés au dépassement de découvert, vu la violation du principe jurisprudentiel de proportionnalité,

- Déchoir le Crédit Agricole de toute poursuite ou en toute hypothèse, allouer à Madame Y. des dommages-intérêts équivalents au montant de la dette ;

- Condamner le Crédit Agricole au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner le Crédit Agricole aux dépens recouvrés par la SCP Jean-Loup Bourges-Luc Bourges, avoués, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Morbihan a conclu le 18 novembre 2010 et demande à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré ;

- Condamner Madame Y. veuve X. à payer au Crédit Agricole du Morbihan la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner Madame Y. veuve X. aux entiers dépens, recouvrés par la SCP Bazille, avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 novembre 2010.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

II - Motifs :

Madame Y. revendique de plus fort devant la cour, la nullité des actes de cautionnement, dont il ne lui aurait pas été fait une lecture intégrale alors qu'elle souffre d'une maladie dégénérative de l'œil, médicalement constatée depuis le mois de juillet 2000, mais préexistante notamment pour la signature de l'acte de cautionnement du 27 septembre 1999, qu'elle explique avoir signé « le nez sur la feuille », sans pouvoir prendre connaissance de toutes les obligations, dont certaines mentionnées en plus petits caractères. Elle fonde son action sur l'erreur affectant son consentement et souligne que la mention manuscrite apposée sur les actes litigieux n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 313-7 et L. 313-8 du Code de la consommation. Tout en admettant le caractère professionnel des prêts cautionnés, elle soutient avoir agi en tant que profane, sans avoir aucun intérêt personnel dans l'affaire commerciale à l'occasion de laquelle elle est intervenue et demande, à cet effet, le bénéfice des articles précités.

Madame Y. fait valoir l'absence fautive de nantissement en vertu du premier prêt, fondant sa demande de décharge de son engagement de caution, au motif que cette carence a fait perdre à la sûreté le rang qu'elle aurait dû avoir et par suite son utilité. Le Crédit Agricole n'a en effet procédé à l'inscription d'un nantissement sur le fonds de commerce qu'en vertu du contrat signé le 2 octobre 2000, et non en vertu du prêt du 27 septembre 1999, alors que l'emprunteur y avait expressément consenti.

Madame Y. fait valoir l'absence d'information annuelle de la caution, dans les formes et avec les mentions prévues par l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier. Elle conteste la valeur probante accordée dans le jugement déféré aux états informatiques et constats d'huissier fournis par la banque, dont elle prétend au contraire tirer la preuve contraire, faute pour ces documents de mentionner son nom. Elle réclame en tout état de cause la déchéance du droit aux intérêts sur le fondement de l’article 47 de la loi du 12 février 1994, à défaut d'avoir été informée dès le premier incident de paiement non régularisé, dans le mois de l'exigibilité de ce paiement. Et elle réfute à cet effet, l'application de cette formalité aux seuls contrats à durée indéterminée, invoquée par la banque et retenue dans le jugement déféré. Concernant les intérêts, Madame Y. prétend enfin que l'absence de taux d'intérêt déterminable selon des éléments objectifs prédéterminés aux contrats et aisément vérifiables par le juge et l'emprunteur, ferait encourir à la banque la déchéance de son droit aux intérêts par application de l’article 1174 du Code civil.

A défaut de déclaration au passif de la liquidation judiciaire, Madame Y. prétend que les créances d'indemnités forfaitaires ne lui sont pas opposables. Elle soutient aussi la limitation de son cautionnement à la mesure de l'obligation principale pour le prêt et à la mesure des plafonds contractuels fixés pour les ouvertures de crédit, sans pouvoir lui réclamer des intérêts pour une période indéterminée et au-delà de la période pour laquelle elle s'est engagée.

Madame Y. soutient enfin un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, envers une caution non avertie et atteinte d'une maladie oculaire dégénérative, sans pouvoir invoquer sa situation patrimoniale qui serait indépendante de la notion de risque d'endettement et en tout état de cause inopérante au moment de la souscription de ses engagements. Elle souligne l'absence de toute manifestation de la banque avant la mise en demeure du 4 juillet 2006, alors qu'elle n'a jamais vécu avec Monsieur Z. et que ce dernier l'a quittée au lendemain du dernier acte de cautionnement. Elle prétend qu'en étant informée du risque d'endettement et du risque de mise en vente de sa maison, elle n'aurait pas accepté de se porter caution des engagements financiers de Monsieur Z.

Madame Y. met en cause la responsabilité de la banque fondée sur un soutien abusif accordé au débiteur principal et par cette faute un préjudice causé à la caution par l'aggravation du déficit de l'entreprise empêchant le remboursement de la dette, dont la vente du fonds de commerce aurait dû suffire à l'apurer. Et elle fait valoir aussi la disproportion de ses engagements au regard de sa situation personnelle et patrimoniale, alors qu'elle s'est trouvée en congé de maladie à compter du mois de septembre 2000 et ne possédait que des droits limités sur la maison d'habitation lui appartenant en indivision avec ses trois enfants.

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Morbihan s'étonne de la cécité invoquée par Madame Y. seulement dans son troisième jeu de conclusions en première instance. Et elle fait sienne la motivation du jugement déféré notamment quant aux mentions « claires et ordonnées » apposées par Madame Y. sur les actes litigieux, en réfutant la moindre taille de certaines clauses et admettant une simple erreur matérielle entre la mention « nantissement » et « caution ». Elle écarte l'application des dispositions des articles L. 313-7 et L. 313-8 du Code de la consommation et l'application du principe de proportionnalité, issus de la loi du 1er août 2003, qui n'était pas en vigueur à l'époque des faits.

La banque souligne les éléments de revenus 1998 fournis par Madame Y. au moment de son engagement mais l'absence encore actuelle de données sur la consistance et la valeur de son patrimoine, l'empêchant de faire valoir la disproportion de son engagement. Elle précise que le passif privilégié de la liquidation judiciaire a absorbé la totalité de l'actif et qu'en conséquence l'absence de nantissement n'a créé aucun préjudice à Madame Y.

Le Crédit Agricole revendique la valeur probante des états informatiques et des constats d'huissier pour établir l'information de la caution dans les formes réglementaires, en écartant l'application de l’article 47 de la loi du 11 février 1994, restreinte aux crédits à durée indéterminée. Elle indique que les avis 04.02 et 04.03 de la commission des clauses abusives ne trouvent pas application pour les prêts professionnels et elle précise avoir renoncé à ses réclamations en matière d'indemnités forfaitaires, non incluses dans les condamnations de première instance.

La banque s'oppose à toute réduction de ses réclamations qui s'inscriraient en totale conformité avec les mentions manuscrites apposées par Madame Y., envers laquelle elle conteste tout devoir de mise en garde en l'absence de risque d'endettement compte tenu des garanties offertes par le débiteur principal, par la valeur du fonds de commerce et la valeur des parts détenues dans un immeuble appartenant à la SCI Z.

 

Sur la nullité des actes de caution :

Madame Y. soutient que son handicap visuel, proche de la cécité, l'a empêchée de lire les clauses des actes de cautionnement dont il n'est pas prouvé par la banque que la lecture lui en ait été faite dans leur intégralité. Et elle pointe certaines anomalies de ces actes comme établissant un consentement non éclairé.

Madame Y. produit un certificat médical du 16 avril 2008, attestant d'une baisse sévère de sa vision constatée le 4 juillet 2000 et d'une angiographie montrant « un péri-vascularite, un œdème maculaire important des deux côtés, les suites de cette infection ayant été gérées dans les services ophtalmologiques de Nantes et de Vannes ». Un certificat du 19 octobre 2010 précise que la baisse d'acuité visuelle constatée le 4 juillet 2000 « rend la lecture courante impossible ». Madame Y. a été placée en congé de longue maladie du 20 septembre 2000 au 30 juin 2003. Et son médecin traitant atteste le 13 juin 2009, de la multiplicité des traitements subis par Madame Y. entre 1999 et 2003 et d'un syndrome dépressif induisant une fragilité « vis à vis des événements de sa vie affective, familiale et professionnelle ».

La banque fait valoir à bon droit que le premier acte de prêt a été signé le 29 septembre 1999 sans que soit établie l'existence d'un handicap visuel à cette époque. Chacun des actes porte la certification des signatures par le directeur de l'agence. Il est observé à juste titre par le premier juge, que les mentions et signatures apposées au mois d'octobre 2000, soit postérieurement aux soins, présentent une écriture claire et ordonnée. Et il est observé de surcroît par la cour, que ces écrits ne dénotent aucun changement d'écriture, témoignant des difficultés, voire de l'impossibilité, alléguées de lire et par suite d'écrire.

L'engagement de caution à hauteur de 455.000 Francs, pour un montant principal de 350.000 Francs, correspond à l'inclusion des intérêts, frais et accessoires pour un montant maximum déterminé de 30 %, tel que précisé dans la rubrique 4 du contrat, figurant sur la même page.

L'ajout de la mention « bon pour nantissement » dans l’acte du 15 septembre 2009, après l'engagement de caution, apparaît être effectivement une erreur, invoquée par la banque. Cette mention litigieuse n'affecte pas, en tout de cause, le consentement de Madame Y. à l'engagement de caution préalable.

La typographie des clauses générales du contrat de crédit et notamment de la clause 16 A-g n'établit pas l'impossibilité pour Madame Y. de les lire, au moment de leur signature, soit bien avant les soins ou après en avoir bénéficié, sans que soit fournie d'autre attestation quant à un empêchement de pratiquer les actes de la vie courante et notamment la lecture jusqu'aux mois de septembre et octobre 2000.

La fragilité psychologique de Madame Y. à cette époque n'a pas justifié de mesure de protection et il n'est pas établi un amoindrissement de ses facultés de compréhension de nature à l'empêcher d'apprécier la portée d'un engagement de caution, ne pouvant être communément considéré comme une simple formalité.

Le formalisme imposé à peine de nullité par les articles L. 313-7 et L. 313-8 du Code de la consommation, pour l'engagement de caution souscrit par acte sous seing privé par une personne physique, ne trouve application qu'en matière de crédit à la consommation ou de crédit immobilier. Et Madame Y. allègue vainement l'absence d'intérêt personnel dans l'affaire commerciale où elle est intervenue, pour revendiquer l'application de ces textes en tant que profane. Ce formalisme protecteur de la caution personne physique, s'engageant en tant que caution envers un créancier professionnel, a certes été repris dans l'article L. 341-2 du Code de la consommation mais qui n'est applicable qu'à compter du 6 février 2004.

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de Madame Y. tendant à la nullité des actes de cautionnement.

 

Sur le défaut de nantissement :

Madame Y. reproche au Crédit Agricole de ne pas avoir pris de nantissement pour le prêt du 29 septembre 1999, au motif que cette carence a eu pour effet de priver la sûreté du rang dont elle aurait pu bénéficier.

Il est constant que le Crédit Agricole n'a inscrit un nantissement sur le fonds de commerce que pour le crédit souscrit le 2 octobre 2000, nonobstant la promesse contenue dans l'acte de prêt du 22 septembre 2009.

Cependant, un courrier du mandataire liquidateur en date du 30 novembre 2004 fait connaître à la banque l'inutilité de l'inscription prise le 11 octobre 2000 volume 2000 n° 583, en demandant sa mainlevée sans paiement, compte tenu du montant des créances super-privilégiées de salaires s'élevant à 36.602,63 euros et absorbant le produit de la réalisation des actifs, à savoir le fonds de commerce cédé pour 18.000 euros. Il lui a de plus été précisé, dans un courrier du 7 avril 2006 que : « l'actif à réaliser (ou déjà réalisé) ne permettra pas le règlement, même partiel de votre créance », en certifiant de « l'irrecouvrabilité totale et définitive » de la créance.

Le jugement déféré retient à bon droit que le défaut d'inscription de nantissement pour le prêt du 29 septembre 1999 n'a généré aucun préjudice pour la caution qui ne saurait obtenir de ce fait la décharge de son engagement sur le fondement de l’article 2314 du Code civil.

 

Sur l'information de la caution :

Madame Y. soutient que le Crédit Agricole n'a pas respecté l'obligation légale d'information prévue par l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier, issu de la loi du 1er mars 1984, complété par la loi n° 99-532 du 25 juin 1999, en vertu duquel :

« Les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement, par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée » (alinéa 1er).

« Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. (Loi du 25 juin 1999). Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette » (alinéa 2).

Le Crédit Agricole produit aux débats des extraits de listings informatiques, intitulés « liste des cautions-prêts cautionnés » et mentionnant simplement Madame Y. comme caution des crédits souscrits par Monsieur Z. et le Garage Z.

Sont également fournis des constats d'huissier, établis à Vannes le 8 mars 2000, le 30 mars 2001, le 28 mars 2002, le 26 mars 2003, le 22 mars 2004, le 31 mars 2005 et le 1er février 2006, puis à Loudéac le 25 janvier 2007. Ces constats établissent des envois de courriers sous enveloppes adressés en recommandé à des cautions, selon un modèle type dont l'huissier a annexé un exemplaire à son constat, ce modèle faisant partie des 59 lettres prélevées par sondage, pour en vérifier et prouver le contenu. Il est précisé qu'un Cd-Rom a été remis à l'huissier pour être annexé au procès-verbal, ce CD-Rom contenant la liste des « cautionnaires » et des débiteurs cautionnés ainsi que la situation des engagements concernés. Cependant, il est précisé par l'huissier, « en raison de l'incompatibilité du fichier avec le PC, je n'ai pas été en mesure d'ouvrir le fichier de ce CD-Rom ». Et le Crédit Agricole n'a pas plus exploité ce CD-Rom. De sorte qu'aucun document ne prouve l'existence du nom de Madame Y. sur les listings servant à l'envoi des lettres destinées à l'information des cautions et il n'est fourni aucune copie d'une lettre lui ayant été adressée pendant toutes ces années.

Il y a lieu dès lors de faire application de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, en réformant de ce chef le jugement déféré. De surcroît, Madame Y. fait valoir les dispositions de l’article 47 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, issues de la loi du 29 juillet 1998, selon lesquelles « lorsque le cautionnement est consenti par une personne physique pour garantir une dette professionnelle d'un entrepreneur individuel ou une entreprise constituée sous forme de société, le créancier informe la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement. Et à défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle elle a été informée.

Aucune condition particulière ne limite l'application de ces dispositions aux contrats à durée indéterminée, dont Madame Y. souligne au contraire leur mention à l'alinéa précédent pour leur étendre des dispositions prévues par l’article 48 de la loi du 1er mars 1984 et jusqu'alors limitées aux contrats à durée déterminée.

La situation des comptes au 31 décembre 2001 fait apparaître un retard de paiement de 2.401 euros pour le prêt du 25 septembre 1999 ainsi que des soldes débiteurs de 40.623 euros et 13.622 euros dépassant le montant des ouvertures de crédit consenties le 2 octobre 2000 et le 19 octobre 2000. Des incidents de paiement se sont nécessairement produits au cours de l'année 2001. Or les deux historiques figurant au dossier concernent le compte de l'EURL Garage Z. à compter du 6 septembre 2002 et Monsieur Z. à compter du 2 janvier 2003, ce qui ne met pas la cour en état de vérifier la date du premier incident de paiement et de sa régularisation, pour les crédits litigieux. Le Crédit Agricole encourt dès lors la déchéance du droit aux intérêts et pénalités de retard à compter du 1er janvier 2001.

Il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats aux fins d'établir un nouveau décompte des créances de la banque envers la caution, en faisant application des articles susvisés, dont l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier prévoyant l'affectation prioritaire au règlement du principal de la dette, des paiements effectués par le débiteur principal.

Les crédits n'ont pas été souscrits dans des conditions plus onéreuses par la caution, qui s'est engagée pour les sommes dues en principal, intérêts, frais et accessoires. Les mentions relatives aux taux d'intérêts ne permettent pas de retenir le caractère indéterminable allégué par Madame Y., étant observé que le taux variable « actuellement de 10,177 % » mentionné dans l'acte de caution du 24 octobre 2000, correspond en fait au taux effectif global calculé à partir du taux nominal de 8,40 % dont la mention a été rayée.

Les avis émis les 27 mai et 24 juin 2004 sous les numéros 04.02 et 04.03 par la commission des clauses abusives ne sont pas applicables au cas d'espèce qui concerne des contrats de prêt en lien direct avec l'activité professionnelle du débiteur principal.

Les indemnités forfaitaires n'ont pas été déclarées au passif de la liquidation judiciaire et le Crédit Agricole précise y avoir renoncé, sans être contredit sur ce point.

 

Sur l'étendue du cautionnement :

Madame Y. restreint à tort la mesure de son engagement à la somme en principal de 350.000 Francs pour le prêt du 22 septembre 1999, alors qu'elle s'est portée caution à hauteur de la somme de 450.000 Francs soit 69.364,30 euros, en application de la rubrique 4 du contrat, prévoyant d'inclure dans cet engagement pour un montant forfaitaire de 30 %, les intérêts au taux de 5,10 %, les intérêts de retard, frais et accessoires.

Les actes de caution du mois d'octobre 2000 portent bien mention d'un engagement de payer le montant des ouvertures de crédit accordées pour des montants fixés à 30.489 euros et 4.573,47 euros, plus les intérêts de retard, frais et accessoires. Les ouvertures de crédit ont certes été fixées pour des durées limitées dans le temps et en l'espèce à échéances du 10 septembre 2002 et du 10 octobre 2002. Mais le Crédit Agricole fait valoir à bon droit l'application des dispositions de l'article 5 des conditions générales prévoyant l'application des intérêts de retard jusqu'à l'apurement de la dette, même après la clôture du compte courant pour une raison quelconque.

Cette clause ne saurait être retenue comme donnant au cautionnement de Madame Y. un caractère indéfini, s'agissant du paiement d'intérêts de retard sur une dette dont le montant est déterminé à la date d'échéance du crédit et qui donne d'ailleurs toute la mesure de l'obligation d'information envers la caution pour lui permettre de prendre toutes mesures en temps utile. La mesure de cet engagement devra être reprise en tenant compte de la décharge opérée ci-dessus en vertu de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984.

 

Sur la responsabilité de la banque :

Madame Y. reproche au Crédit Agricole un manquement à son obligation de mise en garde, en ne l'informant pas sur la mesure et les risques de son engagement, alors qu'elle n'était aucunement avertie des affaires de Monsieur Z., tandis que la somme de 104.426 euros, représentant le montant global de son engagement en principal, s'avère totalement disproportionnée avec le montant de ses ressources. Elle soutient que sa situation patrimoniale était incompatible avec la succession d'engagements que le Crédit Agricole lui a fait souscrire sans réclamer d'information sur sa situation patrimoniale, consistant en des parts indivises dans un immeuble issu de la communauté constituée avec son défunt mari, étant observé qu'elle se trouvait en congé de maladie au mois d'octobre 2000 et dans une situation de ressources dont la fragilité s'est avérée ultérieurement.

Madame Y. stigmatise l'absence de données fournies par la banque sur le projet d'activité de Monsieur Z. auquel elle aurait consenti des crédits abusifs, en laissant notamment augmenter les découverts jusqu'à des montants vertigineux dont l'affectation n'est pas justifiée et aurait pu permettre de régler les montants contractuels initiaux. Madame Y. pointe enfin l'absence d'action du Crédit Agricole envers Monsieur Z. qui n'a pas respecté notamment son engagement d'apport d'une somme de 15.244,90 euros devant provenir d'une vente de parts d'une SCI et dont le compromis n'aurait pas été mené à terme.

Il résulte du dossier que Madame Y. a souscrit en septembre 1999 et octobre 2000, des engagements de caution en tant que personne physique, pour un montant 69.364,30 euros puis 35.063,27 euros soit un total de 104.427,57 euros, outre les intérêts de retard, pénalités et accessoires. Le fonds de commerce ayant été acquis pour 60.679,61 euros et Monsieur Z. s'engageant à un apport de 15.244,90 euro provenant de la vente d'un immeuble appartenant à la SCI Z., les crédits accordés par le Crédit Agricole ne font pas apparaître en eux-mêmes un octroi abusif de crédit qui soit de nature à engager la responsabilité de la banque. Cette dernière a laissé par contre s'accroître les découverts bien au-delà des sommes autorisées et pour des montants dénoncés à juste titre par Madame Y. comme abusifs, car s'établissant notamment à 55.358 euros au lieu de 30.489 euros et 51.348 euros au lieu de 4.573 euros.

Et si l’article L. 341-4 du Code de la consommation dispose que « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que la patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation », cette règle n'est pas applicable aux contrats souscrits avant la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 qui l'a instaurée.

Il est admis par contre, en application de l’article 1147 du Code civil, que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie, à raison de ses capacités financières et du risque de l'endettement né de l'octroi des prêts. Cette obligation s'exerce au moment de l'engagement de la caution et la sanction d'une disproportion fautive de cet engagement n'entraîne pas son annulation mais l'indemnisation du préjudice qui consiste en la perte d'une chance de ne pas contracter.

En l'espèce, au moment de ses engagements Madame Y. disposait de revenus salariaux d'environ 21.000 euros en 1998 et 1999, dont la banque fournit un justificatif. Elle est propriétaire d'un bien immobilier, dont elle ne donne certes pas d'évaluation, mais en soulignant à juste titre que la banque n'a fait aucune demande en ce sens avant d'obtenir ses engagements. Et elle justifie posséder ce bien en indivision avec ses enfants, ce qui en restreint la valeur et la disponibilité.

En s'abstenant de vérifier la situation patrimoniale de Madame Y. et d'attirer son attention sur le montant ainsi que sur la portée de son engagement de caution, alors qu'elle doit être considérée comme non avertie et s'engageant à garantir les dettes de Monsieur Z. pour un montant en principal de 104.427,57 euros, outre les intérêts de retard, pénalités et accessoires, la Caisse régionale de Crédit Agricole du Morbihan a manqué à son devoir de mise en garde et engagé sa responsabilité.

Il sera sursis à statuer sur la demande de dommages-intérêts formée à ce titre par Madame Y.

 

Sur les frais et dépens :

Ils seront réservés.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS ;

LA COUR :

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de Madame Y. veuve X. en nullité des actes de cautionnement et en décharge de son engagement de caution du 29 septembre 1999 ;

Infirme le jugement déféré en ses dispositions condamnant Madame Y. veuve X. à divers paiements et la déboutant de sa demande de dommages-intérêts ;

Avant dire droit sur ces demandes en paiement,

Ordonne la réouverture des débats pour permettre à la Caisse de Crédit Mutuel du Morbihan de produire un décompte de ses créances envers Madame Y. veuve X., pour chaque opération de crédit, en faisant application de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier et de l’article 47 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 ;

Invite et au besoin enjoint à la Caisse de Crédit Mutuel du Morbihan de conclure pour le 3 mars 2011, en formant une nouvelle demande en paiement conforme à ce décompte ;

Invite et au besoin enjoint à Madame Y. veuve X. de conclure pour le 6 avril 2011 ;

Renvoie l'affaire à l'audience du 10 mai 2011 à 9h.30

Réserve les dépens et l'application de l’article 700 du Code civil.

Le Greffier,               Le Président.