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CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 10 mai 2011

Nature : Décision
Titre : CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 10 mai 2011
Pays : France
Juridiction : Grenoble (CA), 2e ch. civ.
Demande : 09/01470
Date : 10/05/2011
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 1/04/2009
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3205

CA GRENOBLE (2e ch. civ.), 10 mai 2011 : RG n° 09/01470 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Attendu que selon acte sous seing privé du 20 janvier 2002, madame Y. a consenti à monsieur X. un bail à usage professionnel, pour des locaux situés à |ville G.] et destinés à l'exercice de sa profession d'ostéopathe ; Attendu qu'il est inséré une clause selon laquelle : « le bailleur s'interdit de louer lesdits locaux à un praticien exerçant la même profession que le partant et ce, pendant une période de trois ans à compter de son départ » ».

Attendu que conformément à l’article 1134 du Code Civil, […] ; Attendu que cependant et conformément à l’article L. 132-1 du code de la consommation, […] ;

Attendu que madame Y., qui était âgée de 78 ans lors de l'établissement du bail n'a pas la qualité de bailleresse institutionnelle, qu'elle a contracté en qualité de simple particulier, propriétaire d'un local, qu'elle est donc non professionnelle au sens de l'article précité ; Attendu qu'à l'inverse, monsieur X. qui exerce une activité en cabinet, certes libérale, mais qui est caractéristique d'une activité économique, a bien quant à lui le statut de professionnel ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le bail a été, comme indiqué précédemment, rédigé par les seuls preneurs, monsieur X., ostéopathe, et monsieur Z., chirurgien dentiste ; Que cette clause telle que rédigée, ne l'est qu'en faveur des professionnels preneurs et ne comporte aucune contrepartie financière pour la bailleresse, qui se voit ainsi contrainte de refuser tout nouveau locataire exerçant la profession de dentiste ou d'ostéopathe pendant trois ans, à la suite du départ de l'un ou de l'autre de ses locataires, voire des deux concomitamment ; Attendu qu'outre cette clause de non-réinstallation, le bail prévoit également le droit pour le preneur partant d'apposer à l'emplacement de sa plaque professionnelle, et ce pendant une période d'une année à compter du jour de son départ, un tableau de même dimension que sa plaque professionnelle portant indication de transfert de son local et de sa nouvelle adresse ; Attendu que du fait de cette disposition, monsieur X. dispose déjà d'une protection spécifique ;

Attendu qu'à l'inverse madame Y. a souscrit un engagement qui lui impose des contraintes sans contrepartie financière, créant à son détriment du fait de la clause de non réinstallation qui y est insérée un déséquilibre significatif aux seuls intérêts des preneurs ; Qu'en effet sur une période relativement longue, trois ans, elle se voit ainsi privée du droit de relouer son bien à un praticien exerçant la même activité que le partant, et donc de valoriser financièrement son local, alors que ce dernier dispose déjà d'une protection spécifique par l'apposition d'une plaque informant sa clientèle du transfert de son cabinet et le prémunissant ainsi pendant une année d'une éventuelle perte de patients ;

Attendu qu'il convient en conséquence de dire que la clause de non réinstallation est une clause abusive et qu'elle doit être réputée non écrite conformément aux dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation ».

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 10 MAI 2011

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 09/01470. Appel d'un Jugement (N° R.G. 11-07-0096) rendu par le Tribunal d'Instance de GAP en date du 24 décembre 2008 suivant déclaration d'appel du 1er avril 2009.

 

APPELANT :

Monsieur X.

représenté par Maître Marie-France RAMILLON, avoué à la Cour, assisté de Maître ROQUES, avocat au barreau de MARSEILLE

 

INTIMÉE :

Madame Y.

représentée par la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Madame Anne-Marie DURAND, Président, Monsieur Jean-Michel ALLAIS, Conseiller, Madame Joëlle BLATRY, Conseiller,

Assistés lors des débats de Monsieur SAMBITO, Greffier.

DÉBATS : A l'audience publique du 15 février 2011, M. ALLAIS, Conseiller a été entendu en son rapport. Les avoués et l'avocat ont été entendus en leurs conclusions et plaidoirie. Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience de ce jour, après prorogation du délibéré.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :

Selon bail professionnel du 20 février 2002, madame Y. a consenti un contrat de location pour un local situé à [ville G.], à monsieur X., ostéopathe, et à monsieur Z., dentiste.

Le bail prévoyait une clause selon laquelle, le « bailleur s'interdisait de louer les locaux à un praticien exerçant la même spécialité que le partant et ce pendant une période de trois ans à compter de son départ ».

Monsieur X. a donné son congé le 27 décembre 2005 pour le 30 juin 2006.

Monsieur X. s'apercevant que les locaux avaient été reloués dès le mois de septembre 2006 à un praticien exerçant la même activité que lui et devant le refus de madame Y. de régulariser la situation, a saisi le Tribunal d'Instance de Gap pour obtenir la condamnation de la propriétaire en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 24 décembre 2008, le Tribunal d'Instance de Gap a :

- débouté monsieur X. de ses demandes,

- débouté madame Y. de sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts

- condamné monsieur X. à payer à madame Y. la somme de 500,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.

 

Par déclaration du 1er avril 2009, monsieur X. a interjeté appel de la décision.

Par conclusions récapitulatives du 3 décembre 2009, il demande à la cour, au visa de l’article 1134 du Code Civil, de :

- réformer le jugement,

- constater que madame Y. ne peut pas être considérée comme consommateur au sens du code de la consommation, ni lui comme professionnel, et que l’article L 132-1 du code de la consommation n'est pas applicable,

- constater que le bail du 20 février 2002 ne confère aucun avantage excessif à monsieur X.,

- constater que la clause litigieuse est parfaitement valable,

- condamner madame Y. à lui payer la somme de 8.000,00 euros en raison de son préjudice outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et la somme de 3.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

- débouter madame Y. de sa demande reconventionnelle,

- condamner madame Y. aux dépens.

A l'appui de son appel il expose que la clause contenue dans le bail est parfaitement régulière et permet notamment au praticien qui a quitté les lieux de compenser sa perte de clientèle, qui très légitimement peut penser que le nouveau locataire est le successeur du praticien partant.

Il fait valoir qu'en l'espèce il a perdu près de 30 % de ses clients.

Il indique que le tribunal a fait une fausse application de l’article L. 132-1 du code de la consommation, madame Y. n'ayant pas le statut de consommateur mais celui de bailleur professionnel, et que lui même n'a pas le statut de professionnel pour exercer en libéral, qu'il n'existe aucun déséquilibre inadmissible à son profit du fait de cette clause.

Il rappelle qu'il n'a pas renoncé à se prévaloir de la clause, dès lors que la remplaçante qu'il avait proposée n'exerçait pas dans la même spécialité.

 

De son côté, par conclusions récapitulatives du 8 février 2010, madame Y. a formé un appel incident et demande à la cour, aux visas des articles 1338, 1134, 1315 et 1382 du Code Civil et de l’article L. 132-1 du code de la consommation, de :

- constater que monsieur X. en lui présentant sa remplaçante a renoncé à se prévaloir de la clause interdisant de relouer les locaux pendant trois ans à un professionnel de la même spécialité,

- constater que cette clause est abusive, pour être disproportionnée par rapport aux intérêts à protéger, et est donc nulle et non écrite,

- confirmer le jugement,

- condamner monsieur X. à lui payer 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

A titre subsidiaire dire et juger que monsieur X. ne justifie d'aucun préjudice,

En tout état de cause, condamner monsieur X. à lui payer la somme de 5.000,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Elle fait valoir qu'avant son départ, monsieur X. lui a présenté une remplaçante, psychothérapeute, qui bien que n'ayant pas donné suite à l'engagement, il démontre ainsi expressément sa volonté non équivoque de ne pas se prévaloir de la clause de non réinstallation.

Elle fait valoir que la clause est abusive, qu'elle est dépourvue de toute contrepartie financière et est donc disproportionnée.

Enfin elle invoque l'absence de préjudice de monsieur X.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 décembre 2010.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR QUOI, LA COUR :

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées et régulièrement communiquées ;

Attendu que selon acte sous seing privé du 20 janvier 2002, madame Y. a consenti à monsieur X. un bail à usage professionnel, pour des locaux situés à |ville G.] et destinés à l'exercice de sa profession d'ostéopathe ;

Attendu qu'il est inséré une clause selon laquelle : « le bailleur s'interdit de louer lesdits locaux à un praticien exerçant la même profession que le partant et ce, pendant une période de trois ans à compter de son départ » ;

Attendu qu'il est constant que suite au départ de monsieur X., le 30 juin 2006, madame Y. a effectivement consenti un nouveau bail à usage professionnel à madame W., exerçant la profession d'ostéopathe, selon acte sous seing privé du 1er septembre 2006 ;

Attendu que conformément à l’article 1134 du Code Civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ;

Attendu que cependant et conformément à l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu que madame Y., qui était âgée de 78 ans lors de l'établissement du bail n'a pas la qualité de bailleresse institutionnelle, qu'elle a contracté en qualité de simple particulier, propriétaire d'un local, qu'elle est donc non professionnelle au sens de l'article précité ;

Attendu qu'à l'inverse, monsieur X. qui exerce une activité en cabinet, certes libérale, mais qui est caractéristique d'une activité économique, a bien quant à lui le statut de professionnel ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que le bail a été, comme indiqué précédemment, rédigé par les seuls preneurs, monsieur X., ostéopathe, et monsieur Z., chirurgien dentiste ;

Que cette clause telle que rédigée, ne l'est qu'en faveur des professionnels preneurs et ne comporte aucune contrepartie financière pour la bailleresse, qui se voit ainsi contrainte de refuser tout nouveau locataire exerçant la profession de dentiste ou d'ostéopathe pendant trois ans, à la suite du départ de l'un ou de l'autre de ses locataires, voire des deux concomitamment ;

Attendu qu'outre cette clause de non-réinstallation, le bail prévoit également le droit pour le preneur partant d'apposer à l'emplacement de sa plaque professionnelle, et ce pendant une période d'une année à compter du jour de son départ, un tableau de même dimension que sa plaque professionnelle portant indication de transfert de son local et de sa nouvelle adresse ;

Attendu que du fait de cette disposition, monsieur X. dispose déjà d'une protection spécifique ;

Attendu qu'à l'inverse madame Y. a souscrit un engagement qui lui impose des contraintes sans contrepartie financière, créant à son détriment du fait de la clause de non réinstallation qui y est insérée un déséquilibre significatif aux seuls intérêts des preneurs ;

Qu'en effet sur une période relativement longue, trois ans, elle se voit ainsi privée du droit de relouer son bien à un praticien exerçant la même activité que le partant, et donc de valoriser financièrement son local, alors que ce dernier dispose déjà d'une protection spécifique par l'apposition d'une plaque informant sa clientèle du transfert de son cabinet et le prémunissant ainsi pendant une année d'une éventuelle perte de patients ;

Attendu qu'il convient en conséquence de dire que la clause de non réinstallation est une clause abusive et qu'elle doit être réputée non écrite conformément aux dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation ;

Attendu que le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que s'il procède d'une erreur grossière équipollente au dol ou s'il révèle une intention de nuire, ce qui n'est pas démontré en l'espèce, qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par madame Y. ;

Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité de faire application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne monsieur X. à payer à madame Y. la somme complémentaire de 1.200,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en instance d'appel,

Condamne monsieur X. aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la SCP GRIMAUD, avoués à la Cour, conformément à l’article 699 du Code de Procédure Civile,

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile,

Signé par le Président Madame Anne Marie DURAND et par le Greffier Monsieur Salvatore SAMBITO, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER                     LE PRÉSIDENT