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CA METZ (1re ch.), 11 février 2010

Nature : Décision
Titre : CA METZ (1re ch.), 11 février 2010
Pays : France
Juridiction : Metz (CA), 1re ch.
Demande : 07/00192
Décision : 10/00148
Date : 11/02/2010
Nature de la décision : Avant dire droit
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 12/01/2007
Numéro de la décision : 148
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2010-006459
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CERCLAB - DOCUMENT N° 3497

CA METZ (1re ch.), 11 février 2010 : RG n° 07/00192 ; arrêt n° 10/00148 

Publication : Jurica

 

Extrait : « Attendu en revanche qu'aux termes de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels ou non professionnels ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou réglementées les clauses relatives aux conditions d'exécution des conventions lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non professionnels par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif et de telles clauses abusives sont réputées non écrites ; Que même s'il était prévu que l'appréciation du caractère abusif d'une clause relevait du pouvoir réglementaire, il a cependant été admis que les juges puissent considérer une clause comme abusive, et donc la réputer non écrite, même en l'absence de décret interdisant ladite clause ;

Qu'en l'espèce le contrat, s'agissant du taux d'intérêt, est rédigé comme suit : « Si le taux est stipulé variable, conformément à son statut de coopérative et au but non lucratif de son activité, le prêteur révise, en hausse ou en baisse, les conditions débitrices des prêts accordés à ses sociétaires en les fixant à des taux qui lui permettent de remplir son objet social. […] En cas de désaccord, les parties conviennent, selon l'article 1592 du code civil, de laisser la fixation du taux à l'arbitrage du Président de la Fédération du Crédit Mutuel d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté. Ce taux ainsi fixé s'appliquera à la présente convention jusqu'à la prochaine révision des taux, lesquels seront déterminés par le prêteur dans les conditions prévues ci dessus. » ;

Que cette clause laisse au seul prêteur le choix de la variation du taux ainsi que de son amplitude ou confère à son organe de direction un pouvoir de décision en cas de différend ;

Qu'il y a lieu dès lors d'inviter les parties à conclure sur le caractère abusif d'une telle clause, notamment sur le fait qu'elle serait imposée aux non professionnels par un abus de la puissance économique de la banque et conféreraient à cette dernière un avantage excessif ainsi que sur les conséquences d'une telle qualification sur le présent litige ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE METZ

PREMIÈRE CHAMBRE

ARRÊT DU 11 FÉVRIER 2010

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 07/00192. Arrêt n° 10/00148.

 

APPELANTS :

Madame X. épouse Y.

[adresse], représentée par Maître Véronique HEINRICH, avocat à la Cour

Monsieur Y.

[adresse], représenté par Maître Véronique HEINRICH, avocat à la Cour

 

INTIMÉ :

CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL NEUNKIRCH VAL DE BLIES

Représentée par son Représentant Légal, [adresse], représentée par Maîtres BETTENFELD-FONTANA-RIGO, avocats à la Cour

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

PRÉSIDENT : Madame STAECHELE, Président de Chambre

ASSESSEURS : Madame DUROCHE, Conseiller Mademoiselle OTT, Conseiller

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme DESCHAMPS-SAR

DATE DES DÉBATS : Audience publique du 3 décembre 2009 L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 11 février 2010,

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 2] Par assignation en date du 6 octobre 2004 la Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies a introduit devant le Tribunal de grande instance de Sarreguemines une action à l'encontre de Monsieur et Madame Y.

Aux termes de ses dernières conclusions, elle demandait au Tribunal :

- de condamner solidairement les défendeurs à lui payer la somme de 13.461,25 € augmentée des intérêts au taux de 8 % l'an à compter du 1er octobre 2005,

- de débouter les défendeurs de leur demande reconventionnelle,

- de déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision,

- de condamner solidairement les défendeurs aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle exposait que le 15 décembre 1990 elle avait consenti aux époux Y. un prêt de 210.000 F, soit 32.014,29 €, au taux variable de 10,90 %, remboursable in fine le 31 août 2002, destiné à l'acquisition de parts de la Société Civile de Placement Immobilier « Crédit Mutuel Habitat 2 » ; que le prêt était par ailleurs garanti par le nantissement des parts acquises ; qu'à la date d'échéance du prêt, Monsieur et Madame Y. n'avaient pas remboursé les sommes dues malgré la mise en demeure qui leur avait été adressée ; qu'au 6 août 2004, les époux Y. étaient débiteurs du solde de 15.313,48 € compte tenu :

- de la variation et notamment de la baisse du taux d'intérêts qui avait été stipulé variable,

- de la liquidation de la SCPI « Crédit Mutuel Habitat 2 » dont la mise en vente du patrimoine avait permis les versements suivants, affectés au remboursement :

* 3.450 € le 25 novembre 2003

* 6.900 € le 25 novembre 2003

* 5.750 € le 25 novembre 2003 [minute page 3]

* 3.220 € le 9 janvier 2004

* 197,34 € le 1er juillet 2004

* 64,86 € le 1er juillet 2004 ;

que depuis, deux autres versements étaient intervenus, l'un de 1.150 € et l'autre de 1.932 €, ramenant le solde dû à 13.461,25 €, outre les intérêts au taux de 8 % à partir du 1er octobre 2005.

 

Monsieur et Madame Y. ont conclu au rejet des demandes de la banque et sollicité à titre reconventionnel sa condamnation, du fait des fautes qu'elle avait commises, à leur payer à titre de dommages et intérêts une somme équivalente à celle réclamée, à leur restituer la somme de 17.508,84 € au titre du trop perçu, à leur payer la somme de 6.000 € au titre de leur préjudice moral et celle de 2.500 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, les dépens étant enfin laissés à la charge du Crédit Mutuel.

Monsieur et Madame Y. faisaient tout d'abord valoir que contrairement aux stipulations contractuelles la banque avait appliqué un taux fixe de 10,90 % au lieu d'appliquer le taux variable prévu de sorte qu'ils n'avaient pu profiter des baisses de taux et avaient ainsi payé un surplus d'intérêts que la banque ne leur avait jamais remboursé ; que dès lors, la banque ne pouvait réclamer que des intérêts au taux légal, ce dont il résultait une créance à leur profit de 17.508,84 € ; que d'autre part, la banque avait commis une faute en n'ayant jamais fait mention des risques liés à l'opération conseillée, manquant ainsi à son obligation de conseil et d'information; que la banque avait également retiré indûment des sommes du livret bleu de Madame Y. qui s'était ainsi trouvé débiteur ; que l'attitude du Crédit Mutuel était particulièrement abusive et justifiait les demandes de dommages et intérêts sollicités.

 

Par jugement en date du 18 juillet 2006 le tribunal a :

- condamné Monsieur et Madame Y. à payer à l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies la somme de 12.349,03 € avec intérêts au taux légal à compter du 31 août 2002,

- [minute page 4] condamné l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies à payer à Monsieur et Madame Y. la somme de 3.000 € au titre des préjudices subis et la somme de 2.500 € ou titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs conclusions,

- condamné l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies aux dépens.

 

Monsieur et Madame Y. ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 12 janvier 2007.

Ils demandent à la cour :

- de réformer le jugement entrepris,

- de dire la clause de stipulation d'intérêts figurant au contrat de prêt nulle,

- de dire en conséquence nul le contrat de prêt du 15 décembre 1990 signé entre Madame Y. et la CCM,

- d'enjoindre à la CCM de produire un décompte précis des sommes perçues et versées au titre de ce prêt, hors intérêts,

- de leur réserver la possibilité de conclure après cette production,

- subsidiairement, de dire que la CCM a commis des fautes entraînant sa responsabilité,

- de dire que leur préjudice est égal au montant de la créance de la CCM et dire le cas échéant qu'il y a lieu à compensation,

- de condamner la CCM à leur restituer le trop-perçu de 17.508,84 € avec intérêts au taux légal compter des versements,

- de condamner la CCM à leur payer la somme de 6.000 € en réparation de leur préjudice moral,

- [minute page 5] de condamner l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies aux dépens de la procédure, y compris ceux de la procédure de saisie conservatoire et ceux liés è l'exécution de la mesure conservatoire, ainsi qu'au paiement de la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

L'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies conclut au rejet de l'appel des époux Y. et, formant appel incident, demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de condamner solidairement Monsieur et Madame Y. à lui payer la somme de 13.461,25 € avec intérêts au taux de 8 % l'an à compter du 1er octobre 2005,

- de débouter les époux Y. de leur demande reconventionnelle,

- de condamner les époux Y. aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE :

Vu les dernières conclusions de Monsieur et Madame Y. déposées le 31 juillet 2008 et celles de l'Association coopérative Caisse de Crédit Mutuel Neunkirch Val de Blies déposées le 15 décembre 2008 ;

Attendu que par contrat en date du 15 décembre 1990 la Caisse de Crédit Mutuel [minute page 6] de Neunkirch Val de Blies a consenti à Monsieur et Madame Y. un prêt de 210.000 F destiné à l'achat de parts sociales d'une Société Civile de Placement Immobilier ;

Que l'amortissement était prévu en une échéance en capital de 210.000 F payable le 31 août 2002, les intérêts étant payables à la fin de chaque semestre et le taux d'intérêts étant stipulé variable et s'élevant au jour de la signature à 10,90 % :

Attendu que Monsieur et Madame Y. invoquent la nullité de la convention par application des dispositions des articles 1172 et 1174 du code civil, du fait de la clause de taux d'intérêt variable ;

Mais attendu que l'article 1174 du code civil prévoit que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ;

Qu'ainsi seule est prohibée la condition purement potestative de la part du débiteur, ce qui n’est pas le cas en l'espèce, de sorte que les époux Y. ne sont pas fondés à s'en prévaloir ;

Que d'autre part si aux termes de l'article 1172 du code civil toute condition d'une chose impossible, ou contraire aux bonne mœurs, ou prohibée par la loi est nulle et rend nulle la convention qui en dépend, Monsieur et Madame Y. se bornent à invoquer le fait que le taux qui leur a été appliqué par la banque ne correspondait pas au retour sur investissement qu'ils pouvaient espérer ;

Qu'une telle argumentation, relativement à un prêt qui leur a été consenti, ne caractérise pas une contrariété aux bonnes mœurs ou une violation de la loi de sorte que leur moyen sera rejetée ;

Attendu en revanche qu'aux termes de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels ou non professionnels ou consommateurs, peuvent être interdites, limitées ou réglementées les clauses relatives aux conditions d'exécution des conventions lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non professionnels par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif [minute page 7] et de telles clauses abusives sont réputées non écrites ;

Que même s'il était prévu que l'appréciation du caractère abusif d'une clause relevait du pouvoir réglementaire, il a cependant été admis que les juges puissent considérer une clause comme abusive, et donc la réputer non écrite, même en l'absence de décret interdisant ladite clause ;

Qu'en l'espèce le contrat, s'agissant du taux d'intérêt, est rédigé comme suit :

« Si le taux est stipulé variable, conformément à son statut de coopérative et au but non lucratif de son activité, le prêteur révise, en hausse ou en baisse, les conditions débitrices des prêts accordés à ses sociétaires en les fixant à des taux qui lui permettent de remplir son objet social.

La Fédération du Crédit Mutuel d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté, aux termes de l'article 48 des statuts du prêteur, est expressément chargée de représenter et de faire valoir les droits, intérêts et actions (communs) des sociétaires de la Caisse .... A ce titre, elle fixe périodiquement un taux maximum pour ce type de crédit. Le taux ci-dessus ainsi que tout nouveau taux intervenant à la suite d'une révision, ne pourront excéder ce taux maximum.

L'emprunteur sera informé de toute variation de taux et du montent des nouvelles échéances tenant compte du nouveau taux.

Le règlement par prélèvement de la première échéance modifiée, non suivi de réserves écrites de la part de l'emprunteur dans les 15 jours vaut acceptation du nouveau taux et du nouveau montant des échéances.

En cas de désaccord, les parties conviennent, selon l'article 1592 du code civil, de laisser la fixation du taux à l'arbitrage du Président de la Fédération du Crédit Mutuel d'Alsace, de Lorraine et de Franche-Comté. Ce taux ainsi fixé s'appliquera à la présente convention jusqu'à la prochaine révision des taux, lesquels seront déterminés par le prêteur dans les conditions prévues ci dessus. » ;

Que cette clause laisse au seul prêteur le choix de la variation du taux ainsi que de son amplitude ou confère à son organe de direction un pouvoir de décision en cas de différend ;

Qu'il y a lieu dès lors d'inviter les parties à conclure sur le caractère abusif d'une telle clause, notamment sur le fait qu'elle serait imposée aux non professionnels par un abus de la puissance économique de la banque et conféreraient à cette dernière un avantage excessif ainsi que sur les conséquences d'une telle qualification sur le présent litige ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

[minute page 8] PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition publique au greffe,

Reçoit l'appel, régulier en la forme,

Avant dire droit au fond,

Invite les parties à conclure sur le caractère abusive de la clause relative aux taux d'intérêt variable figurant au contrat de prêt au regard des dispositions de l'article L. 132-1 ancien du code de la consommation et sur l'incidence d'une telle qualification sur les demandes respectives des parties,

Renvoie pour ce faire à l'audience de mise en état du Lundi 22 mars 2010

Réserve les dépens.

Le présent arrêt a été prononcé par mise à disposition publique au greffe le 11 février 2010 par Madame STAECHELE, Président de chambre, assistée de Madame PERSIALI, Greffier, et signé par elles,