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TGI PARIS (6e ch.), 17 janvier 1990

Nature : Décision
Titre : TGI PARIS (6e ch.), 17 janvier 1990
Pays : France
Juridiction : TGI Paris. 6e ch.
Date : 17/01/1990
Nature de la décision : Admission
Date de la demande : 28/09/1989
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CERCLAB/CRDP - DOCUMENT N° 417

TGI PARIS (6e ch.), 17 janvier 1990

Publication : Dalloz 1990. 289

 

Extraits : 1/ « En ayant fourni une canalisation défectueuse qui n'a pu résister à la pression de l'eau distribuée par elle, la Compagnie générale des eaux a commis une faute à l'origine du sinistre qui engage sa responsabilité contractuelle. Celle-ci ne peut échapper aux conséquences de sa responsabilité en invoquant les dispositions du règlement des eaux suivant lesquelles l'abonné, pour la partie du branchement située en dehors des limites de la voie publique, est seul responsable de sa surveillance ainsi que de toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de sa situation, de son existence ou de son fonctionnement (article 18). Cette clause est imposée à l'abonné, consommateur, par un abus de la puissance économique du service des eaux qui doit être regardé comme un professionnel, et confère à ce dernier un avantage excessif. Seul le service des eaux est en effet autorisé à effectuer le branchement et les dommages, comme en l'espèce, peuvent résulter d'une faute de ce service par suite de la mise en place d'une canalisation atteinte d'un vice. L'abonné n'avait pas en outre accès au branchement et ne pouvait en aucune manière déceler la défectuosité de la conduite avant sa rupture. Ladite clause présente donc un caractère abusif au sens de l'art. 35 de la loi 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de service. Elle a d'ailleurs été qualifiée comme telle par la Commission des clauses abusives qui en a recommandé l'élimination dans son avis n° 85-01 publié au BOSP du 17 janv. 1985 ».

2/ « En raison du mode juridique de la distribution d'eau potable adopté par le Syndicat des eaux d'Ile de France, le règlement des eaux ne rentre pas dans le champ d'application du cahier des charges type approuvé par le décret du 17 mars 1980. Aussi, et même si certaines clauses insérées dans le règlement des eaux sont similaires à celles contenues dans le cahier des charges type d'affermage, ou encore de concession (décret du 13 août 1947), elles ne présentent pas, sauf preuve contraire qui n'est pas rapportée, un caractère réglementaire. En conséquence, et dès lors que la clause contenue à l'art. 18 du règlement des eaux répond à la définition de l'art. 35 de la loi du 10 janv. 1978, celle-ci doit être réputée non écrite en raison de son caractère abusif ».

 

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

SIXIÈME CHAMBRE

JUGEMENT DU 17 JANVIER 1990

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION                                      (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

DEMANDEUR :

Caisse d'épargne de Paris

 

DÉFENDEUR :

Compagnie générale des eaux

 

COMPOSITION DE LA JURIDICTION : M. Pozwolski, Président ; Mme Anxionnaz-N'Diaye et Mlle Ferrari, juges.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                                                         (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

La Caisse d'épargne et de prévoyance de Paris exploite une agence au rez-de-chaussée d'un immeuble en copropriété situé à [adresse], dans des locaux qui lui sont donnés en location par les consorts X. Dans la nuit du 21 avril 1988, une inondation s'est produite dans la salle des coffres en sous-sol de l'immeuble, par suite d'une fuite survenue sur le branchement particulier desservant l'agence en eau potable.

La Caisse d'épargne a obtenu en référé la désignation de l'expert Y. qui a déposé son rapport le 22 mars 1989. Puis autorisée à assigner à jour fixe, elle a, par acte des 28 et 29 sept. 1989, attrait devant le tribunal, en réparation du dommage : - la Compagnie générale des eaux et son assureur, l'UAP, - Marguerite X., épouse Z., et Lucienne X., bailleresses, - le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble et son assureur, la Mutuelle générale d'assurances.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                                                 (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LE TRIBUNAL :

Sur l'action dirigée contre la Compagnie générale des eaux :

La Compagnie générale des eaux exploite, comme régisseur intéressé, pour le compte du Syndicat des eaux d'Ile de France, auquel adhère la commune de Clichy, le service public de distribution d'eau potable. La demande d'abonnement, qui constitue le contrat de fourniture d'eau pour la desserte de son agence, a été formée par la Caisse d'épargne en 1975. Le sinistre s'est produit à partir du branchement particulier reliant la conduite de distribution principale au compteur de la Caisse d'épargne. Compte tenu de la nature des liens existant entre le service public industriel et commercial de distribution d'eau et l'usager victime du dommage causé à l'occasion de la fourniture des prestations, l'action en réparation, quel que soit d'ailleurs son fondement juridique, ressortit bien à la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. Aux termes de ses investigations, l'expert Y. a conclu que la fuite avait pour origine la rupture de la canalisation en plomb du branchement d'eau. La rupture résulte de l'association de deux phénomènes :

- d'une part l'amenuisement local de l'épaisseur du métal dû à un défaut de fabrication ou plus vraisemblablement à une erreur de montage telle qu'une torsion ou un étirement. Le tuyau de 10 mm. d'épaisseur ne présentait plus que 6,5 mm. dans la zone de rupture ; 

- d'autre part, l'excès de pression du réseau d'eau de ville, de 8,8 bar au moment du sinistre, eu égard à l'épaisseur du tuyau en plomb soumis à des efforts alternés avec les variations de pression.

L'éclatement du branchement s'est produit en amont du compteur, mais à l'intérieur du mur de façade et donc hors du domaine public. Compte tenu de ce qu'il est établi que le compteur d'eau a été posé à la fin de l'année 1954 par la Compagnie générale des eaux au moment où la Société générale alors locataire des locaux faisait modifier la façade, et que la canalisation litigieuse en amont du compteur traverse la façade, dans un fourreau d'acier inaccessible de l'extérieur, avant de passer sous la voie publique, il n'est pas contestable comme l'estime l'expert que la Compagnie générale des eaux a procédé au moment des travaux, conformément à l'usage, à la mise en place du branchement équipé de son compteur. La charge de cette installation lui incombe d'ailleurs contractuellement, en application du règlement des eaux. La Compagnie générale des eaux ne démontre pas que le branchement particulier a fait l'objet d'une manipulation postérieurement à son installation, étant observé qu'il est inaccessible de l'abonné, compte tenu de la configuration des lieux, que la salle des coffres et l'escalier existaient avant l'année 1954 et que les travaux d'aménagement intérieur exécutés en 1977 ont été sans incidence sur le branchement logé à l'intérieur du mur de façade. En ayant fourni une canalisation défectueuse qui n'a pu résister à la pression de l'eau distribuée par elle, la Compagnie générale des eaux a commis une faute à l'origine du sinistre qui engage sa responsabilité contractuelle. Celle-ci ne peut échapper aux conséquences de sa responsabilité en invoquant les dispositions du règlement des eaux suivant lesquelles l'abonné, pour la partie du branchement située en dehors des limites de la voie publique, est seul responsable de sa surveillance ainsi que de toutes les conséquences dommageables pouvant résulter de sa situation, de son existence ou de son fonctionnement (article 18). Cette clause est imposée à l'abonné, consommateur, par un abus de la puissance économique du service des eaux qui doit être regardé comme un professionnel, et confère à ce dernier un avantage excessif. Seul le service des eaux est en effet autorisé à effectuer le branchement et les dommages, comme en l'espèce, peuvent résulter d'une faute de ce service par suite de la mise en place d'une canalisation atteinte d'un vice. L'abonné n'avait pas en outre accès au branchement et ne pouvait en aucune manière déceler la défectuosité de la conduite avant sa rupture. Ladite clause présente donc un caractère abusif au sens de l'art. 35 de la loi 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de service. Elle a d'ailleurs été qualifiée comme telle par la Commission des clauses abusives qui en a recommandé l'élimination dans son avis n° 85-01 publié au BOSP du 17 janv. 1985.

La Compagnie générale des eaux fait valoir que là clause en question a un caractère réglementaire puisqu'elle a été insérée dans le règlement des eaux, en application d'un cahier des charges type approuvé par le décret du 17 mars 1980 ; que le tribunal ne peut donc, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, déclarer que les clauses figurant dans le décret ou reprises dans un règlement du service d'eau ont un caractère abusif.

Cependant, le décret du 17 mars 1980 invoqué par la défenderesse n'est relatif, conformément à son article 1, qu'à l'exploitation par affermage d'un service de distribution publique d'eau potable. Le règlement des eaux qui régit les rapports entre la Compagnie générale des eaux et la Caisse d'épargne ne fait nullement référence au cahier des charges type approuvé par ce décret puisque le service public de distribution de l'eau est assuré dans les communes adhérentes au Syndicat des eaux d'Ile de France sous la forme de régie intéressée, ainsi que cela résulte des mentions portées sur la demande d'abonnement et sur le règlement en cause. En raison du mode juridique de la distribution d'eau potable adopté par le Syndicat des eaux d'Ile de France, le règlement des eaux ne rentre pas dans le champ d'application du cahier des charges type approuvé par le décret du 17 mars 1980. Aussi, et même si certaines clauses insérées dans le règlement des eaux sont similaires à celles contenues dans le cahier des charges type d'affermage, ou encore de concession (décret du 13 août 1947), elles ne présentent pas, sauf preuve contraire qui n'est pas rapportée, un caractère réglementaire. En conséquence, et dès lors que la clause contenue à l'art. 18 du règlement des eaux répond à la définition de l'art. 35 de la loi du 10 janv. 1978, celle-ci doit être réputée non écrite en raison de son caractère abusif. La Compagnie générale des eaux doit donc être tenue de réparer le dommage causé par la défaillance du branchement qui lui est imputable.

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                                                            (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort, condamne in solidum la Compagnie générale des eaux et l'UAP à payer à la Caisse d'épargne et de prévoyance de Paris la somme de 2.045.893 Francs de dommages et intérêts [...].