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CA REIMS (ch. civ. 1re sect.), 5 novembre 2007

Nature : Décision
Titre : CA REIMS (ch. civ. 1re sect.), 5 novembre 2007
Pays : France
Juridiction : Reims (CA), ch. civ. sect. 1
Demande : 06/01898
Date : 5/11/2007
Nature de la décision : Confirmation
Mode de publication : Jurica
Date de la demande : 12/07/2006
Référence bibliographique : Juris-Data n° 2007-365306
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CERCLAB - DOCUMENT N° 4328

CA REIMS (ch. civ. 1re sect.), 5 novembre 2007 : RG n° 06/01898

Publication : Jurica ; Juris-Data n° 2007-365306

 

Extraits : 1/ « Mais attendu que l'action exercée par le ministre chargé de l'économie en vertu de l'article L. 442-6 du code de commerce n'est pas une action en substitution, mais une action autonome visant à la défense de l'ordre public économique ; que le ministre ne poursuit pas, en effet, la réparation d'un préjudice aux lieu et place de la victime, mais la cessation d'agissements illicites et la sanction de pratiques abusives qui ont pour effet, si ce n'est pour objet, de porter atteinte à l'exercice de la libre concurrence, et ce, au détriment des consommateurs ; que l'appelant fait justement valoir, à cette fin, que son action répond à une finalité propre de défense de l'ordre public économique et non à la restauration des droits patrimoniaux alors que le paiement de sommes sans contrepartie non seulement porte atteinte à la loyauté des relations commerciales, mais constitue une dérive dangereuse à l'origine de l'augmentation des prix payés par le consommateur ; que c'est donc en vain que l'intimée se prévaut d'une d'atteinte au droit consacré par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que le ministre chargé de l'économie n'exerce pas les droits d'autrui et n'agit pas à la place des fournisseurs ; qu'il n'a donc pas à s'assurer que ces derniers aient donné leur consentement à l'action qu'il conduit et la volonté des personnes lésées de ne pas obtenir la réparation des préjudices qu'elles ont subis est, par conséquent, indifférente ; que l'intimée ne peut valablement soutenir que le ministre chargé de l'économie agirait pour le compte des fournisseurs au motif qu'il poursuit la restitution des sommes indûment versées alors que cette répétition n'est que la conséquence de la nullité des clauses illicites sur la base desquelles les sommes litigieuses ont été payées ».

2/ « Mais attendu que le ministre chargé de l'économie fonde sa demande d'annulation des contrats de coopération commerciale sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce lequel dispose, dans son deuxième alinéa, que dans le cadre de son action le ministre chargé de l'économie peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées à l'article L. 442-6 et qu'il peut également, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou des contrats illicites et demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile ;

Que le deuxième alinéa du III de l'article L. 442-6 du code de commerce vise, par conséquent, toutes les pratiques mentionnées à cet article, dont celles citées au I, et pas seulement les trois cas de nullité énumérés au II ; que parmi les cas visés au I de l'article L. 442-6 du code de commerce figure l'obtention d'un partenaire commercial d'un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de ce service ; que c'est cette pratique que le ministre chargé de l'économie entend faire sanctionner en l'espèce ».

3/ « Attendu que l'action a été introduite sous l'empire des dispositions introduites par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et qu'il appartient en conséquence au ministre chargé de l'économie de rapporter la preuve du caractère fictif des prestations facturées en exécution des contrats de gamme et du contrat de logistique ; que force est de constater que le ministre ne rapporte pas cette preuve ». [N.B. sur les raisons, V. les motifs de l’arrêt]

4/ « Qu'enfin, le ministre chargé de l'économie ne peut tirer argument de l'imprécision du libellé des contrats dès lors qu'aucune obligation légale ne pèse sur le commerçant quant au libellé des contrats et que l'on ne saurait déduire de cette seule imprécision la fictivité des services prévus aux contrats ; que la qualification des contrats est également sans incidence sur la réalité des services facturés ».

 

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE PREMIÈRE SECTION

ARRÊT DU 5 NOVEMBRE 2007

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 06/01898.

 

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 15 juin 2006 par le Tribunal de Commerce de CHALONS-EN-CHAMPAGNE,

MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Régulièrement représenté par Monsieur X., directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la région CHAMPAGNE ARDENNE,

 

INTIMÉE :

SA SCAPEST

Comparant, concluant par la SCP THOMA - LE RUNIGO - DELAVEAU - GAUDEAUX, avoués à la Cour, et ayant pour conseil Maître Laurent PARLEANI, avocat au barreau de PARIS.

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur MAUNAND, Président de Chambre, Monsieur MANSION, Conseiller, Madame HUSSENET, Conseiller

GREFFIER : Madame Maryline THOMAS, Greffier lors des débats et du prononcé,

MINISTÈRE PUBLIC : Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DÉBATS : A l'audience publique du 8 octobre 2007, où l'affaire a été mise en délibéré au 5 novembre 2007,

ARRÊT : Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2007 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

La Société Coopérative d'Approvisionnement Paris Est (ci-après la Scapest) est une des centrales d'achat du groupe Leclerc qui comptait, en 2002 et 2003, quarante et un adhérents implantés dans l'Est de la France.

Pour le compte des magasins à l'enseigne Centre E. Leclerc, la Scapest négocie les conditions d'achats avec les fournisseurs et assure la logistique des magasins (stockage, distribution, facturation et encaissement du prix des produits commercialisés).

Un des fournisseurs de la Scapest est la SA A. qui a pour activité la fabrication et la commercialisation de charcuterie à la coupe.

Alléguant la fictivité de certaines des prestations prévues à quatre contrats de coopération commerciale, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a fait assigner le 12 mai 2005 la Scapest devant le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne afin notamment de voir prononcer la nullité des contrats en cause, la répétition des sommes indûment versées et le prononcé d'une amende civile.

Par jugement du 15 juin 2006, le Tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne a :

- déclaré la représentation du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie valide et son action recevable ;

- dit que la charge de la preuve incombait au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et débouté ce dernier de ses prétentions ;

- condamné le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a relevé appel de ce jugement le 12 juillet 2006.

 

Par dernières conclusions notifiées le 3 juillet 2007, le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi poursuit l'infirmation du jugement déféré et demande à la Cour de :

- dire que la SA A. et la Scapest ont, en 2002 et 2003, entretenu des relations commerciales qui les ont amenées à signer des contrats de coopération commerciale ;

- dire que la prestation définie comme « présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des Centres Leclerc dépendant de la Centrale pour la période du 1er mai 2002 au 31 décembre 2002 » aux contrats n° 42XX4 et n° 42XX6 signés le 6 avril 2002 n'a pas d'autre objet que celui rémunéré par une remise de gamme sur les factures du fournisseur et que le service est fictif ;

- dire que la prestation définie comme « présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des Centres Leclerc dépendant de la Centrale sous forme d'une préconisation de détention soumise à évolution pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2003. Produits concernés : bocades 175 g ; lapin Chablis ; foies de volailles ; canard Montbazillac ; jambonneau 500 g ; jambon le dégoûté 9 kg ; gambette rôtisserie 4 kg ; rôti de porc rôtisserie 3 kg ; rosette 2,5 kg ; pavé au poivre 2,5 kg au contrat n° 05X05 signé le 16 décembre 2002 n'a pas d'objet autre que celui rémunéré par une remise de gamme sur les factures du fournisseur et que le service est fictif ;

- dire que la prestation dénommée « amélioration des performances logistiques caractérisée par : passage entrepôt au contrat n° 42XX2 signé le 3 avril 2002 n'a pas d'objet autre que celui rémunéré par une remise logistique sur les factures du fournisseur et que le service est fictif ;

- prononcer la nullité des contrats en cause ;

- prononcer la répétition des sommes indûment versées, soit 159.957,74 euros, se répartissant ainsi :

* 75.139,85 euros au titre du contrat n° 42XX4 ;

* 4.152,23 euros au titre du contrat n° 42XX6 ;

* 10.380,08 euros au titre du contrat n° 42XX2 ;

. 70.285,58 euros au titre du contrat n° 05XX5 ;

- prononcer à l'encontre de la Scapest une amende civile de 150.000 euros ;

- condamner la Scapest au paiement au profit de l'Etat de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et la condamner aux dépens.

 

Par dernières conclusions notifiées le 7 septembre 2007, la Scapest forme appel incident et demande à la Cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable l'action du ministre de l'économie, des finances et de l'emploi et déclarer cette dernière irrecevable ;

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris et condamner le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux entiers dépens.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

SUR CE, LA COUR :

Sur la recevabilité de l'action du ministre chargé de l'économie :

Attendu que l'action du ministre chargé de l'économie, fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, a été introduite par assignation délivrée le 17 mai 2005 et signée par M. A., directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, lequel agissait en vertu de l'arrêté du 9 mars 2005 - publié au Journal officiel du 12 mars 2005 - aux termes duquel il avait reçu de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, délégation permanente de signature à l'effet de signer, dans les limites de ses attributions et au nom du ministre, tous actes, arrêtés, décisions ou conventions ;

Que l'action visée à l'article L. 442-6 du code de commerce relève des attributions du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, de sorte que l'assignation délivrée sur ce fondement le 17 mai 2005 entre dans les prévisions de la délégation de signature du 9 mars 2005 ;

Qu'il s'ensuit que l'action a été régulièrement introduite par le ministre chargé de l'économie ;

Attendu qu'il importe peu que l'assignation et les conclusions notifiées le 3 juillet 2007 devant la cour d'appel mentionnent que le ministre chargé de l'économie est représenté par M. X., chef du service régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, dès lors que ces actes de procédure ont été signés par M. A., directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, lequel avait reçu délégation de signature à cette fin ;

Que c'est, en effet, en vain que la Scapest soutient que la délégation de signature donnée par M. Thierry Breton à M. A. aurait expiré le jour où le délégant a quitté ses fonctions alors qu'en application du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, à compter du jour suivant la publication au Journal officiel de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet s'il est postérieur, les directeurs d'administration centrale peuvent signer au nom du ministre et par délégation l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité ; qu'en vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article 1er du décret, le changement de ministre ne met pas fin à cette délégation et, conformément à l'article 6, les directeurs en fonction au jour de l'entrée en vigueur du décret, soit le premier jour du troisième mois suivant sa publication, laquelle est du 28 juillet 2005, disposent de la délégation à compter de cette date ;

Attendu, par ailleurs, que par arrêté du 31 juillet 2007, publié au Journal officiel du 5 août 2007, le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi a, au visa du décret n° 87-163 du 12 mars 1987 autorisant le ministre de l'économie, des finances et de la privatisation à déléguer, par arrêté, sa signature dans le cadre de l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 442-6 du code de commerce, et du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, donné délégation permanente à M. X., directeur régional, à l'effet de signer, dans la limite de ses attributions et de sa compétence territoriale, au nom du ministre les actes relatifs à l'action prévue à l'article L. 442-6 du code de commerce devant les juridictions de première instance et d'appel ;

Que suivant acte du 3 octobre 2007, M. X. a désigné Mlle Y., inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes afin de le suppléer à l'audience du 8 octobre 2007 ;

Qu'il s'ensuit que le ministre chargé de l'économie est régulièrement représenté devant la Cour d'appel de Reims ;

Que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action introduite par le ministre chargé de l'économie et la fin de non-recevoir tirée du défaut de représentation du ministre en cause d'appel rejetée ;

Attendu que la Scapest soulève l'irrecevabilité de l'action du ministre chargé de l'économie au motif d'une violation de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle soutient, à cette fin, que l'action du ministre prévue par l'article L. 442-6 du code de commerce est une action en substitution dès lors qu'il agit aux lieu et place de victimes supposées qui répugneraient à agir pour faire respecter leurs droits et que la logique du texte est de rétablir l'ordre économique par le rétablissement dans leurs droits des victimes supposées ; que la Scapest rappelle que le droit de saisir un tribunal est une liberté fondamentale qui ne peut être utilisée par autrui, sauf en cas d'accord du titulaire de ce droit ; qu'elle fait valoir qu'en l'absence du fournisseur, l'action du ministre chargé de l'économie est irrecevable alors que l'intéressé n'a pas été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il n'est pas en mesure de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à la procédure ; que la Scapest conteste tout caractère autonome à l'action de substitution du ministre chargé de l'économie qui ne peut pas valablement soutenir qu'il n'agirait pas pour le compte des fournisseurs et ne prendrait pas en charge leurs intérêts alors qu'il poursuit la restitution des sommes indûment versées ; que la Scapest soutient, par ailleurs, que l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est d'ordre public et que chacun peut donc s'en prévaloir ; qu'elle estime qu'il ne s'agit pas d'un ordre public de protection dès lors que personne ne peut renoncer aux droits et aux libertés fondamentales que ces dispositions garantissent ;

Que l'intimée soutient, également, que la demande d'amende civile est irrecevable en raison de la relation de dépendance existant entre l'ordre public et les droits privés alors que l'amende civile ne peut résulter que du trouble à l'ordre public, lequel ne peut résulter que de la violation des droits contractuels et patrimoniaux des fournisseurs ; que pour les raisons développées ci-dessus, le ministre chargé de l'économie n'est pas recevable à faire constater la violation des droits privés et l'intensité de cette violation ;

Qu'enfin, l'intimée fait observer que le ministre chargé de l'économie n'est pas fondé à soutenir que l'atteinte portée par son action à l'article 6-1 sus-mentionné serait légitime et proportionnée alors que son action constitue une atteinte à la substance même du droit fondamental reconnu par cet article ; qu'elle estime que permettre à autrui d'utiliser le droit de faire entendre sa cause en justice à la place de son titulaire, sans son consentement, voire à son insu, constitue la négation même du droit reconnu par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'elle s'interroge, enfin, sur l'intérêt général dont se prévaut le ministre chargé de l'économie alors que son action peut être conduite de manière arbitraire et discriminatoire ;

Mais attendu que l'action exercée par le ministre chargé de l'économie en vertu de l'article L. 442-6 du code de commerce n'est pas une action en substitution, mais une action autonome visant à la défense de l'ordre public économique ; que le ministre ne poursuit pas, en effet, la réparation d'un préjudice aux lieu et place de la victime, mais la cessation d'agissements illicites et la sanction de pratiques abusives qui ont pour effet, si ce n'est pour objet, de porter atteinte à l'exercice de la libre concurrence, et ce, au détriment des consommateurs ; que l'appelant fait justement valoir, à cette fin, que son action répond à une finalité propre de défense de l'ordre public économique et non à la restauration des droits patrimoniaux alors que le paiement de sommes sans contrepartie non seulement porte atteinte à la loyauté des relations commerciales, mais constitue une dérive dangereuse à l'origine de l'augmentation des prix payés par le consommateur ; que c'est donc en vain que l'intimée se prévaut d'une d'atteinte au droit consacré par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que le ministre chargé de l'économie n'exerce pas les droits d'autrui et n'agit pas à la place des fournisseurs ; qu'il n'a donc pas à s'assurer que ces derniers aient donné leur consentement à l'action qu'il conduit et la volonté des personnes lésées de ne pas obtenir la réparation des préjudices qu'elles ont subis est, par conséquent, indifférente ; que l'intimée ne peut valablement soutenir que le ministre chargé de l'économie agirait pour le compte des fournisseurs au motif qu'il poursuit la restitution des sommes indûment versées alors que cette répétition n'est que la conséquence de la nullité des clauses illicites sur la base desquelles les sommes litigieuses ont été payées ; que la circonstance selon laquelle l'action du ministre chargé de l'économie est susceptible d'abus est inopérante dans la mesure où la partie qui s'estimerait victime d'une action arbitraire ou discriminatoire pourra rechercher la responsabilité de l'Etat en réparation du préjudice ainsi causé ;

Qu'il s'ensuit que la fin de non-recevoir soulevée par la Scapest et tirée d'une violation de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sera rejetée ;

Attendu que la Scapest soulève une troisième fin de non-recevoir tirée des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce en faisant valoir que les cas de nullité des contrats de coopération commerciale sont limités à ceux prévus au II de cet article parmi lesquels ne figure pas la fictivité du service rendu ; qu'elle estime, en effet, que seules certaines pratiques, limitativement énumérées, peuvent justifier une action en nullité ;

Mais attendu que le ministre chargé de l'économie fonde sa demande d'annulation des contrats de coopération commerciale sur le fondement de l'article L. 442-6 III du code de commerce lequel dispose, dans son deuxième alinéa, que dans le cadre de son action le ministre chargé de l'économie peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées à l'article L. 442-6 et qu'il peut également, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou des contrats illicites et demander la répétition de l'indu et le prononcé d'une amende civile ;

Que le deuxième alinéa du III de l'article L. 442-6 du code de commerce vise, par conséquent, toutes les pratiques mentionnées à cet article, dont celles citées au I, et pas seulement les trois cas de nullité énumérés au II ; que parmi les cas visés au I de l'article L. 442-6 du code de commerce figure l'obtention d'un partenaire commercial d'un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de ce service ; que c'est cette pratique que le ministre chargé de l'économie entend faire sanctionner en l'espèce ;

Que le jugement déféré sera, par conséquent, confirmé en ce qu'il a rejeté cette fin de non-recevoir ;

 

Sur le fond :

Attendu que le ministre chargé de l'économie poursuit la nullité de quatre contrats de coopération commerciale signés entre la Scapest et la SA A., dont trois contrats de gamme et un contrat de logistique, au motif que les prestations facturées par le distributeur en exécution de ces contrats seraient fictives en ce sens qu'elles n'iraient pas au-delà des obligations contractuelles résultant habituellement des achats et des ventes et auraient déjà été payées au titre des conditions générales de vente du fournisseur ;

Que la demande porte sur les deux contrats de gamme n° 42XX4 et n° 42XX6 qui ont été signés le 6 avril 2002 et dont le libellé est « présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des Centres Leclerc dépendant de la Centrale pour la période du 1er  mai 2002 au 31 décembre 2002 », du contrat de gamme n° 05XX5 qui a été signé le 16 décembre 2002 et dont le libellé est « présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des Centres Leclerc dépendant de la Centrale sous forme d'une préconisation de détention soumise à évolution pour la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2003. Produits concernés : bocades 175 g ; lapin Chablis ; foies de volailles ; canard Montbazillac ; jambonneau 500 g ; jambon le dégoûté 9 kg ; gambette rôtisserie 4 kg ; rôti de porc rôtisserie 3 kg ; rosette 2,5 kg ; pavé au poivre 2,5 kg' et du contrat de logistique n° 42XX2 qui a été signé le 3 avril 2002 et dont le libellé est « amélioration des performances logistiques caractérisée par : passage entrepôt » ;

Que le ministre chargé de l'économie soutient que la prestation prévue aux contrats de gamme n° 42XX4 et 42XX6, à savoir la préconisation d'une gamme de produits, ne constitue pas un service allant au-delà de celui déjà rendu et rémunéré au titre des conditions générales de vente ; qu'il rappelle que ces dernières prévoient déjà la rémunération de la diffusion d'une gamme de produits sous forme d'une ristourne de gamme laquelle rémunère l'assortiment négocié par la centrale d'achats et la présence des produits dans tous les points de vente, le taux de la ristourne variant selon le nombre de références présentes ; que l'appelant estime que la prestation litigieuse fait également l'objet d'une ristourne de gestion centralisée, laquelle est versée en contrepartie de la diffusion de l'offre de l'entreprise auprès de l'ensemble des adhérents ou points de vente rattachés à la centrale d'achat ; que cette ristourne comprend la diffusion de l'actualisation des tarifs réalisée dans les délais les plus brefs, ainsi que toutes les autres actions réalisées entre la centrale d'achats et ses mandants pour le compte du fournisseur ; que le ministre chargé de l'économie fait, enfin, observer que les contrats de coopération commerciale ne sont pas rédigés comme s'ils prévoyaient la fourniture d'un nouveau service ;

Que le ministre chargé de l'économie reprend la même argumentation pour la prestation visée au contrat n° 05XX5 en rappelant que les conditions générales de vente du fournisseur prévoient déjà une ristourne en contrepartie de l'existence d'un assortiment négocié par la centrale et présent dans tous les points de vente ;

Qu'en ce qui concerne le contrat « logistique », le ministre chargé de l'économie se prévaut de la dénomination imprécise du service facturé, de l'ignorance du fournisseur quant à la teneur exacte des services payés et de l'existence d'une remise logistique de 5 % prévue par les conditions générales de vente du fournisseur ; qu'il soutient, en conséquence, que le service payé en exécution du contrat de logistique n° 42XX2 n'est pas détachable de l'opération d'achat et de vente ;

Attendu que l'action a été introduite sous l'empire des dispositions introduites par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et qu'il appartient en conséquence au ministre chargé de l'économie de rapporter la preuve du caractère fictif des prestations facturées en exécution des contrats de gamme et du contrat de logistique ; que force est de constater que le ministre ne rapporte pas cette preuve ;

Que la Scapest fait justement observer qu'en exécution des contrats de gamme, dont la validité n'est pas contestée par l'appelant, elle s'est engagée à acquérir une gamme complète de produits fabriqués par la SA A. et pas seulement les produits les plus connus et les plus demandés de ce fournisseur et qu'elle a pris le risque d'acquérir des produits dont l'écoulement était plus difficile ; que la recommandation et la préconisation d'une gamme de produits par une centrale d'achats recouvrent une réalité spécifique qui n'est pas prise en compte par la ristourne de gamme et la ristourne de gestion centralisée prévues par les conditions générales du fournisseur ; que le ministre chargé de l'économie ne verse aux débats aucun élément de nature à établir que le service facturé par les contrats de gamme n'aurait pas été effectif ;

Que, dès lors que les services proposés sont différents, le ministre chargé de l'économie ne peut valablement soutenir qu'ils auraient déjà été payés par le fournisseur au titre des remises qu'il a accordées ;

Qu'en ce qui concerne la réalité du service rendu par le contrat de logistique, la Scapest fait valoir que le fournisseur passe seulement par la centrale d'achats et bénéficie de l'organisation commerciale et logistique de cette dernière ; qu'en effet, pour l'ensemble des points de vente, il n'est passé qu'une seule commande par la centrale d'achats, le fournisseur n'émet qu'une seule facture et ne livre qu'à un seul endroit, et ce, trois fois par semaine ; que, si le prix payé par le fournisseur pour obtenir le service « passage entrepôt » en exécution du contrat litigieux est plus élevé que la ristourne prévue à cette fin dans ses conditions générales de vente, le ministre chargé de l'économie ne saurait en déduire la fictivité du service alors que le directeur clientèle et marques distributeurs de la SA A., entendu par les services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a confirmé que le contrat de logistique n° 42XX2 avait correspondu effectivement à son objet et qu'il avait eu pour effet d'augmenter la rémunération du passage par l'entrepôt prévu aux conditions générales de vente ; que c'est, de toute évidence, pour cette raison que la SA A. n'a pas conclu de contrat de logistique l'année suivante ; que l'on ne saurait cependant déduire de ces circonstances la fictivité du service facturé alors que la question en cause est seulement celle du coût de ce service ; que la Scapest fait justement valoir qu'un distributeur peut renégocier ces services et aboutir à une rémunération plus favorable en fonction de l'impact qu'il est susceptible de leur donner ;

Qu'enfin, le ministre chargé de l'économie ne peut tirer argument de l'imprécision du libellé des contrats dès lors qu'aucune obligation légale ne pèse sur le commerçant quant au libellé des contrats et que l'on ne saurait déduire de cette seule imprécision la fictivité des services prévus aux contrats ; que la qualification des contrats est également sans incidence sur la réalité des services facturés ;

Qu'il convient, dès lors, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi de ses prétentions ;

 

Sur les autres demandes :

Attendu que le ministre chargé de l'économie, qui succombe dans ses prétentions devant la Cour, sera condamné aux dépens d'appel ; qu'il ne peut donc pas obtenir l'indemnité qu'il sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens ;

Que l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit à la demande formée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile par la Scapest ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;

Rejette les fins de non-recevoir soulevées par la Scapest et confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Rejette les demandes formées par les parties en cause d'appel au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi aux dépens d'appel et admet la SCP Thoma Le Runigo Delaveaux Gaudeaux, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

Le Greffier                Le Président