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CA LIMOGES (ch. civ.), 28 mars 2013

Nature : Décision
Titre : CA LIMOGES (ch. civ.), 28 mars 2013
Pays : France
Juridiction : Limoges (CA), ch. civ.
Demande : 12/00341
Date : 28/03/2013
Nature de la décision : Infirmation
Mode de publication : Legifrance
Date de la demande : 23/03/2012
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CERCLAB - DOCUMENT N° 5249

CA LIMOGES (ch. civ.), 28 mars 2013 : RG n° 12/00341

Publication : Legifrance

 

Extrait : « Attendu ainsi que, pour ces seuls motifs et sans y avoir lieu d’apprécier le caractère abusif ou non de la clause prévoyant un délai de carence pour le versement de l’indemnité par l’assureur, il apparaît que la SAS Z. et les consorts Y. ne sont pas fondés en leurs demandes ; que le jugement sera infirmé en ce sens ».

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D’APPEL DE LIMOGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 28 MARS 2013

 

ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION DE LA DÉCISION       (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

R.G. n° 12/00341. Le VINGT HUIT MARS DEUX MILLE TREIZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :

 

ENTRE

Société SMABTP VIE Société Mutuelle d’Assurances sur la Vie du Bâtiment et des Travaux,

Société d’Assurances Mutuelle à cotisation fixe, prise en la personne de son Président en exercice domicilié audit siège dont le siège social est [adresse] représentée par Maître Christophe DURAND-MARQUET, avocat au barreau de LIMOGES, Maître Valentin GERVAIS, avocat au barreau de PARIS, APPELANTE d’un jugement rendu le 5 MARS 2012 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE LIMOGES 

 

ET :

Madame X. épouse veuve Y.

de nationalité Française, née le [date] à [ville], Retraitée, demeurant [adresse], représentée par la SCP DEBERNARD DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES, Maître Hélène LEMASSON, avocat au barreau de LIMOGES

Monsieur Y.

de nationalité Française, né le [date] à [ville], demeurant [adresse], représenté par la SCP DEBERNARD DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES, Maître Hélène LEMASSON, avocat au barreau de LIMOGES

Madame Y.

de nationalité Française, née le [date] à [ville], demeurant [adresse], représentée par la SCP DEBERNARD DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES, Maître Hélène LEMASSON, avocat au barreau de LIMOGES 

SAS Z.

prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège social, dont le siège social est [adresse], représentée par la SCP DEBERNARD DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES, Maître Hélène LEMASSON, avocat au barreau de LIMOGES

INTIMÉS

 

Selon calendrier de procédure du Conseiller de la Mise en État, l’affaire a été fixée à l’audience du 7 février 2013 pour plaidoirie avec arrêt rendu le 7 mars 2013. L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2013.

A l’audience de plaidoirie du 7 février 2013, la Cour étant composée de Madame Martine JEAN, Président de chambre, de Monsieur Didier BALUZE et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers assistés de Madame Marie-Christine MANAUD, Greffier, Madame JEAN, Président de chambre, a été entendue en son rapport, Maître GERVAIS et Maître LEMASSON, avocats, ont été entendus en leur plaidoirie.

Puis Madame Martine JEAN, Président de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 28 mars 2013 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

 

EXPOSÉ DU LITIGE                                                           (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

LA COUR

La SAS Z. a souscrit le 17 février 2006 auprès de la SMABTP VIE une garantie décès ou perte totale et irréversible d’autonomie à la suite d’une maladie ou d’un accident au profit de son directeur général, M. Y. 

Victime d’une gliomatose cérébrale qui ne pouvait être opérée, M. Y., dont l’arrêt de travail est du 30 septembre 2009, a dû être hospitalisé et a subi deux biopsies ainsi que des chimiothérapies ; les Docteurs A. et B., qui avaient été amenés à examiner M. Y., devaient conclure tous deux, fin avril 2010, à la nécessité pour celui-ci d’être assisté d’une tierce personne pour les actes élémentaires de la vie au regard à la fois d’une cécité des deux yeux et du déficit de son membre inférieur gauche consécutif à une hémiplégie.

La SAS Z., qui avait demandé à la SMABTP à bénéficier de la garantie perte d’autonomie dès le 25 février 2010, se voyait refuser cette garantie le 25 mai 2010 sur la base du rapport du Docteur C. que l’assureur avait missionné, lequel avait conclu le 11 mai 2010, après un premier rapport déposé le 6 avril 2010 qui nécessitait d’être complété, que l’état de M. Y. ne justifiait pas l’aide d’une tierce personne.

Sur contestation de la décision de la SMABTP, il était proposé par cet assureur un arbitrage par un troisième médecin, lequel arbitrage n’était en définitive pas effectué, l’expertise devant être effectuée en juillet ayant été reportée pour des raisons indépendantes, semble-t-il, de la volonté de la SMABTP.  

Sur demande de la compagnie, il lui était adressé en octobre 2010 les rapports d’expertise judiciaires des autres experts au vu desquels la SMABTP VIE versait le 15 octobre 2010, jour même du décès de M. Y., le capital dû de 318.730,89 € pour perte totale et irréversible d’autonomie du chef d’entreprise bénéficiaire de l’assurance souscrite par la SAS Z. 

La SAS Z. ainsi que M. Y. avaient toutefois dès le 28 septembre 2010, fait assigner la compagnie d’assurances devant le tribunal de commerce de Limoges aux fins de voir diligenter une expertise pour permettre la vérification de l’application de la garantie.

Suite au décès de M. Y. et malgré le paiement de l’indemnité d’assurances, la société Z. et les héritiers de M. Y., qui intervenaient volontairement, maintenaient l’action entreprise et sollicitaient la condamnation de la SMABTP, selon eux responsable des fautes commises par l’expert qu’elle avait missionné, à payer, à la SAS Z., la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier et économique ainsi que celle de 80.000 € au titre de son préjudice moral et aux consorts Y. celle de 20.000 € destiné à réparer leur préjudice moral.

Par jugement du 5 mars 2012, le tribunal, qui a écarté les conclusions d’irrecevabilité des demandes présentées par les consorts Y., a jugé qu’il n’y avait lieu de faire droit à la demande en dommages et intérêts de la société Z. au titre d’un préjudice financier dès lors que la SMABTP n’avait pas manqué à ses obligations contractuelles mais a condamné celle-ci à payer à la société Z. la somme de 40.000 € en réparation de son préjudice moral et aux consorts Y. celle de 10.000 € au même titre.  

La SMABTP VIE a déclaré interjeter appel de cette décision le 23 mars 2012.

Les dernières écritures des parties, auxquelles la Cour renvoie pour plus ample information sur leurs demandes et moyens, ont été transmises à la cour les 22 juin 2012 par la SMABTP VIE et 7 décembre 2012 par la SAS Z. et les consorts Y. 

La SMABTP VIE demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté les demandes en dommages et intérêts formulées au titre d’un préjudice économique et financier mais de réformer le jugement en ce qu’il a admis le principe de dommages et intérêts pour préjudice moral, de dire que les consorts Y. sont dépourvus d’intérêt et de qualité à agir, de juger en conséquence leurs demandes irrecevables, subsidiairement de les déclarer non fondées et de les débouter, de débouter la société Z., de condamner enfin cette société ainsi que les consorts Z. à lui payer une indemnité de 7. 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

La SMABTP VIE fait valoir que M. Y., qui n’était pas partie au contrat d’assurances mais en était seulement le bénéficiaire, n’avait pas qualité à agir sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du Code Civil en sorte que ses héritiers, qui ne font pas état d’un préjudice personnel, n’ont pas plus intérêt et qualité à agir.

Elle relève par ailleurs l’incompatibilité entre l’absence de faute contractuelle relevée par le tribunal et sa décision d’allouer des dommages et intérêts au titre d’un préjudice moral, observant qu’en tout cas il n’existe pas de principe de responsabilité contractuelle du fait d’autrui, que seule une inexécution contractuelle est susceptible d’engager la responsabilité de l’assureur, qu’il n’appartient pas à celui-ci mais à l’assuré de démontrer que son état lui ouvre droit aux garanties souscrites, qu’en désignant un expert elle n’a fait qu’utiliser une faculté qui lui est offerte, que le contrat qui la lie au médecin expert est un contrat de louage d’ouvrage et non de mandat en sorte que la faute du médecin, serait-elle démontrée, ne pourrait engager que la responsabilité de celui-ci et non celle de l’assureur qui l’a missionné, que ce n’est qu’en octobre 2010 que lui ont été communiqués les rapports d’autres experts remettant en cause les conclusions de l’expert qu’elle avait missionné, qu’elle a dès réception de ces pièces médicales remettant en cause l’avis de son propre expert versé l’indemnité, passant même outre au délai de carence de 6 mois prévu contractuellement, qu’aucune faute du médecin qu’elle avait missionné n’est en outre démontrée, que de surcroît le retard dans le versement de l’indemnité ne résulte que de l’impossibilité, qui n’est pas de son fait, de faire réaliser une contre expertise, qu’il est faux de prétendre enfin que la clause du contrat prévoyant un délai de carence est nulle car potestative et abusive, qu’enfin les préjudices sont inexistants.

La SAS Z. et les consorts Y. forment appel incident pour obtenir la condamnation de la SMABTP à payer à la société Z. la somme de 100.000 € au titre de son préjudice économique et celle de 80.000 € au titre de son préjudice moral et aux consorts Y. celle de 20.000 € au titre de leur préjudice moral ; ils sollicitent une indemnisation sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile de 5.000 €.

Ils soutiennent que le bénéficiaire du contrat est partie à celui-ci comme il ressort selon eux des termes mêmes du contrat d’assurances, que le médecin missionné par l’assureur a commis plusieurs fautes dès lors, d’une part, qu’il a déposé un complément d’expertise en mai sans revoir le patient alors qu’il avait relevé en avril un état évolutif dans le sens d’une dégradation, d’autre part que son rapport comprend des renseignements inexacts, qu’enfin il est établi que M. Y. avait perdu déjà toute autonomie en février 2010 ; ils estiment qu’en conséquence la SMABTP VIE, mandant, est nécessairement responsable des fautes commises par son mandataire, qu’ils démontrent suffisamment par ailleurs le préjudice subi dès lors que l’indemnité prévue pour compenser l’absence du dirigeant n’a pas été versée suite au refus de garantie de l’assureur, ce qui a entraîné à la fois la baisse du chiffre d’affaires et le stress tant de la société que de M. Y. et fait observer que l’assureur ne peut utilement leur opposer le délai de carence prévu au contrat par une clause qui ne pourra qu’être jugée abusive et potestative.

 

MOTIFS (justification de la décision)                                   (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Attendu que la SMABTP ne remet pas en cause l’intérêt et la qualité à agir de la SAS Z. ; qu’elle demande en revanche à la cour de juger que les consorts Y. sont dépourvus de qualité et d’intérêt à agir ; 

Attendu certes que M. Y. n’était pas partie au contrat d’assurances souscrit par la SAS Y. auprès de la SMABTP ; qu’il n’était pas titulaire en conséquence d’une action fondée sur la responsabilité contractuelle de l’assureur ; que toutefois un manquement contractuel peut engager la responsabilité de son auteur à l’égard des tiers sur un fondement délictuel ;

Et attendu que les consorts Y. agissent en leur qualité d’ayant droits de M. Y. ; qu’ils justifient en conséquence de leur intérêt et leur qualité à agir pour obtenir réparation, sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, du préjudice subi par leur auteur ;

Attendu, au fond, qu’il appartient à l’assuré, qui réclame le bénéfice de l’assurance, de justifier auprès de l’assureur que sont réunies les conditions requises par la police pour mettre en jeu la garantie souscrite ; que s’il est établi que la SAS Z. a sollicité le 15 février 2010 le versement du capital prévu au contrat d’assurances, son courrier vise un certificat médical qui n’est pas versé aux débats par l’une ou l’autre partie ; qu’il apparaît par ailleurs que la compagnie d’assurances a versé le capital prévu dès transmission par l’assuré de documents médicaux, notamment les rapports d’expertises des [Docteurs] A. et B., faisant état de la nécessité pour M. Y. d’être assisté d’une tierce personne pour les actes ordinaires de la vie ; que, dans ces conditions, aucune faute contractuelle ne peut être retenue contre l’assureur dès lors qu’il est établi qu’il a versé l’indemnité prévue dès qu’il a eu connaissance de la réunion des conditions de mise en œuvre de la garantie ;

Attendu certes qu’entre ces deux dates, un expert missionné par l’assureur avait conclu que « concernant la perte totale et irréversible d’autonomie (PTIA) l’invalidité présentée par Monsieur Y. n’est pas actuellement assimilable à la 3ème catégorie des invalidités au sens de la sécurité sociale rendant l’assuré définitivement incapable d’exercer toute activité lui rapportant gain ou profit (ce qui est actuellement son cas) et nécessitant l’assistance d’une tierce personne pour accomplir les actes de la vie ordinaire (ce qui n’est pas son cas actuellement) » et il est patent que les conclusions de cet expert ont retardé d’autant le versement du capital prévu par la police qui aurait pu être versé plus tôt si la compagnie n’avait pas eu recours à une expertise ou si l’expert désigné par la compagnie avait retenu, comme l’avaient fait ses confrères, la nécessité pour M. Y. de se faire assister dans les actes de la vie civile par une tierce personne ;

Mais attendu, et d’une part, qu’il n’est pas établi que la compagnie d’assurances ait obtenu avant octobre 2010 toutes précisions sur l’état de santé de M. Y. ; qu’il ne saurait être reproché en tout cas à l’assureur d’avoir, comme le prévoit expressément le contrat d’assurances, souhaité, à réception de la demande de garantie de la SAS Z., compléter son information sur l’état de santé de  M. Y. en ayant recours à l’avis d’un expert ;

Attendu, d’autre part, que si tant est que cet expert ait commis des fautes, celui-ci engage seul sa responsabilité ; que l’expert n’est pas lié en effet à l’assureur dans sa mission d’expertise amiable, comme le soutiennent à tort les intimés, par un contrat de mandat qui aurait pour effet d’engager la responsabilité du mandant pour les fautes commises par son mandataire ;

Attendu ainsi que, pour ces seuls motifs et sans y avoir lieu d’apprécier le caractère abusif ou non de la clause prévoyant un délai de carence pour le versement de l’indemnité par l’assureur, il apparaît que la SAS Z. et les consorts Y. ne sont pas fondés en leurs demandes ; que le jugement sera infirmé en ce sens ;

Attendu que l’équité ne commande pas l’application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile au profit de l’assureur ;

 

DISPOSITIF (décision proprement dite)                             (N.B. : mention ne figurant pas sur l’original)

PAR CES MOTIFS : 

LA COUR,

Statuant par décision Contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

RÉFORME le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

DÉCLARE recevable l’action de la SAS Z. fondée sur les dispositions de l’article 1147 du Code Civil et celle des consorts Y., agissant aux droits de leur auteur, fondée sur celles de l’article 1382 du Code civil,

DÉBOUTE la SAS Z. et les consorts Y. de toutes leurs demandes,

DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile au profit de la SMABTP,

CONDAMNE la SAS Z. et les consorts Y. in solidum aux dépens d’instance et d’appel.

LE GREFFIER,                                LE PRÉSIDENT,

Marie-Christine MANAUD,            Martine JEAN.